Damas Augustin c. 9178-7150 Québec inc. | 2024 QCTAL 7638 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
| ||||||
No dossier : | 735959 31 20230927 G | No demande : | 4054888 | |||
|
| |||||
Date : | 23 février 2024 | |||||
Devant le juge administratif : | Grégor Des Rosiers | |||||
| ||||||
Nicole DaMas Augustin |
| |||||
Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
9178-7150 Québec Inc. |
| |||||
Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
| ||||||
D É C I S I O N
| ||||||
[1] Le Tribunal est saisi d’une demande de la locataire en résiliation du bail, de diminution de loyer de 268 $ par mois à compter du 1er février 2023, en dommages moraux (35 000 $) le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du C.c.Q., d’ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et la condamnation de la locatrice au paiement des frais.
Preuve de la locataire
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er août 2022 au 31 juillet 2023 au loyer mensuel de 950 $[1].
L’immeuble concerné est un ensemble immobilier formé de deux édifices ([adresse 1] et [adresse 2], Montréal (Québec) [...]) qui comprend 31 logements.
[3] Essentiellement, la preuve de la locataire révèle les éléments factuels suivants :
[4] Le ou vers les mois de février-mars 2023, elle constate la présence de coquerelles et de souris dans le logement.
[5] Vers la fin février ou début du mois de mars, cette situation est dénoncée verbalement à la mandataire de la locatrice, madame Lego lors du paiement du loyer à cette dernière.
[6] Dès le 16 mars 2023, un premier traitement a eu lieu. La locataire produit en preuve l’avis reçu de la locatrice pour la préparation du logement avant le traitement concernant les blattes[2].
[7] Par la suite, un deuxième et un troisième traitement ont eu lieu le 4 mai 2023 et le 17 août 2023.
[8] Quant à la présence de souris dans le logement, la locataire soutient que la dératisation a eu lieu au mois d’octobre 2023.
[9] Toutefois, elle souligne qu’au jour de l’audience, elle constate toujours la présence de coquerelles dans toutes les pièces du logement et qu’elle qualifie d’une infestation majeure.
[10] Par ailleurs, la locataire affirme n’avoir aucune photographie ou autre preuve à l’appui de ses prétentions.
[11] Le 13 novembre 2023, la locataire notifie à la locatrice une mise en demeure datée du 26 octobre 2023 dénonçant formellement les troubles et inconvénients causés par la situation qu’elle décrit comme une infestation de coquerelles et la présence de souris dans son logement et dénonce par la même occasion la défectuosité des robinets de la cuisine et de la salle de bain et requière formellement de la locatrice de faire le nécessaire afin de remédier au défaut de lui procurer une jouissance paisible des lieux loués et d’effectuer les réparations nécessaires au logement loué et qu’à défaut, qu’elle sera tenue responsable des inconvénients et dommages subis.
[12] La locataire demande une diminution mensuelle du loyer de 268 $ à compter du 1er février 2023 et plaide que cette infestation de coquerelles et la présence de souris dans le logement constituent des inconvénients majeurs et que la locatrice est alors en défaut de respecter ses obligations contractuelles de délivrer un logement en bon état de réparation et de lui procurer une jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
[13] Pour ces motifs, la locataire soutient qu’elle en droit de réclamer de la locatrice une diminution de loyer de 268 $ par mois et ce, rétroactivement au 1er février 2023.
[14] La locataire réclame également une somme de 35 000 $ à titre de dommages moraux pour les difficultés émotionnelles, le stress, l’anxiété et l’insomnie. Elle explique que cette situation d’infestation de coquerelles et la présence de souris étaient tout simplement invivables lui causant de sérieux problèmes émotionnels.
[15] Elle demande également la résiliation du bail au motif que la locatrice est en défaut de lui délivrer un logement en bon état de réparation et de lui procurer une jouissance paisible de son logement et considère que le logement loué n’est pas en bon état de propreté ou d’habitation.
[16] La locataire plaide qu’elle souffre d’arthrose sévère au genou droit et qu’elle ne peut utiliser les escaliers. Elle fait valoir que son médecin traitant lui a même indiqué qu’elle devait déménager. La locataire produit en preuve une note clinique datée du 18 septembre 2023 émise par son médecin traitant.
[17] Quant aux défectuosités, elle souligne que les robinets de la cuisine et de la salle de bain sont défectueux et leur usage nécessite l’utilisation d’une pince.
Preuve de la locatrice
[18] Tout d’abord, en ce qui concerne les défectuosités des robinets, la locatrice soumet que cette demande est irrecevable la locataire n’ayant aucunement fait mention de cette situation dans sa demande. Aussi, la locatrice souligne que ce n’est que récemment et dans la mise en demeure reçue le 13 novembre 2023 que ces défectuosités lui ont été dénoncées.
[19] La mandataire de la locatrice fait valoir que les plaintes de la locataire sont sans fondement puisque dès dénonciation et constat de la présence de coquerelles dans le logement, la locatrice a fait le nécessaire sans délai pour régler la situation.
[20] Elle souligne et précise qu’il est admis que trois traitements ont été effectués par l’exterminateur dans le logement, et ce, sans délai.
[21] La locatrice fait valoir qu’il n’y aucune preuve de présence de souris dans le logement. Elle reconnaît peut-être la présence de coquerelles, mais reproche le manque de collaboration de la locataire avec l’exterminateur pour l’application efficace des traitements et qu’il s’agit alors d’une faute contributive de la locataire.
[22] La locatrice plaide qu’il n’y a eu aucune dénonciation de la part de la locataire au sujet de la défectuosité des robinets de la cuisine et de la salle de bain.
[23] La locatrice plaide avoir effectué les traitements appropriés pour régler le problème.
[24] Elle fait valoir que la locataire n’a pas démontré qu’il y ait eu faute de sa part ni lien de causalité avec les dommages allégués puisqu’elle a exécuté ses obligations contractuelles dans un délai raisonnable à la suite de la dénonciation.
[25] Quant à la diminution de loyer réclamée et quant aux dommages moraux réclamés, la locatrice demande leurs rejets, car grossièrement exagérés et pour le motif que la locataire n’a présenté aucune preuve d’une perte réelle et significative ni de preuve médicale relative aux dommages moraux réclamés.
Questions en litige
La locatrice a-t-elle contrevenu à ses obligations envers la locataire et ces manquements causent-ils à la locataire un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail?
La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer et à des dommages-intérêts moraux?
Analyse et décision
La locatrice a-t-elle contrevenu à ses obligations envers la locataire?
[26] Les obligations du locateur sont prévues aux articles 1854, 1864 et 1910 du Code civil du Québec.
[27] L’article 1854 du Code civil du Québec prévoit :
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail[3]. »
[28] De plus, le locateur doit exécuter toutes les réparations nécessaires au logement autre que celles qui ne sont que purement locatives (article 1864 C.c.Q.).
[29] En outre, l’article 1910 du Code civil du Québec stipule :
« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.[4] »
[30] Le recours de la locataire se fonde sur l’article 1863 du Code civil du Québec qui prévoit :
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir[5]. »
[31] Il appartient à la locataire de prouver, selon la règle de la prépondérance de preuve, les manquements de la locatrice à ses obligations contractuelles.
[32] Dans de tels cas, l’intensité des obligations d’un locateur est qualifiée d’obligation de résultat par la doctrine[6].
[33] Par conséquent, une fois démontrés les manquements de la locatrice à ses obligations contractuelles découlant du bail et de la loi, la locatrice ne peut invoquer sa diligence à apporter un correctif aux manquements dénoncés ni, par ailleurs, plaider, eu égard aux circonstances, qu’elle a eu un comportement prudent et diligent.
[34] Cependant, le fardeau de la preuve repose toujours sur la locataire, laquelle doit démontrer, par prépondérance de preuve, les contraventions de la locatrice à ses obligations contractuelles découlant du bail ou de la loi ce qui dès lors donnent ouverture à un recours en dommages-intérêts, diminution de loyer et d’exécution en nature (Article 1863 C.c.Q.).
[35] En ce qui concerne le fardeau de la preuve, l’article 2803 du Code civil du Québec énonce :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée[7]. »
[36] Par ailleurs, la diminution de loyer ne sera accordée dans la mesure il est démontré qu’il y a une perte réelle et significative de la valeur locative du logement laquelle serait une suite immédiate aux dégradations constatées ou de la nuisance constatée.
[37] À cet égard, la juge administrative Linda Boucher rappelle les principes suivants dans l’affaire Ferdinand c. Demopoulos[8]:
« [46] Dans son ouvrage sur la diminution du loyer, l'auteur Denis Lamy tempère ce principe général. Il passe en revue la jurisprudence en la matière et conclut que toute diminution de prestation du locateur n'est pas ouverture au recours en diminution de loyer.
« Il est essentiel, une fois de plus, de relire attentivement les dispositions qui ont à l'origine créé le recours en diminution de loyer, soit la Loi concernant la Régie des loyers et la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, puisque ce principe y fut très clairement énoncé :
Lorsqu'une maison, sans le fait ou la faute du locataire ou d'une personne dont il a la responsabilité, subit une dégradation qui en réduit sérieusement la valeur locative ou lorsque le locateur en diminue l'espace, les services ou les commodités, le locataire, à défaut d'entente avec le locateur, peut s'adresser à l'administrateur local pour obtenir la résiliation du bail ou une réduction de loyer et l'administrateur a le pouvoir de lui accorder une telle réduction qu'il juge équitable.
Le législateur avait donc clairement à l'esprit des situations qui allaient affecter sérieusement le logement du locataire. Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance, de sa gravité (critique, réel, préoccupant, inquiétant) [9] ».
« [47] Dans l'affaire Beaulieu c. Belleville, le juge administratif Daniel Laflamme fait également référence à ces principes comme suit :
« De plus, un inconvénient bénin ou une simple trivialité ne permettent pas d'invoquer la garantie. En effet, prétendre le contraire serait d'imposer un fardeau déraisonnable au locateur et rendrait le commerce de location résidentielle presque impossible. Seuls les problèmes réduisant la jouissance des lieux peuvent être considérés.
Des défectuosités mineures qui n'occasionnent qu'un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l'intervention du tribunal.
En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d'une situation ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une diminution significative réelle ou une perte substantielle. Le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique, il doit être sérieux. » »
[38] La locataire demande une diminution de loyer de 268 $ par mois équivalent à 28.2 % du loyer, et ce, rétroactivement au 1er février 2023.
[39] Or, la locatrice a été mise en demeure que le 13 novembre 2023 soit 14 jours avant la présente audience. La diminution de loyer ne peut être accordée qu’à compter de la demeure.
[40] Le Tribunal estime que la preuve révèle la présence de coquerelles dans le logement ce qui a nécessité plusieurs traitements pour corriger la situation.
La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer et des dommages-intérêts?
[41] Quant à la présence de coquerelles, la preuve révèle que la locataire a dénoncé la situation mettant en demeure la locatrice d’y remédier.
[42] La locatrice a fait le nécessaire et trois traitements ont été appliqués par un exterminateur pour régler la situation à la fin août 2023.
[43] Le Tribunal estime que la preuve démontre que la locataire en raison de la présence de coquerelles dans le logement n’a pas eu la jouissance paisible des lieux loués ce que la locatrice est tenue de lui garantir.
[44] À ce chapitre, le Tribunal conclut que la locataire a droit à une diminution de loyer globale de 100 $.
[45] Quant aux défectuosités des robinets de la cuisine et de la salle de bain, une telle demande est irrecevable la locataire n’ayant pas fait mention de ces défectuosités dans sa demande.
[46] Par ailleurs, en ce qui concerne la résiliation du bail au tort de la locatrice, la locataire n’a pas démontré un préjudice sérieux par une preuve prépondérante que le logement est impropre à l’habitation et que la locatrice lui a délivré un logement dans un tel état de malpropreté ou dans un mauvais état d’habitation et d’entretien et qu’alors la locatrice serait en défaut de respecter ses obligations contractuelles.
Dommages moraux
[47] La locataire réclame une somme de 35 000 $ à titre de dommages moraux pour le stress, l’insomnie et l’anxiété provoqués par cette infestation de coquerelles dans son logement.
[48] Les dommages moraux doivent être évalués eu égard aux seuls dommages subis par la locataire, c’est-à-dire la personne elle-même et ne doivent pas faire double emploi avec celui en diminution de loyer.
[49] Les dommages moraux doivent être prouvés selon la règle de la prépondérance de preuve tout comme les dommages-intérêts compensatoires.
[50] Le Tribunal est convaincu des dommages moraux invoqués par la locataire puisqu’il est évident que la présence de coquerelles dans le logement est tout à fait de nature à troubler, stresser quiconque et lui causer des inconvénients rendant difficile l’accomplissement de ses tâches quotidiennes.
[51] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal accorde à la locataire la somme de 150 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[52] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire une diminution de loyer globale de 100 $
[53] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 150 $ avec intérêts aux taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 13 novembre 2023;
[54] REJETTE la demande quant aux surplus;
[55] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 93,75 $ pour les frais de la demande.
|
| ||
|
Grégor Des Rosiers | ||
| |||
Présence(s) : | la locataire la mandataire de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 27 novembre 2023 | ||
| |||
| |||
[1] Pièce L-1.
[2] Pièce L-2.
[3] RLRQ, c. C.c.Q.-1991.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages.
[7] Op. cit. note 1.
[8] Ferdinand c. Demopoulos,
[9] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, Jean -Louis Baudouin et P. Deslauriers, La faute contractuelle dans La responsabilité civile, Volume I - Principes généraux, 7e Édition, 2007, EYB2007RES21, approx. 12 pages.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.