Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec
| 2023 QCCS 3333 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||||
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N° : | 500-17-108580-195 | ||||||
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DATES : | Le 30 août 2023 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
FLORENCE LUCAS, J.C.S. | |||||
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FÉDÉRATION DES POLICIERS ET POLICIÈRES MUNICIPAUX DU QUÉBEC | |||||||
et | |||||||
FRATERNITÉ DES POLICIERS ET POLICIÈRES DE MONTRÉAL | |||||||
Demanderesses | |||||||
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ASSOCIATION DES POLICIÈRES ET POLICIERS PROVINCIAUX DU QUÉBEC | |||||||
Intervenante | |||||||
c. | |||||||
PROCUREUR GÉNÉRALE DU QUÉBEC | |||||||
Défendeur | |||||||
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GENEVIÈVE GUILBAULT | |||||||
Mise en cause en sa qualité de ministre de la Sécurité publique | |||||||
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JUGEMENT | |||||||
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[1] Depuis plus de 40 ans, les associations syndicales composant la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (Fédération), la Fraternité des policiers et policières de Montréal (Fraternité) et l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ) – (collectivement associations syndicales) et leurs membres, parce que privés du droit de grève, recourent à d’autres moyens de pression, dont celui de substituer ou d’altérer différents éléments de leurs uniformes.
[2] Déjà, au milieu des années 70, les policières et policiers portaient le jeans, puis la casquette de baseball, le chapeau de cowboy et autres conversions en guise de contestation. Dans les années 2000, on introduit le pantalon de camouflage et la casquette rouge, entre autres choses, pour exprimer publiquement les doléances reliées aux conditions de travail ou au déroulement des négociations en période de renouvellement de convention collective.
[3] Jusqu’alors, ces moyens de pression se trouvent la plupart du temps tolérés, rarement contestés mais jamais sanctionnés.
[4] En protestation contre le projet de loi présenté en 2015, puis de sa Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal[1] (Loi 15), adoptée en novembre 2016, les policières et policiers enfilent à nouveau les pantalons de camouflage et les casquettes rouges pour revendiquer ce qu’ils considèrent être une attaque à une condition de travail des plus importantes des employés du secteur municipal, soit leurs régimes de retraite.
[5] Dans la sphère publique, le maintien de ces moyens de pression, le port des
« pantalons de clown » dans le cadre de funérailles d’État de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau, notamment, fait l’objet de vives critiques.
[6] Dès lors, plusieurs réclament le retour rapide à l’uniforme standard.
[7] C’est dans ce contexte qu’en avril 2017, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux (Ministre), présente à l’Assemblée nationale le projet de loi intitulé Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement (Projet de loi 133), soumis à une consultation publique. Ce projet vise à modifier la Loi sur la police[2] afin d’y introduire l’obligation pour les policières, les policiers et les constables spéciaux, dans l’exercice de leurs fonctions, de porter l’uniforme et l’équipement fournis par leur employeur, sans y substituer aucun élément ou sans les altérer, les couvrir de façon importante, ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés. Il prévoit des dispositions pénales significatives en cas d’infraction à ces nouvelles interdictions. Pour justifier ces mesures, le Ministre invoque la sécurité publique, l’importance de préserver la confiance du public envers les policières et policiers et l’intérêt d’éviter toute situation de confusion.
[8] Le 19 octobre 2017, l’Assemblée nationale adopte la Loi 20[3] (Loi 20) qui reprend l’intégralité des modifications du Projet de loi 33 du même nom.
[9] Dans le présent pourvoi, les associations syndicales contestent la constitutionnalité des articles 263.2, 263.3, 313.1 ainsi que du deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police[4] (dispositions ou interdictions litigieuses) tels qu’adoptés dans le cadre de la Loi 20. Elles plaident que ces dispositions créent une interdiction totale de modifier les uniformes de travail des policiers comme moyens de pression de sorte que ces articles portent une atteinte injustifiée à la liberté d’expression de ses membres, en plus d’entraver substantiellement à leur liberté d’association, protégées par la Charte canadienne des droits et libertés[5] (Charte canadienne) et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[6] (Charte québécoise).
[10] Pour sa part, le Procureur général du Québec (PGQ) soumet principalement deux moyens de défense préliminaires. Premièrement, il plaide que le port de l’uniforme est un privilège, lié à l’exercice d’une autorité publique, qui ne saurait recevoir une protection constitutionnelle pour en légitimiser l’altération. Deuxièmement, le PGQ soutient que la revendication des associations syndicales et de leurs membres repose sur un droit positif, soit de se voir fournir un mode précis d’expression, soumis à la démonstration du seuil plus élevé de l’atteinte substantielle à la liberté d’expression. Subsidiairement, il nie toute entrave substantielle aux libertés revendiquées, plaide que les interdictions litigieuses présentent un lien rationnel avec des objectifs réels et urgents visant à préserver la confiance du public, l’identification sans équivoque des policiers et la sécurité publique, pour conclure que la Loi 20 impose, en tout état de cause, des limites raisonnables et une justification qui puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[11] Pour les motifs plus amplement exposés dans ce jugement, le Tribunal juge qu’il y a lieu de prononcer l’inconstitutionnalité des articles 263.2, 263.3, 313.1 et du deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police adoptés dans le cadre de la Loi 20.
[12] D’abord, sur les questions préliminaires soumises par le PGQ, le Tribunal estime que l’existence des garanties constitutionnelles n’impliquent pas de distinction entre un droit ou un privilège, de sorte que la protection constitutionnelle s’applique aux policières et policiers en uniforme. Ensuite, il faut constater que les associations syndicales et leurs membres ne revendiquent pas une « tribune d’expression », condition essentielle à une revendication de droit positif en matière de liberté d’expression. Le recours se rattache plutôt à un droit négatif, étant entendu que les policières et policiers demandent à ne pas être assujettis à des dispositions leur interdisant toute substitution ou altération de l’uniforme, restreignant leur liberté d’expression.
[13] Ensuite, à la lumière de l’analyse contextuelle de la violation des droits fondamentaux alléguée, le Tribunal conclut que les dispositions litigieuses portent atteinte, d’une part, à la liberté d’expression des policières et policiers, en interdisant des moyens de pression qui visent à transmettre un message à la population en modifiant l’apparence de leurs uniformes. D’autre part, elles contreviennent aussi, de façon substantielle, à leur liberté d’association parce qu’elles interdisent des activités collectives qui impliquent l’affirmation et l’autonomie des policiers dans l’action concertée, ainsi qu’à la sensibilisation de la population sur leurs revendications, soit des objectifs collectifs essentiels au processus véritable de négociation collective.
[14] Ultimement, le Tribunal juge que les interdictions en litige ne sont pas justifiées dans le cadre d’une société libre et démocratique, au regard de l’article premier de la Charte canadienne ni de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Bien que les objectifs visés par le PGQ soient louables, qu’un lien rationnel puisse être inféré, il y a lieu de conclure que les interdictions litigieuses, en raison de leur portée excessive et arbitraire, ne portent pas atteinte le moins possible aux droits constitutionnels, d’autant plus que leurs effets préjudiciables sur la liberté d’expression et la liberté d’association des policiers s’avèrent disproportionnés par rapport à tout avantage social qu’elles pourraient conférer.
[15] Enfin, le seul remède approprié en l’espèce s’avère être est l’invalidation de toutes les dispositions litigieuses, avec effet immédiat. En l’absence d’une démonstration que la déclaration d’invalidité est susceptible de porter atteinte à un intérêt public impérieux ou de nuire considérablement à la capacité du législateur de légiférer, la suspension de 12 mois requise par le PGQ n’est pas justifiée.
[16] On ne saurait trop insister sur l’importance du contexte lorsqu’il est question d’apprécier des atteintes potentielles aux libertés d’expression et d’association[7].
[17] Au vu de l’ensemble, il convient de revoir les faits essentiels qui permettent de comprendre le pourvoi alors que d’autres, plus spécifiques, seront abordés lors de l’analyse des questions en litige.
* * *
[18] La Fédération et la Fraternité sont des associations syndicales qui représentent les policières et les policiers municipaux[8]. L’APPQ agit à titre de représentante syndicale exclusive des membres, policières et policiers, de la Sûreté du Québec. Le PGQ représente leur employeur et le gouvernement du Québec.
[19] L’adoption du Code du travail en 1964 réitère que « [t]oute grève est interdite en toute circonstance aux policiers et pompiers à l’emploi d’une municipalité ou d’une régie intermunicipale »[9].
[20] En compensation, le législateur a institué l’arbitrage de différends obligatoire pour les policiers municipaux[10].
[21] Depuis lors, les policières et policiers de la Fédération, de la Fraternité et de l’APPQ (policiers[11]) usent de différents moyens de communication et de pression, dont les affiches, les tracts, les communiqués de presse, les lettres ouvertes, les entrevues dans les médias et sur le terrain, ainsi que la modification concertée de leur uniforme.
[22] À cet égard, le PGQ admet qu’à différentes périodes et circonstances au cours des 40 dernières années[12], les policiers ont utilisé des moyens collectifs de pression et de sensibilisation liés à l’uniforme, entre autres en portant le jeans, le pantalon de combat, le pantalon « cargo », le pantalon de camouflage, le chapeau de cowboy, la tuque ou casquette rouge, un macaron, une épinglette, un auto-collant, un brassard, un bracelet, les logos des associations syndicales ou encore en refusant de porter un ou des éléments de l’uniforme, dont leur képi.
[23] Les associations syndicales coordonnent ces moyens de pression collectifs et dans certains cas, fournissent des vêtements particuliers à l’ensemble de leurs membres.
[24] Jusqu’alors, ces moyens de pression n’ont jamais été sanctionnés, principalement en l’absence de confusion et de préjudice au service auquel la population avait droit[13].
[25] Le 4 décembre 2014, le législateur adopte la Loi 15[14]. Les policiers estiment que cette loi s’attaque à l’une des plus importantes conditions de travail des employés du secteur municipal, aux régimes de retraite à prestation déterminée du secteur municipal. Leurs syndicats introduisent alors un recours constitutionnel contre la Loi 15[15].
[26] Cette modification des régimes de retraite, la suppression de 225 postes de policiers sur 5 ans et le non-remplacement de la moitié des départs à la retraite des employés civils ont contribué à envenimer les relations de travail entre les policiers et la direction. Sur le terrain, de nombreux policiers portent la casquette rouge et des pantalons de camouflages en signe de protestation[16].
[27] Le 9 juin 2015, le maintien de ces moyens de pression aux funérailles d’État de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau provoque une levée de boucliers; certains journalistes et experts en relations publiques sont d’opinion que c’est honteux, estiment que les policiers ont fait preuve d’un manque de respect et de civisme, soumettent que ces « costumes de clowns » dégradent l’autorité et la crédibilité des agents, ce qui nuit à l’image des policiers de Montréal[17].
[28] En août 2015, arrivé en fonction dans un climat de travail tendu, le nouveau chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Philippe Pichet, souhaite le retour rapide de l’uniforme[18].
[29] Le 30 mai 2016, dans une lettre adressée aux présidents de la Fraternité, de la Fédération et du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec, le Ministre exprime son inconfort profond à l’égard de la pratique des policiers de ne plus porter l’uniforme standard, remplacé par « le port de divers types de pantalons, dont ceux de camouflage qui semblent les plus répandus ». Invoquant la sécurité publique, l’importance de préserver la confiance de la population et d’éviter toute situation de confusion en cas d’incident sur le terrain, le Ministre demande aux associations syndicales de faire cesser cette pratique[19], en vain[20].
[30] À cette même époque, en parallèle, se tiennent des consultations publiques sur le projet de Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal (Loi 24). À cette occasion, la présidente de l’Association des directeurs de police du Québec aborde la question de « moyens de pression admissibles de la part des policiers ». Elle estime « impératif de cesser les moyens de revendication qui s’attaquent publiquement aux symboles représentant la loi et l’ordre, qui sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité de notre personnel et de miner la confiance des citoyens. Le port intégral de l’uniforme et le respect des édifices et des équipements publics doivent faire l’objet d’une législation, cette législation doit prévoir des conséquences individuelles et corporatives à l’endroit de l’instance syndicale impliquée. Cette tolérance, au Québec, n’a plus sa place »[21].
[31] Le 2 novembre 2016, le projet de Loi 24 est adopté. Cette loi fait également l’objet d’un recours de nature constitutionnelle, accueilli en partie dans une première décision rendue le 18 octobre 2021, portée en appel[22].
[32] En signe de désaccord, les policiers maintiennent d’autant plus leurs moyens de pression et notamment, continuent de porter la casquette rouge et les pantalons de camouflage, notamment.
[33] Le 27 avril 2017, le Ministre présente à l’Assemblée nationale le Projet de loi 133 précité, intitulé Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement.
[34] Ce projet est soumis à une consultation publique en commission parlementaire. Les dix organismes suivants déposent des mémoires :
[35] Le 6 septembre 2017, la Commission permanente des institutions procède aux auditions publiques. Les représentants des six premiers organismes comparaissent devant elle. Certains applaudissent l’initiative du Ministre pour garantir le respect de l’institution, favoriser la confiance du public et assurer la sécurité tant des policiers que de la population. D’autres y voient une entrave aux activités associatives des syndicats des corps de police et des constables spéciaux ou invoquent la possibilité que le Projet de loi 133 soit susceptible de contrevenir aux libertés constitutionnelles des salariés et d’être contesté devant les tribunaux[24].
[36] Pour sa part, le Ministre insiste sur le contexte ayant mené à l’adoption de ce projet de loi, sur le port de l’uniforme comme symbole de leur autorité, comme moyen d’identification d’un policier et sur l’importance de maintenir la confiance entre les citoyens et leurs institutions[25] :
C’est dans ce contexte que le port intégral de l’uniforme est essentiel, car il est le symbole de leur autorité, de leur crédibilité, mais aussi parce qu’il impose le respect nécessaire à l’accomplissement de cette mission très importante. L’uniforme permet aussi, et c’est très important, pour des raisons de sécurité, une identification rapide, sans équivoque de qui est un policier, ce qui favorise donc au quotidien, et tout particulièrement dans les situations critiques, l’exercice efficace de leurs fonctions ainsi que la sécurité du public et, je dirais même, la sécurité des policiers eux-mêmes.
[37] En mai 2017, dans le cadre les festivités entourant le 375e anniversaire de la métropole, la Fraternité profite des importantes célébrations prévues pour organiser une
« grande marche » dans les rues de Montréal. Pour celle-ci, les policiers sont invités à arborer le pantalon de camouflage ainsi que la casquette rouge qu'ils portent depuis juin 2014. Cette manifestation est rapportée, voire critiquée dans les médias[26].
[38] Quelques mois plus tard, le Projet de loi 133, adopté et sanctionné le 19 octobre 2017, devient la Loi 20. Les dispositions litigieuses de la Loi sur la police introduites par la Loi 20 entrent en vigueur le même jour[27].
[39] Les demanderesses introduisent leur recours le 5 juillet 2019. L’APPQ intervient le 28 août 2019.
[40] Entretemps, soumis aux interdictions de la Loi 20, les policiers tentent de déployer de nouveaux moyens de pression.
[41] À titre d’exemple, en mai 2021, le climat de travail se détériore entre la Direction du Service de police de Sherbrooke (SPS) et les policiers syndiqués. Leur convention collective est échue depuis décembre 2019. Les policiers accentuent leurs moyens de pression. Après avoir posé des affiches dans et autour du quartier général du SPS, comme la loi leur interdit de porter des pantalons de camouflage, les patrouilleurs décident d’accrocher ces mêmes pantalons à l’arrière de leurs véhicules auto-patrouilles. Puis, près d’une centaine de policiers se mobilisent, se mettent en rang devant les locaux du SPS, dans un silence de mort, le dos tourné aux directeurs. Des pancartes sont posées pour dénoncer la situation. Toutes ces actions sont rapportées dans les médias locaux[28].
[42] À l’origine des dispositions litigieuses, le préambule du projet de Loi 133 énonce ceci :
CONSIDÉRANT que les policiers et les constables spéciaux sont des représentants de la loi dont la mission est de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique;
CONSIDÉRANT le rôle essentiel des policiers et des constables spéciaux au sein de l’administration de la justice qui, selon leurs responsabilités respectives, assurent le bon ordre dans les palais de justice et le respect du décorum dans les salles d’audience, favorisant ainsi la sérénité des débats judiciaires et le plein exercice des droits des justiciables;
CONSIDÉRANT que l’uniforme des policiers et des constables spéciaux, symbole de leur autorité et de leur crédibilité, impose le respect essentiel à l’accomplissement de leur mission;
CONSIDÉRANT que le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux permet de les identifier sans équivoque, favorisant ainsi l’exercice efficace de leurs fonctions, leur sécurité et celle du public;
[43] Les dispositions en litige de la Loi sur la police se lisent ainsi :
TITRE IV
NORMES DE COMPORTEMENT
[…]
CHAPITRE IV
NORMES RELATIVES À L’UNIFORME ET À L’ÉQUIPEMENT
263.1 Tout policier ou tout constable spécial doit, dans l’exercice de ses fonctions, porter l’uniforme et l’équipement fournis par l’employeur dans leur intégralité, sans y substituer aucun élément. Il ne peut les altérer, les couvrir de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés.
Le premier alinéa s’applique sous réserve d’une exemption législative ou d’une autorisation du directeur du corps de police ou de l’autorité de qui relève le constable spécial lorsque l’exercice des fonctions du policier ou du constable spécial le requiert ou que des circonstances particulières le justifient.
[…]
263.3 Le directeur d’un corps de police doit transmettre sans délai un rapport d’infraction au directeur des poursuites criminelles et pénales lorsqu’un policier contrevient à une disposition du présent chapitre.
L’autorité de qui relève un constable spécial est soumise à la même obligation.
[…]
TITRE VII
DISPOSITIONS PÉNALES
[…]
313.1 Quiconque contrevient à l’une ou l’autre des dispositions des articles 263.1 et 263.3 commet une infraction et est passible, pour chaque jour ou partie de jour pendant lequel dure l’infraction, d’une amende de 500 $ à 3 000 $.
En cas de récidive, les montants prévus au premier alinéa sont portés au double.
Toutefois, si une association représentative de policiers ou de constables spéciaux ou un dirigeant, un représentant ou un employé de celle-ci est déclaré coupable en vertu du présent article d’avoir aidé ou amené une autre personne à commettre une infraction visée à l’article 313.1, cette association ou ce dirigeant, représentant ou employé est passible du double de la peine prévue à cet article.
[44] En bref, l’article 263.1 de la Loi sur la police énonce les interdictions de substitution et d’altération de l’uniforme dénoncées comme portant une atteinte injustifiée aux libertés d’expression et d’association des policiers. Les autres dispositions afférentes, applicables au chapitre des Normes relatives à l’uniforme et à l’équipement, visant le rapport d’infraction (art. 263.3), la peine pénale applicable au policier en cas d’infraction (art. 313.1) et celle imposée à une association complice (art. 314 al. 2), se trouvent intrinsèquement liées et suivent nécessairement le sort de la disposition prohibitive. Cela justifie de les regrouper en utilisant l’expression
« dispositions litigieuses » aux fins de simplifier la référence dans le présent jugement.
[45] D’entrée de jeu, le PGQ fait valoir deux arguments introductifs à l’encontre de l’application même de la protection constitutionnelle au pourvoi qui nous occupe. Il soumet que :
- le port de l’uniforme est un privilège (section 3.1.1); et
- la modification ou l’altération de l’uniforme sont des activités illicites (section 3.1.2);
de sorte que les moyens de pression en litige ne peuvent pas faire l’objet de la protection garantie par les libertés fondamentales énoncées aux Chartes.
[46] Avec égards, l’analyse qui suit, fondée sur les principes de droit applicables, ne permet pas au Tribunal de retenir ces moyens de défense préliminaires.
[47] Le PGQ fait valoir que le port de l’uniforme constitue une mesure créée par la loi et ses règlements, dont notamment :
Loi sur la police[29]
112. Le gouvernement peut, par règlement, établir les normes applicables aux actes de nomination, aux insignes et autres pièces d’identité, ainsi que les caractéristiques des uniformes des policiers ou des constables spéciaux.
Il peut également définir les caractéristiques et les conditions d’utilisation de leur équipement, notamment de l’équipement dont peuvent être dotés leurs véhicules, ainsi que les normes d’identification de ces véhicules.
258. Le règlement de discipline impose aux policiers des devoirs et des normes de conduite propres à assurer leur efficacité, la qualité de leur service et le respect des autorités dont ils relèvent. […]
Il doit en outre prévoir l’interdiction pour tout policier de porter ses uniforme, insigne ou arme de service ou d’utiliser d’autres effets appartenant à son employeur lorsque, alors qu’il est censé être en devoir, il exerce des activités qui n’entrent pas dans ses attributions. […]
312. Quiconque laisse faussement croire qu’il est membre d’un corps de police ou constable spécial, notamment au moyen du costume qu’il porte ou d’insignes qu’il arbore, commet une infraction et est passible d’une amende de 500 $ à 3 000 $.
313. Tout policier ou constable spécial qui porte ses uniforme, insigne ou arme de service ou utilise d’autres effets appartenant à son employeur alors qu’il n’est pas en devoir et qu’il n’a pas été autorisé par son directeur ou, s’il s’agit d’un constable spécial, par l’autorité dont il relève, commet une infraction et est passible d’une amende de 500 $ à 3 000 $.
Règlement sur la discipline des policiers et policières de la Ville de Montréal[30]
5. Le policier doit exercer ses fonctions avec probité.
Notamment, le policier doit :
1° en tout temps, s’abstenir d’utiliser ou d’autoriser l’utilisation de tout bien de la Ville, incluant l’uniforme, l’insigne, toute arme ou autre pièce d’équipement ainsi qu’un véhicule du Service de police à des fins autres que celles autorisées;
[…]
6. En tout temps, le policier doit faire preuve de dignité et éviter tout comportement de nature à faire perdre la confiance ou la considération que requièrent ses fonctions ou à compromettre l’efficacité du Service de police.
[…]
2° s’abstenir, lorsqu’en devoir ou en uniforme, d’acheter, de transporter, de consommer ou de vendre des boissons alcooliques sans autorisation;
[…]
8. Le policier ne peut porter ses uniformes, insigne ou arme de service ou utiliser d’autres effets appartenant au Service de police lorsque, alors qu’il est censé être en devoir, il exerce des activités qui n’entrent pas dans ses attributions.
Règlement sur la discipline interne des membres de la Sûreté du Québec[31]
14. Le membre ne peut porter ses uniforme, insigne ou arme de service ou utiliser d’autres effets appartenant à la Sûreté lorsque, alors qu’il est censé être en devoir, il exerce des activités qui n’entrent pas dans ses attributions.
Politique de gestion : Port de l’uniforme et tenue vestimentaire de la Sûreté du Québec[32]
3.2.3 Port de l’uniforme ou de la tenue de ville pour l’officier et l’officière
3.2.3.A. L'officier et l'officière doivent porter leur uniforme ou leur tenue de ville selon les circonstances.
3.2.3.B. L'uniforme ne doit pas être porté dans les circonstances suivantes:
a. lorsque l'officier et l'officière ne sont pas en devoir (par. 2.2.), à moins qu'ils aient obtenu une autorisation écrite (par. 2.1.) d'un officier ou d'un cadre de leur district ou de leur direction;
b. lorsque l'officier et l'officière présentent des limitations fonctionnelles permanentes reconnues par la Sûreté et ayant pour conséquence de leur interdire le port de l'arme de service;
3.2.4 Port de l'uniforme ou de la tenue de ville pour le policier ou la policière
3.2.4.A. Le policier et la policière doivent porter leur uniforme à moins d'avoir obtenu une autorisation écrite (par. 2.1.) de déroger à la règle du port obligatoire de l'uniforme. Cette autorisation est possible lorsque la fonction exige qu'ils ne soient pas identifiés comme policier ou policière, tant pour des raisons d'efficacité du service que pour leur propre sécurité. Une telle autorisation est donnée par un officier ou un cadre pour l'ensemble ou une partie des unités sous sa responsabilité ou par un responsable d'une opération pour les policiers participant à l'opération.
3.2.4.B. Le policier et la policière qui sont autorisés à ne pas porter leur uniforme doivent porter la tenue de ville (par. 2.7.).
3.2.6. C. Le port de la cravate n'est pas obligatoire durant la période du 15 mai au 15 septembre à moins que le policier ou la policière ait à témoigner à la cour ou lorsque leur sécurité pourrait être compromise.
3.2.7. D. L'uniforme ne doit pas être porté dans les circonstances suivantes :
a. lorsque le policier et la policière ne sont pas en devoir (par. 2.2.), à moins qu'ils aient obtenu une autorisation écrite d'un officier ou d'un cadre de leur district ou de leur direction;
b. lorsque le policier et la policière présentent des limitations fonctionnelles permanentes reconnues par la Sûreté et ayant pour conséquence de leur interdire le port de l'arme de service;
c. lorsque le policier et la policière présentent des limitations fonctionnelles temporaires ou des restrictions médicales ayant pour conséquence de leur interdire temporairement le port de l'arme de service;
d. lorsque la policière est enceinte (REL. PERS. - 60).
[48] La Cour suprême reconnaît que le port de l’uniforme constitue une composante de l’autorité de l’agent de la paix[33].
[49] Le PGQ soumet que l’article 130 (1) du Code criminel[34] constitue une preuve irréfutable que le port de l’uniforme de policier ne peut aucunement être considéré comme un droit que pourrait revendiquer une personne, mais qu’il constitue une mesure créée et encadrée législativement :
130 (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas : […]
b) n’étant pas un agent de la paix ni un fonctionnaire public, emploie un insigne ou article d’uniforme ou équipement de façon à faire croire vraisemblablement qu’il est un agent de la paix ou un fonctionnaire public, selon le cas.
[50] Somme toute, le PGQ plaide que le port de l’uniforme pour les policiers n’est pas un droit ni une liberté, puisqu’il découle d’une obligation qui participe au maintien de l’exercice d’une autorité publique et qu’il s’agirait donc d’un privilège qui ne saurait recevoir une protection constitutionnelle.
[51] Le Tribunal constate qu’il n’existe aucun précédent à l’appui de cette proposition, au contraire. À titre d’exemple, dans l’arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[35], bien que les juges majoritaires estiment que « [p]ouvoir conduire une automobile sur les voies publiques ne constitue pas un droit, mais un privilège »[36], ils appliquent néanmoins la protection constitutionnelle de l’article 2a) de la Charte canadienne. La Cour conclut que la photo obligatoire requise pour obtenir un permis de conduire porte atteinte à la liberté de religion des membres de la colonie huttérite Wilson qui désirent l’obtenir et contrevient, de ce fait, à l’alinéa 2a) de la Charte, bien que cette atteinte soit ultimement justifiée aux termes de l’article premier.
[52] La violation d’un droit constitutionnel ne s’analyse pas en fonction d’une qualification préalable de la genèse du comportement visé par la restriction, mais bien plutôt en fonction de l’existence ou non d’une entrave significative au droit protégé en question. De l’avis du Tribunal, la nature de ce comportement, situé dans son contexte, fait plutôt partie des éléments à considérer dans le cadre de la justification en vertu de l’article premier de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
[53] Le premier argument préliminaire s’avère sans fondement, et doit être rejeté.
[54] Le PGQ soutient que les libertés fondamentales ne trouvent pas application dans le présent pourvoi en raison du caractère illicite du geste revendiqué par les policiers, soit celui de vouloir substituer ou altérer leurs uniformes.
[55] Essentiellement, les dispositions législatives et réglementaires précitées prévoient que les policiers doivent porter leur uniforme lorsqu’ils sont en devoir et autrement, qu’ils ne peuvent porter leur uniforme s’ils exercent des activités qui n’entrent pas dans leurs attributions.
[56] D’emblée, avant l’adoption de la Loi 20, aucune disposition de la Loi sur la police, des règlements et politiques en vigueur[37] ne visaient à empêcher spécifiquement les policiers de substituer un élément, d’altérer ou couvrir un élément significatif de l’uniforme et de l’équipement fournis par l’employeur, ou de nuire à l’usage auquel ils sont destinés. Force est de constater que le législateur, du même avis, adopte justement la Loi 20 en 2017 « afin d’y introduire l’obligation pour les policiers et les constables spéciaux, dans l’exercice de leurs fonctions, de porter l’uniforme et l’équipement fournis par leur employeur »[38].
[57] À tout évènement, le PGQ fonde son argument sur la jurisprudence de la Cour suprême, reconnue sous l’appellation de la « trilogie en droit du travail » ou du « Renvoi relatif à l’Alberta », à une époque où les juges majoritaires de cette Cour préconisaient une interprétation étroite de l’article 2d) de la Charte canadienne, voulant que la liberté d’association appartienne « à l’individu et non aux groupes formés grâce à son
exercice »[39]. Le PGQ en retient que « la liberté de travailler à la constitution d’une association, d’appartenir à une association, de la maintenir et de participer à ses activités licites sans faire l’objet d’une peine ou de représailles »[40], à l’exclusion des activités purement collectives. La Cour avait conclu majoritairement (malgré des dissidences notables[41]) que l’alinéa 2d) ne garantissait ni le droit de négocier collectivement ni celui de faire la grève.
[58] Comme le soulignent les auteurs, à cette époque, « [e]n excluant ainsi toute dimension collective, il devenait manifeste pour la Cour que le droit de grève n’était pas inclus dans la protection prévue à l’article 2(d) de la Charte puisqu’il ne s’agissait pas d’une activité licite pouvant être exercée par un individu »[42].
[59] Avec égards, cet argument est révolu depuis le virage de la Cour suprême vers une interprétation plus généreuse de la Charte, amorcée en 2001 dans l’arrêt Dunmore c. Ontario[43], qui a donné lieu à une importante évolution de la jurisprudence par la suite.
[60] D’abord, dans cette affaire, les juges majoritaires écartent le raisonnement à l’origine de l’exclusion des activités purement collectives, retenant notamment, que
« dans certains cas, la protection de l’al. 2d) devrait couvrir des activités qui, par leur nature inhérente, sont collectives, en ce qu’elles ne peuvent être accomplies par une personne seule. Les syndicats ont des besoins et des priorités qui sont distincts de ceux de leurs membres individuels et ne peuvent fonctionner si la loi protège exclusivement des activités individuelles licites. La loi doit reconnaître que certaines activités syndicales peuvent être au cœur de la liberté d’association même si elles ne peuvent exister au niveau individuel »[44].
[61] Par la suite, l’élargissement de la portée de la liberté d’association se poursuit[45]. La dimension collective de la liberté d’association jouit désormais d’une protection constitutionnelle.
[62] Entre autres, en 2015, dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan[46], la Cour suprême conclut que la liberté d’association comprend le droit de faire la grève, qui jouit de la protection constitutionnelle en raison de sa fonction cruciale dans le cadre du processus de négociation collective :
[54] Le droit de grève est essentiel à la réalisation de ces valeurs et de ces objectifs par voie de négociation collective, car il permet aux travailleurs de cesser le travail de manière concertée en cas d’impasse de cette négociation collective. En recourant à la grève, les travailleurs s’unissent pour participer directement au processus de détermination de leurs salaires, de leurs conditions de travail et des règles qui régiront leur vie professionnelle (Fudge et Tucker, p. 334). Ainsi, le recours possible à la grève fait en sorte que les travailleurs peuvent, par leur action concertée, refuser de travailler aux conditions imposées par l’employeur. Cette action concertée directe lors d’une impasse se veut une affirmation de la dignité et de l’autonomie personnelle des salariés pendant leur vie professionnelle.
[souligné ajouté]
[63] Ainsi, que fait que l’activité individuelle s’avère licite ne constitue plus un argument juridique valable et importe peu dans le contexte d’une action concertée comme celle qui nous occupe. Il faut essentiellement que l’activité revendiquée se définisse comme un processus de négociation collective visé par le droit d’association de l’article 2d) de la Charte[47].
[64] Enfin, avec l’application de l’approche téléologique à la liberté d’association, comme pour la liberté d’expression, les chartes protègent un vaste éventail d’activités associatives[48] et d’activités expressives[49], à moins qu’elles ne soient empreintes de violence[50], ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[65] En somme, le Tribunal conclut que ce deuxième argument préliminaire ne résiste pas à un examen fondé sur les principes applicables et qu’il doit l’écarter.
[66] L’alinéa 2b) de la Charte canadienne confère une protection à la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».
[67] De même, l’article 3 de la Charte québécoise stipule que « [t]oute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association ».
[68] Vu leur similitude, il convient d’interpréter la deuxième disposition à la lumière des principes dégagés de l’application de la première[51]. En effet, notamment pour des fins de commodité et de concision, les tribunaux traitent régulièrement de la question constitutionnelle relative à la liberté d'expression en référant uniquement aux dispositions de la Charte canadienne.
[69] Lorsqu'on allègue la violation de la garantie de liberté d'expression, les tribunaux reprennent généralement les deux étapes reconnues depuis l’arrêt de principe Irwin Toy[52]. Premièrement, le Tribunal doit se demander si le moyen d’expression revendiqué est couvert par la protection de l’alinéa 2b) (3.2.2) et deuxièmement, il doit déterminer si la loi contestée a pour objet ou pour effet de limiter ce moyen d’expression (3.2.3).
[70] Une fois cette analyse complétée, s'il y a eu démonstration d'une atteinte à la liberté d'expression, il y a lieu de déterminer si celle-ci est justifiée (3.4).
[71] Exceptionnellement, c’est le cadre d’analyse établit par la Cour suprême dans l’arrêt Baier c. Alberta (Baier) qui trouvera application lorsque le demandeur revendique un droit positif de se voir fournir un mode précis d’expression[53]. Dès lors, il devra satisfaire aux trois facteurs suivants : (1) la demande doit reposer sur la liberté d’expression plutôt que sur l’accès à un régime légal précis; (2) le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal permet une entrave substantielle à l’exercice de la liberté d’expression ou a pour objet de faire obstacle à cet exercice; (3) le gouvernement doit être responsable de l’incapacité d’exercer la liberté fondamentale.
[72] Le PGQ suggère que c’est ce cadre d’analyse plus exigeant qui s’applique en l’instance, proposition que rejette le Tribunal, pour les motifs énoncés ci-après (3.2.1)
[73] Le PGQ plaide que la revendication des policiers porte sur « le droit d’altérer son uniforme »[54] afin d’exprimer son désaccord et de faire connaître publiquement ses contestations, ce qu’il estime constituer essentiellement une réclamation de droit positif, à laquelle s’appliquent le cadre d’analyse en trois volets prescrit par l’arrêt Baier, dont le seuil excessivement élevé de démontrer une entrave substantielle à la liberté d’expression[55].
[74] Le PGQ ajoute que la Cour suprême dans les arrêts Baier et Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général) (Toronto)[56] établissent qu’une demande visant à rétablir le statu quo constitue la revendication d’un droit positif, ce que les associations et policiers recherchent selon lui.
[75] Avec égards, il ne s’agit pas là de l’interprétation qu’il faut retenir de la jurisprudence constante de la Cour suprême sur cette question.
[76] Dans Baier, la Cour suprême reprend l’analyse établie dans Haig c. Canada[57]. Dans cet arrêt, la majorité de la Cour juge que le droit de voter par référendum est régi par la Loi référendaire[58] et que l’alinéa 2b) n’oblige pas le législateur à étendre ce droit à tous. Elle indique que la liberté d’expression a généralement été conceptualisée en fonction des droits négatifs plutôt que des droits positifs[59] :
Il n'existe pas encore de décision établissant que, dans des circonstances comme celles qui se présentent en l'espèce, un gouvernement est constitutionnellement tenu, aux termes de l'al. 2b) de la Charte, de fournir une tribune particulière destinée à faciliter l’exercice de la liberté d’expression. Selon le point de vue traditionnel, exprimé dans le langage courant, la garantie de la liberté d'expression énoncée à l'al. 2b) interdit les bâillons mais n'oblige pas à la distribution de porte‐voix. […]
[souligné ajouté]
[77] Ce principe s’avère suivi dans des décisions subséquentes[60].
[78] En 2007, dans Baier, la Cour conclut que les employés d’écoles revendiquent un droit positif en cherchant à obtenir l’accès à la tribune d’origine législative que constitue la possibilité de briguer un poste de conseiller scolaire et l’exercice de cette fonction. La majorité énonce ceci :
35 Pour déterminer si le droit invoqué est positif, il faut se demander si les appelants prétendent que le gouvernement devrait légiférer ou prendre d’autres mesures pour appuyer ou permettre une activité expressive. Pour que nous soyons en présence d’un droit négatif, il faudrait que les appelants cherchent à ne pas être assujettis à des dispositions législatives ou à des mesures gouvernementales supprimant une activité expressive qu’ils seraient autrement libres d’exercer sans appui ou habilitation de la part du gouvernement.
[souligné ajouté]
[79] Puis, plus récemment, dans l’arrêt Toronto, la Cour juge que la Ville, qui conteste la constitutionnalité de la loi réduisant la taille du conseil municipal de Toronto, revendique un droit positif. La Cour réitère que la revendication d’un droit positif survient lorsque la demande vise à imposer au législateur ou au gouvernement l’obligation de donner accès à une tribune d’expression particulière créée par voie législative ou réglementaire, dont le demandeur est exclu. Les juges majoritaires expliquent ceci :
[30] La première interprétation possible de la demande de la Ville est qu’elle vise le rétablissement d’une tribune d’origine législative antérieure, plus précisément celle des 47 quartiers. Cette interprétation ressort de la réparation sollicitée par la Ville, à savoir que la prochaine élection municipale se déroule selon le cadre antérieur (m.a., par. 152). La Ville forcerait alors la province à agir (soit en adoptant une nouvelle loi, soit en abrogeant les dispositions contestées de la Loi) pour rétablir la tribune d’origine législative. Une telle réparation est révélatrice d’une demande classique visant un droit positif. Le fait que la Ville et les participants aux élections aient précédemment bénéficié d’une structure composée de 47 quartiers ne revêt aucune importance sur le plan juridique. Dans l’arrêt Baier, notre Cour a considéré qu’une demande visant à rétablir le statu quo constituait une revendication d’un droit positif, l’assimilant à une demande faite au gouvernement de légiférer en vue de créer un cadre pour la première fois. Cette conclusion s’impose pour éviter les restrictions au pouvoir législatif puisque « [c]onclure autrement équivaudrait à dire qu’une fois que le gouvernement a légiféré pour créer une tribune, il ne peut jamais la modifier ou la supprimer sans contrevenir à l’al. 2b) » (par. 36).
[souligné ajouté]
[80] Pour faire application juste de cet extrait de l’arrêt Toronto, encore faut-il que le statu quo recherché vise le rétablissement d’une tribune d’origine législative antérieure.
[81] Le PGQ insiste sur le fait que le port de l’uniforme de police constitue une obligation créée par une mesure législative ou réglementaire, et qu’il faut être autorisé et habilité par de telles mesures pour porter l’uniforme.
[82] Avec égards, cela ne suffit pas. Cela ne fait pas de l’uniforme une
« tribune », un « porte-voix » relevant du droit positif.
[83] Dans l’arrêt Baier, la majorité explique la distinction à faire :
41 Les appelants soutiennent que l’al. 2b) n’aurait qu’une portée très limitée s’il ne s’appliquait qu’aux domaines non régis par des textes législatifs. La distinction entre droits positifs et droits négatifs n’a cependant rien à voir avec le fait que le mode d’expression ou l’activité soit ou non réglementé par la loi. Il s’agit de savoir si on cherche à obtenir une mesure législative ou une action positive du gouvernement plutôt qu’à ne pas être assujetti à des restrictions gouvernementales à l’égard d’activités qui autrement pourraient être exercées librement sans besoin d’être habilités à le faire par l’État. Dans Libman, par exemple, on a contesté avec succès des dispositions législatives qui régissaient les dépenses faites dans le cadre d’une campagne référendaire et selon lesquelles seuls les agents officiels des comités du « oui » et du « non » pouvaient engager ou autoriser certaines dépenses. Les personnes ne faisant pas partie des comités officiels ne pouvaient pas, de ce fait, effectuer des dépenses pour faire connaître leur point de vue sur le référendum. La Cour a conclu qu’on avait porté atteinte à la liberté d’expression fondamentale de ces personnes d’engager des dépenses pour promouvoir leur point de vue. L’activité — engager des dépenses pour promouvoir un point de vue sur le référendum — était réglementée par la loi, mais le droit revendiqué était un droit négatif : ne pas être assujetti aux restrictions légales relatives à l’engagement de telles dépenses. Ainsi, le fait qu’une question soit régie par un texte législatif n’est pas ce qui limite la protection de l’al. 2b). Ce qui est limité est le droit à une tribune relevant du texte législatif.
[soulignés ajoutés]
[84] Bien que le port de l’uniforme soit réglementé, c’est un droit négatif qui se trouve revendiqué en l’espèce. Les policiers demandent à ne pas être assujettis à des dispositions législatives obligeant le port de l’uniforme sans substitution ou altération, parce qu’elles restreignent des garanties prévues par la Charte, de sorte que leur recours se rattache à un droit négatif. C’est donc le cadre d’analyse établi par l’arrêt Irwin Toy qui s’applique.
[85] La liberté d’expression constitue le fondement de toute société démocratique[61]. Elle protège à la fois ceux qui s’expriment et ceux qui les écoutent[62].
[86] Elle favorise le renforcement de trois valeurs sous-jacentes qui justifient la protection constitutionnelle de la liberté d’expression, soit l’épanouissement personnel, le débat démocratique et la recherche de la vérité[63].
[87] Ainsi, « [l]a liberté de parole protège la dignité humaine et le droit de penser et de réfléchir librement sur sa situation. Elle permet à une personne non seulement de s’exprimer pour le plaisir de s’exprimer, mais encore de plaider en faveur d’un changement en tentant de persuader autrui dans l’espoir d’améliorer sa vie et peut‑être le contexte social, politique et économique général »[64].
[88] Cette liberté joue un rôle critique dans le développement de notre société. Elle confère à tous la possibilité de s’exprimer sur l’ensemble des sujets qui concernent la vie en société. Elle protège non seulement les opinions acceptées, mais aussi celles qui dérangent, voire celles qui choquent[65]. Très large, son contenu incorpore des formes d’expression d’importance et de qualité variables[66].
[89] Plus particulièrement, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps l’importance fondamentale, voire cruciale, que revêt la liberté d’expression dans le contexte des conflits de travail[67].
[90] Elle s’avère une composante essentielle des relations du travail, entre autres, pour éliminer ou atténuer l’inégalité présumée entre le pouvoir économique de l’employeur et la vulnérabilité relative du travailleur[68]. La Cour suprême souligne dans Alberta c. T.U.A.C. que « [c]’est grâce à leurs activités expressives que les syndicats sont en mesure de formuler et de promouvoir leurs intérêts communs et, en cas de conflit de travail, de tenter d’infléchir l’employeur »[69].
[91] Aussi, la liberté d’expression est susceptible de favoriser des intérêts collectifs plus larges. Elle contribue à transporter sur la place publique le débat sur les conditions de travail. La liberté de parole des syndicats et de leurs membres offre
« un moyen de favoriser un débat public sur des questions de négociation collective au sein de la société civile en faisant en sorte que ces questions ne soient plus confinées au domaine étroit des conflits économiques individualisés » [70].
[92] Dans le pourvoi qui nous occupe, les policiers revendiquent le droit de faire connaître publiquement leur contestation de la position de l’employeur dans le cadre de la négociation d’une convention collective en recourant de façon paisible et pacifique à la modification ou altération de leur uniforme.
[93] Ce moyen de pression est-il protégé par l’alinéa 2b)?
[94] La jurisprudence constante de la Cour suprême « favorise une interprétation très large de la liberté d’expression afin d’étendre la garantie de la Charte canadienne au plus grand nombre d’activités expressives. À moins que l’expression en soit communiquée d’une manière qui exclut la protection, telle la violence, la Cour reconnaît que toute activité ou communication qui transmet ou tente de transmettre un message est comprise dans la garantie de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne » [71].
[95] Tous les modes d’expression sont protégés par la Charte, tant la publication écrite ou électronique que les discours et autres présentations orales, la conversation, l’expression gestuelle comme l’acte de quémander, l’action de porter les couleurs d’un club, le port d’un vêtement se voulant expressif ou encore l’acte de stationner dans un lieu interdit dans le but de protester contre un règlement municipal[72], entre autres. La Cour suprême reconnaît que le « silence est en soi une forme d'expression qui peut, dans certaines circonstances, exprimer quelque chose plus clairement que des mots ne pourraient le faire » [73].
[96] Somme toute, une activité humaine sera réputée expressive, et donc protégée, si elle « transmet ou tente de transmettre une signification » [74].
[97] Dans le contexte des relations de travail, considérées comme des activités expressives, la grève[75] et les lignes de piquetage ainsi que toute une gamme d’activités qu’elles englobent[76], dont la distribution de tracts[77], ont pour effet de transporter sur la place publique le débat sur les conditions de travail.
[98] En l’occurrence, il ne fait aucun doute que les policiers cherchent à transmettre un message à la population en modifiant l’apparence de leurs uniformes, une forme d’expression qui a vraisemblablement été reçue et reconnue comme telle, notamment dans les médias[78].
[99] Par conséquent, il convient de conclure que l’activité revendiquée possède un caractère suffisamment expressif pour justifier l’examen de la question de savoir s’il y a violation de l’alinéa 2b) de la Charte.
[100] L’objet de la Loi 20 vise à imposer le port de l’uniforme et l’équipement des policiers dans leur intégralité, sans substituer aucun élément, sans les altérer, sans les couvrir de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés.
[101] La conséquence directe du non-respect de l’article 263.1 de la Loi sur la police est l’illégalité de moyens de pression utilisés jusqu’alors par les policiers qui consistent à substituer ou altérer un élément de l’uniforme des policiers (pantalon, casquette, brassard, notamment), afin d’attirer l’attention du public et de communiquer leur mécontentement dans le cadre des revendications reliées à leurs conditions de travail.
[102] Ainsi, en restreignant ces moyens de pression qui constituent des activités expressives, les dispositions de la Loi 20 emportent une restriction sur le contenant et le contenu du message, tant par l’objet que par ses effets.
[103] De plus, les dispositions litigieuses de la Loi sur la police exposent les policiers à une infraction et des amendes importances de l’ordre de 500 $ à 3 000 $, qui double en cas de récidives. Les associations syndicales complices peuvent quant à elles être passibles du double des peines prévues.
[104] Les policiers et associations plaident à bon droit que les interdictions de la Loi 20, voire l’incertitude quant à la portée ou à l’application de ces dispositions[79] et les sanctions importantes associées à une modification illégale de l’uniforme ont pour conséquence de créer un effet paralysant sur l’expression future des policiers (chilling effect[80]) découlant de leur incapacité d’utiliser ce type de moyens de pression et expliquant qu’aucune manifestation liée à l’uniforme n’ait été initiée depuis l’adoption de la Loi 20[81].
[105] Par ailleurs, le PGQ fait valoir que d’autres modes d’expression demeurent à la disposition des policiers. Avec égards, en ce qui a trait au critère de l’atteinte, le Tribunal estime que la liberté d’expression des policiers est entravée par l’interdiction d’avoir recours à cette activité expressive, privation spécifique qui suffit à elle seule.
[106] En somme, la substitution ou l’altération de l’uniforme dans le contexte d’un conflit de travail est utilisée comme un moyen de communiquer publiquement le mécontentement des policiers, de sorte qu’il s’agit d’une activité faisant partie intégrante de la liberté d’expression. Il est donc manifeste que les dispositions interdisant la substitution ou l’altération de l’uniforme portent atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte.
[107] L’alinéa 2d) de la Charte canadienne énonce que chacun a droit à la liberté d’association. Celle-ci est également protégée par l’article 3 de la Charte québécoise.
[108] Tel qu’énoncé plus tôt[82], la notion de liberté d’association a été l’objet d’une évolution importante dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada au cours des deux dernières décennies. En bref, les considérations qui doivent désormais guider les tribunaux lorsqu’ils se prononcent sur la portée de l’al. 2d) sont énoncés dans l’arrêt Association de la Police montée de l'Ontario c. Canada (Procureur général) rendu en 2015, concomitant avec deux autres décisions d’importance sur le sujet, les arrêts Meredith et Saskatchewan et après les changements amorcés dans les affaires Dunmore, puis Health Services, entre autres[83].
[109] D’abord, les tribunaux doivent préconiser une interprétation qualifiée de
« téléologique, généreuse et contextuelle »[84]. Dans Police montée, les juges de la majorité précisent ceci :
[60] En l’espèce, il n’est pas nécessaire de déterminer si, en plus de la violence, d’autres catégories d’activités sont entièrement exclues de la protection conférée par l’al. 2d) en raison de leur nature même. Il suffit de souligner qu’une interprétation téléologique de l’al. 2d) protège à première vue un vaste éventail d’activités associatives, sous réserve des limites justifiées au regard de l’article premier de la Charte.
[soulignés ajoutés]
[110] Tant les droits individuels que les droits collectifs sont protégés, ces derniers jugés « essentielles pour que la Charte puisse offrir une protection complète »[85]. Cela fait en sorte que la liberté d’association protège trois catégories d’activités : (1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations; (2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et (3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités.
[111] Ainsi, la liberté d’association garantit le droit des employés de véritablement s’associer en vue de réaliser des objectifs collectifs relatifs à leurs conditions de travail. Cette protection inclut un droit de négocier collectivement qui « vise à protéger la capacité des travailleurs de participer à des activités associatives et leur capacité d’agir collectivement pour réaliser des objectifs communs concernant des questions liées au milieu de travail et leurs conditions de travail »[86].
[112] Il en va de l’équilibre des rapports de force entre employés et employeur. Pour reprendre les propos du juge en chef Dickson déjà dans le Renvoi relatif à l’Alberta,
« [l]’association a toujours joué un rôle vital dans la protection des besoins et des intérêts essentiels des travailleurs. Au cours de l’histoire, les travailleurs se sont associés pour surmonter leur vulnérabilité individuelle face à l’employeur »[87].
[113] Il faut également retenir que « les conditions nécessaires pour permettre une véritable négociation collective varient en fonction de la culture du secteur d’activité et du milieu de travail en question. Comme pour tous les examens fondés sur l’al. 2d), l’analyse requise est contextuelle »[88].
[114] Cependant, le droit d’association demeure à portée restreinte[89]. D’une part, ce droit garantit « un processus plutôt qu’un résultat ou que l’accès à un modèle particulier de relations de travail »[90]. D’autre part, seule une entrave ou atteinte substantielle à la liberté d'association, par opposition à des « répercussions mineures » [91], peut justifier l'examen judiciaire des dispositions législatives attaquées[92].
[115] Dans le contexte qui nous occupe, les associations syndicales soumettent que la substitution ou l’altération de l’uniforme dans le cadre d’une action syndicale concertée en période de négociation collective constitue une activité collective essentielle au processus de négociation depuis plus de 40 ans. Elles font valoir qu’il s’agit de moyens de pression permettant d’équilibrer la relation employeur-employé, et ce, notamment en l’absence de droit de grève pour les policiers. Les associations considèrent qu’en application des interdictions prévues par les dispositions litigieuses, la restriction de ces moyens de pression constituerait une entrave substantielle au processus de négociation.
[116] Le PGQ soutient que l’interdiction d’altérer l’uniforme des policiers n’empêche en rien la constitution, le maintien et la protection de l’association syndicale, ni la participation collective à la négociation des questions essentielles. Il considère que les policiers et leurs associations disposent toujours de nombreux autres moyens pour exposer leurs doléances et manifester leur désaccord. Selon lui, cela fait en sorte qu’ils ont la pleine et entière capacité de participer collectivement à la négociation des questions essentielles relatives au milieu de travail et « d’agir de manière concertée par l’entremise de leur syndicat afin d’exercer une influence véritable sur leurs conditions de travail dans le cadre d’un processus de négociation collective »[93].
[117] D’abord, le Tribunal estime que l’altération concertée de l’uniforme des policiers constitue une activité associative susceptible d’être protégée par la Charte, en tant qu’élément important du processus de négociation des policiers[94].
[118] Dans les faits, l’altération concertée de l’uniforme fait partie d’une stratégie mise en place par les associations et policiers pour s’unir, pour sensibiliser la population sur leurs revendications, de façon paisible et pacifique, tout en faisant pression sur leur employeur dans le cadre de négociation collective, afin de négocier davantage sur un pied d’égalité. La nature même de ce moyen de pression, sa raison d’être est d’influencer l’employeur dans le cadre des négociations par une action commune qui serait inefficace si elle était exercée par une seule personne[95].
[119] En interdisant la substitution ou l’altération de l’uniforme, les dispositions en litige entravent ce processus de négociation bien établi. Reste à savoir si cette entrave doit être considérée comme substantielle.
[120] Ensuite, on doit se demander si la loi a « pour effet d’entraver de façon substantielle l’activité de négociation collective, décourageant ainsi la poursuite collective d’objectifs communs. En conséquence, l’État doit s’abstenir d’empêcher un syndicat d’exercer une véritable influence sur les conditions de travail par l’entremise d’un processus de négociation collective menée de bonne foi »[96].
[121] La Cour suprême a développé un test composé de deux (2) questions :
« D’abord, il faut déterminer l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Puis, on doit étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi »[97].
[122] En l’occurrence, le Code du travail prévoit que les policiers municipaux peuvent être membres d’une association de salariés qui est formée exclusivement de policiers municipaux ou qui est affiliée à une autre organisation[98].
[123] Les associations syndicales fournissent des services professionnels à leurs membres en matière de relation de travail, et notamment en ce qui concerne la défense de leurs droits et la négociation de leurs conditions de travail.
[124] L’article 105 du Code du travail interdit toute grève en toute circonstance aux policiers (et pompiers) à l’emploi d’une municipalité ou d’une régie intermunicipale.
[125] Or, rappelons que dans l’arrêt Saskatchewan[99], les juges majoritaires reconnaissent la fonction unique du droit de grève dans le processus de négociation collective :
[51] Les données historiques qui précèdent révèlent que même si la grève a fait l’objet parfois de protections, parfois d’interdictions, la faculté des salariés de cesser le travail de manière concertée est depuis longtemps essentielle à la négociation collective véritable. Or, la protection offerte par l’al. 2d) ne dépend pas seulement ou principalement du profil historique et juridique du droit de grève. En fait, le droit de grève jouit de la protection constitutionnelle en raison de sa fonction cruciale dans le cadre d’un processus véritable de négociation collective.
[…]
[54] Le droit de grève est essentiel à la réalisation de ces valeurs et de ces objectifs par voie de négociation collective, car il permet aux travailleurs de cesser le travail de manière concertée en cas d’impasse de cette négociation collective. En recourant à la grève, les travailleurs s’unissent pour participer directement au processus de détermination de leurs salaires, de leurs conditions de travail et des règles qui régiront leur vie professionnelle (Fudge et Tucker, p. 334). Ainsi, le recours possible à la grève fait en sorte que les travailleurs peuvent, par leur action concertée, refuser de travailler aux conditions imposées par l’employeur. Cette action concertée directe lors d’une impasse se veut une affirmation de la dignité et de l’autonomie personnelle des salariés pendant leur vie professionnelle.
[55] La grève — le « moteur » de la négociation collective — favorise aussi l’égalité dans le processus de négociation (England, p. 188). La Cour reconnaît depuis longtemps les inégalités marquées qui façonnent les relations entre employeurs et salariés, ainsi que la vulnérabilité des salariés dans ce contexte. Dans le Renvoi relatif à l’Alberta, le juge en chef Dickson fait observer ce qui suit :
[…]
[75] Ce tour d’horizon historique, international et jurisprudentiel me convainc que l’interprétation de l’al. 2d) est aujourd’hui celle que préconisait le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à l’Alberta, à savoir qu’un processus véritable de négociation collective exige que les salariés puissent cesser collectivement le travail aux fins de la détermination de leurs conditions de travail par voie de négociation collective. Advenant la rupture de la négociation de bonne foi, la faculté de cesser collectivement le travail est une composante nécessaire du processus par lequel les salariés peuvent continuer de participer véritablement à la poursuite de leurs objectifs liés au travail. Dans le présent dossier, supprimer le droit de grève revient à entraver substantiellement l’exercice du droit à un processus véritable de négociation collective.
[soulignés ajoutés]
[126] Puis, ils réitèrent que dans le contexte d’une interdiction législative de la grève, le législateur doit prévoir un mécanisme de règlement des différends par un tiers pour compenser le déséquilibre qui survient à la table de négociation. Le « but d’un tel mécanisme est d’assurer que la perte du pouvoir de négociation par suite de l’interdiction législative des grèves est compensée par l’accès à un système qui permet de résoudre équitablement, efficacement et promptement les différends mettant aux prises employés et employeurs »[100].
[127] Au Québec, le droit de grève des policiers a été compensé par l’arbitrage de différends obligatoire[101], efficace pour dénouer l’impasse des négociations collectives.
[128] Cependant, si l’arbitrage permet de rétablir un certain équilibre, force est de constater que ce mécanisme ne comble pas tous les objectifs réalisés par le droit de grève, dont notamment ceux liés à l’affirmation et l’autonomie des policiers dans l’action concertée et à leur participation directe au processus de négociation, ainsi qu’à la sensibilisation de la population à leurs revendications.
[129] Or, les associations syndicales et les policiers sont certainement en droit de choisir d’autres moyens de pression pour rencontrer ces valeurs substantielles.
[130] D’une part, Yves Francoeur (Francoeur)[102], président de la Fraternité, et François Lemay (Lemay), président de la Fédération, témoignent de l’importance de combler ces valeurs sur le terrain. D’abord, dans le cadre des négociations de leurs conditions de travail, surtout dans le contexte d’une impasse, les policiers doivent avoir l’impression de participer à la solution. Or, ils font valoir que l’expérience des années démontre que l’altération de l’uniforme solidarise les policiers, qu’elle apaise les humeurs et permet d’éviter des initiatives personnelles non désirées. Il s’agit d’un moyen pacifique et productif qui ne nuit pas aux services des policiers. Contrairement aux rassemblements et marches parfois mis en place comme autres moyens de pression, ils expliquent que l’altération de l’uniforme demande peu de planification, requiert peu de coûts et surtout, mobilise tous les policiers québécois, puisqu’il est accessible à tous, peu importe la région de leurs activités professionnelles. Il rejoint même les services de police qui regroupent peu de policiers et qui se trouvent autrement isolés, donc plus vulnérables. Enfin, ce moyen peut perdurer dans le temps[103].
[131] Dans les circonstances, on comprend que l’altération de l’uniforme a pris une place prépondérante dans les stratégies et moyens de pression développés pour rencontrer les objectifs communs de la négociation collective.
[132] Ensuite, la majorité dans l’arrêt Saskatchewan retient que « l’activité expressive dans le contexte du travail est directement liée au droit que l’al. 2d) de la Charte garantit aux travailleurs de s’associer en vue de poursuivre des objectifs communs (…). La grève a pour effet de transporter sur la place publique le débat sur les conditions de travail imposées par un employeur »[104].
[133] Ici, l’altération de l’uniforme, comme mode de communication concertée, inefficace s’il était exercé par une seule personne, se trouve à rencontrer un autre objectif collectif que l’arbitrage obligatoire ne permet pas de compenser.
[134] En somme, les moyens de pression liés à la substitution ou l’altération de l’uniforme jouissent d’une importance certaine dans le processus de négociation collective des policiers depuis 40 ans. Il ne fait aucun doute que le recours des policiers à ces moyens de pression pour contester leurs conditions de travail s’est fermement implanté durant cette période.
[135] Par ailleurs, contestant l’impact des restrictions litigieuses, le PGQ énumère d’autres moyens à la disposition des policiers et de leurs associations pour exercer une telle influence sur leurs conditions de travail[105], dont notamment :
1) les policiers et les associations syndicales peuvent toujours se regrouper (mobilisation de mai 2021[106]);
2) les policiers peuvent participer à des marches (grande marche du SPVM en mai 2017[107]);
3) les policiers peuvent participer à des assemblées;
4) les représentants syndicaux peuvent publier des lettres ouvertes dans les journaux, publier des communiqués de presse, tenir des conférences de presse, donner des entrevues à des journalistes ou diffuser des messages publicitaires dans les différents médias, etc. ;
[136] Éric Stevens, directeur du Service des relations professionnelles à la Sûreté du Québec (SQ) témoigne de différents moyens de pression mis en place par les patrouilleurs et enquêteurs syndiqués de la SQ : entre autres, des moyens de sensibilisation administratifs (cesser de rédiger les rapports d’activités ou d’alimenter certaines bases de données, raturer les codes-barres des constats d’infraction, cesser de participer au programme d’appréciation du personnel policier, refuser de faire des heures supplémentaires), des communiqués de presse soumis aux médias par les associations syndicales, des bracelets « Police nationale sans contrat! »[108] portés aux poignets ou dans la bretelle des vestes par balles (sans cacher le logo de la SQ), des fanions ou autocollants sur les véhicules[109].
[137] À cet égard, le juge Cory explique ceci dans l’arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général)[110] :
La grève est souvent le seul moyen dont disposent les syndiqués pour rendre public et faire valoir le bien-fondé de leur position à l’égard des questions en litige. Il est essentiel que les travailleurs et la direction soient tous les deux en mesure de faire valoir leur position afin que le public comprenne parfaitement les questions et puisse opter pour la partie qui mérite son appui. De tout temps, à ce chapitre, la direction a eu accès beaucoup plus facilement aux médias que les syndicats. À certains moments, ceux-ci n’avaient d’autre choix que de déclencher une grève et de faire connaître leur position au public au moyen d’un piquetage pacifique. C’est souvent le cas aujourd’hui.
[138] Voilà précisément ce que les associations syndicales remarquent, encore aujourd’hui. Francoeur et Lemay rappellent que la couverture médiatique des revendications des policiers n’est jamais garantie, à moins d’acheter des espaces à grands frais[111]. Certes, les services de police des grands centres urbains bénéficient de budgets et d’une certaine influence médiatique pour mettre en place d’autres moyens de pression. Cependant, la situation est différente en région, dans les services de police de moindre envergure, dans les plus petites villes, qui n’ont pas les moyens financiers et ne suscitent pas l’intérêt des médias locaux pour ce faire.
[139] À titre d’exemple, en fonction dans la Ville de Chambly, Lemay s’est vu refuser des entrevues ou la publication de lettres ouvertes, par manque d’intérêt ou d’influence. Il souligne également que dans certaines municipalités, les médias locaux s’avèrent inexistants. Ainsi, pour plusieurs de ces services de police, la modification de l’uniforme constitue le seul moyen de pression accessible et efficace pour faire connaître le mécontentement des membres à la population[112].
[140] C’est ainsi que ces policiers se trouvent dans une position désavantageuse et vulnérable, remettant en jeu l’équilibre essentiel à la tenue d’une véritable négociation collective.
[141] De toute évidence, la couverture médiatique des « pantalons de clown » mise en preuve demeure un exemple récent de l’impact incontestable de ces moyens de pression dans la sphère publique[113].
[142] Les présidents des associations syndicales constatent qu’au fil des années, l’altération de l’uniforme a permis aux policiers de se mobiliser ensemble et partout, de participer directement et concrètement au processus de négociation, de faire réagir la population sur le terrain et d’attirer l’attention des médias, allant jusqu’à générer des entrevues pour les représentants des associations[114].
[143] D’ailleurs, les experts s’entendent sur le fait que les modifications de l’uniforme d’un policier peuvent avoir un impact sur la perception du public. Ici, elles ont généré des commentaires, voire des critiques, de sorte qu’elles ont exercé la pression recherchée sur le gouvernement. Elles ont permis aux policiers de faire valoir leurs positions, même impopulaires, ce qui s’avère essentiel à une démocratie délibérative[115].
[144] Qui plus est, Francoeur donne un autre exemple concret de cette influence. En juin 2017, après 3 mois de négociation infructueuse, les parties se trouvaient dans une impasse. Pour tenter de faire bouger le gouvernement, la Fraternité a l’idée de suspendre le moyen de pression, de retourner les policiers à l’uniforme régulier, donnant l’impression publiquement que les parties s’approchent d’une entente. Il constate que cette initiative a renversé la vapeur et qu’une entente de principe a été signée peu de temps après[116].
[145] Dans les circonstances, le Tribunal conclut que les dispositions litigieuses interdisant la substitution ou l’altération de l’uniforme exercent une influence substantielle sur le droit collectif des policiers à une consultation et à une négociation menée de bonne foi.
[146] En définitive, considérant le contexte historique de l’altération de l’uniforme comme moyens de pression et les objectifs essentiels remplis par ceux-ci, le Tribunal conclut que la capacité des policiers d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est substantiellement compromise par les interdictions prévues dans les dispositions litigieuses, si bien qu’il existe une atteinte à la liberté d’association garantie à l’al. 2d) de la Charte.
[147] L’article premier de la Charte canadienne prévoit que les violations du droit à la liberté d’expression ne sont permises que par une règle de droit qui impose des limites raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique[117].
[148] Dans le même esprit, l’article 9.1 prescrit que les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec[118].
[149] Pour établir qu’une restriction est raisonnable et justifiée, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux bien établis depuis l’arrêt R. c. Oakes[119] :
1) la présence d’un objectif suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution, à tout le moins qui se rapporte à des préoccupations sociales urgentes et réelles (section 3.4.5);
2) la démonstration que le moyen choisi est raisonnable, c’est-à-dire proportionnel à l’objectif poursuivi, étant entendu que ce critère de proportionnalité comporte trois volets importants (section 3.4.6) :
a) les mesures doivent être équitables et non arbitraires, être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question et avoir un lien rationnel avec cet objectif;
b) le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question;
c) il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restrictive et l'objectif poursuivi : plus les effets préjudiciables d'une mesure sont graves, plus l'objectif doit être important.
[150] Le fardeau d’apporter une justification raisonnable revient au gouvernement.
[151] L’analyse fondée sur l’article premier est axée sur le contexte factuel de la mesure législative[120]. Dans Health Services, la majorité de la Cour suprême explique ceci :
195. […] Premièrement, le contexte joue un rôle à chaque étape de l’analyse de proportionnalité établie dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, évitant ainsi que l’analyse soit bloquée par des œillères. Deuxièmement, comme le contexte varie selon la nature des litiges, il faut adapter les facteurs en conséquence. Troisièmement, il faut définir l’objectif avant d’aborder le contexte; ce n’est qu’alors qu’il sera possible de déterminer la nature de la preuve à présenter et décider si la preuve présentée est suffisante. Enfin, le contexte influe particulièrement sur le degré de déférence dont le tribunal fera preuve à l’égard du gouvernement lorsqu’il s’agira de décider si les mesures qu’il a adoptées constituent des limites dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[soulignés ajoutés]
[152] En effet, dans l’appréciation que permet le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Oakes, spécialement à l’étape de l’atteinte minimale[121], il convient de faire preuve de déférence à l’égard du législateur lorsque celui-ci s’attaque à un problème social complexe[122].
[153] Au préalable, il importe d’examiner la preuve en lien avec la justification sous l’article premier, soit une revue de presse du PGQ (3.4.1), des précédents judiciaires (section 3.4.2), des faits rapportés lors de la consultation publique (section 3.4.3) et des expertises sur l’impact de l’uniforme policier sur les perceptions et la sécurité publique (section 3.4.4).
[154] Pour établir que les préoccupations du législateur s’avèrent urgentes et réelles, le PGQ s’appuie sur sa revue de presse[123], principalement concentrée entre 2014 et 2017, où des journalistes rapportent :
- que les pantalons colorés et la casquette rouge comme moyens de pression sont « loin de faire l’unanimité chez les citoyens »[124];
- que « bien des gens ont réagi aux costumes de clown et aux casquettes » et que ce non-respect de l’uniforme « dégrade en quelque sorte l’autorité et la crédibilité des agents, car ils semblent eux-mêmes manquer de respect envers leur profession »[125] ;
- un faux pas énorme et le manque de respect des policiers qui portent la « calotte rouge » et des pantalons « De guerre. De clown. De camouflage. De pyjamas. À des funérailles d’État »[126];
- que le port de pantalon de camouflage aux funérailles d’État de l’ancien Premier Ministre Jacques Parizeau « égratigne l’image des policiers »[127];
- la déception de la présidente de l’Association des directeurs de police du Québec, par le « manque de civisme » des policiers de Montréal en pantalons de camouflage lors des funérailles de l'ancien Premier Ministre Jacques Parizeau[128];
- que le nouveau chef de police Philippe Pichet, préoccupé par la perception des citoyens, souhaite le retour rapide à l’uniforme[129];
- la grande marche des policiers dans le cadre du lancement des festivités du 375e anniversaire de Montréal, « leurs désormais célèbres pantalons de camouflage, ainsi que leur casquette rouge »[130];
- que les policiers montréalais ont mauvaise presse en raison de leurs pantalons et casquettes colorés : « Même si l’impression de sécurité n’est pas affectée, le lien de respect qui unissait les marques SPVM et Fraternité des policiers de Montréal à la population est rompu »[131];
- des plaintes formulées par des citoyens (44) contre les agents du SPVM « ces dernières années révèlent le malaise provoqué par ce moyen de pression
coloré »[132];
[155] Cette revue de presse n’a pas la prétention d’être exhaustive. Cependant, il est incontestable que les casquettes rouges et les pantalons colorés portés par les policiers ont suscité des critiques au cours des années.
[156] En contrepartie, toutefois, le Baromètre des professions 2016 réalisé par la firme de sondage Léger[133] semble démontrer que 75% des 1007 personnes interrogées répondent par l’affirmative à la question « Faites-vous confiance ou non aux… policiers? », représentant une hausse par rapport aux années précédentes.
[157] Les associations syndicales énumèrent des précédents où les employeurs ont eu recours aux tribunaux administratifs pour tenter de mettre un terme aux modifications de l’uniforme des policiers :
- en 2000, le Conseil des services essentiels conclut « qu’aucun préjudice à un service auquel la population a droit n’est constaté » en lien avec différents moyens de pression utilisés, dont le port du jeans et de la casquette, notamment[134];
- en 2007, l’affaire Ville de Gatineau c. Fraternité policières et policiers de Gatineau inc.[135], où ultimement la Cour d’appel reconnaît la compétence du Conseil des services essentiels et note qu’il s’est déjà prononcé sur les questions rattachées au port de l’uniforme, notamment dans les affaires Montréal (Ville de) et Association des pompiers de Montréal inc.[136] et Corp. d'Urgences-santé de la région de Montréal métropolitain et Rassemblement des employés techniciens-ambulanciers du Québec[137];
- en 2008, la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) rejette une demande de la Ville de Québec qui réclamait son intervention face au port de pantalons et de casquettes non réglementaires, alléguant que cela présentait un risque pour la santé et la sécurité des policiers. Elle conclut que « [l]’employeur ne fait pas la démonstration que l’identification des travailleurs est nécessaire pour des raisons de sécurité (réduction, contrôle des risques) »[138];
- en 2008, la Ville de Montréal demande au Conseil des services essentiels d’intervenir face aux moyens de pression consistant dans le port de jeans, de pantalons de style « camouflage », de « combat », de « commando », « leggings » et autres, susceptibles de compromettre le service auquel le public a droit ou de mettre en péril la sécurité des policiers. Le Conseil réitère le cadre précis de sa compétence :
[37] D’entrée de jeu, le rôle du Conseil des services essentiels dans les services publics se doit d’être précisé. Il exerce sa compétence sous deux aspects principaux. D’abord à l’occasion de l’exercice légitime du droit de grève, le Conseil doit s’assurer que les services essentiels soient fournis à la population de sorte que la santé ou la sécurité du public ne soit pas mise en danger durant la grève. Il en est tout autrement lorsqu’il y a conflit entre les parties en dehors de l’exercice légitime de ce droit. En pareille occasion, le Conseil doit s’assurer que le public reçoit le service auquel il a droit.
[38] Le présent dossier concerne nécessairement le deuxième volet, car les policiers ne bénéficient pas du droit de grève tel qu’édicté à l’article 105 du Code du travail.
Puis, à la lumière des faits et de l’ensemble de la preuve, le Conseil conclut que « Rien dans la preuve présentée ne permet de conclure à un réel préjudice. On réfère davantage aux appréhensions et aux perceptions du SPVM quant aux effets de l’ajout du port de pantalon de camouflage à celui de la présence d’un climat social tendu dans certains quartiers de la Ville »[139];
- en 2009, le Conseil se prononce à nouveau sur le port d’une tenue non réglementaire (pantalon de camouflage et tuque de laine), pour conclure à l’absence de « vraisemblance de préjudice » à un service auquel le public a droit[140];
- en 2014, la Fraternité adopte un moyen de pression qu’elle considère original et sécuritaire, soit celui d’ajouter à leur tenue vestimentaire un chapeau et des bottes de cow-boy ainsi que des étoiles de shérif. Saisi de la question, le juge administratif de la Commission des relations de travail dans la décision Châteauguay (Ville) c. Fraternité des policiers de Châteauguay inc.[141], constate qu’aucune preuve ne permettait de conclure que ces moyens de pression créeraient une confusion dans l’esprit des citoyens;
[158] Bien que le Tribunal ne soit pas lié par ces décisions antérieures, rendues dans des contextes qui leurs sont propres, elles demeurent un fait juridique qui participe à l’analyse globale de la situation et qui vient ébranler la prétention et les appréhensions alléguées par le PGQ à l’effet que dans les faits, les moyens de pression liés à l’altération de l’uniforme nuisent à la sécurité des policiers et à celle du public. Nous y reviendrons.
[159] Pour sa part, le PGQ réfère le Tribunal à trois décisions de la Cour municipale :
- les deux premières démontrent que des individus interceptés se permettent de faire des commentaires désobligeants sur les pantalons colorés des policiers lorsqu’interceptés[142]. Ces décisions mettent en cause l’image des policiers;
- en 2016, dans la décision Ville de Laval c. Caron, la juge de la Cour municipale retient que le défendeur intercepté « [d]e loin, il n’est pas évident que la personne au milieu de la rue est une policière, compte tenu de son habillement. Il paraît normal de penser que cette personne traverse la rue »[143]. Il s’agit de la seule décision retrouvée relative à la confusion appréhendée en lien avec l’altération de l’uniforme des policiers.
[160] Le PGQ allègue le soutien de la SQ, de l’UMQ, de l’ADPQ et du Protecteur du citoyen, tous d’accord pour souscrire aux objectifs du projet de Loi 33. Aucun représentant de ces organismes n’a cependant été appelé au procès pour témoigner des raisons et faits justifiant leurs positions respectives.
[161] Il s’en remet également à des extraits du Journal des débats de la Commission des institutions[144] qui font référence à des incidents préoccupants survenus, mais avec égards, dans des circonstances qui se distinguent nettement des moyens de pression qui nous occupent :
- des incidents liés à l’omission du port de la veste pare-balle des constables spéciaux;
- la mort de l’agent Daniel Tessier survenue en 2007 lors d’une intervention où les enquêteurs n’avaient pas d’uniformes.
[162] Pour leur part, les associations syndicales font ressortir lors de la consultation publique que :
- le représentant désigné de la SQ n’avait « à ce moment-ci », aucun évènement porté à sa connaissance;
- le premier vice-président de l’UMQ ne fournit pas davantage d’exemples concrets;
- le vice-président de l’ADPQ et directeur du service de police de la Ville de Sherbrooke ne pouvait pas donner d’exemple non plus;
- Aucune plainte d’une telle nature de la part d’un citoyen n’a été rapportée.
[163] Pour justifier l’absence d’exemples concrets et d’incidents rapportés[145], on fait valoir que les policiers n’avaient pas intérêt à rapporter ce genre d’incidents. Avec égards, aux yeux du Tribunal, cela ne tient pas, cela n’est pas raisonnable ni démontré, surtout sur une période significative de plusieurs décennies. Il y a lieu de croire que des fuites ou des tiers auraient dénoncé les situations compromettantes, le cas échéant.
[164] En somme, le seul incident pertinent et concret discuté dans le cadre de la consultation publique, lié à l’altération de l’uniforme des policiers en cause, apparaît être celui de l’affaire Ville de Laval c. Caron où la juge reconnaît que l’accusé pouvait ne pas savoir qu’il avait affaire à un policier[146], « ce qui fait que de réels problèmes existent et justifient l’adoption de la Loi »[147], selon le PGQ.
[165] Avec égards, cela apparaît bien mince pour soutenir le mal appréhendé dont se réclame le PGQ. Dans cette affaire, la Cour municipale donne raison à un individu intercepté qui n’a pas reconnu la policière « de loin », « compte tenu de son
habillement »[148]. Cela repose sur un contexte bien particulier et demeure une circonstance isolée et anecdotique.
[166] Rylan Simpson, Ph. D., professeur adjoint à l’école de criminologie de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique (expert Simpson), aux fins de son rapport, analyse les effets de la tenue vestimentaire et des équipements des policiers sur la perception des répondants, en comparant leurs réactions, notamment devant des policiers en uniforme ou en civil, ou encore avec ou sans leurs armes, avec ou sans lunettes miroirs, avec ou sans chapeau, avec ou sans tatouages, avec ou sans équipements de protection individuelle contre la COVID-19 (masques, lunettes, gants, etc.), ou bien selon des couleurs vestimentaires différentes (pâle ou foncée, bleu ou vert, blanc ou noir, etc.), ou suivant le style de chapeaux portés, ou encore s’ils se déplacent à pied, à bicyclette ou en voiture, entre autres.
[167] À la lumière des trente-trois études recensées, l’expert Simpson conclut que :
- l’apparence des agents de police a des effets sur les perceptions du public à l’égard de l’ensemble des policiers;
- les premières impressions sont cruciales dans la relation des policiers avec la population, lesquelles s’induisent notamment par l’apparence du policier;
- l’uniforme est un symbole important de la légitimité des policiers et qui peut influencer la perception du public;
- l’altération de l’uniforme peut affecter la capacité du public à identifier un agent de police;
- au Québec, il est d’avis que les altérations de l’uniforme des policiers, telles que celles illustrées par les photographies en l’instance, peuvent nuire à la légitimité des policiers et avoir des impacts sur le comportement du public et sa volonté de collaborer avec eux;
[168] Mandaté pour commenter le rapport Simpson, Rémi Boivin Ph. D., professeur agrégé à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, au Québec (expert Boivin), s’attaque principalement à cette dernière conclusion dans son rapport[149]. Il reconnaît le travail exhaustif de l’expert Simpson dans la recension des études existantes, mais l’expert Boivin estime que la littérature empirique sur le sujet ne permet pas de conclure à un effet direct de l’uniforme sur la sécurité publique. Selon lui, on doit se limiter à la conclusion que l’uniforme a un impact sur les perceptions par rapport à celui ou celle qui le porte, sans plus.
[169] Invités par le Tribunal à se rencontrer au préalable, les experts ont convenu des points de convergences et divergences suivants[150] :
2. We agree that alterations to an officer’s appearance can impact people’s ability to identify an officer as a police officer, although Dr. Simpson believes more strongly in this statement than Dr. Boivin.
• Dr. Boivin’s limited agreement is the result of the small number of studies that have explored this specific question.
3. We agree that alterations to an officer’s appearance can change people’s behaviour in at least some capacity via the indirect mechanism of perception, although Dr. Simpson believes more strongly in this statement than Dr. Boivin.
• Dr. Boivin’s limited agreement is the result of the small number of studies that have explored this specific question.
4. Related to #3, we fully agree that alterations to an officer’s appearance cannot exhibit a direct effect on public safety (as initially suggested in Dr. Boivin’s written commentary) because appearance manipulations cannot physically act upon people for this kind of outcome unless via indirect means (as noted in #3). For such reason, we fully agree that this observation explains the absence of findings of any direct effect.
5. We fully agree that the absence of research does not necessarily imply the absence of an effect/relationship.
6. We fully agree that the absence of a systematic review or meta-analysis, or a study tailored to a specific context/condition, does not necessarily imply a lack of salience/interest.
7. We fully agree that academic research regarding officer appearance has in some cases moved beyond basic research.
8. Related to #7, we fully agree that the topic of officer appearance has received less empirical attention than some other topics in criminology and criminal justice.
9. We fully agree that research designs that allow for the assessment of causality, like carefully controlled experiments, present stronger evidence than research designs that cannot assess causality.
10. We fully agree that human behaviour is complex and thus research in the social sciences can exhibit more complications than research in the physical sciences.
In sum, we are in at least some agreement on all points, although our level of agreement is weakest for #2 and #3. We acknowledge, though, that such difference in our level of agreement is not due to fundamental disagreements about the statements in question, but rather our confidence in the amount of literature available to substantiate such statements.
[caractères gras dans la lettre, soulignés ajoutés]
[170] En somme, si les experts s’entendent pour dire que les modifications à l’apparence d’un policier peuvent avoir un impact sur la perception du public, ils s’avèrent être en désaccord sur la force et la nature de cet impact.
[171] Pour sa part, l’expert Simpson estime que les études menées supportent ses opinions et conclusions voulant que l’altération de l’uniforme ait des effets significatifs sur la perception du public des policiers, sur la capacité d’identification par la population et sur les comportements[151].
[172] Quant à lui, l’expert Boivin explique que le potentiel explicatif des études en sciences sociales (« R2 » dans la littérature afférente[152]) s’avère très bas, parce qu’il existe une marge d’erreur importante liée au fait qu’on ne peut tenir compte dans le cadre de ces études de toutes les explications, de tous les facteurs qui peuvent influencer un individu.
[173] La littérature nous enseigne qu’en criminologie, on considère que les études ne peuvent pas expliquer plus de 30 % du phénomène humain ( individual[153]), laissant 70 % des observations non expliquées. Autrement dit, il peut y avoir une relation entre la modification de l’uniforme étudiée et la perception du public, mais ça ne veut pas dire que cela explique tout.
[174] En termes de statistiques, la classification reconnue de ces mesures fait qu’entre 0 à 30 %, on parle d’une relation « assez faible », que de 30 à 60 % la relation se qualifie de « modérée » et qu’au-delà de 60 %, on considère la relation comme étant « forte ».
[175] Selon la méthodologie des études, et notamment en fonction du nombre de facteurs considérés, le potentiel explicatif R2 peut varier de 1 à 30 %, étant entendu que le taux de 30 % de variances expliquées demeure rare et exceptionnel. L’expert Boivin explique que « la simple possibilité d’une relation entre deux concepts justifie le développement d’un projet de recherche, indépendamment de l’existence effective de cette relation et de sa force »[154].
[177] Par ailleurs, l’expert Simpson insiste sur certaines études qui démontrent, selon lui, que la tenue de l’agent a un impact sur la légitimité perçue[155]. Avec égards, le Tribunal est d’avis que l’expert Boivin apporte la nuance nécessaire, l’éclairage et l’interprétation à la lumière des sciences de la criminologie que l’on doit faire de ces résultats :
Tankebe[156] exprime bien l’importance des perceptions et de la légitimité pour l’exercice du travail policier. Elle discute en détail de la notion de légitimité et la résume comme « le droit d’exercer le pouvoir ». Surtout, elle indique que la légitimité comporte des éléments objectifs (comme le fait qu’une action policière soit équitable) et subjectifs (comme les sentiments des personnes impliquées) ; les études citées dans le rapport Simpson suggèrent que l’uniforme peut jouer sur les éléments subjectifs de la légitimité, tels les perceptions et sentiments des citoyens. Important pour notre propos : l’uniforme ne semble pas jouer de rôle dans la légitimité objective du pouvoir policier. Ainsi, la Loi permet aux policiers d’intervenir dans telles circonstances et de telles manières, indépendamment de l’avis personnel de tous et chacun. Il n’est pas clair que les éléments subjectifs de la légitimité de la police aient un impact sur la sécurité publique puisqu’il n’existe pas d’étude sur le sujet, à notre connaissance.
[soulignés ajoutés]
[178] Ainsi, de l’avis du Tribunal, les perceptions subjectives des individus, analysées ailleurs qu’au Québec, sur des policiers en uniforme ou en civil, ou sur les différentes couleurs des tenues vestimentaires, ou encore sur le port d’équipements divers, ne sauraient être transposées sans nuance à la situation très particulière qui nous occupe en l’instance, au Québec.
[179] L’analyse des rapports et opinions exprimées par les experts amène plutôt le Tribunal à conclure que les résultats des études réalisées ne permettent pas de tirer les hypothèses avancées par l’expert Simpson et les conclusions recherchées par le PGQ, voulant que la sécurité publique, la confiance du public et l’identification des policiers soient mises à mal par les moyens de pression utilisés à ce jour dans notre province.
[180] D’une part, le Tribunal remarque que l’expert Simpson occulte complètement le contexte des relations de travail des policiers au Québec, mais aussi des caractéristiques culturelles et sociales de notre société québécoise, pour importer arbitrairement et sans nuance des résultats obtenus ailleurs dans le monde. En plus, il se prononce sur l’impact des altérations très spécifiques utilisées par les policiers en instance, qui n’ont aucune commune mesure avec les modifications étudiées. Il invite le Tribunal à suivre son expertise générale sur les enjeux en litige. Avec égards, sans étude spécifique, son opinion apparaît plutôt arbitraire et hâtive puisque fondée sur des études, des résultats et observations faites dans de tout autre circonstance.
[181] En criminologie, à la lumière des explications fournies par l’expert Boivin, le Tribunal retient que le contexte s’avère d’autant plus important puisque différents facteurs influencent les perceptions générales et spécifiques dans le cadre de ces études liées aux attitudes des individus[157]. À titre d’exemple, il rapporte certaines de ses propres études qui démontrent que les perceptions des gens face à une intervention policière sont influencées par des facteurs n’ayant rien à voir avec l’intervention elle-même[158].
[182] Vraisemblablement, cela explique les résultats contradictoires obtenus dans certaines autres études répertoriées par l’expert Simpson. Notamment, en 2005, dans une première étude menée dans un centre commercial d’une ville du midwest américain, les résultats révèlent que « the blue/blue uniform evoked the most favourable impressions among participants whereas the black/black uniform evoked the least favourable impressions ». Au contraire, une étude semblable menée en 2008 dans les classes du Midwestern University, les résultats démontrent plutôt que « black uniforms elicited more positive impressions of officers among participants than lighter coloured uniforms ». Ce simple exemple en dit long sur la variabilité des facteurs et des perceptions.
[183] Il faut dire qu’ici, avec trente-trois études menées sur des questions très diversifiées, ayant peu de lien avec les altérations en litige, la recherche de l’expert Simpson apparaît être encore au stade de « la recherche fondamentale, c’est-à-dire à déterminer les mécanismes par lesquels l’uniforme pourrait avoir un impact sur la sécurité publique, mais que les hypothèses n’ont pas encore été adéquatement vérifiées »[159].
[184] Force est d’admettre qu’un ensemble de facteurs, culturels et sociétaux entre autres, peuvent avoir un impact sur l’être humain, sur sa perception, sur son sentiment de confiance, sur le sentiment de sécurité, liés en partie sur ce que les policiers font, mais aussi sur une panoplie d’autres influences. Cela fait en sorte que les résultats recensés à l’extérieur de la province et dans des conditions complètement distinctes ne peuvent être convaincants pour les fins qui nous occupent.
[185] Aucune étude menée au Québec ne permet de mesurer l’impact (ni sa nature ni son importance selon les différentes substitutions et altérations proposées) des modifications de l’uniforme des policiers à la lumière des facteurs propres à la culture et à la société québécoise, ainsi qu’à l’historique des moyens de pression revendiqués.
[186] D’autre part, le Tribunal constate que la littérature scientifique existante ne permet pas de faire le « pas » suggéré par l’expert Simpson entre l’impact de l’uniforme sur les perceptions des gens et l’impact de l’uniforme sur leurs comportements, principalement parce que les études sur ce dernier sujet sont limitées ou carrément inexistantes. Encore là, l’expert Boivin fait une nuance importante, logique, non contredite par l’expert Simpson, découlant des principes applicables en psychologie :
Le lien entre attitude et comportement est une question classique en psychologie. Il s’écrit chaque année des dizaines de textes sur le sujet et il se mène autant d’études empiriques visant à vérifier ce lien dans divers contextes[160]. Il ne serait pas possible ni pertinent de résumer cette littérature ici, mais soulignons quelques observations : 1) il existe un consensus voulant que les attitudes et perceptions doivent être comprises indépendamment des comportements; 2) le lien entre attitudes et comportements varie considérablement selon les contextes; 3) les attitudes sont expliquées de manière plus immédiate par les intentions, qui elles expliquent en partie les comportements. Autrement dit, les spécialistes du lien entre les attitudes et les comportements suggèrent que le passage de l’un à l’autre n’est pas automatique ni complet, c’est-à-dire que le fait que l’uniforme exerce une influence sur les perceptions (et donc, les attitudes) des gens ne signifie pas qu’ils modifieront leurs comportements, ce qui aurait un impact sur la sécurité publique. Tel que mentionné au point 2, il n’existe pas à notre connaissance d’étude permettant de conclure que l’uniforme a un impact sur la sécurité publique, et l’étude de Johnson citée plus haut conclut qu’il n’y a pas de relation statistique entre les deux. À ce stade-ci, il importe aussi de souligner que cette étude utilise un devis corrélationnel et non causal, c’est-à-dire qu’au mieux elle aurait pu suggérer l’existence d’une relation, mais n’aurait pas établi le sens de cette relation. Autrement dit, la seule étude portant directement sur la relation entre l’uniforme et la sécurité publique ne permet pas de spécifier la nature de la relation ni de conclure que l’uniforme a un impact sur la sécurité publique.
[soulignés ajoutés]
[187] Pour le Tribunal, il y a lieu de retenir qu’un impact sur la perception ne signifie pas un changement de comportement ou un impact conséquent sur la sécurité publique.
[188] Enfin, les experts s’entendent pour dire que l’altération de l’apparence d’un policier peut influencer la capacité d’une personne à l’identifier. Cette affirmation générale ne permet pas d’affirmer que toute altération à l’uniforme à cet effet. Au contraire, pour reprendre un exemple dans les études répertoriées, soit celle sur Accoutrements as signals of intent menée en 2020, l’expert Simpson a lui-même testé les effets de différents accessoires (i.e. gilets de haute visibilité, gilets de sécurité, gants noirs, bâton, lunettes de soleil ou casquettes de baseball) sur la perception du public. Et ultimement, il conclut entre autres choses que « No significant effects were observed among participants for the baseball hat »[161].
[189] En réalité, aucune étude ne porte spécifiquement sur la question de l’identification[162], encore moins sur les effets des altérations en litige à cet égard.
[190] En somme, le Tribunal retient l’opinion et l’analyse en criminologie de l’expert Boivin qui prend appui sur la littérature scientifique et tient compte du contexte particulier en l’instance. La littérature existante ne permet pas de conclure que l’altération de l’uniforme a un effet sur la sécurité publique et le comportement des individus. Au mieux, on doit retenir que l’uniforme des policiers a un impact sur les perceptions du public, sans pouvoir en dire plus sur la force et la nature de cet impact en général, et sans pouvoir se prononcer spécifiquement sur les modifications et les circonstances particulières en l’instance.
[191] Les objectifs énoncés dans le préambule visent la sécurité publique, l’importance de préserver la confiance de la population et d’éviter toute situation de confusion en cas d’incident sur le terrain. Le PGQ précise en d’autres mots que les dispositions litigieuses ont pour but de favoriser le respect de l’autorité et de la crédibilité des policiers dans leurs fonctions essentielles, et ce, en assurant leur sécurité et celle du public et en maintenant la confiance de la population à leur égard[163].
[192] Selon les associations syndicales, la preuve ne démontre pas l’existence d’une problématique réelle et urgente de sécurité publique liée à la modification ou l’altération de l’uniforme, et ce, malgré que ces moyens de pression soient utilisés depuis plus de 40 ans. Elles suggèrent que quelques articles de journaux isolés ne réussissent pas à démontrer un enjeu réel et urgent lié à la confiance du public. Tout au plus, cela démontre que les moyens de pression peuvent constituer un irritant, ce qui ne devrait pas être un facteur pour apprécier la constitutionnalité des activités expressives et associatives en l’espèce.
[193] En droit, dans l’arrêt Oakes, la Cour qualifie cette norme de sévère « afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important »[164].
[194] Néanmoins, à la lumière de la jurisprudence, les auteurs remarquent qu’il « est en réalité plutôt rare que les tribunaux invalident une « règle de droit » du seul fait que son objectif n'apparaît pas « suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis ». La chose s'explique vraisemblablement par le fait qu'aux yeux des juges, un objectif « urgent et réel » semble, le plus souvent, synonyme d'un objectif « louable »[165].
[195] Le PGQ n’a pas à faire la preuve « d’un préjudice concret pour établir le caractère réel et urgent de chaque objectif » puisque le gouvernement n’est « pas tenu d’attendre que le préjudice appréhendé se réalise avant d’adopter des mesures propres à le prévenir ou, le cas échéant, à y remédier ». Une appréhension raisonnée de préjudice suffit[166].
[196] Dans l’arrêt Harper c. Canada (Procureur général), la Cour suprême souligne que « la bonne question à cette étape de l’analyse consiste plutôt à décider si le procureur général a invoqué un objectif urgent et réel. Quant à la question de savoir si les dispositions contestées contribuent à la réalisation de cet objectif, elle doit être examinée au cours de l’analyse de la proportionnalité, laquelle s’attache au lien rationnel, à l’atteinte minimale et au fait de savoir si l’effet bénéfique de l’atteinte, si tant est qu’elle produise un tel effet, l’emporte sur son effet préjudiciable »[167].
[197] Ici, devant les critiques suscitées entre autres par le port des casquettes rouges et pantalons colorés, dénoncé par les médias[168], le gouvernement pouvait appréhender et invoquer une atteinte à l’image des policiers. Sans avoir à prouver un préjudice certain et réalisé à ce stade du test, il y a lieu de conclure que l’objectif afférent de préserver la confiance du public envers les policiers est louable, considérant leur rôle de représentants de la loi, leur autorité et leurs fonctions primordiales dans notre société.
[198] Il en va de même pour l’objectif lié à l’identification des policiers. Bien que les altérations utilisées à ce jour ne semblent pas avoir occasionné la confusion appréhendée[169], il suffit à ce stade d’invoquer le constat général des experts voulant que l’altération de l’apparence d’un policier peut influencer la capacité d’une personne à l’identifier, de façon générale, appliqué dans le contexte du libellé des dispositions litigieuses, soit la substitution ou l’altération de l’uniforme, au sens littéraire très large.
[199] En revanche, on remarque que les risques invoqués à la sécurité du public ne trouvent aucune assise dans la preuve, la recherche empirique, le contexte ou les faits démontrés, d’autant plus qu’ils sont contredits par les précédents judiciaires des tribunaux qui ont eu à se prononcer sur la question[170].
[200] À tout évènement, le Tribunal tiendra compte des trois objectifs invoqués par le PGQ pour la suite de son analyse. En effet, l’on se doit de faire preuve de prudence, à la lumière de l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections) : « malgré la nature abstraite des objectifs gouvernementaux et le fondement fragile sur lequel ils reposent, la prudence nous conseille de procéder à l’analyse de la proportionnalité au lieu de rejeter catégoriquement ces objectifs. L’analyse de la proportionnalité nous permet de déterminer si les objectifs gouvernementaux invoqués peuvent en fait justifier la privation du droit de vote. À cette étape, comme nous le verrons, la faiblesse inhérente à ces objectifs devient manifeste »[171].
[201] Il convient de procéder à l’analyse du deuxième critère lié à la proportionnalité.
[202] Pour s’acquitter de son fardeau de preuve, le PGQ se réfère d’abord aux études répertoriées et à l’opinion de l’expert Simpson pour faire valoir que l’uniforme est un élément participant à l’autorité des policiers et qu’il est raisonnable d’inférer que les dispositions litigieuses qui interdisent la substitution ou leur altération visent à assurer la sécurité et la confiance du public, à favoriser l’identification des policiers ainsi que le bon ordre. Dans les faits, il fait ressortir les critiques et les plaintes de la population, ainsi que la perception négative des moyens de pression rapportées par les médias, suggérant que l’altération de l’uniforme affecte l’image des policiers et est susceptible de mettre en cause la confiance et la sécurité publique.
[203] De leur côté, les associations syndicales contestent la valeur probante de l’expertise Simpson, notamment parce qu’elle occulte le contexte des relations de travail en litige. Elles soumettent que l’absence de cas tangibles recensés, sauf anecdotiques, depuis les 40 dernières années, contredit l’existence d’un lien rationnel entre les interdictions litigieuses liées à l’altération de l’uniforme et les objectifs invoqués en défense.
[204] En droit, à cette première étape de l’examen de la proportionnalité, le gouvernement doit établir, selon la prépondérance des probabilités[172], que la mesure attentatoire a un lien de causalité avec les objectifs recherchés[173]. Cette étape vise à empêcher que la loi ne soit arbitraire, inéquitable ou fondée sur des considérations irrationnelles[174].
[205] La Cour suprême juge que cet élément n’est pas particulièrement exigeant[175]. Il n’est pas nécessaire d’établir que la mesure permettra inévitablement d’atteindre l’objectif visé par le gouvernement. Une inférence raisonnable que les moyens adoptés par ce dernier aideront à réaliser l’objectif en question suffit. L’examen doit porter sur le lien causal[176].
[206] Dans les cas où un tel lien n’est pas scientifiquement mesurable, comme en l’instance, son existence peut être établie sur le fondement de la raison ou de la logique, plutôt que sur une preuve tangible. À cet égard, dans l’arrêt Police montée, les juges majoritaires précisent ceci :
[144] Les revendications de nature philosophique, politique et sociale ne se prêtent pas toujours à une preuve empirique (Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827, par. 104; Sauvé, par. 18). Les tribunaux n’ont donc pas toujours insisté sur la nécessité d’une preuve directe de lien entre la mesure attentatoire et l’objet de la loi, et ont accepté des conclusions fondées sur la logique et la raison (RJR-MacDonald (1995), par. 154; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 101). Toutefois, cela ne libère pas le gouvernement de son obligation d’établir qu’il était à tout le moins raisonnable de conclure à l’existence d’un lien causal entre l’exclusion prévue par la LRTFP actuelle et l’imposition du PRRF et l’objectif de la préservation de la neutralité, de la stabilité et de la fiabilité au sein de la GRC. Comme l’écrivait la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans RJR-MacDonald (1995), au par. 129 :
Bien qu’ils doivent demeurer conscients du contexte sociopolitique de la loi attaquée et reconnaître les difficultés qui y sont propres en matière de preuve, les tribunaux doivent néanmoins insister pour que, avant qu’il ne supprime un droit protégé par la Constitution, l’État fasse une démonstration raisonnée du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation. Les tribunaux doivent respecter cette démarche fondamentale pour que les droits garantis par notre Constitution soient opérants.
[soulignés ajoutés]
[207] En l’espèce, il revient donc au PGQ de démontrer que l’interdiction de substituer et d’altérer l’uniforme des policiers présente un lien rationnel avec les objectifs invoqués.
[208] D’abord, les experts ont convenu, et le Tribunal a retenu, que les modifications de l'apparence d'un policier peuvent changer la perception que les gens ont des services de police en général, au moins dans une certaine mesure, y compris en ce qui concerne les caractéristiques de l’uniforme et la légitimité perçues, ainsi que la capacité d’une personne à identifier un policier. A priori, cette preuve devrait suffire pour établir le lien rationnel des restrictions avec les objectifs liés à la confiance du public et à l’identification des policiers.
[209] Par contre, en ce qui a trait à l’objectif de préserver la sécurité publique, le Tribunal note l’absence d’une littérature scientifique permettant de conclure que l’altération de l’uniforme a un effet sur la sécurité publique et le comportement des individus. Avec égards, les appréhensions du législateur reposent essentiellement sur des impressions et opinions du Ministre, des organismes consultés et de journalistes, qui ne permettent pas d’inférer un lien rationnel.
[210] Par ailleurs, dans une certaine mesure, certes, le lien rationnel établit par les experts ne résiste pas à l’analyse contextuelle.
[211] Dans l’arrêt Police montée, la majorité des juges de la Cour suprême nous invite à tenir compte des faits et du contexte de l’affaire au stade du lien rationnel :
[147] D’autre part, il n’est pas établi que l’autorisation d’un véritable régime de négociation collective pour les membres de la GRC perturbera la stabilité de cette force policière ou influencera la perception du public quant à sa neutralité. Le gouvernement n’a produit aucun élément de preuve convaincant à cet égard. La recherche empirique tend plutôt à indiquer le contraire, tout comme l’expérience des provinces avec les forces policières syndiquées (voir, par ex., D. Forcese, « Le syndicalisme policier : relations de travail dans les forces policières canadiennes » (1980), 4 Journal du Collège canadien de police 85 : « Les policiers syndiqués ne sont pas fondamentalement des agitateurs » (p. 130)). En fait, selon la preuve, le respect de la liberté d’association peut même assurer plutôt que compromettre l’existence de bonnes relations de travail et ainsi en renforcer la stabilité.
[soulignements ajoutés]
[212] En l’espèce, à juste titre, les policiers font valoir qu’il est déraisonnable de supposer que la restriction puisse contribuer à la réalisation d’un objectif lié à la confiance, à l’identification ou à la sécurité publique, alors que l’expérience des 40 dernières années tend à démontrer le contraire.
[213] Dans les faits, plus amplement analysés sous le critère de la proportionnalité des effets, on remarque effectivement que malgré les altérations répétées et un nombre important d’années écoulées, la preuve prépondérante ne permet pas de conclure que les altérations de l’uniforme en litige ont influencé la perception du public au point de bouleverser sa confiance envers les corps policiers, de perturber l’identification des policiers ou de compromettre la sécurité publique. Nous y reviendrons[177].
[214] Cependant, notre analyse à ce stade ne se limite pas aux moyens de pression existants. Le libellé des dispositions litigieuses vise un échantillon de substitutions et d’altérations beaucoup plus large que celles utilisées à ce jour. Ainsi, le lien rationnel requis se retrouve nécessairement dans certaines autres formes d’altérations touchées par la Loi 20, notamment celles qui auraient un impact sur l’inscription « POLICE » liée à l’identification rapide des policiers, pour ne donner qu’un seul exemple.
[215] Il convient donc de poursuivre l’analyse.
[216] Les associations syndicales reprochent au gouvernement de ne pas avoir cherché la solution la moins attentatoire possible aux problèmes qu’il a voulu régler. En visant toutes les formes de substitution et d’altération de l’uniforme, elles font valoir que les interdictions vont au-delà de ce qui était nécessaire dans le contexte qui nous occupe.
[217] Pour sa part, le PGQ soutient que les mesures adoptées sont limitées à la seule dimension de l’uniforme et n’empêchent aucunement la liberté d’expression verbale ou autres, ni la liberté de déployer une panoplie de moyens de pression dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs communs. Au surplus, il plaide que le libellé de l’article 263.1 de la Loi sur la police ne prohibe pas toute modification de l’uniforme, de sorte que le législateur satisfait pleinement le sous-critère de l’atteinte minimale.
[218] À cette étape, l’analyse de l’atteinte minimale vise à assurer que la restriction de droits reconnus par la Charte se limite à ce qui est raisonnable pour atteindre les objectifs visés par le législateur.
[219] Le Tribunal doit déterminer, à la lumière de la preuve présentée, si la restriction des droits en cause est raisonnablement adaptée à l’objectif ou s’il existe des moyens moins préjudiciables d’atteindre l’objectif choisi.
[220] Soulignons que le gouvernement n’est pas tenu de recourir au moyen le moins attentatoire possible pour réaliser son objectif. L’analyse appelle à se demander si celui qu’il choisit se situer à l’intérieur d’une gamme de mesures alternatives[178]. Le critère de l’atteinte minimale est respecté dès lors que la solution retenue fait partie du spectre de celles qui sont raisonnablement défendables[179]. Le Tribunal ne devrait pas intervenir du seul fait qu’il peut imaginer un moyen plus adéquat, moins attentatoire, de rencontrer l’objectif réel et urgent[180].
[221] D’emblée, le fait que les policiers bénéficient d’autres moyens d’expression ou d’association ne répond pas à la question soulevée à ce stade, soit celle de déterminer si la restriction en litige, mettant en cause la substitution et l’altération de l’uniforme, ne dépasse pas ce qui est nécessaire[181].
[222] Dans un premier temps, l’article 263.1 de la Loi sur la police commande que le policier porte l’uniforme, d’abord « sans y substituer aucun élément ». Par définition, substituer implique l’action de remplacer une chose par une autre[182].
[223] Cette prohibition touche nécessairement tous les équipements de l’uniforme fournis par l’employeur, allant du manteau, au pantalon, à la chemise, au ceinturon, au t-shirt, aux gants, aux bottes et aux chaussettes, notamment. Il s’agit ici d’une prohibition totale. Celle-ci est forcément plus difficile à justifier pour le gouvernement[183].
[224] Dans les faits, ce sont principalement les pantalons « de clowns » qui porterait au ridicule selon certains et que l’on cherche à bannir, avec la casquette rouge. Si tant est que le législateur visait ces substitutions jugées dommageables, il a décidé de ratisser plus large dans la disposition prohibitive mise en vigueur.
[225] Entre autres choses, la disposition interdit le port de la casquette de baseball alors qu’elle n’a pourtant pas d’effet sur la perception des gens, si l’on se fie même à la preuve du PGQ, soit les résultats d’une étude menée par l’expert Simpson[184]. Dans son témoignage, l’expert propose lui-même une distinction entre les équipements clés (keys éléments), susceptibles d’avoir un impact sur la perception du public, et d’autres éléments moins importants qui n’ont pas d’effet[185]. En quelque sorte, il confirme que certains éléments de l’uniforme et de l’équipement ne devraient pas être touchés par l’interdiction.
[226] Ce n’est pas ce que la disposition prohibitive prévoit.
[227] Par conséquent, l’interdiction totale de substituer, parce qu’elle englobe tous les éléments de l’uniforme sans distinction, même ceux qui n’ont pas d’impact sur l’identification, la confiance ou la sécurité invoquée, apparaît impossible à justifier par le gouvernement, à défaut d’être raisonnablement adaptée aux objectifs recherchés.
[228] Deuxièmement, l’interdiction d’altérer, de « changer en mal »[186] implique de changer le sens, la destination ou la valeur d'une chose et qui est de nature à porter préjudice, par opposition à une modification, qui vise un changement que l'on apporte sans en altérer la nature, l’essence de ce qui change[187].
[229] Pris dans le sens littéraire du terme, l’interdiction d’altérer n’est donc pas une interdiction complète; l’utilisation du mot « altérer » plutôt que « modifier » suggère que le législateur a voulu limiter la portée de sa restriction à ce qui était préjudiciable, dommageable, mais sans en préciser les conditions pour rencontrer les objectifs visés. C’est bien là le problème.
[230] Dès lors, bien qu’ils ne produisent peu ou pas d’effet significatif sur la perception des gens[188], l’usage d’un bracelet rouge sur le gilet pare-balles[189], le brassard jaune
« RESPECT » ou « M. LE MAIRE IMPOSER CE N’EST PAS NÉGOCIER » ou encore l’étoile du shérif[190], notamment, apparaissent changer la nature et la destination de l’uniforme, qui devient un objet d’expression et de manifestation. La disposition semble ainsi interdire des altérations qui n'ont aucun rapport avec les objectifs initialement visés par la mesure.
[231] Sinon, quelles modifications sont susceptibles de dénaturer l’uniforme et d’être considérées comme des altérations prescrites?
[232] En réalité, sans paramètre permettant de le préciser, l’interprétation du mot
« altérer » seul laisse une large place à l'arbitraire.
[233] Il en va de même pour les restrictions prévues à l’article 263.1 in fine, qui interdisent de couvrir l’uniforme et l’équipement fournit « de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés », mais il n'énonce pas de critères permettant de circonscrire ces éléments et situations.
[234] Le libellé appelle à donner une interprétation très suggestive de concepts très larges, de sorte qu’il confère un pouvoir discrétionnaire trop vaste au gouvernement.
[235] En contrepartie, à la lecture de la disposition, les policiers et les associations ne peuvent pas comprendre et raisonnablement circonscrire leurs droits. Avec les sanctions importantes associées à une altération illégale de l’uniforme, on peut comprendre l’effet paralysant de l’ensemble de ses dispositions[191].
[236] En somme, en raison de sa portée excessive et de son imprécision, la disposition prohibitive restreint les droits fondamentaux des policiers bien plus qu'il n'est nécessaire pour atteindre les objectifs.
[237] De toute évidence, la disposition prohibitive n'est pas « soigneusement conçue »[192] pour éviter toute atteinte excessive aux droits fondamentaux des policiers.
[238] Dans les circonstances, le PGQ ne réussit pas à démontrer qu’il serait raisonnable de conclure que ces prohibitions constituent une atteinte minimale aux droits fondamentaux des policiers.
[239] Dans ce dernier volet du test, ce n’est plus tant l’objectif de la règle de droit que ses effets sur les individus ou des groupes qui constituent le cœur de l’analyse, requérant l’évaluation des conséquences[193]. Le Tribunal doit « mettre en balance l’incidence de la loi sur les droits protégés et l’effet bénéfique de la loi au plan de l’intérêt supérieur du public »[194].
[240] La question « est de savoir si les conséquences de l’atteinte aux droits sont disproportionnées par rapport aux effets bénéfiques probables de la mesure législative contestée » ou « si les effets bénéfiques de la mesure législative contestée en justifient le coût que représente la restriction au droit[195] ».
[241] La Cour suprême nous enseigne que « la majeure partie de l’analyse conceptuelle doit être faite à l’étape finale — celle de la proportionnalité »[196]. C’est à ce stade que le Tribunal « peut transcender l’objectif de la règle de droit et se livrer à un examen rigoureux de l’incidence de la règle de droit sur la société libre et démocratique canadienne […] d’une manière directe et explicite »[197].
[242] En l’espèce, les effets préjudiciables de l’application des interdictions litigieuses sur les droits et libertés des policiers sont nombreux, importants et indéniables.
[243] Privés du droit de grève, les policiers se trouvent déjà limités dans leurs moyens de pression pour se mobiliser et faire part publiquement de leur mécontentement. Avec les restrictions imposées par les dispositions litigieuses, ils se retrouvent dépourvus des moyens de pression historiquement reconnus, dont ils font usage depuis près de 40 ans, qui constituent des modes d’expression et stratégies développés pour rencontrer les objectifs communs de la négociation collective, soit : leur liberté d’expression dans le contexte des conflits de travail, leur capacité d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs et leur droit de faire reconnaître sur la place publique des enjeux propres à leurs conditions de travail[198].
[244] Il s’agit de moyens que la population reconnaît comme liés à la négociation collective, ayant un impact incontestable dans la sphère publique, et par le fait même, exerçant une pression recherchée sur l’employeur. Parce qu’elle restreint ces moyens de pression, la Loi 20 remet en jeu l’équilibre essentiel à la tenue d’une véritable négociation collective. À juste titre, les associations et leurs membres s’estiment brimés dans le libre choix des moyens de pression pour assurer leur défense.
[245] En contrepartie, on comprend que le gouvernement cherche à préserver la confiance du public, à éviter la confusion de la population et tout risque pour la sécurité publique. Cependant, dans les faits, la prohibition totale mise en vigueur interdit des altérations qui n’ont pas les effets appréhendés par le gouvernement[199].
[246] En ce qui a trait à la confiance du public, dans un premier temps, la revue de presse colligée par le PGQ démontre que les moyens de pression choisis par les policiers ont fait l’objet de critiques dans les médias et dans la population. À plus forte raison lorsque ces moyens ont été maintenus dans le cadre de funérailles d’État.
[247] Au même titre, d’autres moyens de pression exercés par des policiers ont suscité la grogne de la population; on a qu’à penser à la « grande marche » en mai 2017, qualifiée de (mauvais) coup médiatique, où les policiers ont été critiqués pour avoir embêté les « petites familles » et perturbé les festivités du 375e anniversaire de la métropole[200].
[248] En réalité, les policiers sont des acteurs importants de notre société, des représentants de la loi, des symboles d’autorité qui se retrouvent plus souvent qu’autrement sous les projecteurs des médias, et quotidiennement sous le regard des citoyens.
[249] Tout comme les mouvements de grève emportent leurs lots de critiques, ici, les modifications de l’uniforme ont généré des commentaires, voire de la désapprobation, mais cela a fait en sorte qu’elles ont exercé la pression recherchée sur le gouvernement. Or, permettre concrètement aux policiers de faire valoir leurs positions, leurs opinions même impopulaires et minoritaires est essentiel à une démocratie délibérative[201].
[250] Or, la population est généralement informée que le pantalon de camouflage et la casquette rouge, entre autres, sont utilisés et perçus comme un
« désormais célèbre » symbole des protestations des policiers dans le cadre de leurs négociations collectives[202]. Les citoyens du Québec comprennent et doivent comprendre que les policiers peuvent s’associer et s’exprimer sur les enjeux socio-économiques qui les concernent, sur leurs conditions de travail, comme d’autres travailleurs, malgré le côté irritant que cela implique.
[251] Si la substitution et l’altération de l’uniforme comme moyens de pression demeurent proscrites, la population continuera de poser son œil critique sur les faits et gestes des policiers dans l’actualité, parfois même beaucoup plus compromettants que les moyens de pression en litige. L’expert Boivin nous rappelle d’ailleurs qu’une multitude d’autres facteurs peuvent influencer les perceptions des citoyens, favoriser la confiance ou susciter la critique envers les policiers et les services de police.
[252] Ici, l’atteinte à l’image des policiers, parfois dans des circonstances bien particulières qui dépassent la simple altération de l’uniforme, ne permet pas au Tribunal d’inférer une atteinte probante à la confiance de la population, au point de remettre en question la légitimité des policiers ou de modifier les comportements envers eux, pour justifier les interdictions litigieuses.
[253] Pour ce faire, le PGQ s’en remettait à l’opinion de l’expert Simpson qui n’a pas été retenue par le Tribunal[203].
[254] Plus particulièrement sur la légitimité des policiers, l’expert Boivin a fourni des explications fondées sur la littérature scientifique, retenues par le Tribunal. D’une part, l’uniforme ne semble pas jouer de rôle dans la légitimité objective du pouvoir policier d’intervenir dans telles circonstances et de manières appropriées. D’autre part, en théorie, l’expert conclut qu’il n’est pas clair que les éléments subjectifs de la légitimité (perceptions du public) aient un impact sur la confiance des gens envers les policiers puisqu’il n’existe pas d’étude sur le sujet.
[255] En l’espèce, la seule donnée dont le Tribunal dispose à cet égard est un sondage Léger, mené en 2016, soit en plein cœur de l’utilisation des pantalons et casquettes colorés, établissant un taux de confiance stable de la population, sinon légèrement à la hausse à 75 %[204].
[256] Aussi, en application des principes de psychologie reconnus, l’expert Boivin nous invite à retenir que bien que l’uniforme exerce une influence sur les perceptions des gens, cela ne signifie pas qu’ils modifieront leurs comportements. Dans les circonstances, le Tribunal ne peut pas spéculer sur un changement dans les comportements de la population en générale, en l’absence d’un minimum de preuve à cet égard.
[257] La substitution ou l’altération de l’uniforme se trouvent utilisées comme les moyens de pression par les policiers depuis 40 ans. Il y a lieu d’en tenir compte dans l’interprétation contextuelle préconisée. Or, de l’avis du Tribunal, si un phénomène quelconque devait émerger, il l’aurait fait de manière observable.
[258] En définitive, les policiers sont inévitablement soumis à la critique, et doivent l’être dans le meilleur intérêt d’une société libre et démocratique, sans que l’on ne s’alarme indûment de la confiance de la population, à moins de faits connus, d’exemples ou de motifs raisonnables qui n’ont pas été démontrés en l’espèce.
[259] Par conséquent, l’ensemble des faits connus ne permet pas au Tribunal d’inférer que l’altération de l’uniforme influence ou influencerait la perception du public au point de miner sa confiance et ses comportements, au contraire.
[260] Deuxièmement, quant à l’objectif d’éviter la confusion, les experts s’entendent sur la possibilité que des altérations à l’uniforme puissent avoir un impact sur la capacité des gens à identifier un policier comme étant un agent de police. Mais il revient au Tribunal, à la lumière des altérations spécifiques et des faits de la présente affaire, de considérer comment cela se concrétise en l’espèce.
[261] Faut-il rappeler que ce sont essentiellement les pantalons colorés qui ont incité le Ministre à émettre des commentaires et à exprimer un inconfort profond quant à cette pratique, « pour préserver la confiance du public et éviter toute situation d’ambiguïté ou de confusion en cas d’incident sur le terrain » [205].
[262] Avec égards, une appréciation raisonnable et objective des faits ne permet pas au Tribunal de suivre les appréhensions du législateur.
[263] Comme le juge administratif l’apprécie dans Ville de Châteauguay c. Fraternité des policiers de Châteauguay inc., et en l’instance, il apparaît des photographies produites[206] que « le badge, le nom du policier, la chemise réglementaire munie des armoiries de la Ville aux épaules, le ceinturon et ses accessoires ainsi que le gilet pare-balles (qu’il comporte ou non l’inscription « POLICE ») sont autant d’éléments distinctifs qui permettent d’identifier, sans l’ombre d’un doute possible, le statut d’un policier »[207].
[264] Ces images[208] valent mille mots :
[265] Au surplus, l’unique décision répertoriée de la Cour municipale dans Laval (Ville de) c. Caron[209] est insuffisante et anecdotiques pour confirmer la confusion alléguée. En réalité, l’absence de précédents supplémentaires répertoriés corrobore plutôt la conclusion voulant que malgré les altérations utilisées comme moyens de pression par le passé, les éléments distinctifs de l’uniforme permettaient « d’identifier, sans l’ombre d’un doute possible, le statut d’un policier »[210].
[266] Finalement, l’absence d’exemples concrets impliquant la sécurité publique, d’incidents notoires au cours d’une longue période, fait obstacle aux prétentions du PGQ. Cela fait en sorte que les préoccupations alléguées se révèlent basées sur des considérations non fondées, voire arbitraires. Ni la recherche empirique ni les faits ne démontrent que la substitution ou l’altération de l’uniforme peuvent avoir un effet sur le service à la population et la sécurité publique, au contraire[211].
[267] À ce jour, les effets bénéfiques des interdictions litigieuses n'apparaissent pas aussi manifestes que les effets négatifs sur les libertés fondamentales en cause.
[268] Existe-t-il des effets bénéfiques à interdire toutes autres formes d’altérations incluses dans le libellé très large de la Loi 20, dont certaines pourraient avoir les impacts sociaux indésirables appréhendés[212]? D’emblée, c’est une motivation qui n’a pas été exprimée par le législateur ni plaidée par le PGQ. Ensuite, vu les faits et l’historique des moyens de pression mis en place par les policiers, il est raisonnable de croire que ceux-ci s’en tiennent à des modifications de l’uniforme qui ne risquent pas de s’attaquer à leur identification, au service rendu à la population ou à la sécurité publique. Cela demeure hypothétique, voire improbable et insuffisant pour justifier le coût que représente la restriction aux droits et libertés.
[269] Enfin, il existe toujours une possibilité qu’un incident survienne.
[270] Cependant, la preuve des experts nous rappelle que les circonstances et plusieurs autres facteurs combinés expliqueraient la perception des gens, voir la confusion notamment, de sorte que l’altération de l’uniforme ne saurait en être la seule causalité.
[271] Surtout, le Tribunal est d’avis qu’en cherchant à éviter tout incident malheureux mais rarissime et isolé, encore jamais vécu au cours des 40 dernières années, le gouvernement ne saurait raisonnablement justifier une atteinte perpétuelle aux libertés d’expression et d’association des policiers, chères à une société libre et démocratique.
[272] L’examen final de la proportionnalité des effets amène le Tribunal à conclure que les conséquences de l’atteinte sur les droits fondamentaux des policiers s’avèrent disproportionnées par rapport aux effets bénéfiques probables des dispositions litigieuses contestées.
[273] Ainsi, ces dispositions ne peuvent se justifier en vertu de l'article premier.
[274] Les interdictions prévues par la Loi 20 étant incompatibles avec la Charte, elles doivent être annulées en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le seul remède approprié en l’espèce est l’invalidation de toutes les dispositions litigieuses, tant celles sur les interdictions, le rapport d’infraction que les dispositions pénales, en raison de leur imbrication étroite[213].
[275] Une déclaration fondée sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 a généralement un effet immédiat et rétroactif.
[276] Cependant, le PGQ soumet qu’il est nécessaire de suspendre la déclaration d’invalidité pour une période de 12 mois afin de permettre à l’Assemblée nationale d’apporter les correctifs qui s’imposent pour pallier cette inconstitutionnalité. Il soutient que la suspension d’une déclaration d’inconstitutionnalité n’est pas une chose inhabituelle[214].
[277] Les associations syndicales répliquent qu’aucun motif ne justifie cette suspension.
[278] La jurisprudence majoritaire de la Cour suprême nous enseigne que l’effet de déclarations d’invalidité devrait être suspendu en de rares cas[215], « seulement lorsque le risque que représente une déclaration avec effet immédiat sur un intérêt public identifiable, fondé sur la Constitution, l’emporte sur les conséquences néfastes de la suspension de l’effet de cette déclaration»[216].
[279] En 2020, dans l’arrêt Ontario (Procureur général) c. G[217], les juges majoritaires de la Cour suprême conclut que :
[139] En somme, l’effet d’une déclaration ne devrait pas être suspendu à moins que le gouvernement ne démontre qu’une déclaration avec effet immédiat menacerait un intérêt public impérieux qui l’emporte sur l’importance de se conformer immédiatement à la Constitution et sur une réparation qui s’appliquerait immédiatement aux personnes dont les droits garantis par la Charte seront violés. Le tribunal doit se demander quelle sera l’incidence d’une telle suspension sur les titulaires de droits et le public, et doit établir si une déclaration d’invalidité avec effet immédiat nuirait considérablement au pouvoir démocratique qu’a le législateur de mettre en place des politiques au moyen de lois. Lorsqu’une telle mesure est justifiée, la période de suspension devrait être suffisamment longue pour donner au législateur le temps dont il a démontré qu’il avait besoin pour s’acquitter avec diligence et efficacité de l’obligation qui lui incombe, tout en reconnaissant que chaque jour additionnel pendant lequel les droits sont violés constitue un contrepoids important à l’octroi de temps supplémentaire au législateur.
[souligné ajouté]
[280] Il incombe au gouvernement de démontrer que l’importance d’un autre intérêt impérieux fondé sur la Constitution l’emporte sur la violation continue de droits constitutionnels. Dans chaque cas, l’intérêt précis, ainsi que la manière dont une déclaration avec effet immédiat menacerait cet intérêt, doit être défini et, le cas échéant, étayé par une preuve[218].
[281] Avec égards, le Tribunal estime qu’aucune preuve ou démonstration n’a pas été faite lui permettant de conclure qu’un intérêt public impérieux justifie de prononcer la suspension en l’instance. La preuve en est que le « vide juridique » allégué par le PGQ a perduré pendant plus de 40 ans, sans effet significatif sur un intérêt public identifiable, fondé sur la Constitution.
[282] Le PGQ ne démontre pas, n’explique pas davantage en quoi l’effet immédiat nuirait considérablement à la capacité du législateur de légiférer.
[283] Par conséquent, le Tribunal estime que l’annulation doit prendre effet immédiatement en l’absence de motifs pouvant justifier une suspension des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité.
[284] ACCUEILLE le pourvoi en contrôle judiciaire;
[285] DÉCLARE inconstitutionnels, invalides et inopérants les articles 263.1, 263.3, 313.1 et le deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police, RLRQ c. P-13.1, tels qu’adoptés en vertu de la Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement, L.Q. 2017, chapitre 20;
[286] AVEC FRAIS de justice contre le Procureur général du Québec en faveur de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, de la Fraternité des policiers et policières de Montréal et de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec.
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| __________________________________FLORENCE LUCAS, j.c.s. | |
Me Jean-François P. Raymond | ||
Me Jean-Paul Romero | ||
ROY BÉLANGER AVOCATS s.e.n.c.r.l. | ||
Pour la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec et la Fraternité des policiers et policières de Montréal
Me Marco Gaggino Me Elena Fournier-Dery GAGGINO AVOCATS Pour l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec | ||
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Me Sébastien Gobeil | ||
Me Louis Bernier | ||
Me Maxime-Arnaud Keable Me Christelle Leblanc | ||
FASKEN MARTINEAU DUMOULIN s.e.n.c.r.l, s.r.l. | ||
Pour le Procureur général du Québec et Mme Geneviève Guilbault | ||
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Dates d’audience : | Du 16 au 19 janvier 2023 | |
[1] Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal, RLRQ, c. S-2.1.1., (Loi 15).
[2] Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1.
[3] Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement, L.Q. 2017, c. 20, (Loi 20).
[4] Par. 44 du présent jugement.
[5] Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 1, 2b) et d).
[6] Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 3 et 9.1.
[7] T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., [1999] 2 R.C.S. 1083, par. 24; Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État québécois, 2021 QCCA 559, par. 12 et 13.
[8] Loi sur les syndicats professionnels, RLRQ, c. S-40.
[9] Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 105. Cette interdiction était déjà présente dans la Loi concernant l’arbitrage des différends entre les services publics et les salariés à leur emploi, L.Q. 1944, c. 31.
[10] Anciens articles 94 et ss. du Code du travail abrogés en novembre 2016 par la Loi 24, laquelle prescrit une phase de négociation collective et en cas d’échec de celle-ci, une phase de médiation obligatoire et, en ultime recours, un mécanisme de règlement des différends obligatoire.
[11] Dans ce document, l’emploi du masculin pour désigner des personnes n’a d’autres fins que celle d’alléger le texte.
[12] Pourvoi en contrôle judiciaire, 4 juillet 2019; Reconnaissance d’une preuve administrée, 3 mai 2023; Reconnaissance d’une preuve administrée, 11, 13 et 23 mai 2023.
[13] Pièces P-2 à P-8; section 3.4.2 du présent jugement.
[14] Préc. note 1.
[15] Dossiers 500-17-087899-152 et 500-12-087669-153.
[16] Pièces D-22 et D-25, p. 3.
[17] Pièces D-16 à D-20.
[18] Pièce D-22.
[19] Pièce D-23.
[20] Pièce D-24.
[21] Pièces P-9 et P-10.
[22] Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4105; plumitifs 500-17-104725-182 et 500-09-029779-212.
[23] Pièce P-12.
[24] Pièces P-11 à P-15.
[25] Pièce D-8, Journal des débats de la commission permanente des institutions, 28 septembre 2017, p. 5.
[26] Pièce D-25.
[27] Pièce P-16.
[28] Pièces D-69, D-70 et D-71.
[29] Préc., note 2.
[30] Règlement sur la discipline des policiers et policières de la Ville de Montréal, RLRQ c. P-13.1,
r 2.02.
[31] Règlement sur la discipline interne des membres de la Sûreté du Québec, RLRQ, c. P-13.1, r 2.01.
[32] Pièce D-73.
[33] R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, par. 38.
[34] Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.
[35] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37 (CanLII), [2009] 2 RCS 567.
[36] Id., par. 98.
[37] Section 3.1.1 du présent jugement.
[38] Pièce P-1, Préambule du Projet de loi 133; section 2 du présent jugement.
[39] Public Service Employee Relations Act (Alb.) (Renvoi relatif à la), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 397.
[40] Id., p. 409, souligné ajouté.
[41] Id., p. 371; Dissident, le juge en chef Dikson avait conclu que « la protection constitutionnelle efficace des intérêts des associations de travailleurs dans le processus de négociation collective requiert la protection concomitante de leur liberté de cesser collectivement de fournir leurs services, sous réserve de l’article premier de la Charte ».
[42] Maude Choko, « L’évolution du dialogue entre le Canada et l’OIT en matière de liberté d’association : vers une protection constitutionnelle du droit de grève ? », (2011) 56-4 Revue de droit de McGill 1113, p. 1119, souligné ajouté; Christian Brunelle et Pierre Verge, « L’inclusion de la liberté syndicale dans la liberté générale d’association : un pari constitutionnel perdu? », (2003) 82 Revue du Barreau canadien 709, p 717; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 SCC 4, par. 51.
[43] Dunmore c. Ontario, 2001 CSC 94.
[44] Dunmore, préc., note 43, par. 14 à 18, soulignés ajoutés; Association de la Police montée de l'Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, par. 43.
[45] Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20; Police montée, id.; Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2; Saskatchewan, préc., note 42.
[46] Saskatchewan, id.
[47] Section 3.3 du présent jugement.
[48] Police montée, préc. note 44, par. 60.
[49] Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, par. 31.
[50] Id.; Police montée, préc., note 44, par. 59 et 60; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, par. 20; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 970; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, p. 753.
[51] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665, par. 42; Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 1055.
[52] Irwin Toy, préc., note 50, p. 971; Baier, préc., note 50, par. 27, 28 et 45.
[53] Baier, préc., note 50, par. 21.
[54] Pourvoi en contrôle judiciaire, 4 juillet 2019, par. 130; Réponse de la défenderesse et de la mise en cause à la demande de pouvoir en contrôle judiciaire, 17 novembre 2021, par. 112.
[55] Baier, préc., note 50.
[56] Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 29.
[57] Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995.
[58] Loi référendaire, L.C. 1992, ch. 30.
[59] Haig, préc., note 57, p. 1035, souligné ajouté; Baier, préc., note 50, par. 20 et ss.
[60] Association des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627; Siemens c. Manitoba, (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 6, notamment.
[61] SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, pp. 583-586; Irwin Toy, préc., note 50, pp. 968-971; Libman, préc., note 49, par. 28.
[62] Ford c. Procureur général du Québec, [1988] 2 R.C.S. 712, 767; Société Radio-Canada c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1996] 3 R.C.S. 480, 496, par. 23; R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, par. 28.
[63] Société Radio-Canada c. Procureur général du Canada, [2011] 1 R.C.S. 19, par. 2.
[64] S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8, par. 32.
[65] R. c. Guignard, 2002 CSC 14, par. 19; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 21.
[66] Guignard, id., par. 20.
[67] Pepsi‑Cola, préc., note 64, par. 33; KMart, préc., note 7; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733, par. 29.
[68] Pepsi‑Cola, id., par. 34.
[69] Alberta, préc., note 67, par. 32.
[70] Id., par. 33; Pepsi‑Cola, préc., note 64, par. 34 et 35.
[71] Libman, préc. note 49, par. 31.
[72] Nathalie Desrosiers, Liberté d’expression, dans Jurisclasseur Québec, coll. Droit public – Droit constitutionnel, fasc. 7, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, nos. 9, 10 et 11.
[73] Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1080.
[74] Christian Brunelle, Mélanie Samson, Les droits et libertés dans le contexte civil, Chap. IV, Collection de droit 2022-2023, Volume 8, Droit public et administratif 2022-2023, p. 55; Irwin Toy, préc., note 50; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique, [2009] 2 R.C.S. 295, par. 27.
[75] Saskatchewan, préc., note 42, par. 58.
[76] Dolphin Delivery, préc., note 61, par. 588; Pepsi-Cola, préc., note 64, par. 30 à 32.
[77] KMart, préc., note 7, par. 30.
[78] Section 3.4.1 du présent jugement.
[79] Section 3.4.6.2 du présent jugement.
[80] Hansman c. Neufeld, 2023 CSC 14, par. 75.
[81] Témoignages d’Yves Francoeur et François Lemay.
[82] Section 3.1.2. du présent jugement.
[83] Dunmore, préc., note 43; Health Services, préc., note 45; Canada (Procureur général) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 6754, 2016 QCCA 163, par. 17.
[84] Police montée, préc., note 44, sous-titre B-1 de l’Analyse VI.
[85] Id., par. 65.
[86] Police montée, préc., note 44, par. 44; Health Services, préc., note 45, par. 89 et 174.
[87] Renvoi relatif à l’Alberta, préc., note 39, p. 368.
[88] Police montée, préc., note 44, par. 93.
[89] Health Services, préc., note 45, par. 91.
[90] Police montée, préc., note 44, par. 67; Health, Canada (Procureur général) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675, 2016 QCCA 163, par. 28.
[91] Meredith, préc., note 45, par. 29.
[92] Christian Brunelle, Mélanie Samson, préc., note 74, p. 63 et 64.
[93] Saskatchewan, préc., note 42, par. 77; Health Services, préc., note 45, par. 90, souligné ajouté.
[94] Id.; Saskatchewan, par. 62.
[95] Dunmore, préc., note 43, par. 14 à 18; Police montée, préc., note 44, par. 43
[96] Health Services, préc., note 45, par. 90.
[97] Id., par. 93.
[98] Code du travail, préc., note 9, art. 4.
[99] Saskatchewan, préc., note 42.
[100] Renvoi relatif à l’Alberta, préc., note 39, p. 380; Saskatchewan, préc., note 42, par. 94.
[101] Préc., note 10.
[102] L’utilisation des noms de famille dans le jugement vise à alléger le texte et non à faire preuve de familiarité ou de prétention.
[103] Témoignages d’Yves Francoeur et François Lemay.
[104] Saskatchewan, préc., note 42, par. 58, références omises.
[105] Réponse de la défenderesse et de la mise en cause à la demande de pouvoir en contrôle judiciaire, 17 novembre 2021, par. 125.
[106] Par. 41 du présent jugement; Saskatchewan, préc., note 42, par. 60.
[107] Par. 37 du présent jugement.
[108] Pièce D-67A.
[109] Témoignage d’Éric Stevens.
[110] United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, p. 916; Saskatchewan, préc., note 42, par. 58.
[111] Témoignages d’Yves Francoeur et François Lemay.
[112] Guignard, préc., note 65, par. 26; KMart, préc., note 7, p. 1103.
[113] Section 3.4.1 du présent jugement.
[114] Témoignages d’Yves Francoeur et François Lemay.
[115] Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33, par. 14.
[116] Témoignage d’Yves Francoeur.
[117] Charte Canadienne, préc., note 5, art. 1.
[118] Charte québécoise, préc., note 6, art. 9.1; par. 68 du présent jugement.
[119] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, par. 69 à 72.
[120] Health Services, préc., note 45, par. 139.
[121] Fraser, préc., note 45, par. 81.
[122] Canada (Procureur général) c. JTI - MacDonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, 2007 CSC 30, par. 43.
[123] Réponse de la défenderesse et de la mise en cause à la demande de pouvoir en contrôle judiciaire, 17 novembre 2021, par. 213 et ss.
[124] Pièce D-9.
[125] Pièce D-16.
[126] Pièces D-17 et D-18.
[127] Pièce D-19.
[128] Pièce D-20.
[129] Pièce D-22.
[130] Pièce D-25.
[131] Pièce D-25, Pierre Gince, « Analyse de presse : Le (mauvais) coup médiatique de la semaine, les policiers », Mesure Média, 26 mai 2017.
[132] Pièce D-27.
[133] Pièce P-13.
[134] Pièce P-2.
[135] Gatineau (Ville de) c. Fraternité des policières et policiers de Gatineau inc., 2007 QCCA 1587.
[136] Montréal (Ville de) et Association des pompiers de Montréal inc. (C.S.E., 1997-07-22), SOQUIJ AZ-97149304, D.T.E. 97T-944; requête en évocation rejetée (C.S., 1998-05-15) 500-05-035077-971, SOQUIJ AZ-98029091, D.T.E. 98T-650; désistement d'appel (C.A., 2002-09-23) 500-09-006715-981 : Le Conseil considère qu’on ne peut conclure que les moyens de pression soient préjudiciables, et que les visites à domicile n'ont pas été compromises par leur habillement différent (jeans et un t-shirt à l'effigie de l'Association des pompiers), notamment.
[137] Corp. d'Urgences-santé de la région de Montréal métropolitain et Rassemblement des employés techniciens-ambulanciers du Québec (C.S.E., 1994-06-06), SOQUIJ AZ-94149305, D.T.E. 94T‑1085 : Le Conseil conclut que certains moyens de pression employés par le syndicat, comme le port des jeans, ne sont pas préjudiciables au public.
[138] Pièce P-5.
[139] Pièce P-6.
[140] Pièce P-7.
[141] Châteauguay (Ville) c. Fraternité des policiers de Châteauguay inc., 2014 QCCRT 693.
[142] Québec (Ville de) c. Fortin, 2010 QCCM 176; Québec (Ville de) c. Bergeron-Guyard, 2016 QCCM 80.
[143] Laval (Ville de) c. Caron, 2016 QCCM 120, par. 18, 34 et 52.
[144] Pièce P-11, p. 13 à 15, 21 à 26.
[145] Id., p. 25, 32 et 42.
[146] Caron, préc., note 143.
[147] Réponse de la défenderesse et de la mise en cause à la demande de pouvoir en contrôle judiciaire, 17 novembre 2021, par. 86.
[148] Caron, préc., note 143, par. 18, 34 et 52.
[149] Rapport intitulé « Impact de l’uniforme policier sur la sécurité publique : commentaire sur le rapport « Officer appearance and perception of police », 18 mai 2022 (Rapport Boivin).
[150] Pièce D-13.2, lettre du 10 janvier 2023.
[151] Rapport et témoignage de l’expert Rylan Simpson.
[152] Pièce P-40, David Weisburd, Alex R. Piquero, “How Well Do Criminologists Explain Crime? Statistical Modeling in Published Studies”, Crime and Justice: An Annual Review of Research, no. 37, University of Chicago, 2008, p. 453-502.
[153] Id., p. 479.
[154] Rapport Boivin, p. 5.
[155] Témoignage de l’expert Rylan Simpson.
[156] Justice Tankebe, “Viewing things differently: The dimensions of public perceptions of police legitimacy”, 2013, Criminology, 51(1), p. 103-135.
[157] Témoignage de l’expert Rémi Boivin.
[158] Rapport Boivin, page 3; Rémi Boivin, Annie Gendron, Camille Faubert, Bruno Poulin, “The malleability of attitudes toward the police: Immediate effects of the viewing of police use of force videos”, (2017), Police Practice and Research, 18(4), 366-375; Rémi Boivin, Annie Gendron, Camille Faubert, Bruno Poulin, “The body-worn camera perspective bias”, (2017), Journal of Experimental Criminology, 13(1), 125-142.
[159] Rapport Boivin, p. 6.
[160] Icek Ajzen, Martin Fishbein, Sophie Lohmann, Dolores Albarracìn, “The influence of attitudes on behavior” (2018), Albarracìn, D. & Johnson, B.T. éditeurs, The handbook of attitudes, 2e edition, New York, Routledge.
[161] Rapport Simpson, p. 8, souligné ajouté.
[162] Avec égards, les études nos. 3, 7, 16 et 18 relevées par l’expert Simpson ne sont pas pertinentes, et en tout état de cause, seraient clairement insuffisantes.
[163] Réponse de la défenderesse et de la mise en cause à la demande de pouvoir en contrôle judiciaire, 17 novembre 2021, par. 209.
[164] Oakes, préc., note 119, par. 69; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 145.
[165] Christian Brunelle, Mélanie Samson, Les limites aux droits et libertés, Chap. V, Collection de droit 2022-2023, Volume 8, Droit public et administratif 2022-2023, p. 95, 101 et 102, références omises.
[166] Christian Brunelle, Mélanie Samson, id. ; Harper, préc., note 115, par. 93 et 98.
[167] Harper, id., par. 25, souligné dans l’original; R. c. Bryan, [2007] 1 R.C.S. 527, 2007 CSC 12, par. 32 et ss.
[168] Section 3.4.1. du présent jugement.
[169] Par. 159, 164, 165, 188, 189, 259 à 264 du présent jugement.
[170] Section 3.4.2 du présent jugement.
[171] Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, 2002 CSC 68, par. 26.
[172] Health Services, préc., note 45, par. 148.
[173] RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, par. 153; Police montée, préc., note 44, par. 143.
[174] Oakes, préc., note 119, p. 139.
[175] Health Services, préc., note 45, par. 148; Police montée, préc., note 44, par. 143.
[176] Police montée, id.; JTI - MacDonald, préc., note 122, par. 40; Health Services, id., par. 149.
[177] Section 3.4.6.3 du présent jugement.
[178] Police montée, préc., note 44, par. 149.
[179] Saskatchewan, préc., note 42, par. 101.
[180] Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc., 2005 CSC 62, par. 94.
[181] R.J.R. – MacDonald, préc., note 173, par. 160.
[182] Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien : définition du mot « substituer », 5e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, version électronique diffusée par le Centre d’Accès à l’Information Juridique (CAIJ).
[183] RJR – MacDonald, préc., note 173, par. 163.
[184] Pièce D-13, Rapport Simpson, No 21.
[185] Témoignage de l’expert Rylan Simpson.
[186] Dictionnaire Le Robert, définition du mot « altérer », dans Le Robert dico en ligne : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/alterer (page consultée en juillet 2023).
[187] Dictionnaire Le Robert, id.; Dictionnaire de droit québécois et canadien, préc., note 182, définitions des mots « altération » et « modification ».
[188] Témoignages des experts Rylan Simpson et Rémi Boivin.
[189] Pièces D-67, D-67.2 et D-68.
[190] Pièce D-14.
[191] Hansman, préc., note 80.
[192] Guignard, préc., note 65, par. 28.
[193] Christian Brunelle, Mélanie Samson, préc., note 165, p. 105 et 106; Hutterian Brethren, préc., note 35, par. 76.
[194] R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, par. 78 et 79; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, par. 122.
[195] Hutterian Brethren, préc., note 35, par. 76 et 77, souligné ajouté; Ville de Montréal c. Astral Media Affichage, 2019 QCCA 1609, par. 63, 147 et ss.; Garbeau c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 5246, par. 480.
[196] Id., par. 149.
[197] K.R.J., préc., note 194, par. 78 et 79.
[198] Sections 1, 3.2.2, 3.2.3 et 3.3 du présent jugement.
[199] Par. 223 à 227 du présent jugement.
[200] Pièce D-25.
[201] Harper, préc., note 115, par. 14.
[202] Pièce D-25.
[203] Section 3.4.4 du présent jugement.
[204] Pièce P-13.
[205] Pièce D-23.
[206] Pièces D-14, D-18, D-25, D-27.
[207] Fraternité des policiers de Châteauguay, préc., note 141, par. 97 et ss.
[208] Pièces D-14 et D-27 (Photo Alain Roberge, Archives La Presse).
[209] Caron, préc., note 143; section 3.4.3 du présent jugement.
[210] Fraternité des policiers de Châteauguay, préc., note 141, par. 97 et ss.
[211] Section 3.4.2 du présent jugement, notamment.
[212] Par. 214 du présent jugement.
[213] Par. 44 du présent jugement; Guignard, préc., note 65, par. 32.
[214] Réponse de la défenderesse et de la mise en cause à la demande de pouvoir en contrôle judiciaire, 17 novembre 2021, par. 271 à 274; Saskatchewan, préc., note 42, par. 103.
[215] Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, p. 715 à 717; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, par. 83.
[216] Ontario, id.
[217] Id.
[218] Id., par. 133.
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