Décision

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Salvaille c. 6968368 Canada ltée

2022 QCTAL 26023

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

No dossier :

577569 37 20210628 T

No demande :

3430872

 

 

Date :

15 septembre 2022

Devant le juge administratif :

Robin-Martial Guay

 

Jean Salvaille

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

6968368 Canada Ltée.

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locataire demande la rétractation d'une décision rendue le 14 décembre 2021 à la suite d’une audience qui s’est tenue le 26 août 2021 et à laquelle le locataire était présent.

[2]         La demande de rétractation vise une décision dont le dispositif accueille la demande du locateur en résiliation de bail au motif que le locataire paie le loyer fréquemment en retard; causant un préjudice sérieux au locateur.

[3]         Le locataire déclare avoir pris connaissance de la décision qu’en date du 27 décembre 2021, bien qu’il admette l'avoir reçue le ou vers le 22 décembre 2021.

[4]         La demande de rétractation du locataire a été déposée le 7 janvier 2022, puis amendée le 11 janvier 2022.

[5]         C’est là dire que la demande a été déposée dans le délai de dix jours la connaissance de cette décision.

[6]         La demande du locataire se fonde sur l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement qui édicte ce qui suit :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.

La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »


[7]         À l’audience, le locataire réitère les motifs sur lesquels il fonde sa demande en rétractation, à savoir que :

1-        « Madame la juge Mailfait a indiqué qu’elle se désistait de cette cause lors de l’audition du 26 août 2021. Madame Drapeau du Tribunal administratif du logement et son superviseur ont consulté le procèsverbal des deux dernières minutes. Et ils ont confirmé ce désistement. »

2-        « Une entente synallagmatique entre les deux mêmes parties fut ENTÉRINÉE ET HOMOLOGUÉE par l’honorable MARC. C. FOREST le 17 novembre 2021 (Soit 27 jours plus tôt). En plus, il y a deux autres motifs. (VOIR ANNEXE A). »

3-        « Puisque la juge Anne Mailfait s’était désistée officiellement de cette cause, celleci n’aurait pas dû rendre la décision du 14 décembre 2021. » [Reproduit tel quel]

[8]         Pour sa part, le locateur s'oppose à la demande de rétractation de la décision rendue le 14 décembre 2021 qu'il considère sans fondement puisque le locataire était présent lors de l’audience du 26 août 2021 et qu’il a pu amplement s’exprimer et faire valoir auprès de la juge administrative qui présidait l’audience, Me Anne Mailfait, ses moyens de défense à l’encontre de la demande en résiliation de bail pour retards fréquents dans le paiement du loyer causant un préjudice sérieux.

[9]         De plus, le locateur qui dit craindre que le locataire ne dépose une autre demande en rétractation devant le Tribunal administratif du logement sitôt rendue la présente décision pour éviter l’exécution de la décision du 14 décembre 2021.

[10]     Jugeant la demande rétractation comme une manœuvre du locataire pour gagner du temps et empêcher l’exécution de la décision du 14 décembre 2021, le locateur a requis du Tribunal non seulement qu’il rejette la demande de rétractation, mais aussi qu’il prononce une interdiction au locataire de produire toute autre demande dans le présent dossier conformément à l'article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1] qui édicte ce qi suit :

« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »

Preuve et analyse

[11]     À l’audience, le locataire assure que durant les deux dernières minutes de la bande originale de l’audience du 26 août 2021, la juge Anne Mailfait annonce qu’elle se désiste.

[12]     Invité à faire la démonstration que la juge Mailfait se serait désistée de l’affaire lors de l’audience du 26 août 2021, le locataire s’appuie sur ce qu’il croit avoir personnellement à peu près entendu de la juge.

[13]     Aussi, le locataire assure que sa prétention voulant que la juge administrative se serait désistée de l’affaire a été vérifiée et corroborée par une employée du Tribunal qui, après vérification, lui aurait confirmé la chose. Autant dire que cette prétention du locataire n’est pas étayée par la preuve. Qui plus est, il s’agit là d’une preuve par ouï-dire; cette employée à laquelle le locataire réfère n’ayant pas été assignée à venir témoigner à l’audience.

[14]     En corolaire, le locataire assure que le dépôt de preuves graphiques démontre qu’il y a eu changement sur le procèsverbal signé par la juge Mailfait. La section désistement fut remplacée par cause prise en délibéré. Selon des experts en numérisation, il y aurait eu manipulation graphique évidente, prouvée par agrandissements en haute résolution. (Pièce L1)


[15]     Invité à faire témoigner l’expert pour étayer sa prétention d’une « manipulation graphique évidente » selon un expert en numérisation ayant procédé à des agrandissements en haute résolution du procèsverbal du 26 août 2021, le locataire annonce qu’il est sans expert assigné pour témoigner de la chose.

[16]     Qu’à cela ne tienne l’écoute de l’enregistrement de l’audience qui s’est tenue le 26 août 2021 devant la juge administrative Anne Mailfait, que le locateur a obtenu du Tribunal, (Pièce P1), ne révèle pas que la juge Mailfait se soit désistée de l’affaire comme le prétend le locataire, mais bien au contraire que le dossier ait été pris en délibéré par la juge administrative au terme de la preuve administrée à l’audience.

[17]     Et la juge administrative Mailfait de déclarer à la fin de cette audience :

« Je vais devoir statuer sur les retards fréquents…

Le dossier est clos…

I will decide about your demand…you will be receiving the decision by mail…

I will decide if I cancelled the lease or if I order to pay the rent first day of the month…

It’s enough, you will be receiving the decision by the mail. »

[18]     De plus, cette réalité annoncée par la juge administrative à la fin de l’audience du 26 août 2021 s’en trouve confirmée au seul examen du procèsverbal de l’audience du 26 août 2021 lequel fait état de ce que la juge Mailfait a pris l’affaire en délibéré, d’où la décision rendue le 14 décembre 2021.

[19]     Le Tribunal ne retient donc pas, comme motif justifiant la rétractation de la décision attaquée, la prétention non démontrée du locataire comme quoi la juge administrative qui a signé la décision le 14 décembre 2021 s’était officiellement désistée de l’affaire lors de l’audience du 26 août 2021.

[20]     Quant au motif de rétractation à l’effet qu’une entente synallagmatique intervenue entre les deux mêmes parties lors d’une audience le 3 novembre 2021, entente qui fut entérinée et homologuée par le juge Marc C. Forest le 17 novembre 2021(Pièce P2), soit 27 jours avant la décision du 14 décembre 2021, puisque celleci contient une clause de quittance qui est opposable à la demande originaire du locateur et, incidemment, au dispositif de la décision du 14 décembre 2021. Ce motif n’est pas retenu par le Tribunal et pour cause.

[21]     D’une part, cette clause de quittance, qui est certes contenue dans une entente liant les parties, dispose de demandes introduites par chacune des parties sans désignation aucune de la demande du locateur en résiliation de bail pour retards fréquents qui était alors pendante lors de la signature de cette entente qui désigne des dossiers qui sont complètement étrangers à celui du locateur en résiliation pour retards fréquents.

[22]     Le fait que la quittance contenue dans l’entente ne vise pas la demande du locateur en résiliation pour retards fréquents dans le paiement du loyer qui est à l’origine de la décision attaquée qui est visée par la présente demande en rétractation, soit celle de la juge Mailfait du 14 décembre 2021, nous semble fortement confirmé lorsque l’on peut lire à la décision qui entérine cette entente le 17 novembre 2021 et dont le texte que voici :

« [3] À l’audience, les parties se sont entendues pour régler leur litige et mettre fin aux dossiers qui les opposent devant le Tribunal administratif du logement. Cette entente équivaut à une transaction et quittance selon l’article 2633 du Code civil du Québec.

[4] L’original de cette entente est déposé au dossier du tribunal et reproduit ci-après tel que formulé par les parties :

« 1. The lessor accepted to make the following necessary repairs to the dwelling in relation to the Mdd allegation :

- complete inspection of the dwelling in order to find the sources of the contamination and established a protocol of decontamination in the dwelling;

- Demolition &/or cleaning of the contaminated surfaces in the dwelling following the protocol of the experts;

- refection of the affected areas in the dwelling following the protocol;

The repairs, works and interventions will be made by qualified and formed experts in Mdd decontamination and made following the rules of art;

At all time the professionals will be mandated solely by the landlord;


2. Upon reception of a prior notice of at least one (1) week, the lessor must vacate the dwelling at all times during the repairs;

3. The dwelling will be prepared in accordance for the work by the tenant before he vacates;

4. The indemnity due to the lessee by the lessor in reason of temporary vacation will be fixed to 100 $ a day;

5. An indemnity equivalante to (7) days or 700 $ will be payable on the date of the departure (vacation) by the lessor;

6. Both parties agree to pay the rent by E-transfer on the 1rst of the month to [...]@gmail.com.

7. At all time the lesse will allow the lessor to have access to the dwelling upon prior notice; given in accordance with the law;

8. In consideration of the respect of the present agreement, both parties agree to settle the file & give each other full & final mutual discharge for any claim; action or recourse, past, present or future, in relation to the present litigation, allegations of harassment, mold, undone work, & access to the dwelling, &/or of the lease at [...], #6, Longueuil, [...] » (sic)

[5] Les parties demandent au Tribunal d’entériner cette entente et de la rendre exécutoire.

[6] Le Tribunal s’est assuré que les parties ont compris les conséquences de cette entente et qu’ils ont librement et volontairement accepté de la signer.

[7] Les parties demandent également que le Tribunal prononce une ordonnance d’accès au logement pour des travaux. »

[23]     Le Tribunal constate, à l’examen de la décision du 17 novembre 2021 qui entérine une entente intervenue le 3 novembre 2021, que chaque partie était représentée par avocat lors de l’audience du 3 novembre 2021.

[24]     Pour l’occasion, les parties ont signé une entente portant règlement de la demande de chacune parties. Il s’agissait des dossiers 571989 37 20210520 A (demande : 3253953) et 578057 37 20210705 G (demande : 3285543).

[25]     Or, la lecture de la clause de quittance stipulée au paragraphe 8 de l’entente du 3 novembre 2021 oblige le Tribunal à constater qu’elle est «  in relation to the present litigation, allegations of harassment, mold, undone work, & access to the dwelling, &/or of the lease ». (Notre surlignement)

[26]     Dire que le texte de cette quittance s’étend, s’applique et est opposable à un autre dossier, à savoir la demande en résiliation de bail pour retards fréquents dont l’affaire était pendante au moment de la signature de cette quittance, ne tient pas puisqu’elle ne lie pas le dossier en résiliation pour retards fréquents qui lui est complétement étranger faut-il rappeler.

[27]     Et si tant est que cette quittance devait aussi s’appliquer à la demande du locateur en résiliation de bail, autant dire que le locataire et son avocat n’ont pas requis que l’entente signée le 3 novembre 2021 inclue clairement la désignation de cette demande sur le document, surtout que la juge s’était désistée de cette affaire le 26 août 2021 et qu’elle était pendante lors de la signature de l’entente du 3 novembre 2021.

[28]     Et, si pour quelque raison que ce soit, le locataire ou son avocat n’a pas insisté pour que l’entente du 3 novembre 2021 dispose aussi de la demande en résiliation de bail pour retards fréquents, on ne peut que s’étonner qu’il n’ait pas requis une demande de réouverture d’enquête sitôt l’entente signée le 3 novembre 2021 afin que la juge Mailfait soit informée, pendant son délibéré à partir de cette date, de ce qu’une entente comprenant une quittance qui disposait de la demande instruite devant elle avait été conclue.

[29]     Cette analyse oblige le Tribunal à conclure que cet autre motif allégué par le locataire au soutien de sa demande en rétractation ne constitue pas un motif de rétractation prévu à l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[30]     Somme toute, le Tribunal juge qu’en l’espèce le locataire n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, un motif suffisant justifiant la rétractation de la décision rendue le 14 décembre 2021.

[31]     Quant à la demande du locateur pour que soit rendue une ordonnance contre le locataire en vertu de l'article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, il vaut de souligner que dans l'affaire Structures métropolitaines (SMI) inc. c. Cour du Québec du district judiciaire de Montréal[2], la Cour Supérieure énonce que :


« [20] La limitation procédurale prévue à l'article 63.2 de la Loi sur la Régie du logement (5) (« LRL ») a comme objectif d'empêcher une partie d'utiliser un subterfuge visant à retarder indument l'exécution d'une décision rendue par l'un des juges administratifs de la Régie. »

[32]     En l'espèce, le Tribunal juge que la preuve prépondérante démontre que le locataire utilise de façon abusive le présent recours en rétractation dans le seul but d'empêcher l'exécution de la décision du 14 décembre 2021 et qu'il y a lieu de faire droit à la demande du locateur fondé sur l'article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[33]     En effet, le Tribunal juge la que la preuve est suffisante pour accueillir une demande de cette nature lorsque l’on sait tous les efforts qui ont été déployés par le locataire depuis le 14 décembre 2021 pour éviter l’exécution de cette décision, mais aussi, croyons-nous, le caractère futile des motifs allégués au soutien de sa demande en rétractation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]     REJETTE la demande en rétractation du locataire qui en assume les frais;

[35]     MAINTIENT la décision rendue le 14 décembre 2021;

[36]     ORDONNE l'exécution provisoire immédiate de la présente décision malgré l'appel;

[37]     ACCUEILLE la demande du locateur fondée sur l'article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement;

[38]     INTERDIT au locataire d’introduire toute autre demande de rétractation dans le présent dossier, sauf sur permission du président du Tribunal administratif du logement ou toute autre personne que ce dernier pourra désigner.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

le locataire

mandataire du locateur

Dates des audiences :

28 février 2022

6 septembre 2022

 

 

 


 


[1]  RLRQ, c. T-15-01.

[2]  2019 QCCS 5368.

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