Bisson c. Wang | 2024 QCTAL 4501 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
| ||||||
No dossier : | 672753 31 20230112 G | No demande : | 3763593 | |||
|
| |||||
Date : | 13 février 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Francine Jodoin | |||||
| ||||||
NORMAND BISSON |
| |||||
Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Yayue Wang |
| |||||
Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
| ||||||
D É C I S I O N
| ||||||
[1] Le locataire réclame une diminution de loyer ainsi que des dommages moraux et punitifs. Sa demande contient diverses ordonnances d’exécution en nature qu’il limite lors de l’audience à celles‑ci :
QUESTIONS EN LITIGE
[3] Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer pour le manque de chauffage du 15 novembre 2022 au 1er février 2023?
[4] Le locataire a-t-il droit à une diminution pour la période d’évacuation du logement en février 2023?
[5] La locatrice a-t-elle commis du harcèlement envers le locataire?
[6] Y a-t-il lieu d’émettre les ordonnances d’exécution en nature demandées?
[7] Le locataire a-t-il droit à des dommages moraux et punitifs?
LES FAITS
[8] Le locataire, âgé de 72 ans, habite le logement depuis plusieurs années. Il est actuellement lié par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 764 $.
[9] Le bail prévoit qu’il assume les frais d’électricité mais le chauffage est à la charge de la locatrice. Celui-ci est assuré par une fournaise au gaz qui alimente des calorifères à eau.
[10] Il relate qu’en juillet 2022, l’immeuble a fait l’objet d’un incendie. L’électricité a été coupée pendant quelques jours. Il a aussi été privé d’eau chaude pendant 21 jours.
[11] À l’automne 2022, le système de chauffage n’a pu être mis en opération parce que le système électrique qui alimente la fournaise avait été atteint par l’incendie.
[12] Le 19 novembre 2022, le concierge lui apporte un appareil de chauffage d’appoint. Il s’en procurera deux autres appareils.
[13] Durant la même période, la locatrice entreprend des travaux pour procéder à la conversion du système de chauffage. On lui installe des plinthes électriques et on débranche les calorifères en fonte installés dans son logement.
[14] Il a été privé de chauffage adéquat du mois d’octobre 2022 au mois de février 2023.
[16] Du 4 au 27 février 2023, il est évacué de l’immeuble en raison du gel des tuyaux et absence d’eau.
[17] Il a tenté de transmettre des mises en demeure en octobre et novembre 2022. Seule sa lettre du 26 janvier 2023 a été reçue par la locatrice.
[18] Il ajoute que les travaux pour réparer les murs ouverts pour permettre l’installation des fils électriques ont été retardés par la locatrice. Il a dû lui-même entreprendre certaines réparations pour boucher les trous (29) et refermer les murs. Il a, aussi, eu l’obligation d’enlever les calorifères de fonte de son logement en septembre 2023.
[19] À chaque fois, il a dû balayer et nettoyer après le passage des ouvriers (5 à 6 fois).
[20] À l’heure actuelle, la peinture des murs endommagés n’est toujours pas faite.
[21] Tous ces évènements l’ont épuisé, dit-il. Il ignore la raison qui pousse la locatrice à agir ainsi. Elle n’effectué aucun travaux, ajoute-t-il. Durant la période où le système de chauffage n’était pas fonctionnel, il a dû aller prendre sa douche chez un ami.
[22] Depuis les travaux de conversion du système de chauffage, le bail n’a pas été modifié de sorte qu’il assume des frais supplémentaires d’électricité pour le chauffage. Il a pris entente avec la locatrice à l’effet de déduire les coûts excédentaires.
[23] Il ajoute avoir des coquerelles à son logement depuis septembre 2022, dans toutes les pièces. La locatrice a fait venir l’exterminateur quelques fois en 2022 puis il a préféré acheter lui-même les produits d’extermination n’étant pas satisfait des interventions faites. Il fait des traitements par intervalle de 21 jours et la situation est maintenant meilleure même s’il ne peut affirmer qu’elle est résolue.
[24] Il soutient ne pas avoir refusé l’accès à son logement mais avoir exigé d’obtenir des informations quand la locatrice a voulu entamer les travaux de conversion du système de chauffage. Cela a pu retarder le début des travaux d’environ une semaine.
[25] Monsieur Claude Roy est le concierge de l’immeuble. En juillet 2022, il est réveillé par un incendie qui a lieu dans l’immeuble. Aussitôt, l’électricité et le gaz sont coupés.
[26] L’incendie a débuté au sous-sol et les fils électriques ont été endommagés. Les locataires affectés par la fumée ont été évacués.
[27] L’électricité a été rétablie le lendemain. Comme l’eau chaude est alimentée à l’électricité et au gaz cela a pris quelques jours de plus. Les locataires en ont été privés environ 5 à 10 jours.
[28] Dans les semaines et mois qui ont suivi, il y a eu interventions des experts en sinistre de l’assureur. Il fallait rétablir le gaz mais ils ont exigé plusieurs tests pour assurer l’étanchéité des conduites. Ensuite, le panneau électrique a dû être changé vu les dommages aux contrôles de la fournaise. Nous étions, alors, à la fin octobre ou début novembre 2022.
[29] Il a acheté une chaufferette portative qui a été installée chez les locataires en novembre 2022. Ceux-ci disaient en avoir déjà deux.
[30] La locatrice a pris la décision de convertir le système de chauffage et il a fallu augmenter la capacité électrique de l’immeuble ce qui a retardé le rétablissement du chauffage central.
[31] Les locataires étaient impatients et il leur a donné le « planning » de l’entrepreneur mais cela a pu changer à la dernière minute.
[32] Ensuite, les locataires se sont plaints du bruit et voulaient avoir des garanties quant à la compétence des électriciens qui venaient chez eux. Ensuite, ils voulaient être présents lors des accès et la conciliation des horaires a été compliquée.
[33] Les travaux ont été faits en décembre 2022. Il fallait retirer les vieux calorifères en fonte, boucher les trous et peindre. Les murs démolis contenaient de l’amiante et il a fallu décontaminer.
[34] Le 4 ou 5 février 2023, les tuyaux ont gelé et il n’y avait plus d’eau chaude.
[35] Depuis plusieurs années, il y a un problème de coquerelles et de souris dans l’immeuble des locataires. L’exterminateur venait 2 ou 3 fois par an.
[36] Le locataire s’est plaint de l’inefficacité de la firme d’extermination et a choisi de faire lui-même les traitements d’extermination.
[37] Actuellement, il n’a aucune plainte des locataires à ce sujet.
[38] Il reconnait que les appartements vides n’ont pas été chauffés dont celui voisin de monsieur Lekman.
[39] La locatrice soutient qu’elle ne parle pratiquement pas aux locataires en raison de leur refus ou barrière des langues.
[40] Ceux-ci, dit-elle, ont retardé d’une semaine le travail de l’électricien.
[41] Elle a accepté de rembourser les locataires pour les frais d’électricité supplémentaires qu’ils ont dû assumer.
[42] Elle soutient que 2 ou 3 jours après l’incendie, l’assureur a installé un réservoir à eau chaude pour les locataires. L’électricité a été rétablie entre 5 et 10 jours après l’incendie car elle a eu des difficultés à trouver un ouvrier.
[43] Quant au chauffage, elle avait espoir de pouvoir rétablir l’alimentation au gaz mais comme l’assureur ne permettait pas de toucher aux installations avant que l’enquête et une inspection soient complétées, elle a décidé, éventuellement, de convertir le système à l’électricité. Les travaux ont été exécutés à la fin octobre ou début novembre 2022.
[44] Il y a eu plusieurs démarches pour remettre en fonction le chauffage. Ensuite, il a fallu attendre Hydro-Québec pour la connexion.
[45] Elle a toujours avisé les locataires au moins 48 heures à l’avance pour la venue des ouvriers mais il arrivait que les plans changent.
[46] Les locataires ont refusé les travaux et exigeaient une diminution de loyer.
[47] En mars 2023, les locataires ont pu déduire les coûts d’électricité excédentaires. En septembre 2023, ils ont cessé de procéder de cette façon.
[48] Le concierge a appelé les locataires deux ou trois fois pour aller boucher les trous mais ils ne répondaient pas. Ensuite, ils ont décidé de le faire eux-mêmes.
[49] Pour les coquerelles, elle est sous contrat avec une firme d’extermination mais les locataires refusaient le traitement.
[50] Le locataire déclare renoncer à la diminution du loyer en lien avec les frais d’électricité excédentaires assumés pour le passé mais la demande à compter du mois suivant la décision à intervenir.
ANALYSE
[52] Les travaux entrepris liés à la transformation du système de chauffage ne peuvent, en principe, avoir pour effet de modifier les conditions du bail, sauf, évidemment, si une entente intervient ou qu’une demande formelle, à cet effet, est entreprise par la locatrice.
[53] Dans l’intervalle, si le locataire paie l'électricité alors que le chauffage est à la charge de la locatrice, celle-ci doit dédommager le locataire du trop payé[1]. C’est d’ailleurs, ce qu’elle a fait en remboursant le locataire des coûts d’électricité excédentaires assumés par le locataire pour une période concurrente. Il va de soi que l'imposition d'un tel système électrique, alors que les coûts de chauffage sont à la charge de la locatrice, impose un ajustement des coûts supplémentaires d'électricité que devra assumer le locataire.
[54] Cette réclamation devrait normalement être traitée comme une réclamation en dommages-intérêts fondés sur la valeur des coûts excédentaires assumés par le locataire. Il ne s'agit pas, en effet, d’un trouble de jouissance au sens strict du terme qui donne généralement lieu à une diminution de loyer. On peut, toutefois, assimiler cette situation à une perte de valeur locative fondée sur le manquement de la locatrice d’assumer la charge des frais reliés au chauffage.
[55] La nuance peut être importante puisque le dommage vise à indemniser intégralement le locataire des coûts supplémentaires qui découlent du manquement de la locatrice d’assumer les frais de chauffage alors que la diminution de loyer vaudrait, également, pour l'avenir et tant et aussi longtemps qu'il n'y aurait pas redressement de ce manquement.
[56] L’octroi d’une diminution de loyer empêche, toutefois, le locataire de rechercher une compensation intégrale pour les coûts de chauffage qui peuvent évidemment varier d'une année à l'autre.
[57] Le locataire ayant choisi de procéder par voie de diminution de loyer, il convient d’évaluer la valeur de la perte locative attribuable aux conséquences des travaux effectués au système électrique puisque, selon le bail, les frais du chauffage doivent être assumés par la locatrice.
[58] La réduction de loyer en découlant vaudra jusqu'à ce qu'un Tribunal statue définitivement sur une modification des conditions du bail sur ce point en transférant légalement la responsabilité du chauffage au locataire.
[59] En principe, si la locatrice veut intégrer les coûts du chauffage dans le loyer du locataire, elle doit procéder par modification des conditions du bail. Dans ce cas, le Tribunal procède à évaluer la valeur relative de la modification (article 1952 du Code civil du Québec) en tenant compte d’un pourcentage et de la valeur du loyer.
[60] Les pourcentages retenus par les greffiers spéciaux[2] sont établis suivant un algorithme ou pondération des coûts d'énergie des locaux résidentiels découlant de données statistiques utilisés par le Tribunal administratif du logement pour établir une répartition des coûts mensuels suivant la nature du combustible utilisé et son utilisation.
[61] Il s'agit d'une moyenne représentant la répartition de l'électricité selon l'usage. Or, selon cet algorithme, le chauffage du logement, lorsqu’il est assuré par un système à l’électricité, représente 60 % du coût de l’électricité consommée (excluant eau chaude, électricité du logement et des espaces communs).
[62] Comme il ne s’agit pas d’une réclamation en dommages, auquel cas, le Tribunal devrait quantifier la dépense supplémentaire encourue, la diminution de loyer est évaluée en considérant une moyenne des coûts supplémentaires encourus en tenant compte de l’ensemble des facteurs qui peuvent influer la consommation en électricité. Il s’agit d’un exercice qui est, nécessairement, imparfait mais qui a l’avantage de ne pas obliger le locataire à devoir introduire un nouveau recours en dommages pour chaque année, et ce, tant qu’une modification aux conditions du bail n’est pas demandée.
[63] Sur cette question, le Tribunal ne dispose que d’une preuve incomplète sur les coûts d’électricité pour le chauffage qui auraient été assumés par le locataire via le système électrique. Il faut également considérer que de nombreux facteurs peuvent influer sur la consommation d'électricité (variation de température d'une année à l'autre, état du logement, habitudes de vie des occupants, etc.). Le Tribunal ne peut donc se limiter à retenir les factures pour une année donnée.
[64] Au surplus, la preuve révèle que le locataire a utilisé des chauffages d’appoint durant l’hiver 2022-2023 ce qui peut fausser la valeur réelle des coûts de chauffage encourus en lien avec le nouveau système de chauffage à l’électricité.
[65] Le Tribunal a autorisé le locataire à produire au dossier ses factures d’électricité pour les mois d’octobre 2023 à janvier 2024, comme le permet l’article 37 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[3]. Aucun document a été acheminé au dossier du Tribunal.
[66] Ainsi, le Tribunal ne bénéficie pas de deux années complètes de comparaison. Cela est mince pour établir une valeur réelle moyenne des coûts électriques excédentaires, et ce, d’autant plus qu’il faut départager ce qui est relié au chauffage de l’électricité en général.
[67] Selon les calculs effectués et en comparant les factures d'électricité disponibles avant et après la modification[4], nous constatons qu’il a assumé pour une période similaire, une variation à la hausse de 573,72 $, ce qui représente 47,81 $ mensuellement, réparti sur 12 mois.
[68] Suivant la répartition retenue par l’algorithme (60 %) utilisé par le Tribunal pour repartir les frais d’énergie, selon les usages (chauffage, eau chaude, électricité, etc.), un montant de 29 $ par mois pourrait être alloué au chauffage. Le Tribunal ne dispose pas, cependant, d’élément suffisant pour établir une moyenne qui tienne compte des facteurs ayant pu influer sur la consommation en électricité du locataire.
[69] Il est difficile de procéder, uniquement, de façon purement mathématique[5], à l'évaluation de la variation des coûts supplémentaires engendrés par les travaux de conversion du système de chauffage. De cette somme, il faut aussi considérer que le locataire a utilisé des appareils de chauffage d’appoint.
[70] Aussi, le Tribunal arrondira cette réclamation à 25 $ par mois, à compter du mois suivant la date de la présente décision[6] , en l'absence de preuve plus complète et pour tenir compte des fluctuations reliées à d'autres facteurs qui pourraient ne pas être liés au nouveau système de chauffage.
[71] Cette diminution vaudra tant et aussi longtemps que le bail ne sera pas modifié pour tenir compte de cette charge supplémentaire pour le locataire.
Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer pour le manque de chauffage?
[72] Cette demande concerne la période du 15 novembre 2022 au 1er février 2023 au cours de laquelle le locataire soutient avoir eu froid dans son logement malgré l’utilisation de deux chauffages d’appoint.
[73] En matière de chauffage, le Règlement sur la salubrité, l'entretien et la sécurité des logements[7] de la Ville de Montréal impose au propriétaire l'obligation de détenir un système de chauffage permanent qui permet d'assurer une température minimale de 21°C.
Toutefois, durant les températures très froides de l'hiver, il peut arriver que la température d'un logement baisse de quelques degrés alors que le système de chauffage peut éprouver des difficultés à maintenir la température requise. Cette situation doit être de courte durée et ne peut atteindre un seuil déraisonnable[8].
[74] Dans la décision Lavigueur c. Gervais[9], on énonce :
« Le Code civil du Québec, le règlement de la Ville de Montréal 94-075 et le Code du bâtiment n'imposent pas un degré précis pour la température d'un logement à un moment précis. L'obligation du locateur est de garantir que le logement peut servir à l'usage pour lequel il est loué. Cette garantie existe en toute saison. Il s'agit pour le locateur de maintenir une température raisonnable dans le logement. Selon les standards dégagés des divers règlements au Québec, cette température se situe entre 20° et 21° Celsius, soit environ 70° à 72° Fahrenheit. »
[Notre soulignement]
[75] Certes, la locatrice a contrevenu à la réglementation municipale en ne disposant pas jusqu’au mois de février 2023 d’un système de chauffage permanent. Toutefois, le Tribunal ne dispose ici que de peu d'éléments pour établir que la température dans le logement du locataire n'a pas été maintenue à une température acceptable par le biais des chauffages d’appoints dont il disposait. Pour que les mesures de température soient probantes, le locataire doit démontrer avoir fait l'exercice au centre de la pièce et le Tribunal doit disposer de plus que quelques mesures pour être en mesure de conclure en faveur du locataire.
[76] Dans tous les cas, ces mesures doivent être prouvées et leurs dates établies.
[77] Comme le souligne la juge administrative Linda Boucher dans l'affaire Lajoie c. Shakar[10] :
« [79] Aussi, un locataire peut avoir l'impression que son logement est inadéquatement chauffé alors que son locateur remplit son obligation. En effet, la perception de la sensation de froid peut être hautement subjective dépendamment de la tolérance de chacun.
[80] De fait, au cœur de l'hiver une température ambiante de 21 degrés peut sembler froide à une personne frileuse ou sédentaire ou qui n'est pas suffisamment vêtue.
[81] C'est pourquoi, afin de déterminer si la locatrice a rempli son obligation en matière de chauffage, le Tribunal doit pouvoir compter sur des relevés de la température en quantité significative, prise à 3 pieds au-dessus du sol et au centre de la pièce, ainsi que de la température extérieure au même moment. »
[Notre soulignement]
[78] Dans les circonstances, la preuve soumise n'a pas convaincu le Tribunal que la température du logement du locataire ait été déficiente durant la période du 15 novembre 2022 au 1er février 2023. Le Tribunal ne dispose d’aucune preuve de mesures de température. Le Tribunal n'a aucune date, ni mesure de température extérieure simultanée. Cela est nettement insuffisant pour démontrer une situation suffisamment grave pour justifier la diminution du loyer ou des dommages.
[79] Cette réclamation du locataire est rejetée.
Le locataire a-t-il droit à une diminution pour la période d’évacuation du logement en février 2023 et pour l’absence de remise en état du logement?
[80] Le logement ayant été déclaré impropre à l’habitation par une autorité compétente[11], il y a lieu de dispenser le locataire du paiement du loyer de février 2023, soit 764 $.
[81] Quant aux travaux de remise en état du logement, le locataire a choisi de les exécuter lui-même sauf pour la peinture qui reste à faire. Il s’agit là d’un préjudice essentiellement esthétique qui ne justifie pas la diminution du loyer.
La locatrice a-t-elle commis du harcèlement envers le locataire?
[82] L’article 1902 du Code civil du Québec prévoit :
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[83] Dans son article intitulé, « Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec », l'auteur Pierre Pratte définit le harcèlement comme suit :
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement. »[12]
[84] Il ajoute ce qui suit :
« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement ; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire. »[13]
[Notre soulignement]
[85] À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire[14].
[86] Le locataire invoque le défaut de la locatrice de procéder aux réparations nécessaires au logement comme constitutif d’actes de harcèlement. Le Tribunal ne peut se ranger à cet argument.
[87] En effet, même si la preuve offerte illustre de longs délais avant de pourvoir le logement d’un système de chauffage adéquat et fonctionnel à la suite de l’incendie survenu cela est dû aux enquêtes, inspections et gestion du contrat d’assurance de la locatrice. Quant aux travaux de remise en état du logement après la conversion du système de chauffage, le Tribunal n’y voit pas d’intention malveillante de la part de la locatrice, ni d’un refus pur et simple de les exécuter.
Y a-t-il lieu d’émettre les ordonnances d’exécution en nature demandées?
Présence de coquerelles
[89] Sur ce point, la preuve révèle qu’il n’y a pas de refus de la locatrice d’effectuer les traitements d’extermination requis dans le logement du locataire, mais plutôt un choix du locataire de le faire lui‑même.
[90] La preuve soumise ne permet pas d’établir que les traitements entrepris ont été incomplets ou mal exécutés. Le locataire ne peut entreprendre lui-même de tels traitements et ensuite, se plaindre du fait que la locatrice n’exécute pas son obligation.
[91] Aussi, le Tribunal n’émettra pas l’ordonnance demandée en l’absence de preuve d’un manquement de la locatrice mais recommande à celle-ci d’entreprendre, sans délai, les traitements requis dans le logement du locataire en vue d’éliminer la présence de coquerelles.
Travaux de finition
[92] La locatrice a une obligation de remise en état du logement, une fois les travaux de conversion du système de chauffage exécuté. La preuve révèle qu’il demeure à peindre les murs endommagés par le filage électrique installé pour le nouveau système de chauffage.
[93] Il y a lieu d’émettre l’ordonnance demandée.
Harcèlement
[94] Le harcèlement n’ayant pas été prouvé, aucune ordonnance n’est justifiée en l’instance.
Le locataire a-t-il droit à des dommages moraux et punitifs?
[95] Quant aux dommages punitifs associés au harcèlement, cette demande est rejetée.
[96] Pour les dommages moraux, le Tribunal alloue un montant de 1 000 $ pour l’ensemble des troubles et inconvénients associés aux travaux subis pour l’installation du nouveau système de chauffage, les délais encourus et l’absence de finition ou remise en état du logement en plus de l’évacuation durant le mois de février 2023 en raison du bris des tuyaux de plomberie.
[97] La défense de la locatrice voulant que le locataire ait refusé l’accès au logement ou son manque de collaboration n’est pas retenue. En effet, la preuve révèle tout au plus un seul évènement ayant pu retarder l’exécution des travaux d’électricité au logement, et ce, pour quelques jours seulement. Cela ne peut justifier les délais encourus avant qu’un système de chauffage permanent ne soit installé à la suite de l’incendie survenu.
[98] L’intensité de l’obligation assumée par la locatrice envers le locataire ne lui permet pas d’invoquer sa diligence raisonnable dans l’exécution des travaux, ni les délais qui relèvent de la gestion de son contrat d’assurance[15].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[99] ORDONNE à la locatrice d’exécuter, dans les 30 jours de la présente décision, les travaux de réparations et de peinture des murs endommagés lors de l’installation du nouveau système de chauffage;
[100] RECOMMANDE à la locatrice d’effectuer, sans délai, les travaux d’extermination requis afin d’éliminer la présence de coquerelles au logement;
[101] DIMINUE le loyer d’un montant mensuel de 25 $ à compter du 1er jour du mois suivant la présente décision, et ce, jusqu’à ce qu’une modification des conditions du bail soit accordée à l’égard des frais de chauffage ou qu’une entente finale intervienne entre les parties;
[102] DIMINUE le loyer du mois de février 2023, en raison de l’évacuation du locataire, pour un montant de 764 $ et CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la diminution ainsi accordée;
[103] CONDAMNE la locatrice à payer au locataire des dommages-intérêts pour un montant de 1 000 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 20 juin 2023 (date de l’amendement), plus les frais de justice de 107 $;
[104] REJETTE la demande quant au surplus.
|
| ||
|
Francine Jodoin | ||
| |||
Présence(s) : | le locataire Me Jean Olivier Berthiaume, avocat du locataire la locatrice Me Ayman El Bahri, avocat de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 12 décembre 2023 | ||
| |||
| |||
[1] Joseph c. 7603100 Canada inc.,
[2] YK Realties Inc. c. Dupuis,
[3] RLRQ c. T-15.01, r. 5.
[4] Périodes comparées : 12 novembre 2021 au 11 mars 2022 et 11 novembre 2022 au 13 mars 2023.
[5] Voir Lafleur c. Thiffault,
[6] Selon la précision apportée par le locataire à l’audience.
[8] Hébert c. Fiducie Stéphanie Bellemare-Caron, R.L. 31-021018-092G, 2 avril 2008.
[9] Lavigueur c. Gervais, 31-040330-125G (R.D.L.), 1er mars 2005.
[10] Lajoie c. Shakar,
[11] Article 1913 C.c.Q. Le Règlement sur la salubrité, sécurité et entretien des logements donne un pouvoir d’évacuation à l'inspecteur de la ville qui est considéré comme une autorité compétente au sens de ce règlement, Codification administrative 03-396.
[12] (1996) 56 R. du B. 3, à la page 6.
[13] Op. cit., p. 3.
[14] D. Lamy, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, 2004, Éditions Wilson et Lafleur Ltée (Les), p. 206 à 208.
[15] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages, Crépeau, Paul-André, L'intensité de l'obligation juridique ou des obligations de diligence, de résultat et de garantie, Montréal, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec; Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, page 11.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.