Décision

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Blanchette c. Corbeil

2022 QCTAL 9651

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

608027 28 20220124 G

No demande :

3442860

 

 

Date :

01 avril 2022

Devant la juge administrative :

Marie-Louisa Santirosi

 

Sophie Blanchette

 

Stéphane Germain

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Lyne Corbeil

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Les locateurs demandent à reprendre le logement de la locataire, à compter du 1er juillet 2022, afin de s’y loger, et ce, conformément à l'article 1963 du Code civil du Québec.

[2]         Il s'agit d'un bail reconduit et ayant débuté en 2017. Il couvre présentement la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 705 $.

[3]         La location concerne un logement de 5 pièces et demie situé au dernier étage d’un quadruplex.

[4]         L’un des logis est un petit trois et demi situé au sous-sol alors que les deux autres sont divisés respectivement en 4 pièces et demie et 5 pièces et demie.

[5]         Les locateurs possédaient en plus de cet immeuble, une petite maison-chalet à la rivière Rouge qui fut vendue la fin de semaine précédent l’audition.

[6]         Ils expliquent que la pandémie les a frappés durement. Le locateur est cuisinier et travaillait périodiquement ou à temps partiel alors que la locatrice, serveuse dans un bar, n’a pas travaillé depuis les deux dernières. Les locateurs n’auraient plus les moyens d’entretenir deux résidences. En outre, ils ont investi 18 000 $ pour la toiture de l’immeuble locatif l’an dernier et projettent devoir faire des travaux aux fenêtres.

[7]         Ils témoignent que leurs petits revenus des deux dernières années, en plus du prix des maisons, ne les qualifient pas plus à la banque pour l’achat d’une propriété.

[8]         En outre, la locatrice doit se faire suivre médicalement et préfère se rapprocher de la ville. Ils devront également se trouver des emplois en ville.

[9]         Ils ont choisi le logement de la locataire parce que le logement de trois pièces et demie est trop petit alors que l’autre logis est occupé par leur fils.


[10]     La locataire conteste la reprise. Elle souligne que les propos mentionnés par les locateurs devant la soussignée ne correspondent pas à ce qu’ils lui avaient représentés. En effet, autant le locateur que la locatrice à une journée d’intervalle lui ont indiqué vouloir vendre leur chalet pour s’acheter un bungalow à l’extérieur de la ville. Toutefois, dans l’éventualité où ils ne trouveraient pas rapidement, ils désirent reprendre son logis.

[11]     La reprise serait donc temporaire pour leur donner un pied à terre pendant leur recherche.

[12]     Le locateur lui aurait même indiqué qu’elle avait 95% des chances qu’elle pourrait conserver son logis.

[13]     Elle conteste également les propos de la locatrice à l’effet qu’elle serait sans emploi puisque cette dernière fait de l’entretien ménager.

[14]     En outre, comme les locateurs avaient déjà fait des reprises par le passé, elle a directement questionné le locateur plus spécifiquement s’il avait l’intention de se débarrasser d’elle. Ce dernier aurait répliqué qu’il avait songé à cette éventualité lorsqu’elle s’est plaint de moisissure et de champignons, autour des fenêtres.

[15]     Le locateur réplique à ceci que les reprises précédentes avaient pour objectif d’installer ses deux fils. 

[16]     La locatrice admet faire un peu d’entretien, mais il s’agit d’un travail partiel et temporaire. Elle déclare également que la locataire a mal compris ses propos et qu’elle lui a indiqué que si jamais par chance, elle trouvait une résidence abordable, elle laisserait tomber la demande en reprise de logement.

[17]     Advenant que la reprise est autorisée, la locataire désire une indemnité pour son déménagement. Elle mentionne deux soumissions pour un montant variant entre 350 $ et 400 $ de l’heure pour un minimum de 4 heures en plus des frais de boîtes et branchement.

[18]     La locatrice voit difficilement pourquoi elle devrait dédommager la locataire puisqu’il lui faudra refaire la peinture et décoller la tapisserie qu’elle a posée sans autorisation.

[19]     Il s’agit de la preuve pertinente au dossier.

Analyse des faits et application du droit

[20]     Lorsqu'un locateur fait parvenir un avis de reprise, il initie une procédure qui vise à mettre fin au maintien dans les lieux du locataire, tel qu'énoncé à l'article 1936 du Code civil du Québec. Ce privilège constitue l'un des piliers du droit locatif résidentiel québécois.

[21]     Dans cette perspective, deux droits importants s'opposent : celui du propriétaire de disposer de son bien comme il l'entend et celui du locataire au maintien dans les lieux loués[1].

[22]     La reprise de logement devient dans ces circonstances comme une mesure exceptionnelle prévue par le législateur permettant au locateur de récupérer son bien tout en protégeant la partie considérée comme plus vulnérable : la locataire. C’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur impose des conditions et encadre le processus. 

[23]     Cependant, le Tribunal n'a pas à s'interroger sur la balance des inconvénients. En d’autres termes, il n'a pas à décider si elle nuit plus aux intérêts d’un locataire qu'elle bénéficie au locateur.

[24]     Le rôle du Tribunal consiste à évaluer les intentions et la bonne foi du locateur et d’examiner si le processus et la législation fut respectée.

[25]     En ce qui concerne le degré de preuve nécessaire, les locateurs doivent être en mesure de convaincre le Tribunal qu'ils entendent réellement reprendre l'unité pour les fins mentionnées dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un moyen détourné pour atteindre d'autres buts.

[26]     Dans la présente affaire, la locataire considère qu’il s’agit d’une reprise temporaire, les locateurs ayant surtout l’intention de chercher une autre résidence pour se loger. Elle croit également qu’ils cherchent à se débarrasser d’elle parce qu’elle s’est plaint de moisissures.

[27]     Cependant, le témoignage des locateurs sur leurs conditions économiques après deux ans de revenus limités et leur incapacité à faire face à la valeur du marché pour se trouver une autre résidence rend leur histoire crédible sur les motifs de la reprise.

[28]    
En ce qui concerne la plainte de la locataire sur les moisissures, précisons qu'une relation conflictuelle ne présume pas automatiquement que les locateurs sont de mauvaise foi.

[29]     La reprise de logement sera donc autorisée.

[30]     À titre d'information aux parties, il convient d'ajouter que l'article 1968 C.c.Q. prévoit un recours en recouvrement de dommages-intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi ou sous de faux prétextes.

[31]     En outre, l'article 1970 C.c.Q. précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que celle pour laquelle le droit a été exercé.

[32]     Ceci étant, le Code civil du Québec permet d'imposer certaines conditions à la reprise, notamment le paiement des frais de déménagement et les autres frais qui y sont directement reliés, comme ceux s'appliquant au réabonnement aux divers services publics.

[33]     Il convient de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux et qu'elle est provoquée par les locateurs. Cependant, la reprise d’un logement constitue l'exercice légitime d'un droit reconnu. L’indemnité vise ainsi à compenser adéquatement les inconvénients subis par le déménagement non désiré, sans pénaliser les locateurs.

[34]     L’indemnité est laissée à la discrétion du Tribunal qui considérera, entre autres, la durée d'occupation, l'impact sur la locataire, l'âge des occupants, leur condition physique, la valeur du mobilier ou tout autre facteur pertinent.

[35]     En l'espèce, la locataire habite l’unité depuis 2017, mais devra se trouver un logement dans des circonstances difficiles.

[36]     Le Tribunal allouera la somme de 2 000 $ qui couvre les 4 heures minimales de ses deux soumissions, plus les frais pour l’achat de boîtes et de branchement à divers services publics.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[37]     ACCUEILLE la demande des locateurs qui en supportent les frais judiciaires;

[38]     AUTORISE les locateurs à reprendre possession du logement concerné afin de s’y loger, à compter du 1er juillet 2022, date à laquelle la locataire devra avoir quitté les lieux;

[39]     À défaut d’un départ volontaire;

[40]     PERMET l'éviction de la locataire et de tous les autres occupants du logement après cette date;

[41]     CONDAMNE les locateurs à verser à la locataire une indemnité de 2 000 $ en argent comptant, par chèque certifié ou mandat poste, au plus tard le jour de son départ.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Louisa Santirosi

 

Présence(s) :

les locateurs

la locataire

Date de l’audience : 

10 mars 2022

 

 

 


 


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