Décision

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Rivard c. Guay

2023 QCTAL 32013

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Drummondville

 

No dossier :

675349 16 20230124 T

No demande :

3952878

 

 

Date :

19 octobre 2023

Devant la juge administrative :

Marilyne Trudeau

 

David Rivard

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Pierre Guay

 

Véronique Croteau

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 28 juin 2023, le locataire requiert la rétractation de la décision rendue le 17 mars 2023 par la juge administrative Mélanie Marois, autorisant la locatrice à reprendre le logement concerné afin d’y loger son fils, à compter du 1er septembre 2023.

APERÇU

[2]         Questionné à l’audience, le locataire indique avoir pris connaissance de la décision dans les 30 jours de sa signature, soit vers ou avant le 17 avril 2023.

[3]         Le locataire fonde sa demande sur de nouvelles informations auxquelles il n’avait pas accès lors de la dernière audience et qui auraient pu avoir une influence sur la décision rendue, soit que le logement du haut s’était libéré.

QUESTION EN LITIGE

1)      La demande du locataire est-elle présentée hors délai ?

2)      Le locataire a-t-il établi des motifs et des moyens de défense sommaires pouvant justifier la rétractation de la décision?

ANALYSE ET DÉCISION

[4]         D'entrée de jeu, il est pertinent de rappeler que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal[1].


[5]         Le locataire fonde sa demande sur l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif logement, L.R.Q., c. R8.1, qui édicte :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.

La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d'aviser de son changement d'adresse conformément à l'article 60.1 ne peut demander la rétractation d'une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu'elle n'a pas reçu l'avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »

Le dépôt hors délais de la demande

[6]         La demande de prolongation de délai du locataire est fondée sur l'article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (ci-après «la Loi »):

« 59. Le Tribunal peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l'autre partie n'en subit aucun préjudice grave. »

[7]         Dans l'affaire Van c. Eddarissi[2], la juge administrative Francine Jodoin s'exprime ainsi au sujet de l'article 59 de la Loi :

« Dans la décision Thevenot c. Turcotte, le Tribunal écrit :

« Au sujet du motif raisonnable permettant de recevoir une demande de prolongation de délai, les auteurs Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy dégagent ce qui suit de l'analyse qu'elles ont fait de la jurisprudence en la matière :

« En revanche, le retard à aller au bureau de poste, la négligence et l'ignorance de la Loi ne peuvent être retenues comme motifs raisonnables justifiant une demande d'extension de délai. »

[8]         Dans une autre affaire, le Tribunal confirme cette interprétation en précisant :

« Le tribunal ajoute de plus qu'en vertu de l'article 39, al. 2 de la Loi d'interprétation « Toute personne est tenue de prendre connaissance des lois publiques... ». En vertu de cette disposition, le locataire doit s'informer des droits et obligations qui le concernent. Le locateur ne peut donc invoquer l'ignorance de ses droits pour justifier sa demande pour être relevé du défaut de ne pas avoir respecté le délai prévu au Code civil à l'article 1963 C.c.Q.

Étant donné l'absence de motif raisonnable soutenant la prolongation de délai, le tribunal n'a pas à analyser la présence d'un préjudice grave à l'autre partie conformément à l'article 59 de la Loi sur la Régie du logement. »

[Références omises]

[9]         La juge administrative Jodoin conclut ainsi :

« L'omission de respecter une exigence légale dans la mise en œuvre d'un droit lorsqu'elle résulte de la négligence, d'une mauvaise compréhension ou ignorance de la loi n'est pas retenue comme motif raisonnable permettant de justifier la prolongation du délai. »

[Notre soulignement]

[10]     En l'espèce, selon la preuve prépondérante, le locataire a pris connaissance de la décision le ou vers le 17 avril 2023 et il a déposé sa demande le 28 juin 2023, soit plus deux (2) mois plus tard.

[11]     Le locataire ne présente aucun élément qui pourrait permettre au Tribunal de le relever de son défaut d’avoir déposé la présente demande dans les délais. 

[12]     Il semble qu’il utilise plutôt le mécanisme de la rétractation afin de demander la réouverture du dossier et introduire de la nouvelle preuve, inconnue au jour de l’audience.


[13]     La demande de prolongation de délai est par conséquent rejetée.

[14]     Ce seul motif serait suffisant pour rejeter la demande, mais il y a plus.

La demande en rétractation

[15]     L'audience ayant mené à la décision s'est déroulée le 10 mars 2023, date à laquelle le locataire était présent.

[16]     Le locataire fonde sa demande de rétractation sur le fait que le logement du haut se serait libéré. Il prétend que ce fait nouveau, s'il avait été connu lors de l'audience sur la reprise, aurait eu un effet tel que la décision n'aurait pas été la même, étant donné l'article 1964 du Code civil du Québec. Il aurait ainsi été maintenu dans son logement.

[17]     L'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[3] sur lequel le locataire fonde son recours stipule qu'une partie peut demander la rétractation d'une décision rendue contre elle si cette partie a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autres causes jugées suffisantes.

[18]     Cet article prévoit également que la rétractation doit être demandée dans les 10 jours de la connaissance de la décision.

[19]     À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Entreprises Roger Pilon inc. et al. c. Atlantis Real Estate Co.[4] :

« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »

[20]     Par ailleurs, il importe de rappeler que celui qui veut faire valoir une prétention doit en faire la preuve au Tribunal de façon prépondérante, la force probante des témoignages étant laissée à l'appréciation du tribunal[5].

[21]     Dans le cas en l'espèce, le locataire appuie sa demande de rétractation sur un empêchement de fournir une preuve pour une cause qu'il estime suffisante et qu'il demande au Tribunal d'avaliser.

[22]     Cette cause est la survenance d'une situation, inconnue au moment de l'audience, que le locataire souhaite soulever comme moyen de défense selon l'article 1964 C.c.Q.

[23]     Il ne s'agit effectivement pas d'un cas de fraude ou de surprise. Cette preuve n'était non seulement pas disponible, mais elle n'existait pas le 10 mars 2023, le jour de l'audience. Ce n'est qu’après celle-ci que l'information a été disponible et connue du locataire.

[24]     Or, le locataire ne se s’est pas prévalu, avant que le jugement ne soit rendu, de la réouverture d'audience[6], alors qu'il s'agit du véhicule approprié dans de pareilles circonstances.

[25]     Comme le souligne à juste titre la juge administrative Chantale Bouchard[7], sur une question similaire:

« En l'instance, le locataire invoque avoir été empêché de fournir une preuve qui n'existait pas lors de la tenue de l'audience sur la demande originaire. Ce dernier a aussi déclaré avoir obtenu cette preuve après jugement, soit vers le 28 avril 2010, date où il acquérait la conviction que son logement était offert en location, ou du moins qu'un autre logis comparable serait vacant au 1er juillet 2010.

De l'avis du tribunal, le libellé du premier alinéa de l'article 89 précité ne couvre pas d'emblée cette situation. Être empêché de fournir une preuve, « par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante », nécessiterait, dans son sens commun, l'existence de cette preuve au moment de l'audience, bien qu'elle ait pu être découverte par la suite.


Dans l'affaire Drouin c. Rousseau, saisit d'une demande de rétractation d'un jugement accordant la reprise d'un logement, alors que le locataire découvrait, après audience, qu'un autre logis serait vacant à la date escomptée, le tribunal rejetait la demande aux motifs suivants :

« Le tribunal ne peut abonder dans le même sens que le locataire parce qu'il ressort qu'il n'a pas été empêché de présenter une preuve à l'audience du 4 octobre dernier que ce soit par surprise, fraude ou une autre cause suffisante : la preuve n'existait tout simplement pas à ce moment. »

Dans une cause similaire, le Tribunal concluait dans le même sens :

« Le locataire a logé sa demande en vertu de l'article 483 du C.c.Q. Or, devant la Régie du logement c'est l'article 89 de la L.R.L. qui prévoit les situations qui donnent ouverture à la rétractation.

(...)

Les faits postérieurs à l'audience ne peuvent constituer une preuve qui permet de donner ouverture à la rétractation de la décision rendue le 7 juillet 2004 au sens de l'article 89 de la Loi sur la Régie du logement. ».

[Références omises]

[Notre soulignement]

[26]     Le motif sur lequel repose la demande de rétractation est donc mal fondé, la survenance d'un fait nouveau après l'audience ne pouvant servir d'assise à une demande de rétractation[8].

[27]     Pour obtenir la rétractation d'une décision, le locataire devait établir qu'il a été empêché, au moment de l'audience, de fournir une preuve par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, un fardeau dont il ne s’est manifestement pas acquitté en l'instance.

[28]     Le Tribunal rappelle cependant les prescriptions des articles 1968 et 1970 du Code civil du Québec.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]     REJETTE la demande en rétractation;

[30]     MAINTIENT la décision rendue 17 mars 2023. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marilyne Trudeau

 

Présence(s) :

le locataire

la locatrice Véronique Croteau

Date de l’audience : 

28 septembre 2023

 

 

 


 


[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, C.c.Q. - 1991.

[2] Van c. Eddarissi, R.D.L., 2015-05-05, 2015 QCRDL 14373, SOQUIJ AZ-5117387.

[3] RLRQ, c. T-15.01.

[4] [1980] C.A. 218.

[6] Art. 39 Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, r. 5.

[7]  Brière c. Sytnikova, 2010 QCRDL 22193.

[8] Lavoie c. Jolin, 2015 QCRDL 8994.

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