[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 20 janvier 2020 par l’honorable Serge Gaudet de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel rejette sa demande en remboursement des allocations de transition et de départ versées à l’intimé à la suite de sa démission comme maire intérimaire de la Ville de Montréal en juin 2013[1].
[2] La seule question en litige concerne l’application temporelle de l’article 31.1.2 de la Loi sur le traitement des élus municipaux[2] (ci-après « Loi »).
[3] Cette affaire s’inscrit dans la foulée de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, communément appelée Commission Charbonneau.
[4] De 1994 à 2013, l’intimé occupe de manière ininterrompue des fonctions d’élu à la Ville de Montréal, d’abord comme conseiller municipal (1994-2002), puis comme maire d’arrondissement (2002-2012) et enfin comme maire par intérim de la Ville (2012-2013).
[5] Le 18 juin 2013, à la suite de son arrestation par l’Unité permanente anticorruption (UPAQ), l’intimé démissionne de son poste. Conformément à la Loi alors en vigueur, l’appelante lui verse, le 11 juillet 2013, 108 204,90 $ à titre d’allocation de départ et 159 719 $ en guise d’allocation de transition.
[6] Dans les années qui suivent, la Commission Charbonneau met en lumière différentes pratiques de partage des contrats municipaux et de corruption.
[7] En décembre 2016, le législateur modifie le régime prévu dans la Loi encadrant le paiement des allocations de transition. Dorénavant, l’élu qui démissionne en cours de mandat n’aura le droit de toucher à son allocation que si sa décision est liée à des raisons familiales sérieuses ou à un problème de santé important[3], le paiement étant, au surplus, assujetti à une décision de la Commission municipale.
[8] Par ailleurs, si l’élu fait l’objet d’une déclaration d’inhabilité[4] ou s’il est poursuivi pour un acte punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus[5] en lien avec des actes commis pendant la durée du mandat, le paiement des allocations sera suspendu jusqu’à l’arrêt des procédures ou l’obtention d’un jugement d’acquittement passé en force de chose jugée[6]. L’élu qui perçoit son allocation de transition au moment de son départ s’expose à une demande de remboursement si une poursuite de cette nature est intentée dans les 5 ans de la fin du mandat et s’il est éventuellement condamné[7].
[9] Le 26 janvier 2017, l’intimé est déclaré coupable de fraude envers le gouvernement, d’abus de confiance, d’actes de corruption et de complot visant à commettre des actes criminels. Les gestes reprochés se sont produits entre 2006 et 2011 et sont passibles d’une peine de plus de deux ans d’emprisonnement. Le 30 mars 2017, il est condamné à une peine totale de 12 mois d’emprisonnement.
[10] Le 15 mai 2017, l’appelante lui transmet une mise en demeure demandant le remboursement de l’allocation de transition payée en juillet 2013. L’intimé refuse d’y donner suite et l’appelante intente un recours en remboursement le 13 juillet 2017.
[11] En avril 2018, la Loi est de nouveau modifiée afin d’étendre les principes applicables à l’allocation de transition à l’allocation de départ. Le 15 juin 2018, l’appelante modifie sa demande introductive afin de réclamer également le remboursement de l’allocation de départ reçue par l’intimé en juillet 2013.
* * * * *
[12] L’appelante soutient que les modifications législatives lui octroyant un nouveau recours en remboursement des allocations visent non seulement les allocations payées depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime, mais également celles payées antérieurement au mois de décembre 2016 dans la mesure où les conditions donnant ouverture au recours sont satisfaites.
[13]
Dans un jugement soigné, le juge de première instance rappelle les
principes juridiques applicables en matière de rétroactivité et de rétrospectivité
des lois. Il poursuit en faisant une analyse étoffée de la jurisprudence et de
la doctrine pertinente sur la question. Se penchant sur l’obligation de
remboursement des allocations découlant de l’article
[48] Une telle obligation de remboursement est incontestablement une conséquence préjudiciable pouvant faire jouer la présomption de non-rétrospectivité. Rappelons que, dans le système proposé par Dreidger, une conséquence préjudiciable n’est pas nécessairement une peine au sens du droit criminel ou pénal, mais peut viser toute forme d’obligation, de pénalité ou d’incapacité (« a duty, penalty or disability »). L’arrêt Tran mettait d’ailleurs en cause, non pas une peine au sens du droit criminel ou pénal en tant que telle, mais plutôt la conséquence préjudiciable indirecte d’une déclaration de culpabilité, comme dans le cas qui nous occupe ici[8].
[14] Il rejette donc le recours en remboursement estimant qu’il n’est pas possible de conclure que le législateur a voulu mettre de côté, sans l’indiquer plus clairement, « une présomption aussi importante que celle interdisant d’appliquer des conséquences préjudiciables de nature punitive à des comportements entièrement accomplis avant l’entrée en vigueur d’une loi »[9].
[16]
Elle insiste sur le fait que l’article
[17] L’appelante ne nous convainc pas que c’est le cas.
[18]
Il convient de citer au long le texte de l’article
31.1.2. La
personne qui a reçu une allocation de départ ou une allocation de transition
doit la rembourser à la municipalité si, subséquemment, elle est déclarée
inhabile, par jugement passé en force de chose jugée, à exercer la fonction
de membre du conseil de toute municipalité en raison d’un acte survenu
pendant l’exercice de ses fonctions comme membre du conseil de la
municipalité qui lui a versé l’allocation. Il en est de même de la
personne qui est déclarée coupable, par jugement passé en force de chose
jugée, d’une infraction qui est une manœuvre électorale frauduleuse au
sens de l’article
(Soulignement ajouté) |
31.1.2. A
person who has received a severance or transition allowance must reimburse
the municipality for it if the person is subsequently declared disqualified, by a judgment
that has become final, from holding office as a member of the council of a municipality because of an act occurring in
the performance of the person’s duties as member of the council of the
municipality that paid the allowance. The same applies to a person who is
found guilty, by a judgment that has become final, of an offence that is
a corrupt electoral practice within the meaning of section
(Underline added) |
[19]
Contrairement à ce que suggère l’appelante, le fait que l’article
[20]
L’essence même du recours en remboursement présuppose qu’un montant a
été payé alors qu’il n’aurait pas dû l’être, d’où l’emploi du participe passé.
L’existence du recours est également tributaire d’une condamnation de l’élu pour
une infraction punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus. Les événements
donnant lieu à ce recours sont nécessairement antérieurs au paiement des
allocations puisqu’ils doivent s’être déroulés pendant la durée du mandat de
l’élu. L’article
[21] L’emploi du passé dans ces circonstances ne donne pas d’indication claire quant à l’application temporelle de cet article et sur la possibilité de l’étendre à des allocations acquises avant l’entrée en vigueur de ce nouveau régime. Le juge était donc bien fondé, en l’absence d’indication explicite ou de disposition transitoire, à recourir aux principes d’interprétation et aux présomptions d’intention développées par la jurisprudence.
[22]
Comme mentionné, l’appelante ne remet pas en cause l’énoncé fait par le
juge de première instance de ces principes. Elle lui reproche seulement de ne
pas avoir suffisamment tenu compte du contexte social et législatif entourant
l’adoption de l’article
[24] L’intimé a reçu les allocations auxquelles il avait droit à l’époque. Celles-ci lui étaient acquises dans la mesure où les conditions posées par les articles 30 et 31.1 étaient satisfaites. Le paiement de ces allocations faisait partie de sa rémunération. Les montants étaient payables même si l’élu démissionnait en cours de mandat et n’étaient pas tributaires de son comportement ou de son intégrité. En cas de condamnation de l’élu pour des gestes commis dans le cadre de son mandat, la municipalité n’avait aucune assise pour réclamer le remboursement des allocations payées.
[25] Comme le souligne le juge de première instance, l’application rétroactive ou rétrospective entraîne une conséquence préjudiciable pour l’intimé et modifie de façon importante les droits et obligations des parties telles qu’elles existaient au moment du paiement des allocations.
[26] Or, la simple lecture de l’article ne permet pas de conclure que le législateur entendait lui donner une portée rétroactive en l’appliquant à des allocations valablement payées avant l’entrée en vigueur des modifications.
[27] L’appelante insiste, en se référant aux débats parlementaires, sur le fait que la modification législative s’inscrit dans la foulée de la Commission Charbonneau et vise à éviter qu’un élu qui a commis des actes de nature à le rendre inhabile à exercer une fonction au sein d’un conseil municipal[10] puisse conserver les allocations reçues à même les fonds publics.
[28]
Le juge tient compte du contexte entourant l’adoption de la Loi et il ne
commet pas d’erreur lorsqu’il refuse d’y voir un élément confirmant l’intention
implicite du législateur de conférer un effet rétroactif à
l’article
[29] Retenir l’interprétation proposée par l’appelante équivaudrait à lui reconnaître un droit au remboursement dont elle ne disposait pas au moment de payer les allocations auxquelles elle était tenue à l’époque et, comme le retient le juge de première instance, à imposer une nouvelle obligation préjudiciable à l’intimé, ce qui va à l’encontre de la présomption de non-rétroactivité des lois.
[30]
L’appelante ajoute que l’interprétation retenue par le juge de première
instance mène à un résultat absurde puisqu’elle signifie que les élus ayant
commis des gestes répréhensibles avant décembre 2016 et qui ont été dévoilés
dans le cadre de la Commission Charbonneau peuvent conserver les allocations
reçues. Elle affirme qu’en privant l’article
[31]
L’article
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[32] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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FRANÇOIS DOYON, J.C.A. |
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GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
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STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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Me Sarah Simard |
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Me Pierre-Yves Boisvert |
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GAGNIER GUAY BIRON |
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Pour l’appelante |
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ANAMARIA NATALIA MANOLE, AVOCATE |
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Pour l’intimé |
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Date d’audience : |
23 septembre 2021 |
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[1]
Ville de Montréal c. Applebaum,
[2] Loi sur le traitement des élus municipaux, RLRQ, c. T-11.001.
[3]
Article
[4]
Article
[5]
Article
[6]
Articles
[7]
Article
[8] Jugement entrepris, paragr. 48.
[9] Jugement entrepris, paragr. 65.
[10]
L’article
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