Audet c. Levesque | 2025 QCTAL 15807 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Shawinigan |
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No dossier : | 854702 14 20250227 G | No demande : | 4639189 |
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Date : | 07 mai 2025 |
Devant la juge administrative : | Sophie Lafleur |
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Krystel Audet | |
Locatrice - Partie demanderesse |
c. |
Denise Levesque | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Par une demande introduite le 27 février 2025, la locatrice demande la résiliation du bail de la locataire au motif que le logement est impropre à l'habitation, en plus du remboursement des frais et de l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
- Suivant l’audience, le Tribunal a autorisé la locatrice à photographier des espaces de rangement et le logement concerné et à les communiquer au dossier du Tribunal et à la locataire, ce qu’elle a fait. Le Tribunal ne tient pas compte des autres photographies ou des commentaires de la locatrice, outre ceux qui situent l’endroit où les photographies furent prises, tel que le Tribunal l’a demandé à l’audience.
CONTEXTE
- Les parties sont lié par un bail reconduit jusqu’au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 510 $.
- Le logement ciblé est situé dans un immeuble qui comprend deux logements résidentiels et un local commercial.
- Le logement est situé au rez-de-chaussée et la locataire a accès à un espace de rangement au sous-sol.
LA PREUVE
- Le Tribunal précise qu'il ne fera qu'un résumé des faits ci-après, mais qu'il tient compte de l’ensemble de la preuve et des pièces pertinentes.
- La locatrice témoigne que lorsqu’elle a remis l’avis de reconduction du bail à la locataire, le 4 mars 2024, elle y a joint les règlements de l’immeuble à jour et a ajouté sur son avis « Les pièces communes devront être libérées de tout matériel vous appartenant cela inclus le sous-sol sous le logement [...] ainsi que l’entrepôt, du sous-sol au grenier » (sic) (Pièce P-1).
- Elle explique ensuite que lors de la remise de l’avis de reconduction suivant, soit le 9 février 2025, elle y a joint une lettre (Pièce P-1) par laquelle elle lui donnait un délai de 15 jours pour éliminer l’amassement d’objets dans le logement, de libérer totalement les effets de madame Manon Latour (fille de la locataire) dans la partie du sous-sol qu’utilise la locataire et de vider en entier la section du sous-sol appartenant à la locatrice. À défaut de respecter cette demande, la locatrice avise la locataire qu’elle introduira une demande devant le présent Tribunal.
- La locatrice ajoute également que la locataire a entreposé une voiture qui n’est pas en état de fonctionner dans le stationnement, contrairement aux règlements (Pièce P-2).
- La locatrice témoigne que la situation s’est détériorée lorsque la fille de la locataire, madame Latour, s’est installée chez elle avec son conjoint.
- La locatrice dépose, sous les cotes P-4 et P-5, des photographies qu’elle a prises le 20 février 2025, représentant trois espaces de rangement. Elle précise que cette visite faisait suite au délai de 15 jours accordé à la locataire pour désencombrer les rangements, ce qui ne fut pas effectué.
- La locatrice fait remarquer que vu l’encombrement important, la porte de sortie du sous-sol est inaccessible et elle craint pour des risques d’incendie. Elle a aussi remarqué que des lumières pendent du plafond, qu’il y a de fortes odeurs et constate la présence de matelas, ce qui lui fait craindre que des gens dorment dans cet espace.
- La locatrice dépose ensuite, sous la cote P-6, des communications qu’elle a eues avec la locataire et avec madame Latour quant à l’état des lieux et à ses demandes de vider les espaces encombrés, les premières demandes en lien avec l’encombrement datant du mois de mai 2023.
- Le 28 février 2025, la locatrice retourne sur les lieux après que la locataire lui a eu mentionné que les espaces de rangements étaient libérés. Elle témoigne que ses constats sont à l’effet que les lieux sont encombrés et qu’une des portes ne peut être ouverte car elle est bloquée par des effets.
- Elle a demandé au service d’incendie de sa région d’aller effectuer une visite d’inspection, laquelle n’a pu avoir lieu au moment de l’audition.
- La locataire a ensuite témoigné.
- Elle précise que tous les lieux sont désencombrés. Elle ajoute qu’elle ignorait ce que sa fille avait entreposé au sous-sol car vu ses problèmes de santé, elle n’est plus en mesure de descendre dans le sous-sol depuis deux ans et de voir les différents espaces de rangement.
- Elle admet que les photographies déposées par la locatrice démontrent un état d’encombrement, mais ajoute que jamais, elle n’aurait pensé que les rangements étaient dans cet état.
- La locataire témoigne ensuite de l’état de la voiture entreposée dans le stationnement et admet qu’elle n’est plus en fonction. Elle informe le Tribunal que la voiture sera remorquée de cet endroit prochainement.
- Madame Manon Latour a ensuite témoigné. Elle est la fille de la locataire et vit chez cette dernière, avec son conjoint. Elle explique dormir dans le salon du logement.
- Elle admet qu’elle a des effets qui étaient déposés dans les différents espaces de rangement de la locatrice et que cette dernière lui a demandé de libérer ces espaces.
- Elle ajoute avoir demandé un délai additionnel à la locatrice et que le déménagement de ses effets fut effectué en février dernier.
- Elle témoigne ensuite en lien avec les photographies déposées par la locatrice et précise que ces espaces sont maintenant vides. Elle présente une vidéo des lieux qu’elle a enregistrée. Cependant, tel que le Tribunal l’a fait remarquer, cette vidéo n’est pas claire et il est difficile de bien la visualiser. Lorsque la vidéo est présentée à la locatrice, elle fait remarquer que les lieux ne semblent pas tous complètement vidés. Madame Latour admet en fin de témoignage que les lieux de sont pas vidés en totalité.
- Contre-interrogée, elle confirme être une ancienne locataire de la locatrice et avoir des problématiques de ramassage de biens depuis plusieurs années.
- Elle précise avoir effectué un suivi avec un professionnel de la santé pour corriger ce problème.
- Actuellement, elle est en processus de recherche d’un logement. Elle s’engage à ne plus entreposer ses effets dans les espaces de rangement de la locatrice.
QUESTION EN LITIGE
La locatrice a-t-elle fait la preuve d’un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail de la locataire ?
ANALYSE
- Le Tribunal rappelle que celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal.
- Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
- Le plaideur doit donc démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n’est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
- Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].
- Les dispositions pertinentes en lien avec la demande de la locatrice sont notamment énumérées aux articles suivants :
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »
« 1911. Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état.
Lorsque le locateur effectue des travaux au logement, il doit remettre celui-ci en bon état de propreté. »
« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.
Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente. »
- Quant aux articles 1863, 1912 et 1972 du Code civil du Québec, ceux-ci prévoient les recours des parties en cas d’inexécution d’une obligation. Parmi ces recours, la demande en résiliation du bail est possible si l’inexécution cause, au locateur ou aux autres occupants, un préjudice sérieux.
- La preuve de la locatrice est prépondérante sur l’état d’encombrement important des espaces de rangement situés au sous-sol de l’immeuble où se trouve le logement et dans le sous-sol de l’espace de rangement situé à côté de l’immeuble. D’ailleurs, les lieux encombrés s’étendent même à des espaces que la locataire n’a pas le droit d’utiliser, puisque non inclus au bail.
- L’encombrement va jusqu’au plafond à certains endroits et la porte de sortie est inaccessible, selon les photographies prises par la locatrice le 20 février 2025.
- Ces photographies de la locatrice démontrent qu’il y a risques sérieux pour des incendies.
- La locatrice fut très patiente et conciliante avec la locataire et sa fille, mais la situation ne pouvait plus durer, vu les risques qui y étaient associés.
- Visiblement la locataire ne comprenait pas l’importance de respecter ses obligations en tant que locataire, ou de les faire respecter par les personnes à qui elle donne accès à son logement, de maintenir le logement et le rangement en bon état de propreté et d’user du bien avec prudence et diligence.
- Les photographies que la locatrice a déposées suivant l’audience démontrent que la situation d’encombrement s’est améliorée à certains endroits, mais pas dans l’ensemble des différents espaces. En effet, la preuve démontre qu’il y a toujours des objets encombrant les espaces strictement privés de la locatrice ou les espaces communs du sous-sol. La situation est préoccupante, d’autant plus que la fille de la locataire est venue témoigner que bien que les espaces n’étaient pas libérés en totalité, un grand travail de désencombrement fut effectué. Le Tribunal constate que le désencombrement est nettement insuffisant. Des biens de la locataire, ou appartenant aux gens à qui elle permet l’accès à son logement, sont toujours laissés dans des endroits non autorisés.
- Quant à l’espace de rangement de la locataire situé sous son logement, le Tribunal y voit une amélioration, laquelle est cependant insuffisante.
- La locatrice a donc rencontré son fardeau de preuve quant au préjudice sérieux qu’elle a subi, vu les comportements de la locataire et ou des occupants du logement au moment de l’introduction de sa demande. La locataire a fait en sorte que ses manquements ont mené à une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants de l’immeuble. Cela peut mener à la résiliation du bail.
- Cependant, la preuve démontre que la locataire a effectué, par l’aide de tiers, un début de désencombrement des lieux, mais qu’il reste du travail à faire en ce sens.
- L’auteur Pierre-Gabriel Jobin s’exprime ainsi sur le droit à la résiliation pour préjudice sérieux :
« La résiliation est assujettie à une autre règle très importante : le locateur, victime d'une faute du locataire, ne possède pas de droits acquis à la résiliation, en ce sens que, dans certaines circonstances, elle sera refusée par le tribunal même si la faute et le préjudice sérieux sont clairement établis. La même doctrine d'absence de droits acquis existe d'ailleurs dans la résiliation pour une faute du locateur16. Elle s'applique, avec des modalités quelque peu différentes, dans le louage résidentiel et dans le louage non résidentiel. Elle découle soit de certains textes du Code civil, soit de décisions des tribunaux. Pour en préciser les sources, il faut distinguer deux cas principaux.
[...]
La doctrine d'absence de droits acquis à la résiliation est donc bien établie. Dans la plupart des cas, elle se justifie par le fait que, le débiteur ayant remédié à son défaut, l'action n'a plus d'objet ou encore le locateur ne subit plus de préjudice sérieux. Cette doctrine réalise un heureux équilibre entre des objectifs opposés, soit : d'un côté, la nécessité de sanctionner la faute du locataire et le souci légitime du locateur de se défaire d'un locataire indésirable, et, de l'autre côté, la recherche de la stabilité contractuelle, le souci d'éviter une sévérité excessive à l'égard du locataire qui s'est amendé et, dans le louage résidentiel, le maintien du locataire dans son logement. »[2]
- Lorsque le préjudice sérieux est constaté, le Tribunal a donc la possibilité de résilier le bail ou de rendre des ordonnances en vertu de l’article 1973 du Code civil du Québec, lequel se lit ainsi :
« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »
- La locataire doit comprendre que ce type d’ordonnance, dite de dernière chance, est grave et sérieuse. Le Tribunal considère à propos, dans les circonstances, de rendre ce type d’ordonnance.
- Advenant le défaut de la locataire de respecter ce type d’ordonnance, la locatrice pourrait introduire une nouvelle demande afin de demander la résiliation du bail pour non-respect de l’ordonnance.
- Dans les circonstances, le Tribunal rendra les ordonnances détaillées dans les conclusions.
- L’exécution provisoire de la décision n’est pas justifiée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE en partie la demande de la locatrice;
- PREND ACTE de l’engagement de la locataire de faire remorquer la voiture entreposée dans son stationnement;
- ORDONNE à la locataire de libérer la totalité des effets, déchets ou articles de recyclage lui appartenant ou appartenant à des gens à qui elle permet l’accès, et qui sont situés dans l’espace strictement privé de la locatrice ainsi que dans les espaces communs, dans les 30 jours suivant la signature de la présente décision;
- ORDONNE à la locataire de désencombrer son espace de rangement situé dans le sous-sol sous son logement, dans les 30 jours suivant la signature de la présente décision;
- ORDONNE à la locataire de ne pas utiliser les espaces communs ou les autres espaces non inclus à son bail pour des fins de rangement;
- CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice les frais judiciaires prévus par règlement, soit 103,50 $.
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| Sophie Lafleur |
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Présence(s) : | la locatrice la locataire |
Date de l’audience : | 23 avril 2025 |
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[2] JOBIN Pierre-Gabriel, Le louage, Collection Traité de droit civil, 2e édition, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1996, EYB, approx. 24 pages.