Ndiaye c. Khalilur |
2018 QCRDL 30229 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
318649 31 20170203 G |
No demande : |
2171940 |
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Date : |
14 septembre 2018 |
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Régisseur : |
André Gagnier, juge administratif |
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Cheikh Mbacke Ndiaye |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Rahman Mohd Khalilur |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par une procédure déposée le 3 février 2017, le locataire réclame des dommages totalisant 78 395 $, soit des dommages matériels (58 850 $) et des dommages moraux (19 545 $).
[2] La majorité des dommages réclamés découlent d’une expulsion qui aurait été exécutée sans droit, selon le locataire, alors qu’il avait signifié une procédure en rétractation de la décision qui accordait son expulsion, ce qui aurait dû suspendre l’expulsion.
[3] L’avocate du locateur demande le rejet préliminaire pour deux motifs, soit le caractère abusif de la demande et l’absence de signification de la procédure dont le locateur a pris connaissance au tribunal ce 11 septembre 2018, soit environ 19 mois après son dépôt au tribunal.
[4] Quant au caractère abusif, l’on invoque que le locataire fut expulsé suite à une décision résiliant son bail, en conformité avec la loi et l’on invoque que la demande est manifestement exagérée.
[5] La procédure est fort imprécise quant à plusieurs aspects et à l’évidence certains principes élémentaires sont ignorés par le demandeur, tels la minimisation des dommages (10 000 $ de dommages « collatéraux » pour la boîte aux lettres défectueuse alors que la location d’un casier postal aurait été beaucoup moins coûteuse et sans déposer de procédure réclamant la réparation et, selon le locateur, sans mise en demeure réclamant la réparation) ou le fait qu’on ne saurait réclamer pour autrui (réclamation de 3 000 $ pour des biens appartenant à une tante).
[6] Il semble aussi y avoir des réclamations de quantum à l’importance non usuelle pour de telles réclamations devant la Régie du logement.
[7] Il semble aussi y avoir une allégation d’assurance couvrant les biens alors que le locataire dit avoir suspendu sa demande de paiement par l’assurance.
[8] Malgré ces aspects, il appert que certaines réclamations ne découlent pas de l’expulsion.
[9] Tel qu’exposé à l’audience, pour trancher sur le caractère abusif de la procédure, le tribunal devrait entendre toute ou une bonne partie de la preuve : cette demande préliminaire est donc prématurée et fut rejetée pour ce seul motif.
[10] Cependant, tel qu’indiqué à l’audience, la demande doit être rejetée pour absence de signification.
[11] En effet, le locataire affirme avoir expédié sa procédure par courrier recommandé et il affirme que ce courrier ne fut pas reçu par le défendeur et qu’il lui fut retourné : il n’a pas procédé à la transmettre ensuite par huissier ou par un autre moyen permettant de démontrer la réception.
[12] Il affirme ensuite l’avoir aussi transmise par courrier électronique mais il ne dispose pas de quelque preuve supportant cette prétention.
[13] Dans une décision rendue le 20 juin 2008[1], le tribunal citait une décision antérieure ayant reçu l’approbation de la Cour du Québec et déterminait qu’une signification effectuée 5 mois après le dépôt de la demande était effectuée dans un délai déraisonnable. Cette décision indique :
« 2) La signification
Une partie doit prouver devant le tribunal que la signification de la demande fut effectuée à chacune des autres parties dans un délai raisonnable. Dans une décision rendue le 6 décembre 2007(1), le tribunal avait déjà décidé que :
« ...l'article
L'article
«1. Le présent règlement vise à établir les règles de procédure applicables lors de l'exercice d'un recours devant la Régie du logement, de façon à en simplifier, à en faciliter et à en accélérer le déroulement, dans le respect des principes de justice fondamentale et de l'égalité des parties...» [le tribunal souligne]
La partie demanderesse a donc le devoir de fournir à la partie défenderesse copie de la demande dans un délai raisonnable suivant le dépôt de la demande. Lorsque le délai de signification n'est pas raisonnable, le tribunal estime que les principes de justice fondamentaux et de l'égalité des parties ne sont plus respectés.
Bien que le fond d'un litige ne doive pas être esclave de la procédure, le droit de la partie défenderesse d'être avisée de la procédure dans un délai raisonnable participe à une règle de fond qui seule permet de préparer sa défense adéquatement, de voir à conserver sa preuve et d'ainsi faire valoir ses droits lors de l'audition.
En conséquence, le tribunal estime que le délai raisonnable de signification est limité au très court temps nécessaire à effectuer cette simple démarche.
Un délai pourra évidemment être déclaré raisonnable s'il fut allongé en raison des actes de la partie défenderesse : ce sera le cas lorsque cette dernière refuse de recevoir ou néglige d'aller quérir un courrier recommandé. L'évaluation du caractère raisonnable du délai pourra également tenir compte des aléas incontrôlables, telle une grève de la poste ou des huissiers.
Cependant, cette notion de délai raisonnable ne saurait permettre à une partie demanderesse quelques inertie ou négligence, car elle se doit d'agir en vue de satisfaire à son devoir de signifier la demande dans un délai raisonnable.
Tel qu'exposé lors de l'audience, la loi prévoit une solution lorsqu'il est impossible pour une partie de retracer l'autre partie afin de lui signifier une demande. L'on peut alors s'adresser au tribunal afin de requérir l'autorisation de procéder par un mode spécial de signification, telle une signification par la voie des journaux. Il s'agit d'une démarche simple et rapide. »
Cet extrait de la décision fut cité avec approbation par la Cour du Québec dans une décision rendue le 18 mars 2008(2).
Ainsi, le tribunal estime que le délai de signification d'environ 5 mois pour une demande de recouvrement est, en l'espèce, déraisonnable et que pour ce seul motif la demande originaire doit être rejetée contre les locataires. »
[14] Ladite décision de la Cour du Québec[2] ajoutait que « La question du délai raisonnable, à l'intérieur duquel une partie doit signifier à l'autre sa demande avant d'être entendue devant la Régie du logement, relève de l'appréciation du décideur de première instance ».
[15] Ainsi, l’article
[16] Un délai de 5 mois est donc déraisonnable lorsqu’aucun motif ne justifie un tel laxisme.
[17] La jurisprudence de la Régie du logement est partagée quant au sort d’une demande signifiée avec retard, après l’écoulement du délai raisonnable.
[18] La jurisprudence majoritaire estime qu’une telle demande doit être rejetée.
[19] La jurisprudence minoritaire, fondée sur l’évolution du droit depuis 30 années quant à la primauté du fond sur la procédure, importe les principes dégagés par la jurisprudence relative à des accrocs à la procédure prévue au Code de procédure civile. Elle est à l’effet que le préjudice doit alors être analysé en détail afin de soupeser le remède approprié.
[20] Le tribunal estime, avec égards pour l’opinion contraire, que cette dernière tendance omet de considérer le fait que la procédure devant la Régie du logement est fort simplifiée et que le Règlement sur la procédure devant la Régie du logement évite que celle-ci puisse dominer le fond d’un litige.
[21] Ainsi, le législateur a su tenir compte de l’évolution de la jurisprudence depuis 30 années lors de la rédaction de ce Règlement, car la procédure y est des plus simplifiée.
[22] Malgré cette grande simplification, le législateur a décidé de maintenir une exigence fondamentale, soit que la signification d’une demande soit effectuée dans un délai raisonnable.
[23] Plusieurs motifs peuvent expliquer ce choix du législateur. Par exemple, le législateur a pu considérer fondamental le droit d’une partie défenderesse d’être informé dans un délai raisonnable de toute procédure déposée contre elle et il a pu considérer que le défendeur n’a pas à démontrer les conséquences découlant d’une signification tardive dont, entres autres, sa capacité à retrouver et conserver la preuve de sa défense, l’exercice de son choix de déposer une demande contre l’autre partie (la demande reconventionnelle n’étant pas permise devant la Régie du logement) et son choix possible de continuer à faire affaire avec l’autre partie.
[24] À cause de la procédure simplifiée devant la Régie du logement, il est fort délicat d’importer les principes dégagés par la jurisprudence atténuant les impacts des erreurs de procédures découlant des exigences du Code de procédure civile du Québec. Une telle approche pourrait avoir pour conséquence d’éliminer tout effet aux quelques rares exigences que le législateur a décidé d’imposer via le Règlement sur la procédure devant la Régie du logement. Cette approche peut donner à penser aux justiciables, voire même aux avocats les représentant, qu’ils peuvent faire preuve du plus grand laxisme, d’un irrespect total des règles de procédures simplifiées et élémentaires, sans qu’il y ait de conséquence.
[25] Le tribunal considère au surplus qu’il ne peut questionner le souhait du législateur, exprimé de façon limpide, de maintenir l’exigence de la signification d’une demande dans un délai raisonnable, sans discuter du préjudice à la défense.
[26] Le fardeau de la preuve de la signification repose sur les épaules du demandeur.
[27] L’article
« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention ».
[28] Les auteurs Nadeau et Ducharme décrivent ainsi les conséquences de l’absence de preuve ou de son insuffisance :
« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est à dire qu’il perdra définitivement son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité… »[3]
[29] Tel que l’indiquent
les articles
[30] Une demande doit être rejetée si elle n’a pas été signifiée ou si elle n’a pas été signifiée dans un délai raisonnable.
[31] La demande ne fut pas signifiée et elle doit donc être rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[32] REJETTE la demande.
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André Gagnier |
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Présence(s) : |
le locataire le locateur Me Sonia Loiselle, avocate du locateur |
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Date de l’audience : |
11 septembre 2018 |
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[1]
Mahshid Peyrow c. Anita Faivre,
[2] Abe Syne, ci-haut Note 1, citation 2.
[3] Nadeau, André et Ducharme, Léo, Traité de droit civil du Québec, Volume 9, 1965, Montréal, Wilson & Lafleur, pages 98-99.
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