Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Ville de Montréal c. Applebaum

2021 QCCA 1662

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028833-200

(500-17-099541-172)

 

DATE :

1er novembre 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

VILLE DE MONTREAL

APPELANTE - demanderesse

c.

 

MICHAEL APPLEBAUM

INTIMÉ - défendeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 20 janvier 2020 par l’honorable Serge Gaudet de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel rejette sa demande en remboursement des allocations de transition et de départ versées à l’intimé à la suite de sa démission comme maire intérimaire de la Ville de Montréal en juin 2013[1].

[2]           La seule question en litige concerne l’application temporelle de l’article 31.1.2 de la Loi sur le traitement des élus municipaux[2] (ci-après « Loi »).

[3]           Cette affaire s’inscrit dans la foulée de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, communément appelée Commission Charbonneau.

[4]           De 1994 à 2013, l’intimé occupe de manière ininterrompue des fonctions d’élu à la Ville de Montréal, d’abord comme conseiller municipal (1994-2002), puis comme maire d’arrondissement (2002-2012) et enfin comme maire par intérim de la Ville (2012-2013).

[5]           Le 18 juin 2013, à la suite de son arrestation par l’Unité permanente anticorruption (UPAQ), l’intimé démissionne de son poste. Conformément à la Loi alors en vigueur, l’appelante lui verse, le 11 juillet 2013, 108 204,90 $ à titre d’allocation de départ et 159 719 $ en guise d’allocation de transition.

[6]           Dans les années qui suivent, la Commission Charbonneau met en lumière différentes pratiques de partage des contrats municipaux et de corruption.

[7]           En décembre 2016, le législateur modifie le régime prévu dans la Loi encadrant le paiement des allocations de transition. Dorénavant, l’élu qui démissionne en cours de mandat n’aura le droit de toucher à son allocation que si sa décision est liée à des raisons familiales sérieuses ou à un problème de santé important[3], le paiement étant, au surplus, assujetti à une décision de la Commission municipale.

[8]           Par ailleurs, si l’élu fait l’objet d’une déclaration d’inhabilité[4] ou s’il est poursuivi pour un acte punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus[5] en lien avec des actes commis pendant la durée du mandat, le paiement des allocations sera suspendu jusqu’à l’arrêt des procédures ou l’obtention d’un jugement d’acquittement passé en force de chose jugée[6]. L’élu qui perçoit son allocation de transition au moment de son départ s’expose à une demande de remboursement si une poursuite de cette nature est intentée dans les 5 ans de la fin du mandat et s’il est éventuellement condamné[7].

[9]           Le 26 janvier 2017, l’intimé est déclaré coupable de fraude envers le gouvernement, d’abus de confiance, d’actes de corruption et de complot visant à commettre des actes criminels. Les gestes reprochés se sont produits entre 2006 et 2011 et sont passibles d’une peine de plus de deux ans d’emprisonnement. Le 30 mars 2017, il est condamné à une peine totale de 12 mois d’emprisonnement.

[10]        Le 15 mai 2017, l’appelante lui transmet une mise en demeure demandant le remboursement de l’allocation de transition payée en juillet 2013. L’intimé refuse d’y donner suite et l’appelante intente un recours en remboursement le 13 juillet 2017.

[11]        En avril 2018, la Loi est de nouveau modifiée afin d’étendre les principes applicables à l’allocation de transition à l’allocation de départ. Le 15 juin 2018, l’appelante modifie sa demande introductive afin de réclamer également le remboursement de l’allocation de départ reçue par l’intimé en juillet 2013.

* * * * *

[12]        L’appelante soutient que les modifications législatives lui octroyant un nouveau recours en remboursement des allocations visent non seulement les allocations payées depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime, mais également celles payées antérieurement au mois de décembre 2016 dans la mesure où les conditions donnant ouverture au recours sont satisfaites.

[13]        Dans un jugement soigné, le juge de première instance rappelle les principes juridiques applicables en matière de rétroactivité et de rétrospectivité des lois. Il poursuit en faisant une analyse étoffée de la jurisprudence et de la doctrine pertinente sur la question. Se penchant sur l’obligation de remboursement des allocations découlant de l’article 31.1.2 de la Loi, il note :

[48] Une telle obligation de remboursement est incontestablement une conséquence préjudiciable pouvant faire jouer la présomption de non-rétrospectivité. Rappelons que, dans le système proposé par Dreidger, une conséquence préjudiciable n’est pas nécessairement une peine au sens du droit criminel ou pénal, mais peut viser toute forme d’obligation, de pénalité ou d’incapacité (« a duty, penalty or disability »). L’arrêt Tran mettait d’ailleurs en cause, non pas une peine au sens du droit criminel ou pénal en tant que telle, mais plutôt la conséquence préjudiciable indirecte d’une déclaration de culpabilité, comme dans le cas qui nous occupe ici[8]

[14]        Il rejette donc le recours en remboursement estimant qu’il n’est pas possible de conclure que le législateur a voulu mettre de côté, sans l’indiquer plus clairement, « une présomption aussi importante que celle interdisant d’appliquer des conséquences préjudiciables de nature punitive à des comportements entièrement accomplis avant l’entrée en vigueur d’une loi »[9].

[15]        L’appelante ne remet pas en cause cette analyse, mais reproche plutôt au juge de s’être livré à un exercice d’interprétation alors qu’il n’avait pas à le faire puisque l’intention du législateur apparaît clairement à la lecture du texte de loi. Selon elle, l’emploi du participe passé (« a reçu », « a été condamné ») confirme que le législateur souhaitait donner une portée rétroactive à la Loi, d’autant que le législateur connaissait la situation de l’intimé de même que les événements ayant mené à la Commission Charbonneau au moment d’adopter les modifications législatives. En présence d’un texte clair, il n’était pas utile de prévoir une disposition transitoire. L’appelante ajoute que l’interprétation retenue par le juge de première instance mène à un résultat absurde et ne devrait pas être retenue.

[16]        Elle insiste sur le fait que l’article 31.1.2 de la Loi « sied comme un gant » à la situation de l’intimé. Soulignons que, même si tel était le cas, ce simple fait ne suffirait pas à conférer une portée rétroactive à la Loi. Encore faut-il que le législateur ait eu l’intention expresse ou implicite d’étendre le recours en remboursement aux allocations payées sous l’ancien régime.

[17]        L’appelante ne nous convainc pas que c’est le cas.

[18]        Il convient de citer au long le texte de l’article 31.1.2 de la Loi :

31.1.2. La personne qui a reçu une allocation de départ ou une allocation de transition doit la rembourser à la municipalité si, subséquemment, elle est déclarée inhabile, par jugement passé en force de chose jugée, à exercer la fonction de membre du conseil de toute municipalité en raison d’un acte survenu pendant l’exercice de ses fonctions comme membre du conseil de la municipalité qui lui a versé l’allocation. Il en est de même de la personne qui est déclarée coupable, par jugement passé en force de chose jugée, d’une infraction qui est une manœuvre électorale frauduleuse au sens de l’article 645 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (chapitre E-2.2), de la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d’administration des centres de services scolaires anglophones (chapitre E-2.3) ou de la Loi électorale (chapitre E-3.3) ou d’un acte qui, en vertu d’une loi du Parlement du Québec ou du Canada, est punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus si la poursuite a été intentée avant l’expiration d’un délai de cinq ans après la fin du mandat à la suite duquel elle a reçu l’allocation et pendant lequel l’acte faisant l’objet de la poursuite a été commis.

 

(Soulignement ajouté)

31.1.2. A person who has received a severance or transition allowance must reimburse the municipality for it if the person is subsequently declared disqualified, by a judgment that has become final, from holding office as a member of the council of a municipality because of an act occurring in the performance of the person’s duties as member of the council of the municipality that paid the allowance. The same applies to a person who is found guilty, by a judgment that has become final, of an offence that is a corrupt electoral practice within the meaning of section 645 of the Act respecting elections and referendums in municipalities (chapter E-2.2), the Act respecting school elections to elect certain members of the boards of directors of English-language school service centers (chapter E-2.3) or the Election Act (chapter E-3.3) or of an act that, under an Act of the Parliament of Québec or of Canada, is an offence punishable by a term of imprisonment of two years or more, if the proceedings were brought before the expiry of five years after the end of the term following which the person received the allowance and during which the act that gave rise to the proceedings was committed.

 

 

 

 

(Underline added)

[19]        Contrairement à ce que suggère l’appelante, le fait que l’article 31.1.2 de la Loi est rédigé au passé ne permet pas de conclure qu’il doit s’appliquer au remboursement d’allocations payées avant son entrée en vigueur.

[20]        L’essence même du recours en remboursement présuppose qu’un montant a été payé alors qu’il n’aurait pas dû l’être, d’où l’emploi du participe passé. L’existence du recours est également tributaire d’une condamnation de l’élu pour une infraction punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus. Les événements donnant lieu à ce recours sont nécessairement antérieurs au paiement des allocations puisqu’ils doivent s’être déroulés pendant la durée du mandat de l’élu. L’article 31.1.2 de la Loi énonce simplement les conditions qui doivent s’être réalisées afin de donner ouverture au recours en recouvrement.

[21]        L’emploi du passé dans ces circonstances ne donne pas d’indication claire quant à l’application temporelle de cet article et sur la possibilité de l’étendre à des allocations acquises avant l’entrée en vigueur de ce nouveau régime. Le juge était donc bien fondé, en l’absence d’indication explicite ou de disposition transitoire, à recourir aux principes d’interprétation et aux présomptions d’intention développées par la jurisprudence.

[22]        Comme mentionné, l’appelante ne remet pas en cause l’énoncé fait par le juge de première instance de ces principes. Elle lui reproche seulement de ne pas avoir suffisamment tenu compte du contexte social et législatif entourant l’adoption de l’article 31.1.2 de la Loi au stade de son analyse. Elle insiste sur le fait que les modifications des conditions de paiement des allocations aux élus municipaux s’inscrivent dans la foulée de la Commission Charbonneau alors que le législateur savait que l’intimé avait été condamné après avoir touché de telles allocations.

[23]        Il est vrai que la situation de l’intimé a été invoquée par les représentants de la Ville de Montréal et de Laval lors de la Commission parlementaire chargée d’étudier les modifications législatives proposées. Il est également clair qu’en mettant en place le nouveau régime pour le paiement des allocations de départ et de transition, le législateur souhaitait prévenir la répétition de telles situations dans le futur. Toutefois, en aucun temps au cours des débats a-t-il été question de permettre le recouvrement rétroactif des allocations versées antérieurement à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions entourant le paiement des allocations. Le législateur avait tout le loisir de prévoir une disposition transitoire en ce sens si tel avait été son désir.

[24]        L’intimé a reçu les allocations auxquelles il avait droit à l’époque. Celles-ci lui étaient acquises dans la mesure où les conditions posées par les articles 30 et 31.1 étaient satisfaites. Le paiement de ces allocations faisait partie de sa rémunération. Les montants étaient payables même si l’élu démissionnait en cours de mandat et n’étaient pas tributaires de son comportement ou de son intégrité. En cas de condamnation de l’élu pour des gestes commis dans le cadre de son mandat, la municipalité n’avait aucune assise pour réclamer le remboursement des allocations payées.

[25]        Comme le souligne le juge de première instance, l’application rétroactive ou rétrospective entraîne une conséquence préjudiciable pour l’intimé et modifie de façon importante les droits et obligations des parties telles qu’elles existaient au moment du paiement des allocations.

[26]        Or, la simple lecture de l’article ne permet pas de conclure que le législateur entendait lui donner une portée rétroactive en l’appliquant à des allocations valablement payées avant l’entrée en vigueur des modifications.

[27]        L’appelante insiste, en se référant aux débats parlementaires, sur le fait que la modification législative s’inscrit dans la foulée de la Commission Charbonneau et vise à éviter qu’un élu qui a commis des actes de nature à le rendre inhabile à exercer une fonction au sein d’un conseil municipal[10] puisse conserver les allocations reçues à même les fonds publics.

[28]        Le juge tient compte du contexte entourant l’adoption de la Loi et il ne commet pas d’erreur lorsqu’il refuse d’y voir un élément confirmant l’intention implicite du législateur de conférer un effet rétroactif à l’article 31.1.2 de la Loi.

[29]        Retenir l’interprétation proposée par l’appelante équivaudrait à lui reconnaître un droit au remboursement dont elle ne disposait pas au moment de payer les allocations auxquelles elle était tenue à l’époque et, comme le retient le juge de première instance, à imposer une nouvelle obligation préjudiciable à l’intimé, ce qui va à l’encontre de la présomption de non-rétroactivité des lois.

[30]        L’appelante ajoute que l’interprétation retenue par le juge de première instance mène à un résultat absurde puisqu’elle signifie que les élus ayant commis des gestes répréhensibles avant décembre 2016 et qui ont été dévoilés dans le cadre de la Commission Charbonneau peuvent conserver les allocations reçues. Elle affirme qu’en privant l’article 31.1.2 de la Loi de son effet rétroactif, cette disposition n’a que peu d’utilité et sera rarement appliquée. Ce moyen, qui relève davantage de la sémantique que du juridique, ne peut davantage être retenu.

[31]        L’article 31.1.2 de la Loi est loin d’être inutile puisqu’il permettra d’éviter la répétition du passé en ce qui concerne les allocations versées postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau régime. En effet, l’élu qui reçoit ses allocations de transition et de départ à la fin de son mandat les détient désormais à titre précaire puisqu’il est conscient qu’il s’expose à devoir les rembourser s’il devait être poursuivi et condamné en lien avec une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement supérieure à deux ans commise alors que la Loi était en vigueur. Le but du législateur en adoptant ces modifications législatives était, entre autres, d’inciter les élus municipaux à plus de transparence et d’intégrité. Si le recours en recouvrement s’avère effectivement peu utile dans le futur, cela ne signifie pas que l’interprétation préconisée par le juge de première instance était absurde, mais bien que l’objectif poursuivi par le nouveau régime a porté fruit.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[32]        REJETTE l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

Me Sarah Simard

Me Pierre-Yves Boisvert

GAGNIER GUAY BIRON

Pour l’appelante

 

Me Anamaria Natalia Manole

ANAMARIA NATALIA MANOLE, AVOCATE

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

23 septembre 2021

 



[1]     Ville de Montréal c. Applebaum, 2020 QCCS 87 [jugement entrepris].

[2]     Loi sur le traitement des élus municipaux, RLRQ, c. T-11.001.

[3]     Article 31.0.1 de la Loi.

[4]     Article 301 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (« Loi sur les élections »), RLRQ, c. E-2.2

[5]     Article 302 de la Loi sur les élections.

[6]     Articles 31.0.1 et 31.1.0.1 de la Loi

[7]     Article 31.1.2 de la Loi.

[8]     Jugement entrepris, paragr. 48.

[9]     Jugement entrepris, paragr. 65.

[10]    L’article 302 de la Loi sur les élections prévoit ce qui suit : « Est inhabile à exercer la fonction de membre du conseil de toute municipalité la personne déclarée coupable, en vertu de quelque loi, d’un acte qui, en vertu d’une loi du Parlement du Québec ou du Canada, constitue un acte punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus. »

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