Décision

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Longpré c. Beaudoin

2023 QCTAL 29857

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Joliette

 

No dossier :

685289 29 20230308 G

No demande :

3822407

 

 

Date :

20 septembre 2023

Devant la juge administrative :

Manon Talbot

 

Gestion Longpré

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

David Beaudoin

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locatrice demande la résiliation du bail et l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement.

[2]         La locatrice invoque les motifs suivants à sa procédure :

« Une mise en demeure a été envoyée le 7 mars 2023 toutefois le défendeur ne veut pas quitter.

La partie défenderesse contrevient au bail, causant ainsi un préjudice sérieux au demandeur pour les motifs suivants :

- le 21 février 2023, des travaux pour la salle de bain était prévue. Toutefois, le locataire semblait avoir oublier le rendez-vous des travaux. Donc celui-ci ne voulait pas que la compagnie Bain Magique, ni le locateur entre dans le logement sans consentement.

- Le locateur mentionne que le locataire a un comportement agressif envers le locateur.

- Le défendeur a porté des menaces également.

- Le demandeur a contacté la police et un numéro d'événement a été créer. » (sic)

QUESTIONS EN LITIGE

[3]         La locatrice est-elle justifiée de demander la résiliation du bail du locataire?

CONTEXTE ET PREUVE

[4]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, au loyer mensuel de 495 $. L’augmentation de loyer de 50 $ demandée par le locateur pour la période 2023-2024 fait l’objet d’une demande de fixation de loyer.[1]

[5]         Le locataire habite l’immeuble depuis plus de cinq ans, mais depuis deux ans dans le logement concerné.


[6]         Selon le mandataire de la locatrice, Éric Longpré, le locataire est avisé d’un rendez-vous au logement avec un représentant de l’entreprise Bain Magique le 2 février 2023 pour une prise de mesure en vue du remplacement de la baignoire.

[7]         Bien qu’avisé du rendez-vous, dit-il, le locataire est absent. Monsieur croit à un oubli de sa part et l’appelle sur son cellulaire.

[8]         Le locataire est furieux et refuse de les laisser entrer au logement sans sa présence, mais il accepte de revenir pour leur donner l’accès. À son arrivée, le locataire adopte une attitude arrogante et tient des propos irrespectueux, dit-il. 

[9]         M. Longpré affirme avoir informé le locataire avant son départ de la date d’exécution des travaux, soit le 21 février suivant.

[10]     Lorsque les ouvriers se présentent à cette date, la porte du logement est débarrée. Croyant à un geste volontaire du locataire pour leur donner l’accès, ils entrent.

[11]     Malgré tout, M. Longpré appelle le locataire. Celui-ci s’emporte et exige la sortie immédiate de tout le monde entré chez lui.

[12]     Lorsque le locataire arrive peu de temps après, il est en colère et tient des propos désobligeants et menaçants, selon M. Longpré. Cependant, après discussion, le locataire donne accès à son logement et les travaux d’installation de la baignoire sont exécutés comme prévu.

[13]     Toutefois, exaspéré par le comportement du locataire, M. Longpré ne veut pas en rester là. Il se présente au poste de la Sureté du Québec pour dénoncer son comportement. Une carte d’appel est émise et le dossier est fermé.[2]

[14]     Le lendemain, monsieur Longpré transmet une mise en demeure au locataire lui demandant de quitter les lieux à la fin du bail et de lui confirmer son intention de déménager dans un délai de 10 jours, à défaut de quoi un recours en résiliation de bail sera entrepris.

[15]     Il est pertinent de citer au long l’extrait suivant de cette mise en demeure :

« Suite à un rendez-vous que vous sembliez avoir oublié, il était convenu que je procède ke 21 février dernier avec des employés de Bain Magique au remplacement du bain dans votre logement. Alors que je me suis présenté au logement pour entamer ces travaux à titre de locateur du logement, vous m’avez proféré des paroles menaçantes et irrespectueuses et un comportement et une attitude empreinte d’intimidation, allant jusqu’à menacer de m’infliger des blessures et de casser les fenêtres de nos bâtiments. Au surplus, cette intimidation s’est aussi manifestée par le coup que vous avez donné sur le véhicule de Bain Magique mardi 21 février en présence de Anthony Malboeuf, Carl Drainville et Tony Lafontaine, nous obligeant à ouvrir un dossier à la police (Audray St-Amant coupon 656) suite à cet état de crise.

Ces incidents graves constituent de l’intimidation, du harcèlement et un comportement inapproprié comme locataire du logement que vous louez de moi. Ces comportements ont également atteint mon droit à la jouissance paisible de mon bloc appartement.

Vous êtes donc, par la présente, mis en demeure de cesser tous comportements inappropriés, incluant tous gestes d’intimidation, de menaces et d’harcèlement envers moi et soyez avisés que vos gestes constituent une inexécution de vos obligations à titre de locataire aux termes de votre bail et que j’en ai subi un préjudice sérieux, faisant en sorte que je vous demande de quitter le logement que vous occupez à la fin de votre bail et d’y mettre fin, à défaut de quoi j’exercerai tous les droits en ma disposition, incluant une demande de résiliation de bail, dommages moraux et de dommages exemplaires.

Je vous mets en demeure de cesser ces comportements inappropriés et nous confirmer par écrit votre départ du logement en me remettant votre confirmation ci-après et ce, dans les dix (10) jours de la réception de la présente, à défaut de quoi je n’aurai d’autres choix que de prendre les recours contre vous en résiliation de bail, dommages moraux et exemplaires, sans autre avis ni délai.

Veuillez agir en conséquence. » (sic)


[16]     La réponse du locataire ne se fait pas tarder. Dans un message texte, il rectifie les faits en mentionnant qu’il n’a jamais été avisé de la première visite de Bain Magique par la conjointe de monsieur Longpré, comme allégué par ce dernier, ni de la deuxième visite pour l’installation de la baignoire. Le rendez-vous suivant était prévu environ un mois plus tard, mais la date précise ne lui a jamais été communiquée.

[17]     Le locataire ajoute qu’après avoir exigé au téléphone le départ des ouvriers, monsieur Longpré a répondu : « David si tu fais ça je te criss dehors ». Le locataire écrit ne pas avoir eu d’autre choix que de laisser le travail et retourner au logement.

[18]     Monsieur Longpré, en désaccord avec cette version du locataire, témoigne qu’il est excédé par le comportement du locataire au point qu’il évite de se présenter à l’immeuble.

[19]     Et dans le but d’éviter une escalade de conflits avec le locataire, même si sa conjointe ne souhaite pas s’impliquer dans la gestion de l’immeuble, monsieur Longpré lui demande d’agir comme intermédiaire avec le locataire.

[20]     De son côté, le locataire offre une version différente des événements.

[21]     Il conteste vigoureusement les allégations de M. Longpré, voulant qu’il ait été informé des dates de rendez-vous. Il dénonce donc l'entrée sans autorisation dans son logement et il invoque le non-respect de sa vie privée pour expliquer son mécontentement à l’égard de M. Longpré.

[22]     Ainsi, le locataire ne dément pas s’être emporté lors des événements survenus, sans toutefois admettre que son comportement était agressif et menaçant pour justifier d’alerter les policiers.

[23]     Il ajoute aussi que M. Longpré a également tenu des propos intimidants à son égard en plus d’exiger son départ du logement sans droit.

[24]     De plus, le locataire souligne que M. Longpré déclare faussement que sa conjointe ne participe pas à la gestion de l’immeuble puisqu’elle transmet souvent des communications aux locataires de l’immeuble.

ANALYSE ET DÉCISION

[25]     Le Tribunal juge pertinent de rappeler que les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante. La force probante de la preuve testimoniale est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui, pour ce faire, évalue la crédibilité des témoignages à la lumière de la chronologie des événements, de ce qui apparaît de la motivation des parties à agir et de la corroboration des allégations par d'autres témoignages notamment.

[26]     Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra.[3]

[27]     En l'espèce, pour obtenir la résiliation du bail recherchée, la locatrice doit démontrer que la locataire fait défaut de respecter ses obligations et que ce défaut lui cause un préjudice sérieux (article 1863 C.c.Q.).

[28]     Il y a lieu de rappeler les dispositions légales et pertinentes.

[29]     Selon les articles 1855, 1860, 1911 et 1912 C.c.Q., le locataire est tenu, notamment, pendant toute la durée du bail, de ne pas troubler la jouissance des autres locataires, d'user du bien loué avec prudence et diligence et de maintenir le logement en bon état de propreté. 

[30]     Aussi, l'obligation générale du locataire comporte celle de coopérer et de ne pas nuire au locateur dans l'accomplissement de ses propres devoirs. 

[31]     En cas de violation des obligations du locataire, le locateur peut demander la résiliation du bail, ce qui constitue une forte sanction comme le prévoit l'article 1863 C.c.Q.

[32]     Qu’en est-il en l’instance?


[33]     La preuve est contradictoire quant à savoir si le locataire a été avisé des rendez-vous à deux occasions en février 2023 afin qu’il donne accès à son logement. À cet égard, le Tribunal favorise la version du locataire.

[34]     En effet, la preuve n’a pas démontré qu’un avis a été donné au locataire pour l’accès au logement le 2 février. Même en retenant que le locataire a été avisé, il peut s’agir d’un oubli et celui-ci est retourné au logement pour permettre l’entrée dans les lieux après l’appel de M. Longpré.

[35]     Quant au rendez-vous du 21 février, la preuve d’un avis au locataire n’a pas non plus été démontrée. Le courriel de Bain Magique obtenu après les événements dans le but d’appuyer les prétentions de M. Longpré laisse plutôt croire que la date des travaux n'a pas été planifiée avec l'entrepreneur le 2 février, mais plus tard.

[36]     Cela étant, même si le Tribunal retient de la preuve que M. Longpré s’est présenté au logement sans avis, il ne conclut pas pour autant à une façon de faire délibérée puisque chaque fois le locataire est informé et il lui est donné l’occasion de se présenter. Le Tribunal juge que l’entrée sans autorisation le 21 février est un événement isolé qui n’a pas provoqué de réel dommage sinon l’indignation du locataire.

[37]     Ceci n’excuse évidemment pas une réaction de colère aussi vive que celle alléguée par M. Longpré. Le locataire semble avoir effectivement un tempérament prompt et impulsif, lequel ne peut justifier, à lui seul, la résiliation du bail. Celui-ci a exprimé de la colère, mais la preuve non corroborée de M. Longpré ne permet pas de conclure à un comportement violent et agressif du locataire. Les faits reprochés au locataire n'apparaissent pas aussi graves que M. Longpré ait pu le ressentir.

[38]     Le Tribunal constate que les parties communiquent difficilement leur mécontentement et leurs frustrations et qu’ils s’accusent mutuellement d’agir de mauvaise foi. En disposant du litige ainsi, le Tribunal est conscient que les parties ne vont pas davantage s'apprécier et que les conflits ne seront pas réglés. Ils ne sont toutefois pas insurmontables.

[39]     Le Tribunal invite donc les parties à de la bonne volonté de part et d'autre pour éviter d'autres conflits résultant de communications déficientes.

[40]     La demande de la locatrice est donc rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]     REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

le locataire

Date de l’audience : 

27 juin 2023

 

 

 


 


[1] Dossier 685291.

[2] Document intitulé Détail de la carte d’appel est déposé sous la cote P-2 en liasse.

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