Groupe R3 inc. c. Mazouz | 2025 QCTAL 6738 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 765942 31 20240215 G | No demande : | 4208562 |
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Date : | 24 février 2025 |
Devant le juge administratif : | Aurélie Lompré |
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Groupe R3 Inc | |
Locatrice - Partie demanderesse |
c. |
Rachid Mazouz | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Une demande a été déposée le 15 février 2024, demandant au Tribunal administratif du logement (ci-après « Tribunal ») la résiliation du bail, l’expulsion du locataire et des autres occupants du logement, la condamnation du locataire au paiement des frais et l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
- À l’audience, le 22 novembre 2024, la locatrice s’est désistée de l’amendement produit le 29 octobre 2024.
Faits
- Le Tribunal a pris note de l’ensemble de la preuve administrée devant lui. Toutefois, il sera uniquement fait mention dans la présente des éléments de preuve pertinents qui ont été retenus par le Tribunal pour fonder celle-ci.
- Les parties sont liées par un bail reconduit jusqu’au 30 juin 2025 au loyer de 925 $.
Témoignage de Justine Beaulé
- Elle est la gestionnaire de la locatrice.
- Fin septembre 2023, elle s’est rendue dans le logement concerné après que le locataire l’ait avisée de la présence de souris.
- Lors de cette visite dans le logement, elle constate la présence de punaises de lit et que du répulsif a été épandu, ajoutant que le locataire ne l’a jamais informée de la présence de punaises de lit.
- Le 2 octobre 2023, elle avise le locataire qu’un traitement pour exterminer les punaises de lit aura lieu le 5 octobre 2023, et elle transmet à cet effet le guide préparateur.
- Malheureusement, le 5 octobre 2023, elle constate que le locataire n’a pas suivi les étapes du guide préparateur. La literie, les rideaux et des vêtements n’ont pas été passés à la sécheuse et ne se trouvent pas dans des sacs fermés, le tout tel qu’il appert de la preuve photographique[1].
- Un traitement pour exterminer les punaises est néanmoins effectué dans le logement afin de prévenir le plus possible la propagation de ces dernières dans les autres logements.
- Le 10 octobre 2023, elle avise le locataire qu’un second traitement aura lieu le 19 octobre 2023, tout en réitérant que les étapes du guide préparateur doivent être respectées.
- Le 19 octobre 2023, jour du second traitement, l’accès au logement lui est refusé.
- Le 5 décembre 2023, un troisième traitement est effectué dans le logement concerné.
- À cette date, elle constate, à nouveau, que les étapes du guide préparateur ont été négligées : les biens en tissu ne sont pas dans des sacs fermés, le ménage n’a pas été effectué, des planches entassées se trouvent au sol, etc.[2]
- Elle souligne que le plancher est imprégné d’urine d’animal domestique. Du fait de cet état, le plancher ne peut s’imbiber du produit qu’épand l’exterminateur contre les punaises de lit. Elle ajoute que le plancher est tellement imprégné d’urine qu’il se désagrège.
- Le 29 janvier 2024, les locataires sont avisés qu’un quatrième traitement sera effectué le 7 février 2024.
- Le 7 février 2024, quelques recommandations du guide préparateur ont été suivies, mais des os se trouvent sur le sol, de nombreux articles en tissu ne sont pas dans des sacs fermés, de la literie se trouve encore sur le lit, les rideaux sont encore accrochés aux fenêtres, etc.[3], offrant de nombreux recoins aux punaises de lit pour se cacher et ne permettant pas un traitement adéquat du logement.
- Les photos déposées en pièce[4], relatives à l’inspection du 4 avril 2024, montrent une infestation de punaises de lit dans le logement : des punaises adultes vivantes se trouvent sur le matelas, leurs excréments sont visibles au pied du lit, des punaises de toutes tailles ainsi que des œufs de punaises se trouvent sur le divan du salon.
- Elle ajoute qu’en s’asseyant dans son véhicule, après avoir quitté le logement, elle a trouvé une punaise de lit sur son pantalon.
- Vers le 7 avril, elle envoie un message texte indiquant qu’un autre traitement aura lieu fin avril 2024 et demandant au locataire de préparer le logement en conséquence, en transmettant à nouveau les instructions de préparation à cet effet.
- Malheureusement, elle reçoit comme réponse que le locataire n’a pas de punaises de lit dans le logement et que si elle se présente avec un exterminateur, la police sera appelée[5].
- Elle ajoute que les locataires-voisins du locataire rencontrent désormais un problème de punaises de lit.
- Elle présente les factures relatives aux traitements des logements dans l’immeuble et souligne que des locataires ont quitté, pour logement impropre à l’habitation, à cause des punaises de lit.
Témoignage de Paméla Marquis
- Elle est technicienne en gestion parasitaire, présidente de la compagnie Extermination Insecta inc. et exerce ce métier depuis 2008.
- Elle a effectué les traitements d’extermination dans le logement concerné.
- Quand elle s’est présentée au logement concerné, le 29 septembre 2023, elle a constaté que l’infestation de punaises de lit y est présente depuis environ 8 mois.
- Elle note qu’à chacune de ses visites d’extermination dans le logement, il y a une forte présence de punaises de lit et une absence de préparation adéquate en vue du traitement. Ce niveau d’infestation fait que les punaises se propagent dans les autres appartements de l’immeuble.
- Elle a eu recours à des procédés d’extermination par choc chimique ainsi que biologique.
- Elle ajoute que pour que le traitement fonctionne, il faut appliquer l’insecticide sur des surfaces propres. Or, dans le cas du logement concerné, elle mentionne que de l’urine se trouve sur le plancher à la grandeur de l’appartement.
- Quant aux vêtements, s’ils sont mis dans des sacs sans suivre le protocole requis, considérant le niveau d’infestation, les punaises et leurs œufs vont demeurer sur ceux-ci.
- Elle conclut que pour éradiquer l’infestation, il faut désormais sortir tous les meubles du logement et arracher tout plancher également.
Témoignage du locataire
- Il témoigne vivre dans le logement concerné depuis 2003 et ne pas avoir eu de punaises de lit pendant 17 ans.
- Il souligne que ce problème de punaises de lit a commencé après l’emménagement d’une voisine, laquelle n’habite plus l’immeuble.
- Le locataire admet avoir un problème de punaises de lit depuis 2020.
- En 2020, il avait avisé la locatrice de la présence de punaises et il ajoute qu’environ deux semaines plus tard, cette dernière est venue avec un exterminateur.
- Toutefois, depuis 2020, ce problème de punaises de lit n’a pas été réglé, malgré la venue d’exterminateurs distincts.
- En 2021-2022, il mentionne que le deuxième exterminateur n’aurait pas traité tous les logements de l’immeuble, mais il aurait surtout effectué des traitements d’extermination de punaises de lit dans son logement.
- Il ajoute que lorsqu’il doit vider ses armoires pour les traitements d’extermination, il n’y a plus de place dans son logement et il doit entreposer certains biens sur le balcon.
- Il ajoute que le plancher était usé à son arrivée dans le logement et qu’en 22 ans, celui-ci n’a pas été rénové. Il souligne que son chien n’a pas uriné sur le plancher.
- Il conclut que ce problème de punaises de lit vient du fait que la locatrice n’a pas effectué les traitements d’extermination correctement.
Analyse
- En vertu des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec[6] ci-après « C.c.Q. »), il appartient à celui qui veut faire valoir ses droits de prouver les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante.
- En outre, en vertu de l’article 2845 C.c.Q., la force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
- L’article 1855 C.c.Q. énonce notamment que le locataire est tenu, pendant la durée du bail, d’user du bien avec prudence et diligence. Le locataire doit garder en bon état de propreté son logement[7] et éviter toute usure anormale de ce dernier.
- L’article 1912 C.c.Q énonce :
1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail:
1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;
2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement.
- L’article 1866 C.c.Q. énonce :
« 1866. Le locataire qui a connaissance d'une défectuosité ou d'une détérioration substantielles du bien loué, est tenu d'en aviser le locateur dans un délai raisonnable. »
- L'article 25 du Règlement sur la salubrité, l'entretien et la sécurité des logements[8] de la Ville de Montréal (ci-après « Règlement ») énonce expressément :
« Un bâtiment ou un logement ne doit pas porter atteinte à la santé ou à la sécurité des résidents ou du public en raison de l'utilisation qui en est faite ou de l'état dans lequel il se trouve.
Sont notamment prohibés et doivent être supprimés :
9.1o la présence de punaises de lit ainsi que les conditions qui favorisent la prolifération de celles-ci. »
- L’article 10 du Règlement énonce :
« 10. Les occupants d’un logement visé par une intervention d’extermination de la vermine, faite en vertu du présent règlement, ne peuvent refuser l’accès aux lieux à l’autorité compétente ou au gestionnaire de parasites.
Au besoin, ils doivent nettoyer et préparer les lieux en vue de l’intervention. »
- Également, l’article 1863 C.c.Q dispose :
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
- À cet effet, le Tribunal doit se fonder sur des considérations objectives et sur une preuve prépondérante, et ce, tant sur les manquements du locataire allégués, que sur le préjudice sérieux de la locatrice.
- Tel qu’indiqué par la juge administrative Sophie Alain dans la décision Office municipal d’habitation de Montréal c. Cole[9] :
« Pour constituer un préjudice sérieux, la preuve doit démontrer que le préjudice subi va au-delà des simples inconvénients et que le comportement comporte un élément dérangeant qui est anormal, excessif en plus d’être fréquent, répété, continu ou persistant. »
- En l’espèce, la preuve est prépondérante quant à l’infestation élevée de punaises de lit dans le logement concerné, et ce, depuis de nombreux mois, et elle l’est également quant au non-respect par le locataire de ses obligations.
- En effet, le locataire a manqué à son obligation d'user du logement avec prudence et diligence en faisant défaut d’aviser la locatrice de la présence de punaises de lit et en ne suivant pas les procédures requises pour permettre à l'exterminateur dépendre convenablement les traitements contre les punaises de lit.
- À la lumière de la preuve soumise, malgré la réception préalable par le locataire des procédures à suivre pour préparer le logement adéquatement pour les traitements d’extermination, ainsi que les dates auxquelles ceux-ci avaient lieu, ces procédures n’ont malheureusement pas été suivies.
- Ce manque de collaboration du locataire, depuis des mois, a eu pour conséquence que l'éradication des punaises de lit est un échec.
- La locatrice a démontré que cette situation lui cause un préjudice sérieux, car elle ne peut se conformer à son obligation de procurer aux locataires-voisins la jouissance paisible des lieux loués[10] et leur bon état d’habitabilité[11].
- En outre, la locatrice subit un alourdissement de la gestion de l’immeuble du fait des suivis en lien avec l’état du logement concerné et le coût des traitements d’extermination de punaises de lit.
- De plus, la locatrice ne peut se conformer au Règlement.
- Considérant ce qui précède, la résiliation du bail est justifiée en fait et en droit.
- Vu les circonstances propres à ce dossier, le Tribunal ne juge pas à propos d’user de sa discrétion judiciaire en vertu de l’article 1973 C.c.Q., car il y a lieu de croire que cette ordonnance serait vaine, considérant les délais et les chances préalablement accordés au locataire et son refus de collaborer; une ordonnance ne ferait qu'aggraver le préjudice de la locatrice.
- Le préjudice causé à la locatrice ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[12].
- Le Tribunal condamne le locataire aux frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion du locataire et des autres occupants du logement;
- CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice les frais de 113,25 $;
- REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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| Aurélie Lompré |
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Présence(s) : | la mandataire de la locatrice le locataire la mandataire du locataire |
Date de l’audience : | 22 novembre 2024 |
Présence(s) : | la mandataire de la locatrice le locataire |
Date de l’audience : | 24 janvier 2025 |
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