Joe Caprera inc. c. Benliro | 2023 QCTAL 14662 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Montréal | ||||
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No dossier: | 641597 31 20220712 F | No demande: | 3604972 | |
RN :
| 3585139
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Date : | 15 mai 2023 | |||
Devant le greffier spécial : | Me Gabriel Miron | |||
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Joe Caprera Inc. | ||||
Locateur - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Fernando Benliro
Maria Leni Benliro | ||||
Locataires - Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION
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[1] Le locateur a produit une demande de fixation de loyer conformément à l'article
[2] La demande a été introduite au Tribunal administratif du logement (TAL) au cours de l’année 2022, et vise la fixation du loyer des locataires pour la période 2022-2023.
[3] Les parties sont liées par un bail du 1er novembre 2021 au 31 octobre 2022, à un loyer mensuel de 1 125,00 $. C’est au terme de cette période que la présente demande du locateur vise à augmenter le loyer pour les 12 mois suivants.
[4] À l’audience, le locateur est présent et fait valoir son point de vue sur le dossier.
[5] Rappelons que lors de cette audience, le Tribunal a entendu neuf (9) dossiers du même locateur, puisque la preuve des dossiers était sensiblement la même. Cinq dossiers concernent l’immeuble situé au 4450. Et les quatre autres dossiers concernent l’immeuble voisin, situé celui-ci au 4452 du même boulevard.
[6] La preuve révèle que les deux immeubles, de près de 80 logements chacun, se jouxtent sur des terrains adjacents.
[7] Les stationnements, des bandes de gazon et une piscine commune complètent les deux ensembles.
[8] Plusieurs locataires étaient présents lors de l’audience, et ont pu s’exprimer sur le dossier de fixation 2022-2023.
[9] Des documents ont également été autorisés à être produits à la suite de l’audience, laissant ainsi un délai d’ajout de pièces et de documents jusqu’au 14 février 2023. Ces documents comprennent notamment une argumentation écrite du procureur d’un des locataires présents. Suite à la réception de ces documents, le Tribunal a pris les dossiers en délibérés.
[10] Bien que le Tribunal ait traité des neuf dossiers lors de l’audience, une décision propre à chaque dossier sera rendue.
1- Principes généraux régissant la fixation du loyer
[11] Le locateur qui désire bénéficier d’une modification du bail, conformément aux exigences de l’article
[12] Par la suite, il doit notifier aux locataires la demande et le formulaire de renseignements nécessaires (RN) à la fixation du loyer. Il est tenu de notifier ces éléments aux locataires visés, mais pourra ne déposer au dossier les pièces au soutien de sa demande que le jour de l’audience[1].
[13] Dans le présent dossier, le locateur a produit un formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (RN) au dossier des locataires dans les délais légaux. Ce formulaire est daté du 1er février 2022, et ce tant pour l’immeuble du 4450 que le 4452. Les deux documents sont également signés par le locateur[2].
[14] Au jour de l’audience, le locateur produit de tout nouveaux formulaires RN. Ils sont toujours datés de la même date, soit le 1er février 2022, et signés par le locateur, comme la première mouture, et ce pour les deux immeubles[3].
[15] Ces formulaires présentent cependant d’importantes différences quant aux sommes fournies pour la majorité des informations devant s’y trouver lors du dépôt initial. Celui prescrit par l’article 56.3 LTAL.
[16] Dans le formulaire P-2 du 4450, seuls les loyers mensuels, et les frais d’énergie ne sont pas modifiés en les comparant à la première version déposée.
[17] Dans le formulaire P-1 du 4452, seuls les loyers mensuels, les frais d’énergie et une des deux sommes des assurances visées ne sont pas modifiés en les comparant à la première version.
[18] C’est donc dire que le locateur produit un formulaire RN dans le délai que lui prescrit la loi, à la suite de l’ouverture de ses dossiers, mais que ce formulaire est en grande partie erroné et ne repose en rien sur la preuve qu’il soumettra par la suite. Rappelons que la loi impose au locateur de dûment compléter ce formulaire[4].
[19] Les disparités entre les deux formulaires RN ne sont pas minimes, des sommes importantes ne se trouvaient pas sur les RN initiaux, et sont par la suite ajoutées lors du dépôt de ces RN amendés le jour de l’audience. Nous y reviendrons.
[20] Par la suite, selon les principes reconnus par le TAL, le locateur se présente en audience, et il doit déposer les pièces au soutien de son formulaire et ainsi pouvoir se décharger de son fardeau que lui impose la loi en pareille situation.
[21] Il est vrai qu’à l’occasion le Tribunal puisse permettre la modification d’un formulaire RN, pour le rendre conforme à la preuve soumise des factures et contrats liés. Mais cette permission vise la correction d’erreurs cléricales, de montants inexacts, etc. Elle ne vise pas le remplacement complet de toutes les dépenses soumises initialement.
[22] À la suite de la présentation de ces preuves, le Tribunal peut confirmer les sommes, les modifier ou encore en retirer certaines qui n’ont pu être prouvées et justifiées par le locateur pour le dossier visé.
[23] Les témoignages des parties sont aussi fort utiles pour que le Tribunal puisse apprécier la preuve recueillie et apprécier le mérite des éléments présentés.
[24] Ce principe repose notamment sur les règles d’administration et d’appréciation de la preuve devant un tribunal. Celles-ci se trouvent codifiées dans le Livre septième du Code civil : De la preuve[5].
[25] Le locateur doit donc convaincre le Tribunal de façon probante des faits qui soutiennent sa prétention. Dans le présent dossier, il doit convaincre le Tribunal des dépenses et des revenus qu’il a engagés pour l’année 2021 sur les immeubles visés par la présente demande. Ce sont les articles pertinents du Règlement sur les critères de fixation de loyer[6] (Le Règlement de fixation) qui prévoient ces éléments.
[26] À la fin des audiences et du dépôt des éléments de preuve, le Tribunal prend le dossier en délibéré et rend sa décision sur la demande. Le mérite des éléments est apprécié, tout comme la force probante des témoignages entendus et des documents déposés.
[27] Cette analyse, qui revient au greffier spécial dans ce type de demande, est une des étapes les plus importantes du processus décisionnel. Que retient-il de la preuve, quelle force donne-t-il aux éléments fournis, quel mérite accorde-t-il aux témoins entendus, etc.
[28] Revenons maintenant au présent dossier et à l’analyse des principes énoncés précédemment quant à la preuve requise et au fardeau que doit rencontrer le demandeur dans une telle demande devant le TAL.
2- La preuve documentaire et testimoniale du locateur dans le présent dossier
i) L’exigence du formulaire RN dûment complété
[29] Dans le dossier, le Tribunal reçoit du locateur le jour même de l’audience, des formulaires RN amendés qui sont complètement différents de ceux soumis initialement.
[30] La preuve révèle, comme mentionnée ci-haut, que les sommes sont en grande majorité bien différentes quant à la répartition des dépenses de cet immeuble. La disparité n’est pas minime lorsque le Tribunal compare les deux formulaires RN soumis dans le dossier.
[31] Le Tribunal conclut donc que ce formulaire RN initialement remis aux locataires et déposé au dossier du TAL en 2022 n’est pas dûment complété par le locateur, contrairement à ce qu’exige la loi.
[32] Il importe de rappeler que l’article 56.3 LTAL précise que ce formulaire doit être dûment complété par le locateur, avant sa remise aux locataires et son dépôt au dossier du TAL. Que signifie ce terme : dûment complété?
[33] Ni la loi, ni le Code civil, ni le Règlement sur la fixation ne définissent l’expression dûment complété.
[34] Or, le mot dûment, selon les dictionnaires usuels, se définit comme : étant fait selon les formes prescrites, ou encore, comme il se doit (se devait); selon les règles, les formes requises par la loi. Être dûment averti, fait dûment constaté, formulaire dûment rempli[7].
[35] C’est donc dire que ce formulaire doit, lorsqu’il est rempli initialement par le locateur, être complété correctement et les informations colligées doivent être valables et réelles. Ce ne peut être de simples estimations ou des montants aléatoires et inexacts. C’est du moins ce que dit l’article en question.
[36] Si ces chiffres fournis par le locateur pouvaient n’être que de simples estimés, ou des montants approximatifs, le terme dûment complété mentionné à l’article 56.3 LTAL perdrait tout son sens.
[37] En effet, si le locateur, en recevant le formulaire RN du TAL, n’avait qu’à compléter des données aléatoires, fiables ou non, estimées ou réelles, exactes ou inexactes… peu importe, et sachant qu’il pourrait toujours produire les véritables données financières uniquement le jour de l’audience, il ne pourrait respecter les exigences prévues à cet article de la loi. De l’avis du Tribunal, le législateur n’a pu vouloir créer un tel scénario.
[38] En modifiant la loi en 2020 et en imposant au locateur une forme prescrite du formulaire que lui transmet le TAL, il semble que le législateur voulait l’obliger à un exercice de rigueur et de conformité des données fournies dès ce moment. Il voulait, selon l’interprétation simple du texte de la loi, obliger le locateur à fournir un formulaire dûment complété. En ayant des données financières fiables.
[39] Rappelons qu’un délai est également prescrit par cet article pour transmettre ce formulaire RN dûment complété. Il est alors concevable que le législateur recherchait par les mots dûment complété qu’on y retrouve une exactitude dans les données à fournir de la part du locateur. Penser autrement viderait de son sens l’objectif et les termes prévus à l’article 56.3 LTAL.
[40] Ajoutons que le locateur dispose d’un temps additionnel pour remplir ce formulaire, contrairement à la demande initiale qu’il dépose au TAL. Il dispose de 90 jours, plutôt que de 45, pour transmettre aux locataires visés par sa demande de fixation les données du formulaire. Ce délai incite à croire que le législateur l’a prolongé pour lui permettre de parfaire l’exactitude des données qu’il doit dûment compléter dans ce formulaire.
[41] Enfin, l’essence même des délais et des périodes de référence que le Règlement sur la fixation détermine, pour compiler les sommes dépensées pour un immeuble, porte à conclure que le législateur n’a pas pris à la légère les exigences entourant la complétion du formulaire RN, afin que les informations transmises soient exactes et fidèles aux données financières de l’immeuble en question. Il ne pouvait vouloir que le locateur n’en fasse d’abord qu’une simple estimation de celles-ci, et permettre qu’elles soient toutes modifiées le jour d’audience étant venu.
[42] En effet le Règlement sur la fixation prévoit expressément que les demandes de fixation de loyer des baux se terminant jusqu’au 31 mars de l’année devront se baser sur l’avant-dernière année civile comme période de référence des dépenses et des revenus. Cette exigence du règlement permet alors au locateur de connaître les dépenses et revenus exacts de l’immeuble[8].
[43] Il est donc clair aux yeux du Tribunal que la préparation et la complétion du formulaire RN par le locateur ne doit pas être prise à la légère lors de sa rédaction initiale.
[44] Qu’en est-il dans le présent dossier? Tel que mentionné précédemment, le locateur produit deux formulaires RN complètement différents pour un même immeuble. Un déposé et notifié dans les délais, et le second remis en audience le 31 janvier 2023, et qui vise à ajouter des dépenses et corriger largement plusieurs montants fournis dans la première mouture.
[45] De l’avis du Tribunal, si le formulaire RN avait été amendé le jour de l’audience en n’y modifiant que quelques sommes inscrites, pour corriger des coquilles, des erreurs de quelques dollars, ou encore en ajoutant des éléments, auxquelles des explications plausibles étaient liées, le Tribunal aurait pu l’accepter pour le rendre conforme à la preuve soumise.
[46] Tel que déjà précisé, il n’est pas rare de permettre un ajout ou un retrait d’une ou deux factures mal répertoriées, ou encore un ajustement d’un compte de taxes ou d’assurances survenus en cours de procédure. Mais ce n’est pas ce qu’a ici fait le locateur. Il a grandement modifié les sommes des formulaires RN entre les deux versions déposées.
[47] Dans le cas de l’immeuble du 4450, il a ajusté les primes d’assurance à plus de 3 000,00 $ d’augmentation dans la mouture amendée lors de l’audience. Les frais d’entretien ont été ajustés à la hausse de plus de 13 000,00 $ entre les deux versions. Les projets des travaux majeurs, initialement dénombrés à cinq pour un total d’un peu plus de 550 000,00 $ sont passés à sept projets totalisant cette fois plus de 902 000,00 $. Le Tribunal rappelle que ces sommes concernent le même immeuble, et la même période de référence, soit 2021. Il est donc surprenant de trouver de si grandes disparités entre les deux versions, signées à la même date, mais déposées avec près d’un an de délai entre les deux dépôts.
[48] Dans le cas de l’immeuble du 4452, le locateur a ajusté les taxes de plus de 30 000,00 $ pour chaque année dans son formulaire RN amendé. Les taxes scolaires ont quant à elles presque doublé. Enfin, les travaux majeurs au nombre de quatre projets sur le formulaire initial totalisaient un peu plus de 700 000,00 $. Or, ceux-ci sont passés à neuf projets différents, pour un total augmenté à la hausse de plus de 300 000,00 $ que sur le formulaire initialement déposé. Le même commentaire s’applique ici aussi quant aux divergences.
[49] Le Tribunal conclut donc que le locateur n’avait pas dûment complété ces formulaires RN, et ce contrairement aux exigences de l’article 56.3 LTAL lors de son dépôt initial.
[50] Que ces erreurs soient volontaires ou non, là n’est pas la question. Mais sur la base de cette simple exigence légale non respectée, le Tribunal pourrait rejeter la demande du locateur dans les dossiers soumis du 4450 et 4452.
[51] Or, il y a plus, et c’est sur ce second élément que le Tribunal s’entretiendra par la suite.
[52] Même si le Tribunal prenait pour fin de calcul les nouveaux formulaires soumis lors de l’audience, il doit aussi juger quelle est la force probante qu’il faut accorder aux éléments de preuve soumis par le locateur pour justifier ses nouveaux formulaires RN.
ii) Force probante des documents soumis et crédibilité du locateur
[53] Comme mentionné ci-haut, le locateur-demandeur doit prouver de façon convaincante que les éléments qu’il soumet au Tribunal doivent être avérés et retenus pour qu’ils soient pris en compte dans le calcul de la hausse des loyers demandés.
[54] Bien que les hausses qu’il demande au total ne soient pas exorbitantes, il n’en demeure pas moins que la preuve présentée par une partie demanderesse au sujet des dépenses engagées, doit être démontrée selon la balance des probabilités. Que signifie cette expression dans l’étude d’un moyen de preuve soumis par une partie?
[55] Il doit être plus probable qu’improbable que les pièces soumises et les témoignages entendus soient fondés, crédibles, valables et démontrés. Dans le cas d’une demande de fixation de loyer, le locateur doit fournir des éléments permettant au Tribunal de croire qu’il est probable que les sommes avancées l’ont été réellement, pour l’immeuble visé et la période visée.
[56] Selon le Règlement applicable, les dépenses doivent être supportées par le locateur, pour l’immeuble visé, et l’avoir été dans l’année de référence qu’il prétend, ici 2021[9].
[57] Or, le Tribunal conclut dans le dossier que les factures soumises par le locateur ne rencontrent pas ce seuil. La preuve fournie n’amène pas le Tribunal à croire qu’il est probable que les dépenses mentionnées pour l’immeuble l’ont été réellement. Le niveau de preuve du locateur jugé par le Tribunal n’est pas convaincant ni probant, quant aux dépenses faites sur l’immeuble, et dont il a fourni des preuves écrites et des explications.
[58] D’abord, tel qu’expliqué ci-haut, il est plutôt surprenant qu’entre le premier formulaire RN complété et le second, une si grande disparité survienne dans les calculs et dépenses qu’a effectués le locateur sur son immeuble en 2021. Questionné sur ces différences par le Tribunal, celui-là affirmait en audience qu’il s’était probablement trompé dans les chiffres avancés initialement pour expliquer ces différences importantes.
[59] De plus, tout au long de son témoignage, le locateur explique qu’il dépense beaucoup d’argent pour entretenir et maintenir dans un excellent état ses immeubles. C’est notamment pour cette raison qu’il dépense autant, et qu’il désire ainsi offrir un produit de qualité sur le marché aux locataires.
[60] Pourtant, quand les locataires ont rendu témoignage, ils ont une tout autre vision de leur immeuble. Celui-ci est, selon eux, dans un état de laisser-aller, peu entretenu, voire délabré à plusieurs endroits. Ils subissent les aléas des bris, peu de choses sont réparées, les aires communes sont vétustes et mal nettoyées, etc.
[61] Le Tribunal a questionné le locateur sur ces disparités dans les témoignages entendus, en lui demandant comment se faisait-il qu’il puisse entendre des témoignages si différents du même endroit. Un lieu idyllique et si plaisant y vivre selon lui, face à un endroit complètement laissé à lui‑même et sans véritable entretien ni réparation, selon les défendeurs entendus.
[62] Le locateur a alors confirmé au Tribunal qu’il souhaitait maintenir ses immeubles dans un excellent état pour pouvoir les louer et ainsi offrir à des locataires un très bon produit.
[63] Pour lui, le simple fait que moins de 10 locataires, sur le total des résidents des deux immeubles, refusaient les augmentations demandées prouve que son immeuble est en bonne condition.
[64] Le Tribunal ne tire pas les mêmes conclusions quant au nombre de locataires présents pour refuser les augmentations, et la qualité de l’immeuble vantée par le locateur.
[65] Enfin, sur le témoignage du locateur, le Tribunal retient un élément important pour la suite de l’analyse. Celui-là affirme qu’il tente de maintenir les dépenses de ses immeubles au meilleur coût. Il désire payer ses fournisseurs au meilleur prix possible, ce qui est bien concevable. Il affirme conclure des ententes pour économiser sur les dépenses, ce avec quoi tout le monde peut être d’accord. Mais lorsque le Tribunal analyse la preuve qu’il soumet, les conclusions seront toutes autres, rendant ainsi peu crédibles les propos du locateur sur ses façons de dépenser pour ses immeubles.
[66] Comme l’a soulevé le procureur d’un des locataires présents, le locateur allègue des dépenses bien supérieures à tous les revenus de ses deux immeubles pour 2021. Ceci semble peu réaliste pour le Tribunal.
[67] En sachant comment le locateur explique ses façons de faire en affaire, il est surprenant d’arriver à ces calculs. Le locateur affirme d’un côté tenter de payer les meilleurs tarifs pour ses fournisseurs de service, mais en analysant ses dépenses, elles vont bien au-delà de tous ses revenus tirés des loyers de l’immeuble. C’est donc dire, selon les documents, qu’il essuie des pertes financières pour l’année 2021, si l’on se fie à ses chiffres.
[68] Son plan d’affaires semble avantageux pour les locataires lorsque le locateur avance dépenser bien au-delà de ses revenus, mais les témoignages entendus rendent peu crédibles les propos du locateur. Les factures soumises sont donc peu convaincantes quant au caractère fondé ou non de leur réelle dépense par le locateur pour 2021 dans cet endroit.
[69] Le locateur aurait dépensé au-delà d’un million de dollars pour chaque immeuble en 2021, selon ses documents, Or, ses revenus déclarés sont de près de 821 000,00 $ et 850 000,00 $ pour chaque immeuble, donc en deçà des dépenses effectuées pour les deux immeubles.
[70] Le Tribunal doute ainsi de la véracité des factures soumises. Elles semblent exagérées, disproportionnées et non réellement engagées pour ces immeubles. Il est donc peu probable et peu convaincant qu’elles aient été dépensées en 2021 par ce locateur pour ces immeubles.
[71] Le Tribunal doute sérieusement des preuves déposées par le locateur.
[72] À ceci se pose une autre question. Tente-t-il de tirer profit, avantage ou autrement de la situation? En réalité, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de prouver l’intention derrière ces affirmations peu crédibles. Il n’est pas nécessaire de déterminer quelle est l’intention du locateur derrière les preuves soumises. Est-ce une grossière erreur, ou une large négligence de sa part? Le Tribunal n’a pas besoin de poser ces questions, ni d’y répondre. La preuve déposée ne convainc pas le Tribunal de façon manifeste.
[73] Tout ce que le Tribunal doit démontrer c’est que la preuve soumise est peu convaincante, qu’elle ne rencontre pas les exigences en matière de recevabilité et d’appréciation de la preuve, et qu’il revient au locateur de prouver le bien-fondé de ses demandes. Il ne le fait pas en l’instance.
[74] Il n’atteint pas ce seuil, en analysant son témoignage, mais surtout les preuves servant à supporter les dépenses de ses immeubles.
[75] Aucun mérite n’est accordé par le Tribunal ni sur les preuves de factures, ni sur les explications peu convaincantes du locateur.
[76] Les arguments avancés par les parties locataires sont crédibles, et contredisent donc ce qu’avance le locateur.
[77] Tel que le relate le procureur du locataire présent en audience, le locateur dédouble plusieurs factures, reproduit les mêmes factures année après année, en ne présentant que des dates différentes, soumet des factures importantes deux années de suite pour des travaux majeurs qui sont décrits comme exactement les mêmes au fil des ans, et pour le même édifice. Tout ceci est peu convaincant de la force probante des factures déposées.
[78] De même, si on prend en compte le témoignage du locateur qui affirme vouloir payer les prix les plus avantageux pour des services et travaux effectués sur son immeuble, et qu’on analyse quelques factures soumises, nous ne pouvons conclure autrement que ces factures semblent exagérées et bien supérieures à ce qu’il semble en coûter habituellement.
[79] Par exemple, le locateur paierait environ 2 000,00 $ par mois pour des inspections de ses systèmes d’incendie d’un immeuble. Pourtant la facture ne relate aucune visite périodique ni aucun détail sur les heures consacrées à cette inspection[10].
[80] Le locateur paierait près de 12 000,00 $ annuellement pour un seul immeuble en frais d’extermination. Le détail prévoit des sommes mensuelles, mais sans aucun détail sur les travaux réalisés. Or, le locateur paie le double de cette somme pour les deux immeubles situés l’un près de l’autre. Rigoureux selon lui, quant à la signature du contrat de ses fournisseurs, il ne fournit aucun devis, aucun détail. C’est ainsi dire qu’il paierait près de 35 $ par jour pour ces services, ce qui est énorme[11]. Mais aucun détail ne figure sur les factures. Pourtant les locataires se plaignent de plusieurs problèmes liés à ce phénomène[12].
[81] Le locateur fournit des factures annuelles de près de 84 000,00 $ pour les services de déneigement et de coupe de gazon. C’est donc dire que le locateur paierait mensuellement 7 000,00 $ pour déneiger ou couper le gazon de ces deux immeubles. Ces sommes semblent disproportionnées pour le Tribunal, vu la preuve entendue sur la grandeur des stationnements, et des espaces verts. Cela étant mis en corrélation avec les témoignages des locataires sur ces sujets.
[82] Ces éléments nuisent au locateur, puisqu’ils ne font que démontrer au Tribunal que le locateur n’atteint pas le seuil minimal pour le convaincre du bien-fondé de sa demande.
[83] Cela étant, il lui revenait de convaincre le Tribunal des éléments de son dossier, pour qu’il puisse remplir les exigences de la loi sur la question des moyens de preuve soumis.
[84] C’est tout le contraire, aux yeux du Tribunal il paraît plus probable que ces nombreuses dépenses ne l’ont pas été sur les immeubles visés en 2021, que l’inverse. Le locateur ne convainc pas le Tribunal du bien-fondé de ces dépenses.
iii) Gestion des éléments de preuve du locateur sur l’ensemble du calcul de fixation
[85] Tel que le rappelait le procureur d’un locataire en audience, le locateur actuel n’en est pas à sa première demande de fixation de loyer devant le TAL[13].
[86] Or, à plusieurs reprises les dossiers de fixation du locateur se sont soldés par des réductions des dépenses soumises pour arriver au calcul d’augmentation des loyers[14].
[87] Dans le présent cas, et vu les éléments discutés auparavant, il sera décidé que la demande de fixation du locateur sera rejetée dans sa globalité, faute de preuve probante et convaincante dans l’ensemble complet de la demande soumise.
[88] Si le Tribunal conclut que plusieurs éléments du dossier du locateur sont disproportionnés, semblent irréguliers et ne le convainquent pas du bien-fondé de sa demande, la seule conclusion possible demeure le rejet de cette demande de fixation dans son ensemble.
[89] Il ne revient pas au Tribunal de refaire tout le travail d’analyse et de revue de la preuve pour tirer le bon grain du mauvais dans l’ensemble soumis par le locateur. Sa preuve ne rencontre pas le seuil minimal pour convaincre le Tribunal de lui donner droit à une augmentation de loyer pour le dossier.
[90] Il ne revient pas au Tribunal de refaire un exercice comptable pour sous-peser chaque donnée financière soumise, retirer les preuves qui ne convainquent pas de celles qui pourraient peut-être le faire.
[91] Dans la globalité du calcul, chaque élément soumis est important. L’exactitude des données doit se retrouver dans les dépenses, les revenus, les primes payées pour des taxes, assurances, services, réparations, etc. Le grand ensemble financier soumis en fixation de loyer supporte ce calcul.
[92] Or, le locateur ne convainc pas le Tribunal de la véracité des données fournies dans sa globalité. Faire un exercice pour décortiquer si une preuve était ou non convaincante n’est plus utile, et ce n’est pas là l’objectif visé par les règles en vigueur.
[93] Bien que le Règlement sur la fixation prévoie que le Tribunal puisse pallier certaines lacunes d’un dossier, lorsqu’une preuve n’est pas disponible, ce règlement n’est ici d’aucun secours au demandeur. De façon globale et générale, la demande de fixation soumise ne convainc pas le Tribunal des données fournies. Bien que l’article 15 du Règlement prévoie :
« 15. En l’absence d’un renseignement nécessaire à la détermination du loyer conformément au présent règlement, le Tribunal pallie cette absence en s’appuyant sur les renseignements pertinents dont il peut disposer. »
[94] Dans le présent dossier, aucun renseignement pertinent dont le Tribunal peut disposer n’aide le locateur dans sa demande.
[95] Le Tribunal conclut que les factures soumises ne sont pas probantes, qu’elles sont invraisemblables pour l’année et l’immeuble de référence, et ainsi aucune preuve soumise par le locateur n’aide le Tribunal à pallier au manque de probité et de crédibilité qu’il démontre face aux propos et documents soumis par celui-ci dans le dossier.
[96] Le Tribunal, vu la conclusion à laquelle il arrive sur la question du mérite des preuves soumises et fournies du locateur, n’a pas besoin de traiter de la question du calcul de fixation du loyer.
[97] CONSIDÉRANT l’ensemble de la preuve faite à l’audience;
[98] CONSIDÉRANT le manque de mérite accordé à la preuve soumise par le locateur;
[99] CONSIDÉRANT la faible crédibilité accordée à la preuve du locateur dans son ensemble;
[100] CONSIDÉRANT les importantes lacunes et disparités des formulaires soumis par le locateur;
[101] CONSIDÉRANT les exigences légales sur ces éléments de preuve dans le dossier;
[102] CONSIDÉRANT la preuve soumise par les locataires dans les dossiers soumis;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[103] REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais;
[104] CONFIRME que le loyer payable par les locataires pour la période du 1er novembre 2022 au 31 octobre 2023 est de 1 125,00 $ mensuellement.
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Me Gabriel Miron, greffier spécial | ||
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Présence(s) : | le locateur | ||
Date de l’audience : | 31 janvier 2023 | ||
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[1] Art. 56.2 et 56.3 Loi sur le Tribunal administratif du logement (LTAL).
[2] Voir les formulaires RN déposés au TAL notamment le 16 février 2022 pour le 4450, et le 20 mai 2022 pour le 4452.
[3] Voir les pièces P-1 (4452) et P-2 (4450) déposés lors de l’audience.
[4] Art. 56.3 LTAL in fine.
[5] Voir les art.
[6] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
[7] Voir : www.dictionnaire.lerobert.com, www.larousse.fr, www.cnrtl.fr.
[8] Le Règlement sur la fixation des loyers prévoit ce principe à son article 1.
[9] Art. 13 et ss. Règlement sur les critères de fixation du loyer.
[10] Voir la facture de 25 732,17 $ soumise, sans détail sur les dates et autres travaux.
[11] 35 $ par jour X 365 jours, pour un seul des deux immeubles.
[12] Deux factures soumises pour les 2 immeubles visés, totalisant près de 24 000,00 $ annuellement.
[13] Voir notamment les dossiers TAL #531053 et 576983.
[14] Voir notamment à ce sujet les dossiers : 2013 CanLII 112829 (QCRDL), 2015 CanLII 149092 (QCTAL),
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