Simard c. Jean |
2011 QCRDL 9587 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No : |
31 080128 033 G 31 080225 143 G |
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Date : |
12 mars 2011 |
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Régisseure : |
Suzie Ducheine, juge administratif |
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Joel Simard |
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Locateur - Partie demanderesse (31 080128 033 G) Partie défenderesse (31 080225 143 G) |
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c. |
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Stéphanie Jean
Maxime Aznar |
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Locataires - Partie défenderesse (31 080128 033 G) Partie demanderesse (31 080225 143 G) |
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D É C I S I O N
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[1] Le 28 janvier 2008, le locateur demande la résiliation du bail pour retard de plus de trois semaines, le recouvrement du loyer (875 $) ainsi que le loyer dû au moment de l’audience avec les intérêts et les frais, plus l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
[2] Le 25 février 2008, les locataires demandent au tribunal de statuer sur la résiliation du bail à compter du 27 décembre 2007, le logement étant devenu impropre à l’habitation.
[3] Le 21 décembre 2008 et le 14 décembre 2009, les locataires amendent leur demande pour réclamer des dommages-intérêts qui se détaillent comme suit :
Frais de déménagement encourus le 27 décembre 2007 : 617,88 $
Frais d’entreposage du 27 décembre 2007 au 24 janvier 2008 : 223,49 $
Frais de déménagement encourus le 24 janvier 2008 : 754,30 $
Frais d’expertise : 1 303,98 $
Troubles et inconvénients : 5 000 $;
Les intérêts et les frais judiciaires.
[4] Les
deux demandes ont été instruites et jugées conjointement en vertu de l’article
[5] Il est établi que les parties concluent un bail du 1er décembre 2007 au 30 août 2008 au loyer mensuel de 875 $.
[6] Les locataires se sont engagés solidairement envers le locateur.
La demande des locataires
[7] Les locataires prennent possession du logement le 11 décembre 2007. La locataire dit avoir remarqué quelques coulisses brunâtres sur les murs de la salle de bains le 19 décembre 2007.
[8] Le 20 décembre 2007, vers 8 h 30, la locataire est réveillée par un bruit d’eau qui coule. Elle constate que l’eau coule du plafond de la salle de bains et à travers le lustre du plafond du corridor. Prise de panique, elle compose le numéro de téléphone du locateur qui ne répond pas. Elle cogne à la porte du logement au-dessus, croyant que ce locataire est en détresse. Mais, personne ne se présente à la porte. Elle revient dans son logement et appelle sa mère qui lui conseille de composer le 911. La téléphoniste qui entend l’eau couler lui répond qu’elle va alerter les pompiers.
[9] Les pompiers arrivent environ cinq minutes plus tard. Ils percent des trous dans les poches qui se sont formées dans le plafond de la salle de bains jusqu’au couloir. L’eau arrête de couler. Mais, le plafond de la salle de bains s’effondre sur un des pompiers. Les débris de matériaux qui tombent sont noircis et pourris. Ils dégagent une odeur nauséabonde. Les tuyaux et le bois dans le plafond sont visibles à travers les trous dans le plafond de salle de bains et du corridor. Les pompiers lui font remarquer des traces de moisissures autour de la tuyauterie et dans le bois.
[10] Le père du locateur, Martin Simard, se présente sur les lieux peu de temps après le départ des pompiers. Elle lui dénonce la présence des moisissures. Il minimise la gravité de la situation et des dégâts dans le logement. Il fait appel à un plombier qui répare la tuyauterie le jour même.
[11] Entre-temps, la locataire qui a fait des recherches sur l’Internet, fait appel à la firme Enviro-Option inc., spécialiste en qualité de l’air intérieur afin d’évaluer la qualité microbiologique de l’air et des surfaces dans le logement.
[12] L’ingénieur de cette firme, Martin Laplante, fait des prélèvements d’échantillons d’air et de poussière, le jour du dégât d’eau. À la suite d’une inspection visuelle des lieux, il recommande à la locataire qui est enceinte de quitter le logement.
[13] Craignant pour sa santé, elle quitte le logement dans l’après-midi du 20 décembre 2007. Elle n’y retourne pas après cette date. La locataire et son conjoint sont hébergés par les parents de ce dernier jusqu’à leur déménagement dans un autre logement.
[14] Son conjoint et colocataire témoigne qu’il revient sur les lieux dans la soirée du 20 décembre 2007 et les jours suivants pour récupérer certains effets.
[15] Le 21 décembre 2007, il constate qu’un plafond suspendu est installé pour dissimuler l’ouverture dans le plafond de la salle de bain. Toutefois, le logement est dans le même état. les trous dans le plafond du corridor sont encore béants. La rouille, les matériaux noircis et pourris, les moisissures n’ont pas été nettoyés ni enlevés. Il trouve aussi un message de Martin Simard dans la boîte vocale qui les informe que tout est réglé et qu’ils peuvent réintégrer le logement.
[16] Par la suite, il revient dans le logement tous les jours pour constater qu’aucune réparation n’a été entreprise par le locateur.
[17] Devant le refus ou la négligence du locateur à agir pour mettre le logement en bon état d’habitabilité et de propreté, les locataires lui donnent, le 24 décembre 2007, un avis d’abandon du logement. Ils avisent ainsi le locateur qu’ils quitteront les loués à compter du 27 décembre 2007, en raison de la présence de moisissures et de champignons et des mauvaises odeurs dans le logement et afin de préserver leur santé.
[18] Dans la lettre jointe à leur avis, les locataires écrivent qu’ils n’ont pas l’intention de réintégrer le logement ni payer le loyer après leur départ des lieux loués.
[19] Ils déménagent leurs meubles et effets personnels dans le logement à la date indiquée dans leur avis.
[20] Le jour de leur déménagement, le locateur communique avec la locataire par biais du téléphone pour lui proposer de venir à son bureau afin de discuter de la situation. Le ton monte. Il devient agressif, selon la locataire. Elle lui propose de venir la rencontrer chez ses beaux-parents parce qu’elle ne voulait pas être seule avec le locateur. Ce dernier refuse sa suggestion.
[21] Les locataires reprochent au locateur et à son père leur attitude cavalière quant à leur inquiétude et l’ampleur du problème. Ils ont dû faire appel à un expert parce que le père du locateur a clairement indiqué qu’il ne prenait pas les doléances de la locataire au sérieux. Il a fait fi de son inquiétude pour sa santé et celle de l’enfant qu’elle portait. Par la suite, Ils leur ont déclaré que le plafond était réparé et que le logement était propre à l’habitation. Or, ils n’ont entrepris aucuns travaux.
[22] Devant le refus du locateur d’agir et craignant pour leur santé, ils ont dû quitter le logement d’urgence sur recommandations de l’expert. Ils ont déménagé trois fois en l’espace en un mois, entreposé leurs biens, cherché un nouveau logement, se faire héberger pendant un mois par la famille. Ils ont encouru des dépenses pour l’expertise, les deux déménagements et l’entreposage.
[23] Ils ajoutent qu’ils ont choisi ce logement parce qu’il répondait à leurs besoins. Le locateur et son mandataire leur avaient déclaré que le logement serait remis à neuf. Ils avaient l’intention d’y rester et d’aménager la deuxième chambre pour le bébé.
La demande et la défense du locateur
[24] Le 28 janvier 2008, le locateur produit sa demande dont copie est signifiée aux locataires à l’adresse du logement. Ils apprennent que le locateur a entrepris des recours lorsqu’ils reçoivent l’avis d’audition que le bureau de poste a fait suivre à leur nouvelle adresse.
[25] À l’audition du 9 novembre 2009, le locateur explique qu’il est propriétaire et fait la gestion immobilière de 13 immeubles. Son père, Martin Simard, s’occupe de l’entretien des immeubles et supervise les travaux.
[26] Le locateur, corroboré par son père, témoigne que le nettoyage du logement et les réparations sont effectuées avec célérité. Le tuyau est réparé le jour même. Les autres travaux nécessaires pour remettre le logement en bon état d’habitabilité sont exécutés dans les jours suivants.
[27] Le locateur témoigne que le 25 décembre 2007, il se présente sur les lieux, après la réception de l’avis d’abandon des locataires. C’est la première fois qu’il inspecte le logement depuis le dégât d’eau. Il soutient que les travaux étaient déjà terminés. Il n’a pas inspecté le logement afin de vérifier la véracité des plaintes des locataires relatives aux moisissures dans le logement, puisque son père a fait une telle vérification. Martin Simard a géré le problème et pris les moyens nécessaires pour rendre le logement en bon état d’habitabilité et de propreté.
[28] Il ne se rappelle pas avoir vu, lors de cette visite, le plafond suspendu installé dans la salle de bains. Mais, il ajoute : « Ça se peut ».
[29] Le locateur et son père soutiennent qu’il n’y a jamais eu de bris de tuyau ni des moisissures dans le logement avant l’arrivée des locataires ni après leur départ. Ils n’ont jamais reçu de plaintes d’autres locataires relatives à l’humidité et des coulisses sur les murs du logement.
[30] Toutefois, le locateur rappelle la présence d’un vide sanitaire en terre en dessous du logement des locataires.
[31] Le locateur déclare qu’il a compris à la lecture de la lettre des locataires jointe à leur avis d’abandon que ces derniers avaient fait appel à un expert en qualité de l’air. Cependant, il n’a reçu le rapport d’expertise que le 2 novembre 2009.
[32] Monsieur Martin Simard déclare que le jour du dégât d’eau, il se présente sur les lieux vers 12 h. L’eau ne coule plus. Le tuyau est visible en raison de l’effondrement d’une partie du plafond de la salle de bains et du corridor. Il ramasse tous les débris et nettoie le logement. Il fait appel à un plombier qui effectue les réparations le même jour. Il descend jusqu’au vide sanitaire situé en dessous du logement des locataires. Il constate la présence d’eau sur le sol de cette cave qui est trempé.
[33] Il affirme qu’il n’a pas constaté la présence de moisissures dans le plafond après son effondrement. D’ailleurs, la locataire n’a pas dénoncé la présence des moisissures le 20 décembre 2007.
[34] Le 23 décembre 2007, il prend des mesures en prévision des réparations dans le logement. Ces travaux durent trois jours.
[35] Contre-interrogé, Martin Simard déclare que les travaux débutent le jour suivant le bris du tuyau. Il ne se souvient pas avoir installé un plafond suspendu dans la salle de bains. Mais, c’est possible, ajoute-t-il.
[36] Sur ce, l’audience est ajournée au 14 décembre 2009, vu l’insuffisance de temps.
[37] Lors de la reprise de l’audience, le locateur dépose de nouveau. Il témoigne que la tuyauterie est réparée le jour du sinistre. Le lendemain, soit le 21 décembre 2007, un plafond suspendu est installé dans la salle de bains afin de rendre le logement habitable. Le 25 ou le 26 décembre 2007, il consulte un expert sur le nettoyage après un sinistre. Cet expert lui indique la marche à suivre afin de prévenir la prolifération des moisissures et décontaminer, le cas échéant.
[38] Lors de sa visite effectuée le 25 décembre 2007, il constate que les travaux sont en cours. Les matériaux et le plâtre endommagés dans la salle de bains et le corridor sont enlevés. Par la suite, toutes les surfaces sont nettoyées avec un détergent antifongique. Une fois que ces surfaces étaient sèches, le plâtre a été refait.
[39] Le locateur ajoute que le 27 décembre 2007, il communique avec les locataires pour les inviter à venir le rencontrer. Le but de cette rencontre était de faire le point sur la situation, trouver une solution et mettre les locataires au courant des travaux effectués dans le logement. Cette rencontre n’a jamais eu lieu. La locataire n’a pas fait preuve d’ouverture d’esprit. D’ailleurs, ils avaient déjà déménagé leurs biens.
[40] Le 28 janvier 2008, le logement est reloué pour le 1er février 2008. Le locateur réclame une indemnité de relocation, soit l’équivalent du loyer qu’il n’a pas perçu au mois de janvier 2008, puisque le logement était vacant.
Le rapport d’expertise
[41] Les locataires
demandent l’autorisation de produire le rapport d’expertise rédigé par
l’ingénieur Martin Laplante et daté du 9 janvier 2008 pour tenir lieu de
témoignage conformément à l’article
[42] Les locataires font appel à monsieur Gino De Champlain, un autre expert de la firme Enviro-Option inc., pour interpréter les résultats de l’analyse des échantillons prélevés par Martin Laplante ainsi que son rapport. Monsieur De Champlain est détenteur d’une maîtrise en environnement, professeur accrédité pour la décontamination microbienne, spécialiste en matière de qualité de l’air.
[43] Le procureur du locateur s’objecte à la production de ce rapport puisqu’il ne peut contre interroger l’expert qui l’a établi. L’objection était prise sous réserve. Le tribunal doit en premier lieu statuer sur cette objection.
[44] Le témoignage est
défini à l’article
« 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.
Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l'instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi.»
[45] Certaines exceptions
prévues par la loi sont édictées à l’article
« 2870. La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.
Celui-ci doit s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.
Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits.»
[46]
La production d'une déclaration écrite, pour tenir lieu de témoignage, doit suivre les
règles contenues à l'article
« 36.1 Sauf si l'autre partie consent à sa production, lorsqu'une partie entend demander au Tribunal l'autorisation de produire une déclaration pour tenir lieu de témoignage, elle doit, dans les meilleurs délais avant l'audience, aviser l'autre partie ou lui communiquer le document. Toutefois, si les circonstances le justifient, un régisseur peut, sur demande verbale, décider autrement des modalités et, s'il y a lieu, décider du délai de la communication.
Toute autre pièce, notamment un écrit ou un élément matériel de preuve, est produite à l'audience sans autre formalité.»
[47]
Afin de déterminer la recevabilité de
cette déclaration, il faut donc se référer à l'article
[48] Ainsi, en vertu de ces dispositions, une déclaration extrajudiciaire peut être admissible en preuve si elle répond aux critères de nécessité et de fiabilité. Elle est nécessaire lorsqu'il est « impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin ou déraisonnable de l'exiger » et fiable lorsque les circonstances entourant cette déclaration donnent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.
[49] La jurisprudence a déjà décidé qu'une déclaration écrite répondait au critère de nécessité dans des situations telles que le décès du déclarant, le fait qu'il habite à l'étranger, son inaptitude et son état d'invalidité.
[50] Dans le cas présent, le procureur des locataires plaide que le rapport est déposé pour tenir lieu de témoignage quant aux déclarations portant sur les faits seulement. Il soumet que les constatations faites par un expert rencontrent les critères de fiabilité. Il cite la décision du juge Raymond P. Boyer de la Cour du Québec dans une affaire similaire, Jean-Jacques Chartrand c. Royal And Sun Alliance([1]) à l’appui de son argument . Dans cette cause, le juge Boyer a autorisé le dépôt du rapport de l’expert de l’intimé qui est décédé au moment de l’audition. Il s’exprime ainsi :
« [14] La représentante de l’intimée a expliqué que son expert Pierre Gosselin était décédé depuis qu’il avait effectué l’examen des pièces du moteur du requérant. Elle veut établir par la jurisprudence qu’elle produit l’expertise que reconnaissait les tribunaux à ce témoin de son vivant et produire le rapport qu’il a rédigé.
"996. Les dispositions des sections I et II du chapitre I.1 du Titre V du Livre II ne s'appliquent pas au recouvrement des petites créances de même que les autres dispositions du présent code incompatibles avec le présent livre. 1971, c. 86, a. 1.;1994, c. 28, a. 40."
[15]
La règle prévoyant qu'une personne voulant témoigner doit le faire en
personne à l'audience, est établie à l'article
"art. 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.
Il doit pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l'instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi."
[16]
L’article
[17] C'est d'ailleurs la position qui a été adoptée dans plusieurs jugements portant sur le sujet.[2] Ainsi, toute déclaration exprimant une opinion ne peut être admise à titre de témoignage.
[18]
Cependant, si le rapport d'expert contient des déclarations portant sur
des faits dont l'expert a eu une connaissance personnelle, cette partie du
rapport est admissible si les autres conditions de l'article
[19] Bien qu’il ne soit pas lié en principe sur la qualification d’expert octroyée à un témoin dans d’autres causes, le tribunal doit considérer avec égard cette reconnaissance des autres tribunaux dans le cadre de la décision qu’il est appelé à rendre sur cette qualité d’expert de l’auteur décédé du rapport.
[20] Dans l’affaire de 9075-0969 Québec Inc c. Donald Cayer et al. et Royal &Sun Alliance, notre collègue le juge Michel Lassonde signalait que Pierre Gosselin était considéré à l’époque comme un excellent expert en affaires maritimes. En conséquence, le Tribunal acceptera la production du rapport de l’expert Pierre Gosselin en preuve. »
[51] Dans un commentaire sur le but des articles 2870 et 2871 du Code civil du Québec[2], Me Pierre Latraverse écrit :
« Cet article (article 2870 C.c.Q), avec
l'article
Ces règles de recevabilité de la preuve ont été
instaurées afin d'assurer la fiabilité de preuve qui appuie les décisions des
tribunaux et, par conséquent, permet de préserver la confiance de la société
envers le système judiciaire et ses décisions. Le Tribunal, partie neutre dans
le débat contradictoire, chercher toujours à départager la vérité entre
les positions contradictoires de l'une et de l'autre des parties, auxquelles il
applique le droit. C'est pourquoi tant les documents que les témoignages reçus
doivent, dans la mesure du possible, refléter la vérité. Posant la règle de
base du témoignage obligatoire à l'audience par la personne qui a eu
personnellement connaissance des faits, les articles
Des exceptions ont donc été aménagées par la jurisprudence au fil des ans afin d'accéder à cette vérité lorsque les garanties de fiabilité et de nécessité sont rencontrées. »
[52] La Cour suprême du Canada ([3]) traite de ce choix entre la recherche de la vérité et le droit au contre-interrogatoire :
«On reconnaît depuis longtemps que les principes qui sous-tendent la règle du ouï-dire sont les mêmes que ceux qui en sous-tendent les exceptions. En fait, l'ouvrage Wigmore on Evidence (2e éd. 1923), vol. III, décrit ainsi la règle et ses exceptions, à son §1420 :
...
[Traduction] Lorsque L'épreuve du contre-interrogatoire est impossible à faire subir en raison du décès du déclarant ou d'une autre cause qui le rend incapable de témoigner, nous avons le choix de recevoir ses déclarations sans procéder à ce contre-interrogatoire ou de ne pas utiliser ce qu'il sait. Alors se pose la question de savoir laquelle de ces deux possibilités nuirait le plus à la recherche de la vérité. [...] [I]l est au moins clair que, dans la mesure où, dans une situation donnée, on constate qu'il existait un certain substitut au contre-interrogatoire, il y a lieu de faire exception. [En italique dans l'original]
Et au sujet du principe connexe de la fiabilité, la garantie circonstancielle de fiabilité, il dit :
[Traduction] Dans de nombreux cas, on peut facilement voir qu'une telle épreuve requise [c.-à-d. le contre-interrogatoire) ajouterait peu comme garantie parce que ses objets ont en grande partie déjà été atteints. Si une déclaration a été faite dans des circonstances où même un sceptique prudent la considérerait comme très probablement faible (en temps normal), il serait pédant d'insister sur une épreuve dont l'objet principal est déjà atteint.
...
L'arrêt Khan de notre Cour a donc annoncé. la fin de l'ancienne conception, fondée sur des catégories d'exceptions, de l'admission de la preuve par ouï-dire. L'admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont le principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. »
[53] Dans le cas qui nous occupe, il est impossible d’obtenir la comparution de l’expert Michel Laplante comme témoin puisqu’il est décédé. Le critère de nécessité est donc rempli.
[54] De plus, les constatations de l’expert sur les faits dont il a eu connaissance personnelle et qu’il a consignées dans son rapport rencontrent les critères de fiabilité.
[55] Le procureur du locateur a eu l’opportunité de contre interroger l’expert qui a déposé devant le tribunal pour interpréter les faits constatés dans le rapport d’expertise. Il a pu contester la valeur probante de ce témoignage et du rapport.
[56] Compte tenu des circonstances, le tribunal permet le dépôt du rapport de Michel Laplante pour tenir lieu de témoignage quant aux faits dont il a eu connaissance personnelle et dont il fait état dans son rapport.
[57] Dans son rapport, Martin Laplante décrit le mandat donné par la locataire comme suit :
« 1 INTRODUCTION
« Enviro-option inc. a été mandaté par Stéphanie Jean afin d’évaluer la qualité microbiologique de l’air et des surfaces dans la résidence située à l’adresse mentionnée précédemment. L’objectif de l’expertise est d’évaluer quantitativement la flore microbienne du bâtiment et de déterminer si des conditions d’humidité propices au développement des micro-organismes existent. Les échantillons microbiologiques ont été identifiés sous le numéro 2007-008690. L’expertise a eu lieu le 20 décembre 2007 et a été réalisée par Martin Laplante, Ing. Jr.. »
[…]
Il écrit plus loin :
2.1 Inspection visuelle
Une inspection visuelle a été effectuée pour identifier un problème potentiel de contamination. L’étendue des dégâts potentiels causés par l’eau et la contamination fongique, doit être évaluée visuellement. Selon les lignes directrices du service d’hygiène de la ville de New York (Réf. 17) et les lignes directrices sur les moisissures pour l’industrie canadienne de la constriction ACC 82 (Réf. 22) Cette évaluation est importante pour définir la stratégie d’élimination appropriée. Le CCA 82 indique trois niveaux de contamination possible : faible (Niveau I), moyenne (Niveau II) ou importante (Niveau III) avec des mesures correctives appropriées à chaque niveau. Voici les niveaux associés aux composants et aux matériaux de finition d’un bâtiment (p. ex., les cloisons sèches, les carreaux de plafond, les tapis, etc.) :
· Niveau I (Formation faible) : Zones inférieures à 1 mètre carré (10 pieds carrés)
· Niveau II (Formation moyenne( : Zones mesurant de 1 à 10 mètres carrés (10 à 100 pieds carrés)
· Niveau III (Formation importante) : Zones supérieures à 10 mètres carrés (>100 pieds carrés)
Lorsqu’on détermine le niveau approprié d’assainissement, il est important de considérer toute la zone affectée (le périmètre des matériaux affectés) et la densité de la formation de moisissure.
Les systèmes de ventilation sont aussi inspectés, plus particulièrement pour vérifier si les filtres sont humides, pour repérer toute condition favorisant l’accumulation d’humidité ailleurs dans le système ainsi que pour évaluer l’état de propreté général. Les panneaux de plafond, les panneaux de gypse (placoplâtre), le carton, le papier et autres matières cellulosiques font l’objet d’une attention particulière lors de l’inspection visuelle. L’utilisation d’outils tels qu’un boroscope afin de visualiser les espaces dans les conduits ou derrière les murs, ou d’un humidimètre pour mesurer l’humidité dans les matériaux, peut s’avérer utile dans la détection de sources cachées de moisissures et dans l’évaluation des dégâts causés par l’eau.
[…]
4 OBSERVATIONS
4.1 Extérieur
· Conditions atmosphérique nuageuse
4.2 Cuisine, chambre principale, chambre secondaire, salon et pièces de débarras
· Les mesures, effectuées en mode intrusif, ont indiqué des taux de moiteur normaux (entre low et 0.2%) sur les murs extérieurs et le tour de la fenêtre.
· Aune trace de contamination fongique
4.3 Salle de bain et couloir principal
· Les mesures, effectuées en mode intrusif, ont indiqué des taux de moiteur anormaux (HIGH%) sur l’ensemble des murs et plafond de la salle de bain (photo 2)
· Les mesures, effectuées en mode intrusif, ont indiqué des taux de moiteur anormaux (HIGH%) au plafond du couloir au alentour du luminaire (photo 3)
· Des traces de contamination fongique sont apparentes entre le plancher du 2eme et la plafond du premier (Loyer d’investigation) (photo 4, 5, 6)
4.4 Sous-sol
· Trace d’eau et de contamination fongique dans la descente d’escalier (photo 7)
· Des traces d’eau sont apparentes sur le plancher du sous-sol (photo 8)
· Des traces d’eau et de contamination fongique sont apparentes sous le bain et la trappe de descente d’escalier (photo 9 et 10)
Tableau 2 : Température et humidité relative.
Endroit |
Température (°C) |
Humidité relative (%) |
Intérieur |
17.8 |
47.8 |
Extérieur |
-6.5 |
57.9 |
Selon l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie (AQME) et les documents de la SCHL, les taux d’humidité généralement acceptables sont de près de 30 % en hiver et un maximum de 50 % en été. Selon les résultats présentés au Tableau 2, les pourcentages d’humidité relative de l’air ambiant sont non-conformes aux seuils conseillés.
[…]
5 RÉSULTATS D’ANALYSE EN LABORATOIRE
Identification de l’échantillon |
Dénombrement et identification des moisissures (UFC/m3 |
Couloir |
25 · Penicillium sp. 50% · Levures 50 % |
Sous-sol |
131 · Penicillium sp. 95% · Mucorale 5% |
Extérieur |
0 |
[…]
7 CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Les objectifs de l’expertise du 20 décembre 2007 étaient d’évaluer quantitativement et qualitativement la flore microbienne de l’air et de déterminer si des conditions d’humidité propices au développe des micro-organismes existent dans le bâtiment.
Selon les résultats des analyses et les paramètres d’interprétation, la situation microbiologique de l’air et des surfaces est non représentative d’un bâtiment sain. En effet, les niveaux de moisissures dans l’air et sur les surfaces, retrouvés aux points d’échantillonnage, ne respectent pas les critères d’interprétation utilisés. L’investigation visuelle ainsi que l’échantillonnage de l’air ambiant et des surfaces démontrent clairement que les genres et l’ampleur de la contamination de micro-organismes sont atypiques d’un bâtiment sain.
Les résultats de notre investigation correspondent à une contamination de niveau III, selon les lignes directrices sur les moisissures pour l’industrie canadienne de la construction ACC 82 (Réf. 22)
Un professionnel expérimenté dans les enquêtes sur la croissance microbienne devrait être consulté avant d’amorcer des travaux d’élimination des moisissures pour retenir ses services en matière de surveillance et d’inspection des travaux d’assainissement (Réf. 22).
Étant donné la nature de la contamination et les risques pour la santé associés aux espèces de moisissures retrouvés, les travaux doivent être effectués par un entrepreneur spécialisé dans la rénovation et la décontamination reconnu, tel que le protocole de New York (Réf 17), les normes IICRS S520 (Réf, 23) ou l’ACC 82 (Réf. 22). À titre informatif, voici n aperçu des procédures qui devraient utilisées : … » (sic)
[58] L’expert Gino De Champlain, a pris connaissance du rapport et des photos. Il témoigne sur les constations factuelles comprises dans le rapport qu’il retient afin d’interpréter les résultats, soit le taux d’humidité au niveau des matériaux, plafonds, murs et aux alentours du luminaire.
[59] L’analyse des photos prises le 20 décembre 2007, révèle que le bois dans le plafond de la salle de bains est pourri, des traces d’eau sont apparentes, le papier est noirci, les matériaux sont lourdement affectés. Les tuyaux et le drain sont rouillés et couverts d’une matière noire. Les matériaux qui sont tombés lors de l’effondrement du plafond sont noircis et lourdement endommagés. Leur dégradation est visible. Ce processus prend plusieurs mois, voire des années, selon le témoin. Il explique que les cernes d’eau, les traces de pourriture, la contamination fongique n’apparaissent qu’après un certain temps. Il faut au moins 48 heures pour que la contamination fongique commence. Le taux d’humidité dans le bois doit atteindre 17 %. Il se dégrade lorsque l’humidité est à 30 %. Il fait remarquer que cette espèce de bois dans le plafond de la salle de bains se dégrade lentement. L’intégrité du plâtre dans le plafond du corridor est aussi attaquée. Or, le plâtre prend plus de temps pour se dégrader.
[60] L’analyse des photos révèle aussi la présence d’un ancien plafond dans la salle de bains superposé à celui qui s’est effondré. Il en conclut qu’il y a déjà eu un dégât d’eau dans la salle de bains. Il s’agit, selon lui, de conditions favorables au développement fongique si les matériaux ne sont pas asséchés dans les 24 heures suivant les infiltrations d’eau.
[61] Les photos du plafond de la cave en dessous du logement démontrent que le bois est lourdement affecté et dégradé par l’eau. Il lui paraît évident que le bois a pourri sur un certain nombre d’années. Or, la pourriture est une forme de moisissures.
[62] Les résultats d’analyse des échantillons d’air et de poussière prélevés dans le logement, le 20 décembre 2007, révèlent la présence de penicillium sp et des levures. Le penicillium sp est une espèce de moisissures qui produit une toxine qui tue les bactéries. Il peut être allergène et pathogène, particulièrement pour une personne enceinte. Les levures indiquent que l’humidité est excessive.
[63] Dans un cas pareil, les matériaux affectés et les matériaux poreux doivent être enlevés avant de faire des travaux. L’assèchement est insuffisant lorsqu’il y a une telle contamination. Il recommande de faire appel à un entrepreneur spécialisé dans ce type de nettoyage et de réparations.
[64] En contre-interrogatoire, il explique que le terme « Atypique d’un bâtiment sain » utilisé par Michel Laplante au deuxième paragraphe dans les conclusions et recommandations signifie dans le jargon de sa profession que le bâtiment est insalubre, impropre en ce qui concerne sa salubrité microbienne. Il s’agit d’une situation potentiellement pathogène et au minimum allergène.
Analyse et discussion
[65] En l’instance, les locataires plaident qu’ils ont dû abandonner le logement parce qu’il était impropre à l’habitation.
[66] Le locateur soutient avoir fait les travaux nécessaires pour remettre le logement en bon état d’habitabilité et de propreté. Il allègue les locataires n’étaient pas justifiés de quitter le logement qui impropre à l’habitation.
[67]
Le premier alinéa de l'article
[68]
Le deuxième alinéa de cet article
définit le logement impropre à l'habitation comme celui dont l'état constitue
une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou
celui qui a été déclaré tel par un tribunal ou l'autorité compétente. L'article
[69] Il incombe aux locataires, qui revendiquent le droit à l'abandon des lieux loués, d'établir que l'état du logement constituait une menace sérieuse pour la santé et la sécurité de ses occupants au moment où ils décident de le quitter.
[70] Pour évaluer de l'état d'insalubrité du logement, le tribunal doit appliquer des critères objectifs selon la jurisprudence. À ce sujet, l'honorable Jean-Guy Blanchette écrit :
« (...) pour évaluer si l'impropreté d'un logement à habitation constitue une menace sérieuse pour la santé, la Cour doit procéder à ladite évaluation d'une façon objective et se demander si une personne ordinaire peut vivre objectivement dans les conditions exposées lors de l'audition. Ce ne sont pas les appréhensions subjectives ni l'état psychologique du locataire ou des occupants qui doivent prévaloir mais bien la situation ou l'état des lieux compris et analysé objectivement lors de la prise de décision du déguerpissement (...) »([4])
[71]
Dans l'affaire Hajjar c. Hébert,
le tribunal établit que pour réussir dans une demande fondée sur les articles
«1) les problèmes reliés à la chose louée ou dans l'immeuble en général;
2) la dénonciation de leurs plaintes au locateur;
3) l'inaction du locateur à exécuter ses obligations légales;
4) leur départ est justifié car le logement était
impropre à l'habitation au sens de l'article
5) la relation de cause à effets entre l'état du logement et les dommages réclamés. »([5])
[72] Dans le cas présent, la preuve établit la présence de moisissures dans la salle de bains et dans le couloir. Cependant, comme le témoigne Dino De Champlain, il y a des centaines d’espèces de penicillium. Il revient aux locataires de prouver la nature des moisissures présentes et leur dangerosité. Sur cette question, le tribunal s'exprime comme suit :
« D'autre part, la preuve soumise par les locataires ne permet pas au tribunal de conclure que leur départ était justifié. Le tribunal ne doute aucunement que la présence de moisissure a pu créer des appréhensions légitimes. Toutefois, le départ prématuré des locataires avant même qu'ils permettent aux locateurs de corriger le problème dénoncé ne peut se justifier a posteriori et permettre ainsi de valider leur départ du logement.
Ces appréhensions, quoique légitimes, pouvaient s'avérer mal fondées, ce qui ne pouvait être découvert qu'en procédant à une analyse du type de moisissure retrouvée au logement et des conséquences sur la santé des occupants.
Ainsi, la seule présence de moisissure dans un logement ne donne pas automatiquement le droit à la résiliation du bail. En effet, il faut démontrer que le logement constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants rendant ainsi le logement impropre à l'habitation ou que l'inexécution cause au locataire un préjudice sérieux tel qu'il puisse justifier la résiliation du bail.
Ainsi, les locataires devaient établir avoir été exposés à un facteur de risque et établir un lien de causalité avec le préjudice subi. »([6])
[73]
En l'instance, la preuve soumise ne
permet pas de conclure que le logement était impropre à l'habitation, selon la
définition de l’article
« Enfin, pour le penicillium sp, il s’agit d’espèces de moisissures dont les spores peuvent reproduire les mycotoxines potentiellement pathogènes pour la santé des occupants. »
Et plus loin à la page 7 :
« Selon les résultats des analyses et les paramètres d’interprétation, la situation microbiologique de l’air et des surfaces est non représentative d’un bâtiment sain. »
[74] Le petit Larousse définit le mot atypique ainsi :
« Atypique - qui diffère du type habituel; que l’on peut difficilement classer. »
[75] Les mots potentiellement et potentiel signifient, selon Le petit Larousse :
« Potentiellement - de façon potentielle, virtuellement. »
« Potentiel - qui existe virtuellement, en puissance, mais non réellement. »
[76] Selon le rapport et le témoignage de monsieur De Champlain, l’état du logement constitue un danger potentiel pour ses occupants. L’expert ne conclut pas qu’il y a une menace réelle et actuelle pour la santé de ses occupants. Il conclut à une situation potentiellement pathogène au minimum allergène.
[77] Le tribunal ne peut, par conséquent, résilier le bail pour le motif que le logement était impropre à l’habitation.
[78] Toutefois, la preuve démontre clairement l’inexécution des obligations du locateur et le préjudice sérieux qui en résulte pour les locataires.
[79]
La prépondérance de preuve est à
l’effet que le locateur a contrevenu aux dispositions des articles
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.»
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.»
« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.»
« 1911. Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état.
Lorsque le locateur effectue des travaux au logement, il doit remettre celui-ci en bon état de propreté.»
[80] La jurisprudence et la doctrine ont établi que ces dispositions imposent au locateur des obligations de résultat. À ce sujet, les auteurs Baudouin et Jobin nous enseignent :
« Au contraire, dans le cas d’une obligation de résultat, la simple constatation de l’absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l’inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute, c’est-à-dire démontrer que l’inexécution ou le préjudice subi provient d’une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d’absence de faute. »[7]
[81] Dans le cadre de l’article 1854(2), l’obligation du locateur est « de garantie », ce qui implique une responsabilité plus étendue :
« En présence enfin d’une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui échapper à sa responsabilité est de démontrer que c’est par le fait même du créancier qu’il a été empêché d’exécuter son obligation, ou encore que l’inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l’obligation assumée. »[8]
[82] Dans le cas présent, le locateur n’a pas délivré un logement en bon état d’habitabilité et de propreté puisque les infiltrations d’eau surviennent quelques jours après la délivrance du logement. Il n’a pas rempli non plus son obligation de maintenir le logement en bon état de propreté, d’habitabilité pendant toute la durée du bail. Il n’a pas fait les réparations nécessaires pour la conservation et la jouissance des lieux.
[83] Les locataires témoignent de façon crédible et convaincante. Alors que le locateur se contredit et contredit son père. Il est invraisemblable que la locataire n’ait pas dénoncé la présence des moisissures à Martin Simard le jour du sinistre. Elle était anxieuse et inquiète pour sa santé et celle de son enfant. Elle a fait appel à un expert en qualité de l’air le jour même.
[84] Mais, le jour suivant le dégât d’eau, le locataire constate qu’un plafond suspendu est installé dans la salle de bains. Il prend une photo qui démontre que le plafond est dans le même état de pourriture et de contamination fongique. Néanmoins, Martin Simard déclare dans un message laissé dans la boîte vocale que tout est correct. C’est une indication claire de l’inaction du locateur. Il a minimisé le problème et le danger potentiel pour la santé des occupants du logement. Il n’a même pas vérifié la véracité des plaintes des locataires. Il n’a même pas nettoyé pour enlever les moisissures qui étaient visibles. Devant l’inaction du locateur, les locataires décident de quitter les lieux.
[85] Les locataires ne sont pas contredits par Martin Simard et le tribunal n’accorde aucune crédibilité au témoignage du locateur. Il a changé sa version des faits à l’audience du 14 novembre 2010. Il prétend avoir consulté un expert en nettoyage après sinistre. Il aurait nettoyé avec un fongicide et jeté les matériaux contaminés. Or, il ne présente aucune preuve probante, pas de pièces justificatives, pas de témoin et pas de bon de travail. De plus, à l’audience tenue le 9 novembre 2009, il témoigne que l’entretien des immeubles et les travaux relèvent de son père et qu’il n’a pas vu le logement avant le départ des locataires. Il affirme aussi qu’il n’y a jamais eu de dégâts d’eau ni de moisissures dans le logement. Le témoignage de son père est au même effet.
[86] Le tribunal ne retient pas l’argument du procureur du locateur qui prétend que les locataires ont failli à leur obligation de dénoncer au locateur tout défaut dans le logement. La locataire a remarqué une coulisse noire sur le mur le 19 décembre 2007. Le dégât d’eau est survenu le matin suivant. Même si elle avait téléphoné le soir même pour en faire part au locateur, il est fort probable qu’il n’aurait pas réagi avant le sinistre. Le jour du dégât d’eau, elle doit appeler les pompiers parce que le père du locateur a pris plusieurs heures avant de se manifester.
[87] Les faits en litige sont similaires à ceux de l’affaire Martin c. Lavoie([9]) où le tribunal de la Régie du logement résilie le bail entre les parties pour inexécution des obligations du locateur et accorde des dommages aux locataires alors qu’ils demandaient la résiliation du bail parce que le logement était impropre à l’habitation. Le locateur se pourvoit en appel. La juge Monique Sylvestre maintient la décision du tribunal et s’exprime ainsi :
« QUESTION 1 La Régie du logement a-t-elle jugé ultra petita en accordant la résiliation de bail pour un motif autre que celui contenu à la demande du locataire?
a) Les prétentions des locateurs :
[56]
La demande de résiliation de bail était fondée sur
l'article
[57] Or, le régisseur conclut que la preuve est plutôt faible et qu'il ne peut déclarer la maison impropre à l'habitation. Il accorde toutefois la résiliation en raison de l'inexécution des obligations des locateurs.
[58] Ces derniers soutiennent que le régisseur a jugé ultra petita, qu'il s'agit de deux recours de nature différente qui ne peuvent être interchangés et allèguent qu'au surplus la locataire connaissait l'état des lieux au moment où elle a signé le bail.
[59] Subsidiairement, ils soumettent que la preuve ne démontre pas que le locataire aurait subi un préjudice sérieux justifiant sa demande de résiliation.
b) Les prétentions de la locataire :
[60]
La locataire invoque l'article
[61] Elle soutient que la preuve démontre à la fois l'inexécution des obligations de même que le préjudice sérieux.
c) Analyse :
[62]
Les obligations du locateur se retrouvent aux articles
"1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.
1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.
1911. Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état.
Lorsque le locateur effectue des travaux au logement, il doit remettre celui-ci en bon état de propreté."
[63] Le locateur est donc non seulement tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité mais il doit faire ce qu'il faut pour maintenir le logement en bon état d'habitabilité. Les tribunaux n'ont pas hésité à sanctionner les vices qui compromettent l'habitation des lieux.
[64] Dans l'affaire Sauvé c. Payant[3], notre collègue le juge Raymond P. Boyer définit ainsi l'habitabilité:
«On peut retenir de l'ensemble de ces
définitions que l'habitabilité renferme implicitement une exigence de salubrité
dont l'absence peut amener à la conclusion qu'un logement est impropre à
l'habitation. En revanche, l'article
Malgré cette parenté de situations, les commentaires du ministre de la Justice nous invitent à ne pas confondre le mauvais état d'habitabilité avec l'état d'un logement impropre à l'habitation. Comme le législateur n'est pas censé parler pour ne rien dire, il faut conclure que le concept d'habitabilité est plus compréhensif que celui de l'état d'un logement impropre à l'habitation. En revanche, l'état d'un logement impropre à l'habitation requiert, quant à l'aspect sanitaire, un degré supérieur d'insalubrité à celui supposément compris dans la notion d'inhabitabilité. Par voie de conséquence, un logement qui n'est pas en bon état d'habitabilité pourrait se caractériser comme logement impropre à l'habitation mais ce ne sont pas tous les logements en mauvais état d'habitabilité qui peuvent être considérés comme impropres à l'habitation.»
[65] Distinguant l'obligation de délivrer et de maintenir le logement dans un état propre à l'habitation de celle de délivrer et de maintenir le logement "en bon état d'habitabilité", le professeur Pierre-Gabriel Jobin, dans le Traité de droit civil sur Le Louage, écrit[4].
«[…] En fait, les tribunaux usent largement de leur pouvoir d'appréciation de l'ensemble des faits de chaque affaire; parfois, ils paraissent se satisfaire de l'existence d'un préjudice sérieux […] plutôt que d'un état strictement impropre à l'habitation.»
[66] De même, la professeure Thérèse Rousseau-Houle, devenue juge à la Cour d'appel s'exprimait ainsi dans Le Précis du droit de la vente et du louage[5] :
«À partir de l'arrêt Shorter c.
Beauport Realties (1964) inc.,
[67] Dans le cas présent, la preuve n'indique pas que le logement était devenu impropre à l'habitation, mais elle indique, sans le moindre doute, que les locateurs n'ont pas rempli substantiellement leurs obligations.
[68] En effet, ils n'ont pas livré un logement en bon état d'habitabilité et de propreté alors qu'il s'agit d'une obligation de résultat.
[69] Comme le souligne notre collègue le juge Raoul P. Barbe dans l'affaire Villeneuve c. Tho[6]:
"[…] La connaissance qu'a le locataire des défauts du logement n'exonère pas le locateur de son obligation de le rendre en bon état d'habitabilité (Witzig c. Perreault, J.L. 84-125 (R.L.)).»
[70] Les photographies prises par la locataire au moment où elle a pris possession de la maison et même après que les locateurs eurent envoyé un employé pour faire le ménage démontrent l'état lamentable des lieux: moisissures aux fenêtres, plafonds et bas des murs, etc.
[71] Faut-il rappeler que la locataire a mis trois semaines avec l'aide de deux personnes pour nettoyer la maison et la rendre convenable.
[72] Les locateurs n'ont pas non plus rempli leur obligation de maintenir le logement en bon état d'habitabilité:
Ø l'escalier menant au sous-sol s'est effondré en septembre;
Ø le problème de l'eau stagnante sous cet escalier n'a pas été résolu;
Ø malgré de nombreuses plaintes, les locateurs n'ont pas remédié au problème d'infiltration d'eau par la toiture;
Ø le problème d'infiltration d'eau par la fenêtre du sous-sol et d'accumulation d'une grande quantité d'eau à l'extérieur de cette fenêtre n'a pas non plus été réglé;
Ø le déneigement du toit a été fait par les préposés des locateurs de façon cavalière et négligente causant l'effondrement de la galerie et des dommages à la propriété;
Ø il y a eu refoulement de la fosse septique en avril 2005;
Ø finalement, même si l'analyse microbienne effectuée ne conclut pas à un danger sérieux pour la santé de la locataire, elle révèle néanmoins la présence de surfaces contaminées par la moisissure allergénique et toxigénique de l'espèce Stachybotrys chartarum; elle conclut à la possibilité d'une contamination cachée dans les cavités murales et précise que des travaux importants de décontamination microbienne devront être effectués au rez-de-chaussée et au sous-sol.
[73] Le témoignage de la locataire est en partie corroborée par l'inspecteur en bâtiment Yvan Crépeau qui a visité les lieux le 28 janvier 2005 et par celui de monsieur Claude Mainville qui confirme une moiteur anormale dans plusieurs pièces de la maison.
[74]
Dans les circonstances, il serait difficile, voire impossible, de
conclure que les locateurs ont rempli l'obligation que leur impose l'article
[75] Il apparaît évident à la lecture des notes sténographiques des témoignages des locateurs qu'ils ont tenté de minimiser les problèmes de la locataire et également tenté de rejeter la faute sur son mode de vie alors qu'il ressort clairement du témoignage de l'expert Mainville, très crédible, qu'il n'en est rien.
[76] De plus, monsieur Martin affirme qu'il n'a jamais autorisé la locataire à isoler l'endroit où se trouvait la pompe (interrogatoire du 15 décembre 2005, page 262) alors qu'il dit exactement le contraire dans l'interrogatoire du 19 avril 2006 (page 152). Il reconnaît alors que la locataire lui avait demandé l'autorisation et qu'il avait lui-même payé les matériaux. Monsieur Martin n'a aucune crédibilité.
[77] Il va même jusqu'à prétendre qu'il allait à maintes reprises à la maison lorsqu'elle était occupée par le locataire précédant, son employé Stéphane Morin, et que la maison était propre, ce que contredit son épouse.
[78]
La procédure devant la Régie du logement n'est pas formaliste. La
locataire a rempli la demande d'amendement à l'aide d'une préposée de la Régie.
Si elle avait été assistée d'un procureur, elle aurait pu demander subsidiairement
la résiliation en vertu de l'article
[79]
Si le tribunal peut d'office en vertu de l'article
[80] Le régisseur n'a pas jugé ultra petita en accordant la résiliation de bail alors qu'elle ne lui était pas demandée. Même s'il n'existait pas un état d'urgence justifiant la locataire de quitter le logement, il l'a accordée parce que la preuve établit formellement que les locateurs n'ont pas rempli leurs obligations.
[81] Le tribunal en arrive à la conclusion que la demande de résiliation est bien fondée parce que les locateurs n'ont ni délivré une maison en bon état d'habitabilité ni ne l'ont maintenu dans un bon état pendant toute la durée du bail. »
[88] La Cour d’appel fait le même raisonnement l’affaire Brummer c. Morcorp([10]) où le locataire avait donné un avis d’abandon au locateur qui négligeait d’apporter les correctifs nécessaires dans le cas d’infiltrations d’eau récurrentes. La Cour d’appel infirme la décision de la Cour supérieure déboutant l’action du locataire en dommages-intérêts et le condamnant à payer au locateur des dommages pour ces motifs :
« Le premier juge a conclu que l'appelant était parti sur un coup de tête.
Il s'agit d'une conclusion que ne justifie pas la preuve.
L'intimée n'a pas fait diligence raisonnable pour découvrir la cause du trouble et n'a pas respecté les délais auxquels elle s'était engagée en répondant aux mises en demeure de l'appelant.
Elle a sous-estimé l'importance du préjudice, comme en témoigne la lettre de ses procureurs.
Le locateur avait l'obligation d'entretenir la chose
en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et de procurer la
jouissance paisible de cette chose pendant toute la durée du bail (art.
Cette obligation du locateur s'étend aux défauts
cachés, qu'il les connaisse ou non (art.
En contre-partie, l'inexécution d'une obligation par
le locateur donne au locataire le droit de demander, outre des
dommages-intérêts, la résiliation du contrat si l'inexécution lui cause un
préjudice sérieux ou une diminution de loyer dans les autres cas (art.
Le droit à la jouissance paisible des lieux n'exige pas qu'un locataire attende que son logement soit devenu absolument inhabitable avant qu'il y ait lieu à résiliation. L'obligation d'un locataire d'occuper les lieux loués et de payer le loyer ne subsiste que dans la mesure où le locateur remplit lui-même ses obligations. Lorsque ce dernier manque substantiellement à ses obligations, le locataire n'est plus tenu à sa prestation.
La preuve démontre que le préjudice était sérieux et que l'appelant était justifié dans les circonstances de mettre son locateur en demeure de lui procurer la jouissance paisible des lieux.
L'intimée a non seulement manqué aux obligations que lui impose la loi mais elle n'a pas respecté l'engagement de faire disparaître le trouble dans le délai proposé.
La Cour est, par conséquent, d'avis que l'appelant était bien fondé de quitter les lieux et de demander la résiliation judiciaire du bail. L'appel doit être accueilli et la demande reconventionnelle rejetée. »
[89] Le tribunal partage ces opinions. La preuve démontre que le locateur a manqué substantiellement à ses obligations et que les locataires ont subi un préjudice sérieux. Les locataires étaient justifiés de quitter les lieux et demander la résiliation du bail puisque le locateur et son père ont clairement indiqué qu’ils ne prenaient pas leurs doléances au sérieux et qu’ils n’avaient pas l’intention d’agir pour corriger les défauts dans le logement et leur procurer la jouissance à laquelle ils avaient droit.
[90]
En cas d’inexécution des obligations
d’une partie au bail, la sanction est prévue à l’article
«1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.»
[91]
Il s’ensuit, que le bail est résilié en
vertu de l’article
[92] Le tribunal limite à 500 $ les dommages pour troubles et inconvénients vu que les locataires n’ont pas laissé un délai au locateur après leur avis d’abandon pour lui permettre de remédier à la situation et rencontrer ses obligations légales.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[93] ACCUEILLE en partie la demande des locataires;
[94] RÉSILIE le bail à compter du 27 décembre 2007;
[95]
CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 3 399,65 $
avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
REJETTE la demande du locateur qui supporte les frais.
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Suzie Ducheine |
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Présence(s) : |
le locateur Me Daniel Gallagher, avocat du locateur les locataires Me Jean Leduc, avocat des locataires |
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Dates des audiences : |
9 novembre 2009 et 14 décembre 2010 |
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[1] Jean-Jacques Chartrand c. Royal and Sun Alliance, 760-32-006787-016, Raymond P. Boyer, J.C.Q., 7 janvier 2003.
[2] Pierre Latraverse, « Que dire du ouï-dire », dans service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit civil, Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 1999, p.2.
[3] R.C. Smith,
[4]
Gestion immobilière Dion, Lebeau Inc. c. Denis Grenier et Régie du logement,
[5]
Hajjar c. Hébert,
[6] France Ouellet c. Pascal Pouliot, R.L. 31-030812-091G, le 17 mai 2006, Me Francine Jodoin.
[7] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e édition Cowansville, p. 36 et 37, Les Éditions Yvon Blais inc.
[8] Idem p. 37.
[9]
Martin c. Lavoie,
[10]
Brummer c. Morcorp,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.