Décision

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Hudon-Barbeau c. R.

2023 QCCA 657

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-006588-170, 500-10-006695-181

(700-01-136180-158)

 

DATE :

 16 mai 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

BENJAMIN HUDON-BARBEAU

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un verdict rendu le 17 novembre 2017 par un jury au terme d’un procès présidé par l’honorable juge France Charbonneau de la Cour supérieure, district de Terrebonne, lequel le déclare coupable de quatre chefs d’accusation : un meurtre au premier degré, un meurtre au second degré et deux tentatives de meurtre.

[2]                Il se pourvoit également contre le jugement rendu le 28 février 2018, lequel ordonne que les périodes minimales d’emprisonnement avant l’admissibilité à la libération conditionnelle pour les deux meurtres soient servies de manière consécutive.

[3]                Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Ruel et Moore, LA COUR :

[4]                REJETTE l’appel du verdict;

[5]                ACCUEILLE l’appel du jugement portant sur les périodes préalables à l’admissibilité à la libération conditionnelle;

[6]                ORDONNE que les deux périodes minimales avant l’admissibilité à la libération conditionnelle pour les accusations de meurtre soient servies de manière concurrente.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Julie Giroux

LABELLE, CÔTÉ, TABAH ET ASSOCIÉS

Pour l’appelant

 

Me Alexis Marcotte Bélanger

Me Steve Baribeau

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

24 mars 2023


 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

[7]                L’appelant a été reconnu coupable de quatre chefs d’accusation : deux tentatives de meurtre et deux meurtres, dont l’un au premier degré et l’autre au deuxième degré. Selon la thèse de la poursuite, la culpabilité de l’appelant passe par sa participation criminelle pour avoir aidé ou encouragé Ryan Wolfson à commettre ces infractions criminelles (paragr. 21(1)b) et c) C.cr.) ou encore pour lui avoir conseillé de les commettre (paragr. 22(1) C.cr.). Il interjette appel du verdict.

[8]                La juge de première instance a ordonné que les peines minimales d’emprisonnement avant l’admissibilité à la libération conditionnelle pour les deux meurtres soient servies de manière consécutive. L’appelant se pourvoit également contre ce jugement. L’intimé concède que l’appel sur ce point doit être accueilli en raison de l’arrêt R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, confirmant Bissonnette c. R., 2020 QCCA 1585.

[9]                Avant d’aborder les moyens d’appel, voyons d’abord succinctement quels sont les faits sous-jacents aux chefs d’accusation.

A-    LE CONTEXTE

i)                    Premier chef : 29 septembre 2012, tentative de meurtre sur la personne de Tommy Pietrantonio.

[10]           Tommy Pietrantonio et l’appelant louaient ensemble une maison à l’Estérel; l’appelant payait le loyer et certains frais afférents, alors que M. Pietrantonio agissait à titre de prête-nom. Certains différends ont surgi en rapport avec cette maison, différends qui les ont amenés à se réclamer mutuellement le paiement de sommes d’argent.

[11]           À l’été 2012, M. Pietrantonio rencontre Ryan Wolfson avec qui il commet des introductions par effraction dans des maisons de la région du nord de Montréal et y fréquente des bars. Il n’y avait entre eux aucun conflit.

[12]           Le 28 septembre 2012, les deux comparses se rendent dans un bar à Sainte-Adèle. M. Wolfson conduit une automobile de marque Acura de couleur grise. À la fermeture du bar, ils vont chez un ami de M. Pietrantonio où ils consomment de la drogue. Au petit matin, ils se dirigent vers la résidence de Vincent Pietrantonio, le père de Tommy Pietrantonio. Celui-ci communique avec son père qui est en voyage. Ce dernier demande à son fils de communiquer par message texte avec l’appelant, qui lui doit de l’argent. Tommy Pietrantonio s’exécute, puis retourne avec M. Wolfson consommer de la drogue chez son ami. Vers 9 h ou 10 h, l’argent vient à manquer et ils se rendent chez la grand-mère de Tommy Pietrantonio afin d’y encaisser un chèque de la sécurité du revenu.

[13]           Sur le chemin du retour, ils s’arrêtent à une station d’essence et à une épicerie à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Tommy Pietrantonio reçoit un appel téléphonique de l’appelant qui lui dit être à leur maison à l’Estérel pour verser au propriétaire les sommes qu’il lui doit. L’appelant invite M. Pietrantonio à le rejoindre à un restaurant tout près. Celui-ci l’informe qu’il est avec M. Wolfson à qui l’appelant demande à parler. Une dispute verbale survient entre M. Wolfson et l’appelant, dispute qui dure environ deux minutes, en anglais, langue que M. Pietrantonio ne maîtrise pas très bien. Comme l’a demandé l’appelant, les deux acolytes se dirigent vers le restaurant et M. Pietrantonio se rend au garage situé à l’arrière de la bâtisse. Il remarque toutefois que M. Wolfson a déplacé l’automobile en position de départ et que l’appelant ne semble pas présent sur les lieux du rendez-vous. À mi-chemin vers le garage, il entend des coups de feu; il se retourne et voit M. Wolfson qui fait feu vers lui. Il est atteint de deux projectiles au dos et d’un autre à la main. Il sera hospitalisé pendant deux semaines.

[14]           Selon Tommy Pietrantonio, la relation entre l’appelant et Ryan Wolfson en était une d’autorité, de sorte que, si l’appelant « demandait à faire quelque chose à Ryan, Ryan le faisait ». De plus, en septembre 2012, les relations s’enveniment entre l’appelant et M. Pietrantonio. Plusieurs messages textes échangés entre son père, Vincent Pietrantonio et l’appelant, les 5, 27 et 29 septembre, font d’ailleurs état de menaces directes et évoquent certaines dettes du fils envers l’appelant.

[15]           Mme Luana Larose, amie de cœur de l’appelant à l’époque, devenue témoin collaboratrice de la poursuite, témoigne que l’appelant lui a dit avoir « essayé de faire tirer Tommy Pietrantonio, puis que l’Indien [surnom donné à M. Wolfson par l’appelant] a manqué son coup ». Elle ajoute que M. Wolfson obéissait à l’appelant au doigt et à l’œil, qu’il « faisait tout pour lui plaire » et qu’il « était prêt à tout pour lui ».

ii)                 Deuxième et troisième chefs : 10 octobre 2012, tentative de meurtre sur la personne de Vincent Pietrantonio et meurtre de Frédérick Murdock.

[16]           Comme on l’a vu, avant que son fils Tommy ne soit victime d’une tentative de meurtre, Vincent Pietrantonio échange plusieurs messages textes acrimonieux avec l’appelant concernant des dettes entre l’appelant et son fils. Il apprend de sa conjointe que le tireur qui a fait feu en direction de son fils conduisait une automobile de couleur grise.

[17]           Le soir du 9 octobre 2012, Vincent Pietrantonio se rend au restaurant où a eu lieu l’attentat contre son fils pour discuter de l’événement avec le propriétaire de l’établissement. Il y rencontre par hasard M. Frédérick Murdock à qui il demande de venir passer la nuit chez lui afin de le protéger, sachant que M. Murdock est armé. Le lendemain matin, une voiture grise se dirige vers l’entrée de la résidence; M. Murdock sort de la maison avec son arme et se dirige vers la voiture. Alors que Vincent Pietrantonio se rend à la porte d’entrée, il est atteint d’un projectile avant même d’apercevoir ce qui se passe à l’extérieur. Il s’enfuit par l’arrière de sa résidence. À leur arrivée sur les lieux, les policiers trouvent le corps inanimé de M. Murdock sur le pavé de la résidence.

[18]           Mme Larose témoigne que, le matin du 10 octobre 2012, elle descend au salon pour rejoindre l’appelant. Il regarde les actualités télévisées et il lui dit, d’un air réjoui : « Ti-Loup, viens voir, […] Y a quelque chose qui se prépare ». « Tu vas voir, ça va passer à la télé, c’est quelque chose de spectaculaire ». Il lui explique que M. Wolfson « est chez Vincent Pietrantonio, y est caché dans le bois, puis qu’y attend pour aller le tirer ». Il a hâte que M. Wolfson s’exécute. Elle précise que l’appelant « y attendait des informations, y a dit que l’Indien avait passé la nuit là. Puis là, y demandait des informations, à savoir combien qu’y avait de personnes, qui, qui était là, si les chiens étaient là ».

[19]           Elle a lu un échange de messages textes dans lesquels l’appelant écrit à M. Wolfson d’entrer dans la maison. Après un certain temps, il dit à Mme Larose : « Là, ça vient de se passer […], y a eu des coups de feu ». Il essaye de joindre M. Wolfson qui s’est toutefois perdu. L’appelant va le chercher. À la suite de ces événements, elle témoigne que l’appelant était en colère parce que, « l’Indien, encore une fois, y faisait peut-être pas les choses comme il faut ». L’appelant « commençait à être gêné, y commençait même à se faire niaiser par les gens autour parce que son Indien y tirait pas bien ».

iii)               Quatrième chef : 18 octobre 2012, meurtre de Pierre-Paul Fortier.

[20]           Pierre-Paul Fortier est un trafiquant de stupéfiants qui occupait le territoire de l’appelant pendant que ce dernier était en détention, tout en lui versant une redevance.

[21]           Le 17 octobre 2012, une caméra vidéo capte une scène où l’appelant, accompagné de M. Wolfson, monte à bord d’un véhicule blanc de marque Lincoln.

[22]           Le 18 octobre, vers midi, M. Fortier quitte le chantier où il travaille avec un ami pour rencontrer un homme qu’il décrit simplement en mettant sa main gauche sur son biceps droit. La conjointe de M. Fortier, qui connaît l’appelant depuis l’école secondaire, mentionne que son conjoint le surnommait « les gros bras ». Elle sait aussi que l’appelant réclamait une grosse somme d’argent à son conjoint pour avoir occupé son territoire. Toujours selon elle, M. Fortier était extrêmement angoissé et se sentait menacé par l’appelant. Elle n’a cependant jamais entendu parler de M. Wolfson.

[23]           Les caméras de surveillance du Manoir Saint-Sauveur, situé dans la municipalité du même nom, montrent un véhicule de marque Lincoln, de couleur blanche, se diriger vers l’entrée et un homme en sortir, homme qui correspond à la description de M. Wolfson. Il va vers l’arrière du Manoir. Denis Doiron, un témoin qui se trouve à ce moment dans un camion de livraison, entend un coup de feu et aperçoit ensuite un homme sortir du buisson à l’arrière du Manoir. Le témoin se dirige à pied derrière le Manoir et y trouve M. Fortier au sol. Celui-ci, atteint par au moins trois projectiles, décédera de ses blessures.

[24]           L’analyse des données provenant des tours cellulaires permet d’inférer que l’appelant était dans les environs du Manoir Saint-Sauveur le 18 octobre 2012.

[25]           À propos de ces événements, Mme Larose entend au bulletin de nouvelles qu’il y a eu une fusillade au Manoir Saint-Sauveur. Elle revient à la maison et l’appelant lui dit : «Ti-Loup, […], j’ai tué quelqu’un ». M. Wolson arrive quelques minutes plus tard. Tous se rendent chez des amis à bord d’une automobile de marque Lincoln blanche. Pendant le trajet, l’appelant et M. Wolfson se réjouissent de la description erronée du tireur faite à la radio.

iv)               Un cinquième chef d’accusation : 28 octobre 2012, une autre tentative de meurtre

[26]           Initialement, l’acte d’accusation comportait un cinquième chef (tentative de meurtre contre Dannick Lessard), mais la juge de première instance a ordonné la séparation de ce chef. Il faut néanmoins en comprendre dès maintenant la teneur, pour des raisons que je préciserai plus tard.

[27]           Dannick Lessard connaît l’appelant depuis plusieurs années. En 2006, M. Lessard est portier dans un bar où sont survenus des événements qui ont mené à l’arrestation et à la mise en détention de l’appelant. Ce dernier en voulait à M. Lessard parce qu’il n’avait pas voulu changer sa version des faits pour l’aider à être exonéré.

[28]           Le 15 octobre 2012, un lundi selon M. Lessard, celui-ci revoit l’appelant au bar où il travaille. Les deux hommes discutent et l’appelant le menace : « Tu me connais moi, je suis un capoté », ajoutant : «… qu’est-ce qui s’est passé dans le Nord…, …c’est moi »[1] et « … j’avais du respect pour toi. Maintenant je n’en ai plus de respect. Tout ce que tu mérites, c’est une balle entre les deux (2) yeux. »

[29]           Le 28 octobre 2012, vers 4 h, alors que M. Lessard sort du bar, un homme portant un masque de Batman (les fêtes de l'Halloween sont en cours) fait feu sur lui à plusieurs reprises avec deux armes à feu différentes. Une caméra vidéo capte la scène. M. Lessard est atteint de plusieurs projectiles, provenant de deux armes, mais d’un seul tireur. Il a survécu à l’attaque.

v)                 Autres éléments de preuve

[30]           Trois armes à feu ont été employées par M. Wolfson au cours des événements. Le 3 novembre 2012, il est arrêté en compagnie de l’appelant et les policiers découvrent, dans la poche de son manteau, l’arme utilisée les 10 et 28 octobre. Sont aussi saisies, dans le véhicule à bord duquel sont arrivés sur les lieux de l’arrestation l’appelant et M. Wolfson, les deux autres armes à feu ayant servi aux autres infractions. L’appelant était le chauffeur et M. Wolfson, le passager.

[31]           De plus, M. Wolfson portait toujours les mêmes chaussures noires de marque Adidas, avec fermetures autoagrippantes en guise de lacets et bandes réfléchissantes blanches sur le côté et à l’arrière. Il les portait d’ailleurs au moment de son arrestation. Cette singularité fait en sorte que son identification sur bande vidéo en est grandement facilitée.

[32]           Enfin, selon la thèse de la poursuite, l’appelant entretenait un différend avec chacune des victimes, alors que ce n’était pas le cas de M. Wolfson, qui ne connaissait même pas MM. Fortier et Lessard. Ce dernier n’avait donc aucune raison de s’en prendre aux victimes, contrairement à l’appelant, ce qui s’imbrique dans la théorie de la poursuite selon laquelle M. Wolfson était l’homme de main de l’appelant et a commis les crimes à sa demande.

vi)               La version de l’appelant

[33]           L’appelant a témoigné et, essentiellement, nie être impliqué dans ces événements. Contrairement à ce qui a été dit pendant le procès, il affirme d’ailleurs qu’il n’avait aucun différend avec les Pietrantonio pouvant expliquer sa participation aux crimes. Il y en avait cependant entre ceux-ci et M. Wolfson à qui, ajoute-t-il, il ne donnait aucune directive.

[34]           En outre, il ne connaissait que très peu M. Fortier et ne lui a jamais demandé quelque redevance.

[35]           Quant aux messages textes, il affirme ne pas les avoir écrits; ils sont peut-être le fait de son frère qui s’occupait de ces questions.

B-    L’ACTE D’ACCUSATION ET LA PERTINENCE DE CERTAINS ÉLÉMENTS DE PREUVE

[36]           La description des événements démontre l’importance de la relation entre l’appelant et M. Wolfson pour bien saisir la thèse de la poursuite. Par conséquent, tout élément de preuve susceptible d’établir la nature de cette relation est pertinent et est admissible, à moins, évidemment, que le préjudice qu’il cause ne l’emporte sur sa valeur probante. Cette remarque importe dans l’analyse des divers arguments avancés par l’appelant.

i)          Le contenu de l’acte d’accusation et la séparation des chefs

[37]           Nul ne conteste qu’un acte d’accusation puisse contenir plus d’un chef de meurtre : Charbonneau c. R., 2005 QCCA 680, et art. 589 C.cr. En revanche, pour qu’un autre type d’infraction puisse y être inclus, il faut que l’infraction « découle de la même affaire / arises out of the same transaction », à moins que l’accusé n’y consente : alinéas 589a) et b) C.cr. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, qu’il s’agisse uniquement de meurtres ou non, un juge peut ordonner la séparation des chefs pour la tenue de procès distincts « lorsqu’il est convaincu que les intérêts de la justice l’exigent / where it is satisfied that the interests of justice so require » : paragr. 591(3) C.cr.

[38]           En l’espèce, l’appelant estime que seuls les chefs 2 et 3 découlent de la même affaire. Il contestait donc la présence du chef 1, comme il contestait celle du chef 5. Il demandait également la séparation du chef 4 puisque, même s’il s’agit d’un chef de meurtre, les intérêts de la justice l’exigeaient en raison du préjudice subi, notamment la possibilité d’être déclaré coupable sur la base d’une preuve de propension.

[39]           L’appelant reproche donc à la juge d’avoir refusé sa demande de séparation des chefs 1 et 4. Il lui reproche également d’avoir semé de la confusion à ce sujet en rendant plusieurs décisions, ce qui l’aurait brimé dans la préparation de sa défense.

[40]           Contrairement à l’appelant, je suis d’avis que les chefs 1 à 3 découlaient de la même affaire et que la juge de première instance a donc eu raison de refuser la demande de séparation du chef 1. En outre, elle n’a commis aucune erreur en refusant la demande de l’appelant en séparation des chefs 1 et 4, demande formulée parce qu’à son avis, un procès conjoint lui serait préjudiciable.

[41]           Voyons pourquoi et examinons le fil des événements.

[42]           Comme je l’ai mentionné, initialement, l’acte d’accusation comportait cinq chefs. Le 6 juin 2017, la défense dépose une requête demandant « la séparation des chefs en quatre événements ». Elle concède que les chefs 2 et 3 doivent être entendus conjointement.

[43]           Le 28 juin 2017, la juge de première instance rend un jugement oral qui précise que le procès commencera le 5 septembre et avise les parties « de prendre pour acquis que le procès va se dérouler sur les chefs 2, 3 et 4 », ajoutant qu’elle met en délibéré sa décision sur la requête. En d’autres mots, elle accueille la requête en partie, en la rejetant en ce qui a trait au quatrième chef, tout en continuant sa réflexion sur les chefs 1 et 5.


[44]           Le 7 août suivant, la juge informe les parties, par courriel, que la requête est rejetée :

Le Tribunal a décidé après analyse de rejeter la requête en séparation des chefs d'accusation. La décision et ses motifs seront déposés à la cour lors de la prochaine audience dans ce dossier, soit le 23 août prochain.

[45]           En revanche, le 30 août, dans un jugement écrit, la juge accueille de nouveau partiellement la requête et ordonne la séparation du cinquième chef, en raison de l’absence d’un lien suffisant avec les autres accusations pour conclure qu’il découle de la même affaire. La juge précise qu’elle rescinde ainsi sa décision du 7 août « après plus amples réflexions » parce « qu’il n’est pas judicieux de conserver la décision originale ».

[46]           En d’autres termes, l’accusé n’aura pas à se défendre contre l’infraction de tentative de meurtre à l’endroit de Dannick Lessard.

[47]           Il eut évidemment été préférable que la décision soit cristallisée dès le 7 août, mais l’appelant peut difficilement plaider l’existence d’un préjudice alors que la juge réduit l’ampleur des accusations.

[48]           Par ailleurs, dans une décision orale du 11 octobre 2017, la juge permet à la poursuite de faire la preuve de certains événements reliés au chef 5 à titre de preuve d’une conduite indigne pertinente. Les motifs écrits de la décision sont versés au dossier le 15 décembre 2017.

[49]           L’appelant plaide que, ce faisant, la juge donne l’impression de permettre à la poursuite de faire indirectement ce qu’elle ne peut pas faire directement. Ce n’est pas exact. Si le chef 5 ne découle pas de la même affaire, il ne peut faire partie de l’acte d’accusation. Cela ne signifie aucunement que les faits sous-jacents ne peuvent être admis à titre de conduite indigne. La règle est totalement différente et la décision de séparer le chef 5 n’a aucun impact sur la recevabilité d’une preuve pertinente.

[50]           Cela étant, voici de larges extraits des motifs de la juge qui expliquent sa décision de conserver les chefs 1 et 4 et de permettre que le procès se tienne conjointement avec les chefs 2 et 3 :

[103] La personne qui requiert la séparation des chefs d'accusation, assume le fardeau de satisfaire la cour selon la balance des probabilités de la nécessité d'un procès séparé (R. c. Spanevello, (1998) 125 C.G.C. (3d) 97 (B.C.C.A.).

[104] La jurisprudence recherche un équilibre pour la réunion des chefs entre un procès juste et équitable pour l'accusé et l'intérêt pour la société de ne pas multiplier les procès. C'est ainsi que des liens factuels ou juridiques doivent exister entre les événements.

[105] L'art. 589 du Code criminel édicte qu'aucun chef d'accusation visant un acte criminel autre que le meurtre ne peut être joint, dans un acte d'accusation, à un chef d'accusation de meurtre, sauf, a) lorsque les chefs d'accusation découlent de la même affaire ou b) l'accusé consent à la réunion des chefs d'accusation, ce qui n'est pas le cas sauf en ce qui concerne les chefs deux et trois.

[106] C'est l'article 591(3) C.cr. qui traite de la séparation des chefs d'accusation et stipule que lorsqu'il est convaincu que les intérêts de la justice l'exigent, le tribunal peut ordonner que l'accusé ou le défendeur subisse son procès séparément sur un ou plusieurs chefs d'accusation.

[107] Ainsi, une accusation de meurtre peut être jointe à une autre accusation de meurtre, et ce, même si les deux événements ne relèvent pas de la même affaire.

[108] Le Tribunal estime donc que le quatrième chef d'accusation, impliquant la victime alléguée Pierre-Paul Fortier peut être joint. D'ailleurs, il est à noter que la défense à l'audience n'a pas fait de cet élément son principal cheval de bataille.

[109] Toutefois, tel que le mentionne notre Cour d'appel dans R. c. Charbonneau, 2005 QCCA 680, au par. 75, une directive « impeccable » doit être donnée aux jurés afin d'éviter que les jurés soient tentés à tort d'utiliser la preuve relativement à un chef d'accusation dans l'autre.

[110] Reste donc les chefs un et cinq qui concernent la tentative de meurtre de Tommy Pietrantonio et celle de Dannick Lessard.

[111] Une infraction autre que le meurtre peut être jointe dans un même acte d'accusation contenant une accusation de meurtre à la condition que les faits de cette autre infraction soient liés à l'accusation de meurtre.

[112] Les chefs d'accusation deux et trois illustrent particulièrement bien ce principe.

[113] Le Tribunal estime qu'il en va ainsi en ce qui concerne le premier chef d'accusation qui concerne l'infraction de tentative de meurtre impliquant Tommy Pietrantonio.

[114] Il ressort clairement de la preuve anticipée que l'infraction concernant le fils est intimement liée à celle concernant le père. Le jury pourrait en inférer que la tentative de meurtre sur le fils est le prélude et la raison pour laquelle on s'en prend au père par la suite.

[115] Les messages textes déposés au soutien de l'argumentation sont éloquents et tendent à démontrer que les accusations relèvent de la même affaire et sont intimement reliées entre elles.

[116] Dans cette optique, ne pas joindre le chef d'accusation de tentative de meurtre de Tommy Pietrantonio à celui concernant la tentative de meurtre sur Vincent Pietrantonio et le meurtre de Frédérick Murdoch priverait les jurés d'une part importante de la preuve dans la recherche de la vérité tout en risquant d'entraîner des verdicts contradictoires si plus d'un procès devaient avoir lieu .

[…]

[130] Par ailleurs, de façon plus générale en ce qui concerne les quatre premiers chefs d'accusation, il y a lieu de considérer la question du désir de témoigner d'un accusé par rapport à certains chefs et de garder le silence quant à d'autres.

[131] Bien que cette question soit importante et puisse donner ouverture à une ordonnance de procès séparé, elle n'est pas en soi un facteur déterminant dans la considération d'une demande de procès séparés.

[132] Cette question n'a d'ailleurs jamais été abordée par la défense. Rien n'indique l'existence d'une telle éventualité. Le Tribunal n'a donc pas à considérer, à cette étape, cette question. Cependant, si l'accusé devait en décider autrement, il lui sera loisible de présenter une nouvelle demande le moment venu.

[…]

[142] Ainsi, par exemple, la crédibilité de Luana Larose étant au cœur des débats, si son témoignage n'est pas cru, l'accusé pourrait être acquitté de toutes les accusations portées contre lui et éviter ainsi le risque de verdicts contradictoires.

[143] Même si seulement certaines portions de son témoignage ne sont pas crues, elles pourraient affecter l'ensemble de celui-ci et profiter ainsi à l'accusé.

[51]           Je ne vois aucune erreur dans ces passages du jugement.

[52]           Le concept d’accusation qui « découle de la même affaire » ne doit pas être interprété strictement et ne se limite pas à un seul événement ou un seul geste, mais peut également désigner une série d’événements ou de gestes ayant certains liens factuels, temporels ou juridiques. Comme l’écrit le juge Chamberland dans Ladouceur c. R., 2001 CanLII 15696 (C.A. Qc), l’ensemble des circonstances doit être pris en compte :

[16] En l’espèce, la juge de première instance a estimé que les trois chefs d’accusation découlaient « de la même affaire ».  Elle notait dans sa décision que les faits se rapportant à ceux-ci concernaient une série d'événements survenus dans la soirée du 25 février 1996, dans la même localité, à une distance relativement rapprochée les uns des autres. Elle notait également que les crimes visés par les deuxième et troisième chefs d’accusation avaient le même mobile et qu’ils étaient imputés à la même personne, quoique les victimes aient été différentes. À cela s'ajoute le fait que la preuve qui soutient la participation de l'accusé aux crimes visés par les premier et deuxième chefs d'accusation - soit ses empreintes de bottes sur les lieux du crime - découlait des suites de l'enquête policière menée relativement au crime visé par le troisième chef d'accusation. Il existait donc un lien factuel et juridique intime entre les trois infractions, de même qu’un élément de proximité temporelle et spatiale incontestable. Dans ce contexte, la juge de première instance avait raison, à mon avis, de conclure que les trois infractions découlaient «de la même affaire» au sens de l’article 589 C.cr. […]

[53]           La décision de séparer les chefs d’accusation relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès : Vallières c. R., 2020 QCCA 372, infirmé par la Cour suprême, mais non sur ce point :

[145] La décision d’inclure plusieurs accusés et plusieurs chefs d’accusation dans un même acte d’accusation relève du pouvoir du ministère public. Similairement, un tribunal de première instance jouit d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la décision d’accueillir une demande de procès séparé. Une intervention en appel n’est justifiée que lorsque le tribunal de première instance n’agit pas selon les normes judiciaires ou si sa décision cause une injustice. L’ultime question étant de déterminer « si les intérêts de la justice exigent une telle séparation » des chefs d’accusation.

 [Références omises]

[54]           La juge a suivi les principes élaborés dans R. c. Last, 2009 CSC 45, [2009] 3 R.C.S. 146, et elle ne commet aucune erreur de droit. Elle s’exprime ainsi :

[119] La Cour [dans Last] établit ensuite une liste non exhaustive de facteurs que le juge du procès doit considérer lorsqu'il tente de balancer le risque du préjudice pour l'accusé et l'intérêt de la société à ce qu'il y ait un seul procès, afin de rendre une décision en vertu de l'article 591(3) C.cr. Les facteurs sont les suivants :

  • le préjudice causé à l'accusé;
  • le lien juridique et factuel entre les chefs d'accusation;
  • la complexité de la preuve;
  • la question de savoir si l'accusé entend témoigner à l'égard d'un chef d'accusation, mais pas à l'égard d'un autre;
  • la possibilité de verdicts incompatibles;
  • le désir d'éviter multiplicité des instances;
  • l'utilisation de la preuve de faits similaires au procès;
  • la durée du procès compte tenu de la preuve à produire;
  • le préjudice que l'accusé risque de subir quant au droit d'être jugé dans un délai raisonnable; et
  • l'existence de moyens de défense diamétralement opposés entre coaccusés.

[55]           Le critère primordial à considérer quand un tribunal se penche sur une demande en séparation de chefs est celui de l’intérêt de la justice. L’intérêt de la société à ce qu’il y ait un seul procès doit être mis en balance avec le préjudice qui pourrait en découler pour l’accusé. Cette mise en balance s’effectue à l’aide de plusieurs facteurs tels que décrits dans Last. En l’espèce, plusieurs de ces facteurs penchent en faveur d’un procès conjoint sur les quatre chefs, notamment le fait que de nombreux éléments factuels et juridiques les relient entre eux. Je pense entre autres à :

-          La proximité temporelle et spatiale des événements qui sont survenus dans la même région durant une courte période;

-          Certains éléments de preuve importants sont reliés à chacun des événements ou à certains d’entre eux. C’est le cas de la découverte des armes à feu; des vêtements portés par M. Wolfson et captés par les caméras de surveillance; du témoignage de Mme Larose et des messages échangés avec les Pietrantonio;

-          Si Dannick Lessard témoignait à propos des aveux de l’appelant sur son implication « dans le Nord », sans être entendu sur l’ensemble des événements, le jury serait privé de la preuve des menaces et, par conséquent, de la démonstration de la véracité probable des aveux;

-          Les liens entre l’appelant et M. Wolfson sont indispensables à la compréhension de la thèse de l’intimé et requièrent la preuve de tous les chefs d’accusation. Autrement dit, la preuve du lien de dépendance de M. Wolfson est pertinente et se retrouve dans l’ensemble des événements, ce qui permet de conclure, par exemple, qu’il exécutait les ordres de l’appelant en s’attaquant aux victimes;

-          L’existence de conflits entre l’appelant et les victimes;

-          L'intérêt de la justice à ce que Mme Larose, qui implique l’appelant sur chacun des chefs d'accusation, ne témoigne qu'à une seule reprise;

-          La preuve sur tous les chefs est nécessaire pour atteindre une justice efficace, compte tenu des coûts, de la lourdeur des procédures et de leur complexité.

[56]           De plus, le procès conjoint des quatre chefs permet d’établir un système, c’est-à-dire la perpétration d’actes criminels par M. Wolfson au profit de l’appelant. Dans R. c. Plamondon, [1991] R.J.Q. 2447 (C.A.), le juge Dussault mentionne que des chefs d’accusation peuvent être entendus conjointement s’ils servent à prouver un système :

[…] En inscrivant trois chefs d'accusation de meurtre au premier degré dans le même acte d'accusation, ce qui entraînait en principe la tenue d'un seul procès pour l'ensemble des trois chefs, l'intimée s'appuyait sur un motif légitime. Elle souhaitait prouver que les agissements de l'appelant lors de chacun des meurtres révélaient « l'existence d'un système ou d'un dessein », et par ce moyen, renforcer la crédibilité de ses témoins sur chacun de ces meurtres. Contrairement à ce que soutient l'appelant, la démarche de l'intimée s'inscrit donc très bien dans le cadre de « la méthode des catégories associées à l'arrêt Makin ». […]

 [Références omises]

[57]           Le jury pouvait ainsi mieux comprendre, grâce à une vue d’ensemble que procure un procès conjoint, que M. Wolfson était l’homme de main de l’appelant. L’effet cumulatif de la preuve était primordial pour établir la crédibilité des témoins à charge.

[58]           Comme le rappelle le juge Moldaver dans R. c. Sciascia, 2017 CSC 57, [2017] 2 R.C.S. 539 :

[8] […] En common law, les tribunaux jouissent du vaste pouvoir discrétionnaire de tenir un procès conjoint lorsque cela sert les intérêts de la justice. Des raisons de principe militent en faveur de cette approche pragmatique. En l’absence d’une interdiction expressément prévue par la loi, ou d’une intention clairement exprimée par le législateur à l’effet contraire, rien ne justifie d’écarter ce pouvoir discrétionnaire […].

 [Références omises]

[59]           En somme, la juge a exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire et je ne vois rien qui puisse justifier l’intervention de la Cour.

[60]           Après la décision de la juge d’autoriser la preuve du cinquième chef, la défense présente une nouvelle demande de procès séparé sur le chef 4. En résumé, elle plaide que la déclaration dont la preuve est autorisée (« dans le Nord, c’est moi ») ayant été faite le 15 octobre, elle ne peut se rapporter aux événements du chef 4 qui sont survenus après, soit le 18 octobre. Cette preuve causerait donc un préjudice irréparable s’il fallait qu’elle soit autorisée en rapport avec le chef 4.

[61]           La poursuite plaide alors que cette preuve permet de démontrer la dynamique de la relation entre l’accusé et M. Wolfson, de même que de confirmer que ce dernier était son homme de main. En effet, après que l’appelant eut menacé la victime, c’est M. Wolfson qui l’agresse quelques jours plus tard. La poursuite veut ainsi repousser une défense de présence passive de l’accusé lors des événements du 18 octobre.

[62]           Dans son jugement du 15 décembre 2017, la juge rejette cette seconde demande de la défense tout en rappelant que ses directives limiteront le préjudice qui pourrait être causé à l’appelant. Elle écrit :

[143] Le Tribunal a déjà statué qu’il sera clairement interdit aux jurés de se servir des paroles « Dans le Nord c’est moi. Qu’est-ce qui s’est passé dans le nord, c’est moi » comme étant potentiellement un aveu en lien avec le quatrième chef d’accusation. Il leur sera également interdit de s’en servir comme preuve de propension.

[144] En l’espèce, le risque de préjudice pour l’accusé sera donc minimisé par des directives restrictives et n’emporte pas sur les avantages sur le plan de l’administration de la justice de tenir un seul procès. Le Tribunal considère que le jury bien instruit en droit sera en mesure de cerner adéquatement le rôle limité de la preuve des aveux, s’ils considèrent, d’une part, qu’ils ont été tenus par l’accusé et, d’autre part, s’ils infèrent qu’ils constituent des aveux.

[63]           Elle ajoute :

[147] De même, les propos de l’accusé rapportés par Lessard « Avant ça, j’avais du respect pour toi, asteure j’en ai plus de respect pour toi » et « Tout ce que tu mérites, c’est une balle entre les deux yeux », jumelés à la preuve que c’est Wolfson qui a mis ces menaces à exécution, font en sorte que les événements entourant la tentative de meurtre sur la personne de Lessard peuvent servir à tous les chefs d’accusation afin de démontrer la relation entre Wolfson et l’accusé, ainsi que pour contrer une défense de présence passive.

[148] Bien qu’il ne s’agisse pas d’une preuve de faits similaires, le fait que la preuve de conduite indigne se rapporte à chacun des quatre chefs a pour conséquence que l’instruction conjointe comporte un avantage sur le plan de l’administration de la justice.

[149] Le témoignage de l’expert en balistique, Érik Hudon, concerne tous les chefs d’accusation, sans compter que deux armes, le Glock et le Colt ont été utilisés lors de plus d’un événement.

[150] La preuve n’est pas très complexe et compte tenu du chevauchement de certains témoignages l’instruction conjointe présente plusieurs avantages, dont celui de servir l’intérêt de la justice dans la recherche de la vérité et sur le plan de l’administration de la justice.

[151] Quant aux propos « Dans le Nord c’est moi. Qu’est-ce qui s’est passé dans le Nord, c’est moi », qui se rapportent uniquement aux trois premiers chefs d’accusation, tel que déjà exposé, les directives restrictives qu’entend donner le Tribunal limiteront le risque de pollinisation croisée ou de raisonnement fondé sur la propension.

[64]           La défense a aussi plaidé que l’appelant avait l’intention de témoigner sur les chefs 1 à 3, mais aucunement sur le chef 4, ce qui serait une autre raison de séparer ce chef. La juge n’a pas retenu cet argument pour les raisons suivantes :

[165] En ce qui concerne le désir de témoigner de l’accusé, il est bien certain que le Tribunal n’a pas à évaluer si celui-ci devrait témoigner ou non, non plus que « substituer son opinion à celle de l’accusé et décider que celui-ci doit ou non témoigner » : R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146 au para. 26.

[166] Le Tribunal doit « plutôt être tout simplement convaincu que les circonstances établissent objectivement une raison pour témoigner à l’égard de seulement certains chefs d’accusation »: R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146 au para. 26.

[167] Toutefois, « Le fardeau qui incombe à l’accusé consiste à fournir au juge de première instance assez de renseignements pour transmettre le message que, objectivement, son intention de témoigner est bien fondée. Les renseignements pourraient être le type de moyens de défense que l’accusé peut invoquer ou la nature de son témoignage […] Toutefois, l’accusé n’est pas lié par son intention déclarée; il demeure libre, au fur et à mesure que l’instruction avance, de contrôler sa défense de la façon qu’il juge appropriée » : R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146 au para. 26.

[168] De même, « […] l’intention provisoire d’un accusé au sujet de son témoignage mérite qu’on lui accorde un poids important, mais elle n’est qu’un des facteurs qui doit être soupesé par rapport aux autres. Son intention déclarée et objectivement justifiable de témoigner à l’égard de seulement certains chefs d’accusation n’est pas nécessairement déterminante dans une demande de séparation de chefs d’accusation. Elle peut être contrebalancée par d’autres circonstances qui, selon le juge, peuvent empêcher l’accusé de témoigner ou même peser moins lourd dans la balance que des facteurs qui démontrent que les intérêts de la justice exigent la tenue d’une instruction conjointe » : R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146 au para. 27.

[169] De plus, « […] l’inculpé qui […] prétend avoir une défense valable qui requiert son témoignage sur certains chefs, ce qui compromettrait son droit au silence sur les autres s’il devait témoigner, devrait à tout le moins indiquer la nature de sa défense s’il ne veut pas laisser croire que sa demande est purement tactique » : Ronald Cross, Gordon Lazore c. R., 1996 CanLII 5992 (QCCA) (demande pour autorisation d'appeler rejetée, C.S.C., 08-05-1997, 25754), à la page 17; Voir également Gilbert c. R., 2015 QCCA 1500 au para 21, et N.D. c. R., 2006 QCCA 14 aux paras 67 à 70.

[170] Or, en l’espèce, le Tribunal n’a comme seule information que l’accusé entend témoigner uniquement dans le but d’indiquer aux jurés que les paroles suivantes « Ce qui s’est passé dans le Nord, c’est moi » n’ont rien à voir avec le meurtre de Frédérick Murdock et/ou la tentative de meurtre de Vincent Pietrantonio et celle de Tommy Pietrantonio.

[…]

[173] Dans les circonstances, le Tribunal voit mal comment l’accusé peut raisonnablement indiquer vouloir témoigner afin d’expliquer que les paroles qu’il a prononcées à Lessard n’étaient pas en lien avec les trois premiers chefs d’accusation, et ne pas vouloir témoigner afin de réfuter notamment l’aveu fait à Luana Larose, dans les heures suivant le meurtre allégué de Pierre Paul-Fortier, à l’effet qu’il venait de tuer quelqu’un.

[…]

[179] Le Tribunal considère qu’une simple dénégation générale n’est pas un motif suffisant pour ordonner la séparation des chefs d’accusation, et l’accusé n’a présenté aucun argument qui permet au Tribunal de conclure que sa demande est autre que purement tactique.

[180] De plus, l’intérêt de la justice commande la tenue d’un seul procès en ce qui concerne les quatre chefs d’accusation.

[65]           En somme, la juge a tenu compte de tous les principes de droit et l’appelant ne fait voir aucune erreur révisable.

ii)       La preuve de conduite indigne

[66]           Qu’en est-il maintenant de la décision de la juge de permettre la preuve des faits sous-jacents au chef 5 à titre de preuve de conduite indigne, plus particulièrement les menaces proférées par l’appelant?

[67]           La juge s’explique :

[161] L’ensemble de la preuve, et surtout les événements qui ont suivi ces menaces, pourrait permettre au jury d’inférer qu’un lien de subordination existait entre l’accusé et Wolfson et que lorsque l’accusé a dit à Lessard que « tout ce qu’il méritait était une balle entre les deux yeux », c’est qu’il désirait assouvir sa vengeance de façon meurtrière.

[162] Il serait ainsi tout aussi logique pour le jury d’inférer que si l’accusé s’est référé aux événements passés dans le Nord, c’était pour bien faire comprendre au témoin le sérieux de sa menace.

[163] Dans ce contexte, il est improbable que l’accusé n’ait pas spécifiquement fait référence à ces incidents, qui sont par ailleurs très contemporains avec sa rencontre.

[164] La tentative de meurtre alléguée de Tommy Pietrantonio est survenue le 29 septembre, soit 16 jours avant la rencontre de l’accusé avec Lessard, tandis que la tentative de meurtre alléguée de Vincent Pietrantonio et le meurtre allégué de Frédérick Murdock, sont survenus le 10 octobre, soit 5 jours avant sa rencontre avec Lessard.

[165] L’existence d’une autre explication logique et raisonnable est hautement improbable dans les circonstances.

[166] C’est pourquoi, tout comme l’indique la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, la conduite indigne en l’instance est « si pertinente et convaincante que sa valeur probante dans la recherche de la vérité l’emporte sur toute possibilité qu’elle soit mal utilisée ».

[68]           Ces propos, jumelés à tous ceux repris précédemment et à l’ensemble de la preuve, démontrent que la juge a utilisé de manière judiciaire son pouvoir discrétionnaire, de sorte que l’intervention de la Cour ne serait aucunement justifiée. « [L]e lien logique entre la preuve proposée et le fait qu’elle vise à établir » est démontré : R. c. Calnen, 2019 CSC 6, [2019] 1 R.C.S. 301. Cette preuve accroît la probabilité de la participation de l’appelant aux crimes qui lui sont reprochés (ceux commis « dans le Nord ») et est donc pertinente pour répondre aux questions en litige. De même, les menaces proférées par l’appelant, mises à exécution par M. Wolfson que la victime Lessard ne connaissait pas, augmentent, elles aussi, la probabilité que ce dernier soit l’homme de main de l’appelant dans le contexte des autres chefs.

[69]           De plus, l’arrêt Theus c. R., 2022 QCCA 290, cité par l’appelant, ne lui est d’aucune utilité étant donné la différence significative entre les deux affaires, notamment le lien temporel entre le contenu de la déclaration et les infractions. Le jury pouvait raisonnablement conclure que la déclaration portait sur les meurtres et tentatives de meurtre visés par les trois premiers chefs. On ne peut donc plaider, comme dans Theus, qu’il s’agissait tout au plus d’une preuve de propension. En effet, dans ce dernier arrêt, il y avait « absence d’élément de preuve étayant le fait que l’appelant parlait du meurtre » (paragr. 38), ce qui n’est pas le cas en l’instance.

C-    BROWNE v. DUNN (1894), 6 R. 67 (H.L.)

[70]           Cet arrêt, de la Cour d’appel d’Angleterre du 28 novembre 1893, est dans « l’air du temps » : Xavier c. R., 2021 QCCA 997. Il énonce une idée d’une désarmante simplicité : sans que ce soit une règle absolue, il est préférable d’attirer l’attention d’un témoin lors du contre-interrogatoire sur les faits que l’on entend ensuite mettre en preuve pour le contredire. Il peut ainsi donner ses explications, ce qui est nettement plus équitable que de le laisser dans l’ignorance afin d’esquiver sa version des faits.

[71]           Or, quoique l’appelant l’invoque, il n’est pas applicable ici. Voici pourquoi.

[72]           L’appelant reproche à l’intimé de ne pas l’avoir contre-interrogé lorsqu’il a témoigné en défense à propos de la déclaration « ce qui s’est passé dans le Nord, c’est moi ». Il soutient qu’il aurait pu s’expliquer sur le sens à lui donner, de sorte que l’intimé n’aurait pu plaider, comme il l’a fait, qu’il s’agissait d’un aveu de sa participation aux trois crimes. Pourtant, cette déclaration avait évidemment été mise en preuve avant la défense et, par conséquent, si l’appelant voulait donner ses explications, il avait la totale liberté de le faire en témoignant. Il a choisi de ne pas le faire et il ne peut en faire reproche à l’intimé.

D-    LES DIRECTIVES

i)          Le doute raisonnable

[73]           L’appelant argue que la juge aurait commis une erreur de type Miller (R. v. Miller (1991), 68 C.C.C. (3d) 517 (C.A. Ont.) en mentionnant « vous ne pourrez le déclarer coupable que si le reste de la preuve prise dans son ensemble, c'est-à-dire les éléments de preuve que vous considérez comme étant dignes de foi prouvent sa culpabilité hors de tout doute raisonnable ». Pour l’appelant, cette phrase sous-entend que la juge omet de rappeler que le doute raisonnable « peut résulter d’une preuve que le jury retient, qu’il ne retient pas ou qu’il ne croit pas ». Il ajoute que, puisque nous sommes en présence de témoignages contradictoires, la juge aurait dû donner la directive suivante : « Si vous ne savez qui croire, vous avez alors un doute raisonnable et devez déclarer l’accusé non coupable ».

[74]           Il n’y a ici aucune erreur de type Miller, de sorte que l’arrêt sur lequel l’appelant s’appuie ne l’aide pas. En effet, la juge ne donne pas sa directive en rapport avec la possibilité d’acquitter l’appelant, mais bien en rapport avec une déclaration de culpabilité. S’il est vrai que le doute raisonnable peut émaner d’une absence de preuve ou d’une preuve que le jury ne croit pas, la culpabilité, de son côté, ne peut être prononcée que sur la base d’une preuve qui est crue. La juge ne commet donc aucune erreur en disant au jury : « […] si le témoignage de l’accusé ne soulève pas de doute raisonnable dans votre esprit […], vous ne pourrez le déclarer coupable que si le reste de la preuve prise dans son ensemble, c'est-à-dire les éléments de preuve que vous considérez comme étant dignes de foi prouvent sa culpabilité hors de tout doute raisonnable ». Cette mise en garde est conforme à R. c. W.(D)., [1991] 1 R.C.S. 742.

[75]           De plus, la directive en ce qui a trait au doute raisonnable est également sans reproche et répond adéquatement à l’argument de l’appelant :

La norme de preuve exprimée par la phrase « hors de tout doute raisonnable » est un élément fondamental de notre système de justice criminel. Un doute raisonnable n'est pas un doute frivole ou imaginaire, il n'est pas fondé sur la sympathie ou le préjugé, mais plutôt sur la raison et la logique. Le doute raisonnable découle donc logiquement de la preuve ou d'un manque de preuve. Il n'est pas suffisant de croire que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable. Si vous deviez en arriver à cette conclusion, vous devrez déclarer l'accusé non coupable parce que cela voudrait dire que la poursuite n'aura pas réussi à vous convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Une preuve de culpabilité probable ou vraisemblable n'est pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable, mais vous devez cependant garder à l'esprit qu'il est à peu près impossible de prouver quoi que ce soit de façon absolue. La certitude absolue n'est pas la norme de preuve que la poursuite doit atteindre. Cette norme de preuve serait impossible à atteindre.

Si au terme de vos délibérations, après avoir examiné l'ensemble de la preuve, vous êtes convaincus que l'accusé a commis l'infraction dont il est accusé, vous devrez le reconnaître coupable de cette infraction puisque la poursuite vous aura alors convaincus de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Mais si, après avoir examiné l'ensemble de la preuve ou le manque de preuve, vous n'êtes pas certains que l'accusé a commis une infraction dont il est accusé, vous devrez alors le déclarer non coupable de cette infraction.

 [Je souligne]

[76]           Quant à la directive que l’appelant considère obligatoire (« Si vous ne savez qui croire, vous avez alors un doute raisonnable et devez déclarer l’accusé non coupable »), elle ne l’est pas, bien qu’elle puisse être utile lorsqu’il y a un risque que le jury ait compris qu’il devait choisir entre deux versions : Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénale, 29e éd., Montréal, Yvon Blais, 2022, p. 879, paragr. 34.43; R. c. C.W.H. 1991, 68 C.C.C. (3d) 146 (C.A. B.C.), p. 155; R. v. Thiara, 2010 BCCA 415, paragr. 29; R. v. Howard, 2017 BCCA 263, paragr. 13-15.

[77]           Les directives doivent être lues comme un tout et « [c]e qu’il importe vraiment de déterminer, c’est essentiellement si les directives du juge du procès ont donné au jury l’impression qu’il devait choisir entre les deux versions des événements » : R. c. Avetysan, 2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745, paragr. 19.

[78]           Or, lorsque l’on considère les directives dans leur ensemble, rien ne laisse croire que le jury ait été invité à choisir entre deux versions. Les directives satisfont le critère fondamental formulé dans W.(D.), soit que le jury a nécessairement compris la nature du fardeau et la norme de preuve applicable. La juge a correctement instruit les jurés qu’ils pouvaient acquitter l’accusé même s’ils ne le croyaient pas et que le fardeau de la preuve reposait sur les épaules de la poursuite.

ii)       Spéculation et inférences

[79]           Puisque la preuve est uniquement circonstancielle, l’appelant soutient que les explications et exemples donnés par la juge concernant la spéculation et les inférences sont insuffisants et portent à confusion. Ce n’est pas le cas.

[80]           Dans R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42, paragr. 33, la juge Charron rappelle que l’élément essentiel à communiquer aux jurés est que « pour prononcer un verdict de culpabilité, ils doivent être convaincus hors de tout doute raisonnable que la seule conclusion rationnelle pouvant être tirée de la preuve circonstancielle est que l’accusé est coupable » et qu’il y a « différentes façons de communiquer ce message aux jurés ».

[81]           En l’espèce, la juge a mentionné au jury que « lorsque la preuve de la poursuite est entièrement ou substantiellement circonstancielle, la culpabilité ne sera établie que si c’est la seule conclusion raisonnable à tirer de la preuve considérée dans son ensemble ». Elle a ensuite expliqué la différence entre la spéculation et les inférences en utilisant des exemples pertinents et utiles :

Alors, prenons l'exemple suivant. Vous êtes chez vous au beau milieu de l'été, vous avez fait la grâce matinée. Vous vous levez et, lorsque vous tirez les rideaux, vous vous apercevez qu'il fait un soleil radieux. Mais vous voyez aussi que le gazon est mouillé, les trottoirs et l'asphalte aussi. L'eau ruisselle sur les arbres. Qu'allez-vous inférer? Qu'il a plu pendant que vous dormiez et qu'il fait beau maintenant. Si seulement l'asphalte est mouillée, il est possible que vous concluiez hâtivement qu'il a plu. Mais ensuite remarquer que les trottoirs sont secs ou encore entendre au loin un bruit susceptible d'être causé par un véhicule nettoyant la chaussée qui vous amènerait à réexaminer votre conclusion prématurée. À elle seule prise isolément, la constatation que la chaussée est mouillée n'exclut pas les autres explications raisonnables, outre celle qu'il a plu. Mais vous ne pourriez pas vous mettre à penser, sans l'avoir vu, que c'est un avion-citerne qui s'est perdu, à déverser sa cargaison d'eau au-dessus de votre maison. Ça c'est spéculer.

Je vous donne un autre exemple, celui d'un casse-tête. Imaginez-vous celui d'une petite fille jouant sur le bord de la mer avec une pelle et un seau au côté de sa mère qui lit sur une chaise alors que le soleil est radieux et où seuls quelques nuages s'effilochent au loin. S'il manque tout le soleil, le bout de la pelle de la petite fille, la moitié du livre de la mère et les pattes de la chaise de la mère, le bon sens et la logique que vous utilisez à tous les jours ne vous empêcheraient pas de conclure en regardant l'ensemble du tableau qu'il s'agit d'une petite fille jouant sur le bord de la mer avec une pelle et un seau au côté de sa mère qui lit sur une chaise alors qu'il fait beau. Mais si tous les morceaux du visage et du maillot de bain de l'enfant sont manquants, vous ne pourriez évidemment pas conclure qu'il s'agit d'une petite fille ou d'un petit garçon.

[82]           La formulation d’exemples n’est pas exigée ni proscrite. En réalité, la prudence s’impose avant de donner des exemples, étant donné qu’il n’y a pas de formule consacrée. Je ne vois rien de confondant dans ceux-ci, au contraire, et l’on ne peut reprocher à la juge son effort afin de mieux illustrer son propos.

iii)     La propension

[83]           Un procès qui comporte plusieurs chefs d’accusation se rapportant à des incidents différents exige une directive « précise, claire et impeccable » : Charbonneau c. R., précité, paragr. 75. Ceci l’est d’autant plus lorsqu’une preuve de conduite indigne s’y ajoute. Il faut éviter la contamination entre les éléments de preuve admissibles sur chaque chef afin que le procès ne devienne pas un jugement de valeur sur la moralité de l’accusé. C’est ce que la juge a fait. Voici d’ailleurs de larges extraits de ses directives sur le sujet qui le démontrent amplement :

Tout d'abord, avant toute chose, j'insiste sur le fait que le procès porte sur deux (2) accusations de tentative de meurtre, l'une sur Tommy et l'autre sur Vincent Pietrantonio, et sur deux (2) accusations de meurtre, l'une sur Frederick Murdock et l'autre sur Pierre-Paul Fortier. Le procès concerne ces seules infractions. En l'espèce, le litige porte sur la question de la participation ou non de l'accusé aux quatre (4) infractions survenues dans l'acte d'accusation qui vous a été remis au début du procès. Aussi, soyez prudents en appréciant la preuve de l'événement survenu au bar Le Garage, de ne pas sauter aux conclusions. Ce n'est pas parce que cette conduite pourrait vous apparaître similaire aux infractions que vous devez juger que cela signifie que Benjamin Hudon-Barbeau a participé à ces dernières. Vous pouvez toutefois, sans y être obligés, utiliser les éléments de preuve relativement à l'événement survenu au bar Le Garage pour les fins suivantes et uniquement pour celles-ci: pour évaluer la valeur probante des aveux qui ont été faits à Dannick Lessard à condition que vous considériez qu'ils ont été dits, et à la condition que vous considériez qu'il s'agit là d'aveux et que ces aveux sont en lien avec les accusations.

Si vous estimez qu'ils n'ont pas été dits, vous ne pourrez pas vous en servir. Si vous estimez qu'ils ont été dits et que la rencontre a eu lieu le quinze (15) octobre, vous ne pourrez pas vous servir des aveux relativement au quatrième chef d'accusation puisque les faits sont survenus au Manoir le dix-huit (18) octobre. Vous pourrez vous en servir également pour établir la dynamique de la relation entre l'accusé et Ryan Wolfson, notamment que Ryan Wolfson était apte à commettre, à la demande de l'accusé, un acte violent, ce qui peut vous servir à apprécier la crédibilité du témoignage de Luana Larose. Il s'agit donc des seules manières que vous pouvez utiliser la preuve de l'événement survenu au bar Le Garage.

Si vous concluez que Benjamin Hudon-Barbeau a encouragé Ryan Wolfson à aller tuer Dannick Lessard le vingt-huit (28) octobre deux mille douze (2012) ou le lui a conseillé, vous ne pouvez pas utiliser cette preuve pour conclure ou pour vous aider à conclure que les infractions contenues à l'acte d'accusation ont probablement eu lieu, étant donné le caractère de Benjamin Hudon-Barbeau ou la propension générale qu'aurait eu ce dernier à encourager Ryan Wolfson à s'en prendre violemment à des gens ou à lui conseiller de le faire.

De plus, si vous en venez à la conclusion que Benjamin Hudon-Barbeau a encouragé Ryan Wolfson à s'en prendre à Dannick Lessard le vingt-huit (28) octobre ou le lui a conseillé, vous ne pouvez pas décider de le punir pour cette conduite en le trouvant coupable des infractions que vous avez à juger ou de le déclarer coupable de ces dernières infractions simplement parce que cet événement est survenu.

 [Je souligne]

[84]           Lorsqu’elle parle des événements survenus au bar Le Garage, la juge renvoie aux événements impliquant Patrick Lessard. Elle ajoute plus loin :

J'insiste pour vous rappeler que vous ne pouvez pas vous servir de la preuve concernant un chef d'accusation pour l'appliquer sur l'autre, s'il n'y a pas de lien entre les éléments de preuve.

[…]

Je vous ai déjà dit que l'acte d'accusation porté contre l'accusé compte quatre (4) chefs. Chaque infraction alléguée est un chef d'accusation distinct. Vous devez examiner chacun de ces chefs d'accusation séparément et rendre un verdict sur chacun d'eux séparément. Rien ne vous oblige de rendre le même verdict sur chacun des chefs d'accusation. Vous devrez rendre un verdict sur chaque chef d'accusation en considérant exclusivement les éléments de preuve reliés à ce chef et en vertu des règles de droit que je vous dirai d'appliquer à ce chef. Vous ne devrez pas retenir des éléments de preuve reliés à un seul chef pour en arriver à un verdict sur l'un ou l'autre des chefs contenus à l'acte d'accusation, à moins évidemment que l'élément de preuve concerne plus d'un chef. Tels les incidents, par exemple, survenus le dix (10) octobre concernant l'accusation de tentative de meurtre de Vincent Pietrantonio et l'accusation de meurtre de Frederick Murdock. L'accusé est présumé innocent sur chacun des chefs d'accusation portés contre lui et relativement aux infractions incluses. Vous devez examiner chacun des chefs d'accusation séparément et rendre un verdict sur chacun d'eux fondé exclusivement sur les éléments de preuve et les règles de droit reliés à chacun de ces chefs.

 [Je souligne]

[85]           Il n’existe, en définitive, aucune possibilité que le jury ait pu mal comprendre son rôle.

iv)     Le mobile

[86]           L’appelant reproche à la juge de ne pas avoir suffisamment insisté sur la faiblesse de la preuve de mobile. En insistant sur la thèse de l’intimé que « Wolfson était l’arme entre les mains de l’accusé », la juge aurait indûment mis l’accent sur la preuve concernant le tireur au lieu de cibler la preuve permettant de déterminer que l’appelant est à l’origine des crimes. Il reproche aussi à la juge d’avoir accordé une importance démesurée à la théorie de l’intimé.

[87]           Bien que les principaux éléments de défense « doivent être présenté[s] clairement au jury […] il n’est pas nécessaire que le juge du procès passe en revue tous les faits ni que son exposé au jury relate la preuve produite dans les menus détails » : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, paragr. 55, citant Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495, P. 497-498. Le rôle du juge est donc de « clarifier et de simplifier » la tâche du jury : R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314, paragr. 13. Si l’exposé de la preuve permet de bien cerner les questions à trancher et les moyens de défense, il sera adéquat; le juge doit expliquer la thèse des parties et les moyens de défense afin que le jury puisse les évaluer adéquatement.

[88]           Dans le présent dossier, les directives, prises dans leur ensemble, n’induisent pas le jury en erreur, mais résument de manière claire et concise la preuve ainsi que la théorie des parties. La juge a correctement énoncé la thèse de l’appelant, c’est-à-dire que la preuve de l’intimé était lacunaire et qu’il niait avoir participé aux infractions.


[89]           Résumant la théorie de la cause soutenue par l’appelant, la juge dit :

[…] Ce que la poursuite vous demande de faire c'est de deviner et de le condamner sur un « peut-être ». La preuve ne démontre tout simplement pas que Benjamin Hudon-Barbeau a aidé ou encouragé Ryan Wolfson à tuer Tommy Pietrantonio.

[…]

La poursuite vous a soumis un casse-tête auquel il manque trop de pièces, trop de questions demeurent sans réponse, trop d'hypothèses ne sont pas soutenues par la preuve. Une suite de « peut-être » ne peut jamais mener à une certitude.

[90]           Elle a aussi résumé son témoignage de manière adéquate en insistant notamment sur son affirmation selon laquelle il n’avait aucun mobile pour s’en prendre aux victimes, alors que M. Wolfson les connaissait, contrairement à la thèse de la poursuite.

[91]           La juge a donc résumé la théorie des parties de manière tout à fait acceptable et n’a pas indûment insisté sur celle de l’intimé.

v)       Erreurs dans la narration des faits

[92]           L’appelant identifie des erreurs que la juge aurait faites dans ses directives en exposant les faits mis en preuve. Selon l’appelant, en raison de la multiplicité et du cumul de ces erreurs, il a été privé d’un procès juste et équitable.

[93]           Les directives n’ont pas à être parfaites; elles seront appropriées « dans la mesure où, en examinant l’ensemble de l’exposé du juge du procès au jury, une cour d’appel conclut que le jury avait une compréhension suffisante des faits relatifs aux questions pertinentes :  R. c. Jacquard, précité, paragr. 14. Comme le souligne le juge Doherty dans R. v. Bucik, 2011 ONCA 546, paragr. 23 :

A misstatement of a single piece of evidence in a jury instruction will usually not result in reversible error, particularly where there is no objection by counsel. Juries are told they should rely on their own recollection of the evidence. […]

[94]           En l’instance, la juge a bien commis quelques erreurs, mais aucune n’est significative. Ainsi, la juge a mentionné à tort que M. Wolfson habitait avec l’appelant et Tommy Pietrantonio. Cette erreur est toutefois anodine au regard des questions en litige et ne peut avoir eu un impact sur le raisonnement du jury lorsque les directives sont considérées dans leur ensemble. De plus, l’avocat de l’appelant n’a pas formulé d’objection.

[95]           Quand la juge indique que Tommy Pietrantonio a été tué, elle se trompe évidemment, mais cette erreur d’inattention ne peut avoir confondu le jury.

[96]           Les quelques autres erreurs sont du même acabit et n’ont causé aucun préjudice à l’appelant.

[97]           De plus, la juge a rappelé aux jurés que :

Mes références à la preuve n’ont d’autre but que de rafraîchir votre mémoire et de vous démontrer comment certains éléments de preuve se relient aux questions en litige, Il n’est pas impossible que ma récapitulation d’un témoignage contienne des erreurs. Si mon souvenir de la preuve s’avérait différent du vôtre, ce serait sur votre propre mémoire que vous devez compter. C'est votre responsabilité de déterminer quels sont les faits dignes de foi dans la preuve et vous devrez le faire en vous reposant sur votre propre mémoire et non sur la mienne, ni celle des avocats.

E-    LE CONTRE-INTERROGATOIRE DE L’APPELANT À L’AIDE D’UN ÉLÉMENT DE PREUVE JUGÉ AUPARAVANT INADMISSIBLE

[98]           Au cours du procès, la poursuite a voulu mettre en preuve un message téléphonique laissé par l’appelant dans la boîte vocale de la mère de Mme Larose le 10 mars 2014. La juge a refusé au motif que cette preuve n’était pas pertinente.

[99]           En témoignant, l’appelant fait état de ce message, tout en le décrivant de manière à en dénaturer le sens et le ton. La juge a permis à la poursuite de le contre-interroger à l’aide de l’enregistrement et de le déposer aux fins de l’évaluation de sa crédibilité. Selon le paragr. 10(1) de la Loi sur la preuve, la juge pouvait agir de la sorte en exerçant son pouvoir discrétionnaire afin de permettre au jury de bien évaluer la crédibilité de l’appelant.

[100]      Les règles sur la pertinence d’un élément de preuve sont différentes de celles sur la crédibilité et la juge pouvait conclure comme elle l’a fait, malgré sa décision antérieure, d’autant qu’elle a pris soin de mettre en garde les jurés sur l’utilisation de cette preuve juste avant son dépôt :

[…] Je vous dis tout de suite que vous ne pouvez pas vous servir de cet appel-là autrement que pour jauger la crédibilité de l’accusé. Et je vais vous dire pourquoi. C’est que cet appel-là a lieu en mars deux mille quatorze (2014), le quatorze (14) mars deux mille quatorze (2014) qui est donc avant que monsieur Hudon-Barbeau soit accusé des présentes accusations. Ce qui veut donc dire que vous ne pouvez pas vous servir de cet enregistrement pour tirer quelque conclusion que ce soit quant à la culpabilité de monsieur Hudon-Barbeau en lien avec les présentes accusations. Vous pouvez vous en servir pour jauger de sa crédibilité. […]


[101]      De plus, l’avocat de l’appelant (Me Beauchesne) était d’accord :

Me STEVE BARIBEAU :

Que l’on puisse déposer le message vocal que l’on a écouté ce matin, l’enregistrement du message vocal de monsieur Hudon-Barbeau laissé sur la boîte vocale de madame Colette Larose, et que vous donniez une directive au jury qu’on va la coter cette pièce-là, mais que le jury puisse faire l’utilisation de cette pièce-là seulement, seulement pour évaluer la crédibilité de l’accusé.

LA COUR :

Ah bien, ça je suis parfaitement d’accord avec vous. Je m’étais même pris une note qu’ils ne pouvaient absolument pas tirer aucune conclusion en lien avec les accusations qui sont portées contre monsieur Hudon-Barbeau parce que ça serait spéculer, et parce que les accusations ont été portées en mars deux mille quinze (2015)... en avril deux mille quinze (2015) en lien avec les présentes accusations...

[…]

Me RODRIGUE BEAUCHESNE :

Madame, il n’y a pas de problème. Surtout que j’ai fait bien préciser à ce moment-là aussi, quand mon client a reconnu que c’était sa voix...

LA COUR :

Oui oui. Non non, je suis parfaitement d’accord avec vous, c’est uniquement pour évaluer la crédibilité de monsieur Hudon-Barbeau.

Me RODRIGUE BEAUCHESNE :

Parfait, madame.

[102]      Bref, l’appelant ne démontre aucune erreur révisable.

[103]      Pour ces motifs, je suggère que la Cour rejette l’appel du verdict, mais accueille celui sur la peine pour ordonner que les deux périodes minimales avant l’admissibilité à la libération conditionnelle pour les accusations de meurtre soient concurrentes.

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 


[1] Il faut savoir que tous les événements décrits précédemment, de même que celui-ci, ont eu lieu dans une région que les Québécois, et plus particulièrement les habitants des environs de Montréal, appellent « le Nord ».

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