Décision

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Décision

Lavigne c. Beaulieu

2021 QCTAL 14220

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

549068 28 20201214 G

No demande :

3136227

 

 

Date :

01 juin 2021

Devant la juge administrative :

Isabelle Normand

 

Jacques Lavigne

 

Roxanne Rochon

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Marie-Anik Beaulieu

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locateurs demandent la reprise du logement pour y loger la fille de la locatrice, le 1er juillet 2021 et la condamnation aux frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail de logement du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 600 $.

[3]      La locataire occupe le logement concerné depuis le 1er novembre 2019.

[4]      Les locateurs sont propriétaires du logement concerné depuis 2015.

[5]      Les locateurs ne sont pas propriétaires d’autres logements.

[6]      Le logement concerné est un logement de 4 ½ pièces, localisé au-dessus du logement occupé par les locateurs. Leur logement est une fusion de deux logements; un 41/2 pièces localisé au rez-de-chaussée et un autre au sous-sol de 3 ½ pièces.

[7]      Le 18 novembre 2020, les locateurs transmettent à la locataire un avis de reprise indiquant qu’ils désirent reprendre le logement concerné, pour le bénéfice de la fille de la locatrice.

[8]      Le 29 novembre suivant, la locataire répond qu’elle refuse de quitter le logement concerné et le 14 décembre suivant, les locateurs produisent la présente demande.

[9]      À l’audience, il est expliqué le projet de reprise : la fille de la locatrice occupe un logement à proximité de l’institution d’enseignement collégial qu’elle fréquente. Elle continuera de fréquenter l’institution à l’automne prochain.

[10]   Le bail de cet autre logement occupé avec deux autres colocataires n’est pas reconduit et ceux-ci ont déjà donné leur avis au locateur à cet effet.


[11]   Étant donné que pour des raisons financières la locatrice a peiné à payer le loyer de cet autre logement et qu’en raison de la pandémie, la bénéficiaire a occupé tant cet autre logement et en partie résidé chez les locateurs temporairement, il est préférable pour le bien-être familial que la bénéficiaire occupe un autre logement, qui lui permettrait d’étudier calmement. Le logement concerné rencontre en tout point les critères de cette bénéficiaire et des locateurs.

[12]   Pour sa part, la locataire conteste la demande de reprise.

[13]   Dans un premier temps, elle invoque les conflits générés par la présence de son conjoint, qui de son propre aveu, interfèrent dans sa relation locataire/locateurs.

[14]   Ces derniers sont parfois exaspérés et des tensions inutiles interviennent, ce qui ne bénéficie pas au climat de collaboration qui doit animer les parties.

[15]   La locataire invoque que les locateurs veulent ainsi l’évincer pour un motif autre que celui invoqué, à savoir le conflit généré par la présence de son conjoint.

[16]   Elle admet d’ailleurs avoir déjà mentionné aux locateurs qu’elle avait l’intention de quitter le logement en raison de ces conflits. Cependant, pour l’instant, malgré ses recherches et l’aide des membres de sa famille, elle n’a pu trouver, soit un autre logement ou un terrain.

[17]   Finalement, elle demande que le délai de reprise soit reporté afin qu’elle puisse se trouver un autre logement.

[18]   Quant aux frais de déménagement, elle n’a pas requis d’estimé et demande que le Tribunal se prononce à cet effet, si la demande de reprise est accordée.

L'analyse et la décision

[19]   Ce Tribunal, dans l'affaire Ivanov c. Bédard[1] a déjà déterminé que :

« Lors de la reprise de logement par le locateur, des droits importants se rencontrent et s'opposent : le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ces droits du locataire que le législateur impose des conditions au locateur. »

[20]   Les locateurs fondent leur recours sur les dispositions de l'article 1963 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui édicte que :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[21]   L'auteur Pierre-Gabriel Jobin[2] qualifie l'intention du locateur qui désire reprendre le logement :

« [...] la bonne foi exigée par la loi doit être prouvée non seulement relativement à l'intention (du locateur) d'habiter (les lieux), mais aussi relativement aux intentions qui l'ont poussé et motivé à faire la demande de repossession. »

[22]   La Cour du Québec[3] a qualifié la conduite que doit avoir le locateur dans le cadre d'une reprise de logement :

« La bonne foi requise pour pouvoir reprendre possession d'un logement (1659.3) ne fait pas que s'opposer à la fraude et au dol. Elle implique une conduite soucieuse, consciencieuse et nullement répréhensible. Elle est en somme la traduction d'une bonne volonté. Il est aussi très significatif qu'aux termes de l'article 1659.8, le locataire peut recouvrer des dommages même s'il a consenti à la reprise de possession. »

[23]   La reprise de logement est une exception au droit au maintien dans les lieux de la locataire, et ce, en vertu de l'article 1936 C.c.Q. qui stipule :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »


[24]   L'article 1960 C.c.Q. stipule :

« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.

Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction. »

[25]   Selon l'article 1963 C.c.Q. et la jurisprudence, les locateurs doivent démontrer de façon prépondérante qu'ils reprennent le logement concerné avec l'intention véritable d'y loger la fille de la locatrice et que ce n'est pas un prétexte pour que la locataire actuelle soit obligée de quitter le logement qu'elle occupe depuis 2019.

[26]   Le Tribunal est convaincu de la bonne foi des locateurs lorsqu'ils demandent d'être autorisés à reprendre le logement concerné pour y loger la fille de la locatrice.

[27]   Le Tribunal considère que le projet de reprise du logement n'est pas un prétexte pour évincer la

[28]   De plus, il existe une jurisprudence abondante selon laquelle la présence de conflits entre les parties ne constitue pas un motif absolu pour refuser l'autorisation de reprendre un logement[4].

[29]   Il revient à la locataire, une fois la preuve administrée des intentions soutenant la demande de reprise, de prouver de façon convaincante que la demande de reprise est faite dans le but de l'évincer illégalement du logement qu'elle occupe.

[30]   En conclusion, cette preuve de mauvaise foi des locateurs de vouloir évincer illégalement la locataire n'a pas été établie de façon satisfaisante.

[31]   Quant à l'indemnité qui peut être payée, lors de la procédure de reprise de logement, l'article 1967 C.c.Q. stipule ce qui suit :

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

[32]   L'indemnité que le Tribunal peut accorder doit prendre en considération plusieurs facteurs; dont notamment la durée de l'occupation du logement par la locataire, la capacité de payer des locateurs, l'âge de la locataire et son état de santé[5].

[33]   Il appert de la jurisprudence citée que seuls les frais justes et raisonnables de déménagement (indemnité équivalente aux frais de déménagement) peuvent être réclamés lors d'une demande de reprise de logement et non des dommages-intérêts pour perte de jouissance ou autres frais.

[34]   L'indemnité n'est pas basée sur une quelconque faute de la locataire ou des locateurs.

[35]   S'autorisant des dispositions de l'article 1967 C.c.Q., considérant la preuve administrée de part et d'autre et des facteurs mentionnés précédemment, dont la période d'occupation du logement depuis 2017 et la superficie du logement, le Tribunal estime juste et raisonnable le paiement d'une somme forfaitaire totale de 1 200 $.

[36]   En conclusion, le Tribunal autorise la reprise du logement concerné et le versement d'une indemnité forfaitaire de 1 200 $ à la locataire, incluant des frais de rebranchement des services, ce qu'il qualifie de juste et raisonnable considérant la preuve administrée.

[37]   Cependant, considérant l'absence de preuve prépondérante administrée par la locataire, le Tribunal ne peut autoriser que la reprise du logement soit effectuée après le 1er juillet 2021.

[38]   En effet, tant la locataire que la locatrice subissent un préjudice quant à la date de reprise de logement.

[39]   Celui subi par la bénéficiaire de la locatrice est réel : elle doit quitter le logement qu’elle occupe au plus tard le 30 juin 2021, car elle a indiqué à son locateur qu'elle ne renouvelle pas le bail du logement qu'elle occupe.

[40]   Cependant, en raison du fait que la preuve n’a pu être administrée de part et d’autre que le 31 mai 2021, soit un mois avant la fin du bail, le Tribunal juge approprié de retarder au 1er août 2021, la date effective de reprise, laissant un peu de temps à la locataire de pouvoir tenter de se trouver un autre logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]   ACCUEILLE la demande;

[42]   AUTORISE les locateurs à reprendre le logement concerné pour y loger la fille de la locatrice, à compter du 1er août 2021;

[43]   RÉSILIE le bail à compter du 31 juillet 2021;

[44]   ORDONNE à la locataire et à tous les occupants de quitter le logement au plus tard le 31 juillet 2021 à minuit;

[45]   CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire la somme de 1 200 $, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 1er août 2021, si impayée à cette date;

[46]   Les locateurs assument les frais judiciaires de leur demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Normand

 

Présence(s) :

les locateurs

la locataire

Date de l’audience :  

31 mai 2021

 

 

 


 



[1] (2006) J.L. 112 (R.L.).

[2] Le louage, 2e édition, 1996, éd. Yvon Blais inc., p. 567-568.

[3] Germain c. Lefebvre (C.Q.), 1989-02-02, SOQUIJ AZ-50829061.

[4] Dublanskic c. Thomas, Mtl 500-02-001031-942, 8 avril 1994, j. Cimon, j.c.q.; Wurm c. Pépin, SOQUIJ AZ-50 145775 (2002) JL 209.

[5] Ouellet c. Labonté [1997] J.L. 126 (R.L.); Da Silva Matuis c. Joyal [2004] J.L. 84 (R.L.).

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