Décision

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Portelance c. Lefebvre

2025 QCTAL 15453

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jean

 

No dossier :

832089 25 20241114 G

No demande :

4527759

 

 

Date :

30 avril 2025

Devant la juge administrative :

Marilyne Trudeau

 

Amélie Portelance

 

Olivier Coutu-Tousignant

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Christian Lefebvre#A

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par un recours introduit le 14 novembre 2024, les locateurs demandent la résiliation du bail, l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement.
  2.          Les locateurs demandent la résiliation du bail au motif que le locataire a illégalement sous-loué son logement sans les aviser.
  3.          Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 1 035 $.
  4.          L’immeuble concerné est un duplex. Les locataires occupent le second logement.
  5.          Dument notifié de la demande et convoqué, le locataire est absent à l’audience.

APERÇU ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

  1.          Les locateurs expliquent que le locataire est un militaire. Sachant qu’il allait être déployé, il leur a demandé s’ils étaient ouverts à la sous-location.
  2.          Ils ont ensuite vu une annonce de location du logement placée par le locataire sur les réseaux sociaux, au loyer mensuel de 1 500 $.
  3.          Le 24 septembre 2024, le locataire les informe qu’il a été officiellement déployé et qu’il souslouait le logement. Il a soumis les noms de deux candidats. Un premier qui ne s’est jamais manifesté et un second dont la cote de crédit était mauvaise. Informé des résultats, le locataire indique avoir trouvé un autre candidat. Il ne les informe toutefois pas de l’identité de celui-ci.

  1.          Le 9 octobre 2024, un rappel est envoyé au locataire afin d’obtenir l’avis de sous-location.
  2.      Le 31 octobre 2024, quelqu’un est arrivé au logement avec un camion de déménagement. Ils ne connaissent alors pas du tout l’identité de cette personne.
  3.      Selon les termes du bail, la présence d’animaux et fumer sont interdits. Or, les occupants ont deux chats et fument dans le logement. Les odeurs de cigarette sont perceptibles dans leur logement.
  4.      Les locateurs ont reçu par écrit, la confirmation de l’occupant qu’il paye un loyer mensuel de 1 500 $ au locataire. 
  5.      De plus, le loyer des mois de janvier et mars 2025 n’a pas été payé par le locataire.
  6.      Le locataire a changé la destination des lieux en sous-louant dans un dessein lucratif alors que le logement est loué à des fins résidentielles seulement;

QUESTION EN LITIGE

  1.      Y a-t-il eu sous-location illégale du logement justifiant la résiliation du bail?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de la preuve

  1.      Le Tribunal tient à souligner qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
  2.      Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
  3.      Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
  4.      Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

Sous-location et le changement de destination

  1.      Rappelons les articles 1856, 1863, 1870 et 1871 du Code civil du Québec qui se lisent comme suit :

« 1856. Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué. »

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, à la locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

« 1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession.»


« 1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.

Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indiquer au locataire, dans les quinze jours de la réception de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. »

  1.      Pour obtenir la résiliation du bail, les locateurs doivent prouver que le locataire contrevient à ses obligations et que cela leur cause un préjudice sérieux[2].
  2.      Dans la présente affaire, vu la preuve non contestée selon laquelle le locataire a sous-loué son logement sans transmettre d'avis aux locateurs, le Tribunal doit conclure qu'il a contrevenu à ses obligations.
  3.      De plus, la preuve démontre que le locataire effectue une activité commerciale de sous-location des lieux pour laquelle il n'a jamais avisé les locateurs. En effet, alors que son loyer mensuel est de 1 050 $, le locataire a sous-loué son logement au loyer mensuel de 1 500 $, tel qu’il appert de la confirmation reçue par les locateurs de l’occupant. Le locataire tire donc des revenus de 450 $ par mois de cette sous-location.
  4.      Or, l'utilisation du logement à des fins lucratives constitue un changement de destination des lieux.
  5.      Par son agissement unilatéral, le locataire prive les locateurs de leur droit, en vertu de l'article 1871 C.c.Q., de consentir ou de refuser la sous-location. Les locateurs ne connaissaient aucunement l'identité de la personne qui a emménagé dans le logement et n’ont jamais été avisé de son arrivée.
  6.      Le Tribunal considère que le locataire en sous-louant illégalement le logement à des fins lucratives contrevient à ses obligations.

Les locateurs en subissent-ils un préjudice sérieux?

  1.      Quant au préjudice sérieux, le Tribunal reprend les motifs énoncés dans la décision Habitations du Centre-Ville c. Tchatat[3]:

« [44] Dans tous les cas de figure, la locatrice assume des risques; que ce soit concernant l'intégrité du logement, la qualité des occupants, la couverture d'assurance en cas de sinistre, l'application de règles à caractère pénal et tout cela va bien au-delà du contrat initial, à savoir le bail conclu pour des fins résidentielles seulement.

[45] L'on pourrait opposer que les dommages ne sont pas actuels. Rappelons-nous l'enseignement des auteurs Jean-Louis Beaudouin et Patrice Deslauriers qui écrivaient (14) au sujet des dommages futurs :

« Le caractère de certitude du dommage est cependant apprécié d'une façon relative. Les Tribunaux n'exigent pas, en effet, une certitude absolue, mais une simple probabilité. »

[46] Le Tribunal conclut que le préjudice est suffisamment certain et qu'il n'est pas opportun d'attendre la réalisation de tous ces risques. Il ne fait par ailleurs aucun doute que les préjudices invoqués sont sérieux.

[47] Voici comment s'exprimait l'Honorable Jean-F Keable de la Cour du Québec dans l'affaire 23342801 Québec inc. c. White (15) :

« [33] L'inexécution des obligations du locataire permet à un locateur de recourir à l'article 1863 [8] du Code civil du Québec et de demander des dommages-intérêts et, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature. Ici, l'exécution en nature est impossible et les dommages-intérêts ne constituent pas la nécessaire mesure préventive prudente et sécuritaire.

[34] L'inexécution des obligations du locataire cause un préjudice sérieux au locateur et lui permet de demander la résiliation du bail. Le danger est réel et prévisible. Attendre son arrivée subite ne ferait qu'imposer au locateur un préjudice encore plus grand, sans compter les impacts sur des tiers étrangers au litige. »

  1.      Ici, la preuve révèle donc qu'il y a eu contravention et préjudice sérieux pour les locateurs.


Les autres manquements aux obligations

  1.      La preuve démontre que l’occupant du logement ne respecte pas les conditions prévues au bail en possédant deux chats et en fumant. Les locateurs sont incommodés par la fumée de cigarette et ne peuvent jouir paisiblement de leur propre logement.
  2.      Or, il est reconnu que la fumée secondaire est une nuisance.
  3.      À ce sujet, le Tribunal fait sienne l'analyse de sa collègue, la juge administrative Manon Talbot[4] dans une décision qui a été rendue alors que le bail ne contenait pas une telle interdiction :

« [39] De l'avis de la soussignée, il est bien établi que des résidents non-fumeurs dans un immeuble peuvent dans certains cas être exposés à la fumée de tabac de leurs voisins en raison de l'infiltration de celle-ci par les portes et les fenêtres ouvertes, les interstices dans les plafonds et les planchers, les prises électriques, les systèmes de ventilation et les fissures.

[40] Il est aussi maintenant bien connu que l'exposition à la fumée de tabac peut créer un impact sur la santé des non-fumeurs. Les campagnes de publicité et l'adoption de lois successives ces dernières années restreignant l'usage du tabac dans plusieurs lieux (8) révèlent une préoccupation de santé publique au Québec.

[41] Déjà en 2008, la Cour Supérieure sous la plume du juge Normand Amyot dans l'affaire Koretsky c. Fowler écrivait ce qui suit :

« [88] Depuis quelques années, le législateur a prohibé l'usage du tabac dans les endroits publics. Cette interdiction de fumer inclut notamment:

a) les espaces communs des immeubles à logements contenant plus de six unités;

b) les espaces communs des résidences pour personnes âgées;

c) les garderies en résidences privées durant les heures où des enfants sont sur les lieux;

d) les automobiles dans lesquelles prennent place des enfants.

[89] Si le législateur a ainsi prohibé l'usage du tabac dans la sphère publique, c'est qu'il reconnaît les risques que l'exposition à la fumée du tabac fait courir aux non-fumeurs.

[90] Aucune loi n'interdit formellement à une personne de fumer dans son logement. Cependant, le droit du fumeur au respect de sa vie privée est limité par le droit des autres occupants d'un immeuble à jouir paisiblement de leur logement.

[91] Cette jouissance paisible inclut le droit de ne pas subir les effets négatifs de la fumée. » (9)

[42] Dans cette même décision, le juge Amyot cite le juge Raoul Barbe concernant l'odeur de cigarette :

[82] Relativement à la senteur de cigarette, le juge s'exprime ainsi :

« Quant à la senteur de cigarettes, il faut noter que la société devient de plus en plus sévère à l'égard des fumeurs; le Législateur a décrété des zones d'interdiction de fumer; il semble bien qu'un locateur pourrait édicter une telle prohibition dans ses logements puisqu'un fumeur ne peut quand même pas obliger ses voisins à être des fumeurs passifs, d'autant plus que la science médicale a maintenant établi que la cigarette et la fumée étaient une cause de cancer (10).

[43] La soussignée adhère à ce qui précède et estime que la présence d'odeur de cigarettes dans un logement et possiblement de fumée secondaire peuvent empêcher d'autres occupants de l'immeuble de jouir paisiblement de leur logement même si pour d'autres individus la fumée secondaire se tolère davantage. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres.

[44] Ainsi, pour réussir en la présente cause, le locateur doit démontrer que le fait pour le locataire de fumer ou de permettre à d'autres personnes de fumer dans le logement trouble la jouissance normale des lieux aux autres occupants de l'immeuble en raison des odeurs fortes, persistantes et désagréables.

[45] En l'instance, la preuve non contredite démontre que le locataire nuit à la jouissance des lieux à d'autres occupants de l'immeuble. (...) »

[Références omises]

  1.      Le même raisonnement s'applique dans la présente affaire. Le locataire étant par ailleurs responsable des comportements fautifs des personnes à qui il donne accès à son logement.

  1.      Enfin, l’absence de paiement du loyer pour une période équivalente à deux mois au jour de l’audience, ajoute au préjudice que subissent les locateurs de la sous-location illégale du logement par le locataire.
  2.      Par conséquent, la résiliation du bail est justifiée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE la demande;
  2.      RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marilyne Trudeau

 

Présence(s) :

les locateurs

Date de l’audience : 

31 mars 2025

 

 

 


 


[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[2] Article 1863 du Code civil du Québec.

[3] 2019 QCRDL 24413.

[4] Sidorov c. Thérien 2018 QCRDL 3482 qui réfère à (8) - Loi concernant la lutte contre le tabagisme, RLRQ c. L6-2. (9) - 2008 QCCQ 2534. (10) - Stéfanelli c. Lavigne (1996) Revue légale R.L. p. 643.

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