Décision

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Décision

Benhamou c. Boucher

2014 QCRDL 13904

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier:

31-130307-038 31 20130307 A

No demande:

59554

 

 

Date :

14 avril 2014

Régisseure :

Isabelle Normand, juge administratif

 

KAMAL BENHAMOU

 

SIHAM BENKENDIL

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

YAN BOUCHER

 

ZHOR KACHMAR

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locataires demandent à être autorisés à déposer le loyer, une diminution de loyer, l’annulation d’une clause du bail portant sur l’augmentation de 100 $ par mois à partir du mois de janvier 2013 et subsidiairement la réduction de l’obligation de cette clause du bail, l’exécution de certaines obligations des locateurs, la condamnation aux frais et aux intérêts.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er septembre 2012 au 30 juin 2013, au loyer mensuel de 1 400 $ « pour 4 mois » et de 1 500 $ à compter du mois de janvier jusqu’au mois de juin 2013.

[3]      Les locataires n’occupent plus le logement au jour de l’audience.

[4]      Il est indiqué au bail qu’il s’agit d’un 5 ½ pièces « sans garage ». De plus, il est indiqué au bail que le logement est loué à des fins résidentielles seulement, et aussi à des fins mixtes d’habitation avec garderie familiale au sous-sol.

[5]      Finalement, il est indiqué à la section E du bail, qu’avant la délivrance du logement, les travaux de la salle de bain au sous-sol seront terminés.

Preuve des locataires

[6]      Comme les locataires n’occupent plus le logement au jour de l’audience, leur demande d’autorisation à déposer le loyer de même que celle relative à l’exécution de travaux au logement ne sont plus pertinentes.

[7]      La locataire en est avisée par le Tribunal et ainsi le présent jugement ne disposera pas de ces demandes mentionnées au paragraphe précédent.


[8]      Les locataires demandent une diminution de loyer, car ils n’ont pu jouir de tout le logement et notamment de l’espace du garage, que les travaux de la salle de bain n’ont pas été complétés et qu’une armoire de rangement ne peut être utilisée ainsi que les modules de rangement localisés dans la cour arrière.

[9]      À l’audience, la locataire admet que le garage n’est pas inclus au bail et que les locateurs ont toléré pendant un certain temps le fait que les locataires entreposent temporairement leurs biens, mais pas de façon permanente, notamment dans le garage.

[10]   Elle déplore que l’armoire de rangement ne lui a pas été remise, et que des modules de rangement dans la cour arrière aient été enlevés, mais reconnait à l’audience, que ces éléments ne sont pas inscrits au bail, et qu’ainsi elle ne peut en réclamer l’usage ou la remise.

[11]   Quant à la diminution de loyer, elle plaide qu’elle n’a pu jouir de la salle de bain au sous-sol, car le locateur n’a pas effectué ces travaux et d’autres travaux. 

[12]   En ce qui concerne au loyer supplémentaire de 100 $ par mois à compter du 1er janvier 2013, elle déclare que ce montant de 100 $ ne peut être réclamé, puisque contraire à la Loi. 

PREUVE DU LOCATEUR

[13]   Les locateurs contestent les demandes des locataires.

[14]   Ils expliquent qu’ils ont exploité dans le logement concerné, une garderie.

[15]   Ils précisent que les travaux pour la complétion des travaux de la salle de bain n’ont pu être exécutés en raison de la non-disponibilité des locataires, notamment pour enlever leurs effets qui encombraient la salle de bain et qui ont empêché que les travaux soient exécutés par les locateurs.

[16]   Ils déplorent le fait que les locataires n’ont pas respecté les limites du logement loué en utilisant le garage comme lieu d’entrepôt de leurs biens, ce qui est plus amplement traité à la demande des locateurs[1].

[17]   Finalement, ils précisent que le montant de réajustement du loyer à compter de janvier 2013 a été convenu d’un commun accord avec les locataires et jugent qu’ils sont en droit de réclamer aux locataires la somme de 600 $, soit 100 $ de janvier à juin 2013.

ANALYSE ET DÉCISION

[18]   Les locataires fondent leur recours en diminution de loyer et en ordonnance pour obtenir que des réparations soient effectuées par les locateurs, sur les dispositions de l'article 1863 du Code civil du Québec qui édictent :

«1863.       L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de deman­der, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent.  Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agis­sant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résilia­tion du bail.

                 L'inexécution confère, en outre, au loca­taire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablis­sement du loyer pour l'avenir.»

[19]   Les auteurs Pierre C. Gagnon, juge administratif et Me Isabelle Jodoin([2]) distinguent les dommages-intérêts de la demande de diminution de loyer :

« Diminution  de loyer et dommage-intérêts sont deux notions fort différentes. Dans le premier cas, le redressement équivaut à la perte locative du locataire, soit par rapport à la superficie totale du logement (par exemple une pièce inondée), soit selon l'importance relative du service dont le locataire est privé (par exemple défectuosité du chauffage). Dans le second cas, la somme octroyée vise à compenser pour le préjudice résultant d'une faute. À certaines conditions, la diminution peut être accordée rétroactivement au début du trouble dénoncé. Il en est de même pour le rétablissement du loyer, qui peut rétroagir au moment où le problème a été réglé. Diverses formes de redressement peuvent être accordées dans la même décision. »


[20]   Dans la décision Renaud c. O.H.M. de Montréal([3]), le Tribunal précise le but d'une diminution de loyer :

« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre entre les prestations de chacune des parties au bail. Lorsque le loyer ne représente plus la valeur des obligations du locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que la locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, celui-ci doit être réduit en proportion de la diminution subie. Il s'agit en somme de rétablir le niveau du loyer à la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut avoir causés ni d'un moyen utilisé pour inciter le locateur à rétablir la locataire dans ses droits. »

[21]   La juge administratif Anne Mailfait de ce Tribunal dans l'affaire Baril c. Habitations Van Horne([4]) rappelle les critères pouvant guider le Tribunal lors de l'analyse d'une demande de diminution de loyer :

« Le tribunal tient compte du prix du loyer, de la dimension ou de la contenance du logement, des services ainsi que de la perte de jouissance des lieux. Ce dernier critère est ainsi expliqué par l'auteur Denys Lamy : « La perte de jouissance paisible des lieux n'est évidemment ni une dégradation, ni une diminution de services ou d'espace, mais elle n'est pas non plus une diminution ou une perte de commodité ».

Enfin, la diminution ou la perte doit être réelle, sérieuse, significative et substantielle. »

[22]   Les locateurs sont tenus à plusieurs obligations à l'égard des locataires, soit de maintenir le logement en bon état d'habitabilité, de faire toutes les réparations nécessaires et de remettre le logement en bon état de propreté après avoir fait des travaux, selon les dispositions des articles 1854, 1864, 1910, al.1, et 1911 al. 2 du Code civil du Québec.

[23]   Ces obligations des locateurs mentionnées au paragraphe précédent sont qualifiées d'obligations de résultat.

[24]   Ainsi, lorsque manquement à leurs obligations est prouvé, les locateurs ne peuvent pas invoquer qu'ils ont adopté un comportement prudent et diligent.

[25]   Tel que le mentionne les auteurs Baudouin et Jobin quant à cette obligation de résultat :

« (...) le débiteur d'une obligation de résultat doit aller plus loin. Il ne peut se contenter de rapporter la preuve d'un comportement de personne prudente et diligente; il doit expliquer pourquoi il a été dans l'impossibilité de fournir le résultat promis et donc établir que l'inexécution de l'obligation est due à une force majeure, à l'acte d'un tiers équivalant à force majeure, ou au créancier lui-même. Enfin, s'il s'agit d'une obligation de garantie, le débiteur doit prouver que l'inexécution a été provoquée par le créancier et il ne peut pas invoquer la force majeure. »([5])

« - Obligation de résultat - (...) Sur le plan de la preuve, l'absence de résultat fait présumer la faute du débiteur et donc sa responsabilité contractuelle si le dommage et le lien de causalité sont établis. Elle place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l'inexécution provient d'une cause qui ne lui est pas imputable. À défaut de se décharger de ce fardeau, le débiteur est tenu responsable de l'inexécution. L'analyse doit donc se faire par rapport au fardeau de preuve. L'obligation de résultat ne crée pas une responsabilité objective, puisqu'il faut de toute façon la présence d'une imputabilité que le débiteur peut combattre en prouvant force majeure. »([6])

[26]   De leur côté, les locataires doivent notamment aviser les locateurs de défectuosités ou de détériorations au logement en vertu de l'article 1866 du Code civil du Québec et en supporter l'examen et la visite du logement et certains travaux selon les articles 1857, 1865 et 1933 du Code civil du Québec.

[27]   Ils doivent mettre en demeure par écrit[7] les locateurs des problèmes et les aviser si le problème persiste, car tel que le mentionne l'auteur Denis Lamy[8] : « une personne ne peut rester volontairement dans une situation qui lui cause un tort et espérer recevoir une plus grosse somme ».

[28]   Il appert de la preuve que les locateurs n'ont pas manqué à leurs obligations de locateur : ils ont notamment tenté de procéder aux travaux de la salle de bain au sous-sol, mais n’ont pu les terminer en raison de la non-disponibilité des locataires.


[29]   En effet, la preuve administrée par les locataires n'est pas prépondérante quant au fait qu’ils auraient subi une diminution de la jouissance de leur logement.

[30]   Bien au contraire, la preuve est à l’effet qu’ils n’étaient pas disponibles pour que les travaux de la salle de bain puissent être exécutés et ne peuvent reprocher aux locateurs de ne pas les avoir exécutés.

[31]   L'auteur Léo Ducharme([9]) énonce relativement au fardeau de la preuve dans Précis de la preuve :

« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve: celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »

[32]   En ce qui a trait à la demande d'exécution en nature des obligations des locateurs, et celle pour dépôt de loyer, le Tribunal les rejette, car elles sont devenues sans fondement étant donné le départ du logement des locataires.

[33]   Finalement, quant à la clause de réajustement de loyer en cours de bail, elle est jugée illégale en vertu des dispositions de l’article 1906 du Code civil du Québec[10] et le Tribunal en dispose dans la décision relative à la demande des locateurs.

[34]   Considérant la preuve, la demande des locataires est rejetée, sauf en ce qui a trait à l’annulation de la clause de réajustement de loyer.

[35]   Les locataires assument les frais de leur demande.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]   ACCUEILLE partiellement la demande des locataires;

[37]   DÉCLARE la clause de réajustement en cours de bail illégale;

[38]   Quant au surplus, REJETTE la demande des locataires qui en assument les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Normand

 

Présence(s) :

un des locataires

un des locateurs

Date de l’audience :  

4 septembre 2013

Présence(s) :

les locataires

les locateurs

Date de l’audience :  

24 octobre 2013

Présence(s) :

le locataire

les locateurs

Date de l’audience :  

28 mars 2014


 



[1] 31-130418-090 (43385).

[2] Louer un logement, 2e édition, Édition Yvon Blais inc., 2012, p. 28.

[3] [1994] J.L. 77 (R.L.).

[4] 31-080218-073G (8-10-2009).

[5] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans Les obligations, 6e édition par P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 Pages.

[6] Baudouin J.-L. et P. Deslauriers, La faute contractuelle dans La responsabilité civile, Volume I - Principes généraux, 7e édition, 2007, EYB2007RES21, approx. 12 pages.

[7] Selon l’article 1898 du Code civil du Québec.

[8] La diminution de loyer, Montréal, Wilson et Lafleur, 2004, p. 40.

[9] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e Édition, 2005, Wilson & Lafleur ltée, p.62.

[10] « 1966.          Le locataire peut, dans le mois de la récep­tion de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affec­tation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir con­senti à quitter les lieux.

                        S'il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu'il entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet.»

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