Simard c. Boudreault | 2024 QCTAL 16626 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Saguenay | ||||||
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No dossier : | 746563 02 20231117 F | No demande : | 4113908 | |||
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Date : | 17 mai 2024 | |||||
Devant la greffière spéciale : | Me Chantal Houde | |||||
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Carl Simard |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
MARTIN BOUDREAULT |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur a produit une demande de modification du bail conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er mai 2023 au 30 avril 2024, à un loyer mensuel de 500,00 $, comprenant le coût de l’espace de stationnement.
[3] Le locateur n’a pas déposé à son dossier les preuves de notification de la demande et du formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, par ailleurs le locataire confirme les avoir reçus dans les délais.
[4] Cependant, le locataire soulève plusieurs moyens préliminaires invalidant ainsi l’avis d’augmentation.
[5] Le Tribunal a pris sous réserve les objections du locataire et en dispose maintenant.
[6] Le locataire soutient que l’envoi de l’avis est hors délai. Le terme du bail débutant le 1er mai, la transmission de l’avis le 26 octobre est alors prématurée.
[7] Le locateur explique qu’il souhaitait s’y prendre à l’avance et ne croyait pas que l’envoi prématuré rendait l’avis inopposable au locataire.
[8] Pour sa part, le locataire indique qu’il a consulté un avocat afin de connaître ses droits, mais qu’il n’a pas jugé opportun d’aviser le locateur que l’avis était donné trop tôt. Il a pris soin de se renseigner, il juge que le locateur avait le loisir de faire de même. Pour cette raison, le locataire soulève aujourd’hui à l’audience l’irrégularité de l’avis.
Qu’en est-il de l’avis d’augmentation prématuré?
[9] Lorsque le bail est d’une durée de douze mois, l’avis doit respecter les délais d’au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme, tel que le prévoit l’article 1942 du Code civil du Québec :
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme.
Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois.
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre. »
[10] Dans la plupart des cas, une clause qui déroge à un délai est de nullité relative surtout si elle restreint les droits du locataire. Le locataire a répondu dans le mois suivant l’avis. Dans ce cas, on pourrait prétendre par son action que le locataire a renoncé à soulever l’irrégularité de l’avis au locateur, le validant par le fait même, ainsi que sa réponse de refus, qui autrement aurait été prématuré.
[11] Tel que l’enseigne la jurisprudence [1], il est conseillé à celui qui reçoit un avis irrégulier de faire preuve de vigilance en manifestant sa bonne foi et informer le locateur de l’irrégularité de l’avis et non pas d’attendre que le délai soit expiré ou au jour de l’audience.
[12] Dans une décision récente, la juge administrative Camille Champeval [2] déclare invalide un avis prématuré. Les parties dans cette affaire ne connaissent pas les délais légaux, la locataire ne peut donc être présumée avoir tiré avantage de la situation.
« [58] Avec égards pour la position exprimée par le procureur des locateurs, il est donc faux de prétendre à l’existence d’une entente entre les parties, voire même à une ratification par les locataires de l’erreur des locateurs puisqu’il n’a pas été démontré que ces derniers savaient que l’avis de modification de bail était prématuré.
[59] La preuve ne permet pas de conclure que les locataires ont sciemment tiré avantage de l’ignorance des locateurs. »
[13] Le Tribunal conclut que le locataire a tiré avantage de l’ignorance ou de l’inadvertance du locateur en ne l’informant pas en temps opportun que l’avis était prématuré.
Qu’en est-il de l’avis qui n’indique pas les trois options?
[14] Le locataire invoque à titre de second moyen préliminaire que l’avis de modification du bail n’est pas conforme, car il n’indique pas les 3 options.
[15] Le locataire a toutefois répondu dans les délais, car il connait ses droits.
[16] Les dispositions pertinentes de l’article 1943 du Code civil du Québec énoncent les obligations quant au contenu d’un avis, elles sont aussi d’ordres publiques:
« 1943. L’avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l’augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l’objet d’une demande de fixation ou de révision.
L’avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »
[17] La juge administrative Francine Jodoin, dans l’affaire Susanna Pero c. Pape Tanyre Fall [3], conclut, après avoir analysé plusieurs décisions en la matière, qu'il n'existe pas un principe unique et irrémédiable d'invalidité d'un avis d'augmentation au seul motif qu'il ne comporterait pas une ou plusieurs mentions au sujet des options de reconduction ou du délai pour y répondre.
[18] Dans une décision [4] phare à ce sujet, le juge administratif Philippe Morisset déclare que même si l’avis de renouvellement de bail est irrégulier, il n’y a pas lieu de le déclarer invalide en l’absence de préjudice aux locataires :
« [35] Certaines décisions font toutefois état que même si l’avis de renouvellement de bail est irrégulier, il n’y a pas lieu de le déclarer invalide dans les cas où le locataire est bien informé et est au fait des droits que la loi lui accorde et que malgré un avis incomplet, celui-ci a pu exercer ses droits sans que cela ne lui cause de préjudice [20]. »
[19] Toujours dans cette affaire, les locataires ont apposé leurs signatures sous le choix « Je ne désire pas renouveler mon bail ». Le juge administratif conclut que l’absence de la 3e option leur a causé un préjudice, puisqu’au final ils ne souhaitaient pas quitter leur logement et que ce choix avait pour conséquence de les forcer à déménager.
[20] Dans un autre jugement celui de Donaldson c. 9410-2944 Québec inc.[5], le représentant remet au locataire un avis ayant seulement deux options en lui mentionnant que s’il refuse l’augmentation de 100 $, il sera expulsé du logement. Le locataire a plutôt choisi la seconde option indiquant qu’il devait quitter son logement à la fin du terme. L’absence du 3e choix a causé un préjudice au locataire en l’induisant en erreur et en permettant au locateur de résilier le bail, malgré l’intention du locataire de rester.
[21] Dans deux autres causes, soit celles d’Archambault c. Carrier [6] et de Quevillon Charbonneau c. Fortin [7], les locataires ont indiqué refuser le renouvellement du bail. Dans le premier cas, le locateur invoque que le locataire est un occupant sans droit et qu’il ne peut changer d’idée. Dans le second, la locatrice veut que la locataire obtempère et quitte le logement.
[22] Le juge administratif André Gagnier dans l’affaire de la Société en Commandite Tours Fairview c. Samoukova [8] émet un commentaire général à l’effet que bien que la loi n’oblige pas la locatrice à utiliser le formulaire d’avis de modification du bail suggéré par le Tribunal énonçant les 3 options, il ne lui est pas permis de limiter le choix d’un locataire à accepter une hausse de loyer ou à quitter son logement. Par ailleurs, le juge administratif rejette la demande pour un autre motif, concluant que l’avis est illégal parce qu’il suggère que le délai est d’un mois à compter de sa rédaction, ce qui est faux, il est d’un mois à compter de sa réception.
[23] De toute évidence ces irrégularités n'ont pas préjudicié le locataire en lui faisant perdre son droit au maintien dans les lieux, puisque connaissant ses droits, il a répondu dans les délais prescrits et continué d’occuper son logement.
[24] Cependant, le Tribunal suggère au locateur de modifier l’avis afin que dorénavant il propose les trois options.
[25] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE les objections du locataire.
[27] RELÈVE le locateur des défauts concernant l’avis d’augmentation.
[28] DEMANDE au Maître des rôles de convoquer à nouveau les parties pour la fixation du loyer en vertu de l’article 1947 du Code civil du Québec.
[29] DEMANDE au maître des rôles d'envoyer le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer de l’année 2024-2025, dans les plus brefs délais.
[30] ORDONNE au locateur de notifier au locataire le formulaire de fixation 2024-2025 dans un délai de 30 jours de sa réception et d’en déposer copie au greffe.
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Me Chantal Houde, greffière spéciale | ||
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Présence(s) : | le locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 20 février 2024 | ||
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[1] Porlier c. Ndiaye,
[2] Paul c. Salmoune,
[3] Pero c. Fall,
[4] Richard c. Gestion Rochefort & Tessier inc.,
[5] Donaldson c. 9410-2944 Québec inc.,
[6] Archambault c. Carrier,
[7] Quevillon Charbonneau c. Fortin,
[8] Société en Commandite Tours Fairview c. Samoukova, 2011 CanLII 145170 (QC TAL).
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