Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Adoption — 1445

2014 QCCA 1162

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-08-000409-120

(525-43-006477-125)

 

DATE :

 Le 10 juin 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

A

APPELANTE - Requérante

et

 

B

C

MIS EN CAUSE - Mis en cause

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

INTERVENANTE (à titre d’amicus curiae)

et

X

INTERVENANTE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 novembre 2012 par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse (l'honorable Dominique Wilhelmy), qui a rejeté sa « requête en ordonnance de placement en vue d'adoption ».

[2]           Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges Levesque et Savard, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l'appel;

[4]           INFIRME le jugement entrepris;

[5]           ACCUEILLE la requête pour ordonnance de placement en vue d'adoption de l'enfant X née le [...] 2012;

[6]           ORDONNE le placement de l'enfant X auprès de la requérante A en vue de son adoption;

[7]           CONFIRME que l'autorité parentale à l'égard de l'enfant X est dévolue à la requérante A et au mis en cause B pendant la durée de la présente ordonnance;

[8]           DÉCLARE qu'entretemps l'enfant X aura pour nom B et pour prénom X pendant la durée de la présente ordonnance;

[9]           RÉDUIT de six à trois mois à compter du présent arrêt le délai pour présenter une requête en adoption;

[10]        LE TOUT, sans frais.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

Me Doreen Brown

Me Debra Shapiro

GREEN, GLAZER NADLER & ASSOCIÉS

ME Tibor Hollander

 JEANNIOT & ASSOCIÉS

Pour l’appelante

 

Me Sylvie Gilbert

Me Sophie Primeau

Me Myriam Anctil

Direction générale des affaires juridiques et législatives

BERNARD, ROY (Justice-Québec)

Pour l’intervenant PGQ

 

Me Robert Hamel

AIDE JURIDIQUE DE MONTRÉAL

Pour l’enfant

 

Date d’audience :

Le 24 septembre 2013



 

 

MOTIFS DU JUGE MORISSETTE

 

 

[11]        L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse[1], rendu par l’honorable Dominique Wilhelmy. Le 6 novembre 2012, ce jugement rejetait sa requête pour ordonnance de placement en vue d’adoption et relative à l’enfant X, née en 2012.

[12]        Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis de faire droit au pourvoi et d’accueillir la requête de l’appelante.

I. Bref rappel des faits

[13]        Sauf pour ce qui concerne la nature de certains versements en argent faits par l’appelante à la mise en cause C, les faits dans cette affaire sont constants et ils sont correctement relatés par la juge de première instance. Je reviendrai en temps opportun sur ces paiements et me contenterai pour le moment de résumer l’essentiel des circonstances à l’origine du dossier.

[14]        Sur les conseils de ses médecins traitants consultés dans une clinique de fertilité, l’appelante A, conjointe du mis en cause B, a résolu de faire appel à une donneuse d’ovule et à une mère porteuse[2]. Après avoir trouvé une donneuse d’ovule, elle s’est adressée à C. Celle-ci, une amie de l’appelante et de B, avait déjà donné naissance en 2009, et dans des circonstances identiques, à l’enfant Y, qui fut par la suite adopté par l’appelante avec le consentement de C et qui devint le premier enfant du couple A-B[3].

[15]        Comme le note la juge de première instance, « [l]a procréation de X s’est réalisée en implantant dans le corps de madame [C] un ovule fécondé in vitro par monsieur [B] ». Il était convenu que cette enfant serait adoptée par l’appelante avec le consentement de C. L'acte de naissance de l’enfant X indique que son père est B et que sa mère est C. Peu de temps après sa naissance, X est confiée à l’appelante et à B chez qui elle réside. La juge ajoute : « [l] a preuve révèle en outre que l’enfant reçoit une réponse complète à ses besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques auprès de la requérante et de son père ».

II. Jugement de première instance

[16]        Selon la juge de première instance, C et la donneuse d’ovule ont reçu une rémunération pour s’être exécutées conformément à ce qui avait été convenu entre elles, l’appelante et B. Cette conclusion me paraît erronée pour les raisons que j’expliquerai lorsque j’aborderai le fond du pourvoi. Cependant, comme on le verra, cela est sans importance pour l’issue du pourvoi.

[17]          La juge fait suivre sa description des faits et des prétentions de la requérante par un exposé des textes législatifs applicables et d’une synthèse des positions doctrinales et jurisprudentielles sur la question. Comme je reproduirai plus loin ces mêmes textes, ainsi que quelques autres, et qu’en analysant le fond du pourvoi je m’arrêterai sur diverses autres sources pertinentes, je m’en tiens ici aux seuls motifs qui fondent l’analyse de la juge et sa conclusion. Je les résumerais dans les termes suivants :

¾    Une décision sur ordonnance de placement en vue de l’adoption doit se prendre en fonction des dispositions de la loi ainsi que de l’intérêt de l’enfant (et non du point de vue des personnes qui ont conclu une entente de procréation assistée).

¾    Les intentions de la requérante ici étaient louables et légitimes. Dans les faits, l’enfant continuera à vivre auprès de son père et de la conjointe de ce dernier dans un cadre propice à son bien-être.

¾    Néanmoins, il faut statuer sur la validité du consentement spécial à l’adoption donné par le père et la mère, question sur laquelle porte un jugement de la Cour du Québec prononcé par le juge Michel Dubois dans le dossier Adoption - 091[4]. Dans un contexte semblable à celui du dossier en cours, la Cour y concluait que ce consentement était vicié parce que « partie prenante à la démarche illégale et contraire à l’ordre public » du couple en cause. Ce consentement, selon le juge Dubois, donnait effet de manière détournée à une entente contractuelle prohibée par la loi[5]. En l’occurrence, la juge de première instance fait sienne cette analyse.

¾    En outre, C ayant reçu une rémunération en promettant qu’elle consentirait à l’adoption, a contrevenu à l’article 135.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse.

¾    Quant au père et à son épouse (B et la requérante), ils ont contourné par une démarche illégale et contraire à l’ordre public une disposition prohibitive et il reviendra aux autorités compétentes de faire appliquer les dispositions pénales pertinentes si elles le jugent approprié.

¾    Aucune autre issue n’est possible dans l’état actuel du droit puisque le consentement de la mère de l’enfant est vicié. L’adoption traditionnelle est la voie légale à suivre pour un couple dans la situation de B et de la requérante.

Pour ces raisons, la requête est rejetée.

III. Cheminement du pourvoi

[18]        Le 5 décembre 2012, l’appelante inscrivait son appel. Le pourvoi ainsi formé présentait une particularité en ce que les parties à l’instance, soit l’appelante et les mis en cause B et C, adoptaient toutes la même position face au jugement attaqué et souhaitaient toutes qu’il soit infirmé pour des raisons substantiellement identiques.

[19]        D’abord fixé pour une audition de 15 minutes le 23 mars 2013, le pourvoi fit l’objet d’une première étude en février 2013 par la formation qui devait en être saisie en mars. À la suite de cette étude, la Cour communiqua avec les parties, avec la Direction de la protection de la jeunesse (la « DPJ ») et avec le procureur général du Québec pour s’enquérir de l’opportunité que la DPJ et le procureur général interviennent au dossier et qu’un avocat soit désigné d’office pour représenter l’enfant X.

[20]        Le 4 avril 2013, lors d’une conférence de gestion tenue à la Cour par l’un des membres de la formation, il fut convenu que deux mémoires additionnels seraient déposés au dossier, l’un par le procureur général en qualité d’intervenant et l’autre par un avocat mandaté par l’Aide juridique de Montréal pour représenter l’enfant X.

[21]        Le pourvoi fut alors fixé pour une audition de trois heures lors de l’audience du 24 septembre 2013.

IV. Textes de loi pertinents

[22]        Je citerai comme la juge de première instance les dispositions du Code civil du Québec et de la Loi sur la protection de la jeunesse[6] qui peuvent avoir une pertinence dans le débat, mais en y ajoutant aussi certains extraits de la Loi sur la procréation assistée[7].

Code civil du Québec

33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

 

        Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affec­tifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.

 

 

[…]

33. Every decision concerning a child shall be taken in light of the child’s interest and the respect of his rights.

 

       Consideration is given, in addition to the moral, intellectual, emotional and physical needs of the child, to the child’s age, health, personality and family en­viron­ment, and to the other aspects of his situation.

522. Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance.

 

[…]

522. All children whose filiation is established have the same rights and obligations, regardless of their circumstances of birth.

 

 

538. Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu'une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d'avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d'une personne qui n'est pas partie au projet parental.

 

[…]

 

 

538. A parental project involving assisted procreation exists from the moment a person alone decides or spouses by mutual consent decide, in order to have a child, to resort to the genetic material of a person who is not party to the parental project.

 

541. Toute convention par laquelle une femme s'engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d'autrui est nulle de nullité absolue.

 

[…]

541. Any agreement whereby a woman undertakes to procreate or carry a child for another person is absolutely null.

 

543. L'adoption ne peut avoir lieu que dans l'intérêt de l'enfant et aux conditions prévues par la loi.

 

        Elle ne peut avoir lieu pour confirmer une filiation déjà établie par le sang.

543. No adoption may take place except in the interest of the child and on the conditions prescribed by law.

 

        No adoption may take place for the purpose of confirming filiation already established by blood.

 

544. L'enfant mineur ne peut être adopté que si ses père et mère ou tuteur ont consenti à l'adoption ou s'il a été déclaré judiciairement admissible à l'adoption.

 

[…]

 

 

544. No minor child may be adopted unless his father and mother or his tutor have consented to the adoption or unless he has been judicially declared eligible for adoption.

 

 

555. Le consentement à l’adoption peut être général ou spécial. Le consen­tement spécial ne peut être donné qu’en faveur d’un ascendant de l’enfant, d’un parent en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ou du conjoint de cet ascendant ou parent; il peut également être donné en faveur du conjoint du père ou de la mère. Cependant, lorsqu’il s’agit de conjoints de fait, ces derniers doivent cohabiter depuis au moins trois ans.

 

[…]

 

 

555. Consent to adoption may be general or special; special consent may be given only in favour of an ascendant of the child, a relative in the collateral line to the third degree or the spouse of that ascendant or relative; it may also be given in favour of the spouse of the father or mother. However, in the case of de facto spouses, they must have been cohabitating for at least three years.

567. Une ordonnance de placement ne peut être prononcée s'il ne s'est pas écoulé trente jours depuis qu'un consentement à l'adoption a été donné.

 

567. An order of placement may not be granted before the lapse of thirty days after the giving of consent to adoption.

 

568. Avant de prononcer l'ordonnance de placement, le tribunal s'assure que les conditions de l'adoption ont été remplies et, notamment, que les consentements requis ont été valablement donnés en vue d'une adoption qui a pour effet de rompre le lien préexistant de filiation entre l'enfant et sa famille d'origine.

 

       Le tribunal vérifie en outre, lorsque le placement d'un enfant domicilié hors du Québec est fait en vertu d'un accord conclu en application de la Loi sur la protection de la jeunesse, si la procédure suivie est conforme à l'accord. Lorsque le placement de l'enfant est fait dans le cadre de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, il vérifie si les conditions qui y sont prévues ont été respectées.

 

        Le placement peut, pour des motifs sérieux et si l'intérêt de l'enfant le commande, être ordonné bien que l'adoptant ne se soit pas conformé aux dispositions des articles 563 et 564. Cependant, la requête doit être accompagnée d'une évaluation psycho­sociale effectuée par le directeur de la protection de la jeunesse.

 

568. Before granting an order of placement, the court ascertains that the conditions for adoption have been complied with and, particularly, that the prescribed consents have been validly given for the purposes of an adoption resulting in the dissolution of the pre-existing bond of filiation between the child and the child's family of origin.

 

Where the placement of a child domiciled outside Québec is made under an agreement entered into by virtue of the Youth Protection Act, the court also verifies that the procedure followed is as provided in the agreement. Where the placement of a child is made within the framework of the Convention on Protection of Children and Co-operation in Respect of Intercountry Adoption, the court verifies that the conditions provided therein have been complied with.

 

Even if the adopter has not complied with the provisions of articles 563 and 564, the placement may be ordered for serious reasons and if the interest of the child demands it. However, the application shall be accompanied with a psychosocial assessment made by the director of youth protection.

 

Loi sur la protection de la jeunesse (« LPJ »)

 

135.1. Que le placement ou l'adoption ait lieu au Québec ou ailleurs et qu'il s'agisse d'un enfant domicilié au Québec ou non, nul ne peut :

 

 

135.1. Whether the placement or the adoption takes place in Québec or elsewhere and whether or not the child is domiciled in Québec, no person may

a) donner, recevoir, offrir ou accepter de donner ou de recevoir, directement ou indirectement, un paiement ou un avantage, soit pour donner ou obtenir un consentement à l'adoption, soit pour procurer un placement ou contribuer à un placement en vue d'une adoption, soit pour obtenir l'adoption d'un enfant ;

 

(a) give, receive or offer or agree to give or receive, directly or indirectly, a payment or a benefit either for giving or obtaining a consent to adoption, for finding a placement or contributing to a placement with a view to adoption or for obtaining the adoption of a child;

 

b) contrairement à la présente loi ou à toute autre disposition législative relative à l'adoption d'un enfant, placer ou contribuer à placer un enfant en vue de son adoption ou contribuer à le faire adopter;

 

(b) contrary to this Act or to any other legislative provision relating to the adoption of a child, place or contribute to the placement of a child with a view to the child's adoption or contribute to the child's adoption;

 

c) contrairement à la présente loi ou à toute autre disposition législative rela­tive à l'adoption d'un enfant, adopter un enfant.

 

[…]

 

 (c) contrary to this Act or to any other legislative provision relating to the adoption of a child, adopt a child.

 

135.1.3. Quiconque contrevient à une disposition de l'un des articles 135.1, 135.1.1 ou 135.1.2 commet une infrac­tion et est passible :

 

135.1.3. Every person who contravenes a provision of any of sections 135.1, 135.1.1 and 135.1.2 is guilty of an offence and is liable

 

 a) d'une amende de 10 000 $ à 100 000 $, s'il s'agit d'une personne physique ou d'une amende de 25 000 $ à 200 000 $, s'il s'agit d'une personne morale, dans le cas d'une contravention à l'un des paragraphes a ou b de l'article 135.1 ou à l'un des articles 135.1.1 ou 135.1.2 ; 

 

(a) to a fine of $10,000 to $100,000 in the case of a natural person or to a fine of $25,000 to $200,000 in the case of a legal person, for a contravention of paragraph a or b of section 135.1 or a contravention of section 135.1.1 or 135.1.2;

 

 b) d'une amende de 2 500 $ à 7 000 $, dans le cas d'une contravention au paragraphe c de l'article 135.1.

 

 (b) to a fine of $2,500 to $7,000 for a contravention of paragraph c of section 135.1.

 

Loi sur la procréation assistée (« LPA »)

 

3. The following definitions apply in this Act.

 

“surrogate mother” means a female person who — with the intention of surrendering the child at birth to a donor or another person — carries an embryo or foetus that was  conceived by means of an assisted reproduction procedure and derived from the genes of a donor or donors.

 

[…]

 

 

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

 

« mère porteuse » Personne de sexe féminin qui porte un embryon ou un foetus issu d'une technique de procréation assistée et provenant des gènes d'un ou de plusieurs donneurs, avec l'intention de remettre l'enfant à un donneur ou à une autre personne à la naissance.

 

6. (1) No person shall pay consideration to a female person to be a surrogate mother, offer to pay such consideration or advertise that it will be paid.

 

6. (1) Il est interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour qu'elle agisse à titre de mère porteuse, d'offrir de verser la rétribution ou de faire de la publicité pour le versement d'une telle rétribution.

 

(2) No person shall accept consideration for arranging for the services of a surrogate mother, offer to make such an arrangement for consideration or advertise the arranging of such services.

 

(2) Il est interdit d'accepter d'être rétribué pour obtenir les services d'une mère porteuse, d'offrir d'obtenir ces services moyennant rétribution ou de faire de la publicité pour offrir d'obtenir de tels services.

 

(3) No person shall pay consideration to another person to arrange for the services of a surrogate mother, offer to pay such consideration or advertise the payment of it.

 

[…]

(3) Il est interdit de rétribuer une personne pour qu'elle obtienne les services d'une mère porteuse, d'offrir de verser cette rétribution ou de faire de la publicité pour le versement d'une telle rétribution.

 

(5) This section does not affect the validity under provincial law of any agreement under which a person agrees to be a surrogate mother.

 

(5) Le présent article ne porte pas atteinte à la validité, en vertu du droit provincial, de toute entente aux termes de laquelle une personne accepte d'être mère porteuse.

[…]

 

12. (1) No person shall, except in accordance with the regulations,

 

[…]

 

 

12. (1) Il est interdit, sauf en conformité avec les règlements, de rembourser les frais supportés :

 

   (c) reimburse a surrogate mother for an expenditure incurred by her in rel­ation to her surrogacy.

 

     c) par une mère porteuse pour agir à ce titre.

 

(2) No person shall reimburse an expenditure referred to in subsection (1) unless a receipt is provided to that person for the expenditure.

 

(2) Il est interdit de rembourser les frais visés au paragraphe (1) s'ils ne font pas l'objet d'un reçu.

 

(3) No person shall reimburse a surrogate mother for a loss of work-related income incurred during her pregnancy, unless

 

 

    (a) a qualified medical practitioner certifies, in writing, that continuing to work may pose a risk to her health or that of the embryo or foetus; and

 

 

    (b) the reimbursement is made in accordance with the regulations.

 

[…]

(3) Il est interdit de rembourser à une mère porteuse la perte de revenu de travail qu'elle subit au cours de sa grossesse, sauf si les conditions suivantes sont respectées :

 

   a) un médecin qualifié atteste par écrit que le fait, pour la mère porteuse, de continuer son travail peut constituer un risque pour la santé de celle-ci, de l'embryon ou du foetus;

 

   b) le remboursement est effectué con­for­mément aux règlements.

 

 

60. A person who contravenes any of sections 5 to 7 and 9 is guilty of an offence and

 

 

   (a) is liable, on conviction on indictment, to a fine not exceeding $500,000 or to imprisonment for a term not exceeding ten years, or to both; or

 

    (b) is liable, on summary conviction, to a fine not exceeding $250,000 or to imprisonment for a term not exceeding four years, or to both.

 

 

[…]

 

 

60. Quiconque contrevient à l’un ou l’autre des articles 5 à 7 et 9 commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

 

   a) par mise en accusation, une amende maximale de 500 000 $ et un emprisonnement maximal de dix ans, ou l'une de ces peines;

 

  b) par procédure sommaire, une amende maximale de 250 000 $ et un emprisonnement maximal de quatre ans, ou l'une de ces peines.

 

 

65. (1) The Governor in Council may make regulations for carrying into effect the purposes and provisions of this Act and, in particular, may make regulations

 

[…]

 

   (e) respecting the reimbursement of expenditures for the purposes of subsection 12(1), including providing for the expenditures that may be reimbursed;

 

   (e.1) for the purposes of subsection 12(3), respecting the reimbursement of a loss of income;

 

 

65. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d'application de la présente loi, notamment des règlements :

 

[…]

 

  e) concernant le remboursement de frais pour l’application du paragraphe 12(1), notamment pour prévoir les frais pouvant en faire l’objet;

 

 

  e.1) concernant, pour l'application du paragraphe 12(3), l'indemnisation qui y est visée;

 

Cette dernière loi, on le sait, a fait l’objet d’un important avis de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée[8]. Les dispositions reproduites ici font partie de celles qui furent déclarées constitutionnelles à cette occasion. À ce jour, l’article 12 de la LPA n’est toujours pas entré en vigueur.

V. Fond du pourvoi

a. Les paiements effectués par l’appelante

[23]        Sur ce sujet, la juge de première instance livre les observations suivantes qu’elle fonde sur la preuve vue et entendue au procès (les caractères gras sont tirés de l’original; dans l’extrait qui suit, je substitue aux initiales utilisées en première instance celles que j’ai utilisées ici pour identifier les parties) :

[8]        C'est sur Internet que madame [A] a trouvé une personne annonçant son désir de « donner un ovule », en contrepartie du paiement de ses dépenses.

[…]

[14]      Le couple n’a conclu aucun contrat écrit avec la « mère porteuse » ou la « donneuse d'ovule », mais des contrats verbaux en bonne et due forme sont intervenus, comportant une rémunération.

[16]      Le père et la requérante indiquent qu’une somme d’environ 2 000 $ a été versée à la « donneuse d'ovule » et 9 000 $ à la mère porteuse, pour couvrir ce que les témoins ont désigné comme étant le remboursement des dépenses encourues, par les deux femmes concernées.

[17]      Le tribunal a demandé que les reçus et/ou factures constatant le paiement de ces frais soient déposés.

[18]      La requérante a produit en liasse des reçus et des prescriptions ainsi qu'un document manuscrit comportant certaines indications de sommes d'argent qui auraient été versées.

[19]      Les médicaments mentionnés aux factures produites ont été prescrits à la requérante seulement.

[20]      Il en est de même des reçus émis pour massages de la Clinique de physiothérapie [A], celui émis par la psychologue, madame Gabriela Legoretta, ainsi que le reçu concernant des examens de laboratoire, qui sont tous au nom de [A].

[21]      Seulement deux reçus concernent un service fourni à madame [C]; celui du Docteur Chantal Lafortune, pour une échographie, au montant de 200 $ et celui des Docteurs Sophia Ouhilal et Neal Mahutte pour des consultations totalisant 900 $. Quant à tous les autres, ils réfèrent uniquement madame [A].

[22]      Quant aux frais indiqués sur la feuille manuscrite, le tribunal n’en tiendra pas compte puisqu’il s’agit d’un document non signé, et les sommes d’argent évaluées par la requérante sur ce document qui auraient été transmises à madame [C], ne font l’objet d’aucun reçu transmis et/ou identifié au nom de cette dernière.

[23]      On est donc bien loin du 9 000 $ de remboursement de dépenses de madame [C], avoué, admis et prétendu tant par le père, la requérante que par la « mère porteuse ».

[24]      Quant à la somme de 2 000 $ versée à la « donneuse d'ovule », aucun reçu, aucune facture n'ont été produits.

[25]      Ce constat mine la crédibilité des parties en ce qui a trait aux paiements effectués tant à la « donneuse d'ovule » qu'à la mère porteuse, et le tribunal doit conclure que 7 900 $ ont été versés à madame [C] et 2 000 $ à la « donneuse d'ovule », à titre de rémunération. 

Ce constat, qui est très explicite, a de quoi surprendre. Voici pourquoi.

[24]        En premier lieu, je remarque que l’article 541 C.c.Q. déclare nulle « toute convention par laquelle une femme s’engage… à porter un enfant », que cette convention soit rémunérée ou non. Au regard de cette règle d’ordre public, donc, la rémunération est sans importance et il était inutile pour la juge de s’y arrêter si l’article 541 C.c.Q. permettait de vider le débat.

[25]        En revanche, il est vrai qu’aux termes du paragraphe 135.1 a) de la LPJ « donner, recevoir, offrir ou accepter de donner ou de recevoir… un paiement… pour donner ou obtenir un consentement à l’adoption » constitue une infraction punissable d’une lourde amende en vertu de l’article 135.1.3 de la même loi. Mais il s’agit ici de dispositions pénales qui doivent s’interpréter en conséquence et la préposition pour est revêtue d’une connotation causale. Or, sauf par extrapolation et à partir d’indices ayant valeur, tout au plus, de vagues présomptions de fait, rien dans la preuve entendue en première instance (et surtout, rien dans les témoignages de l’appelante, de B et de C) ne permet de supposer, ni a fortiori de conclure, qu’un paiement ait été offert, donné ou reçu pour donner ou obtenir un consentement à l’adoption. La preuve faite en première instance est mince de toute manière. Au cours de deux brèves audiences le 25 septembre et le 2 octobre 2012, l’appelante, le père biologique et la mère porteuse témoignent. À aucun moment ne font-ils état d’autre chose que d’un remboursement de dépenses.

[26]        Il ressort en particulier du témoignage de la mère porteuse, C, qu’elle entretient des liens d’amitié avec l’appelante et son conjoint depuis « approximately 7 years ». C a 33 ans et elle est la mère biologique de deux enfants de 7 et 11 ans, nés d’elle et de son mari. En outre, on l’a vu, elle a déjà donné naissance en 2009, et dans les mêmes conditions que celles entourant la naissance de X, à Y, un garçon. Celui-ci est le premier enfant du couple A-B. C répond ainsi à certaines questions qui lui sont posées en début d’interrogatoire :

 

Q.

 

So, this is not your egg.

 

R.

No, it is not.

 

Q.

This is not your child genetically?

 

R.

It is not.

 

Q.

And do you —  what maternal instinct do you have for this baby?

 

R.

None.

 

Q.

Do you want to look after [X]?

 

R.

No.

Il y a eu des paiements, c’est indéniable, versés « throughout » selon le témoignage de l’appelante, et totalisant « [a]pproximately nine thousand ($9,000.00) ». Mais il appert que, dès le premier jour où ils entreprennent de mettre leur entente à exécution, l’appelante, B et C savent que l’enfant à naître sera adopté par l’appelante avec l’accord de B et de C.

[27]        Je n’exclus pas que la question puisse être envisagée sous un autre angle si, de fait, la preuve démontrait l’existence d’un contrat de mère porteuse comportant « rémunération », selon le terme employé par la juge de première instance, ou « rétribution » au sens de l’article 6 de la LPA. Serait-on alors en présence d’une contravention, non seulement au paragraphe 6(1) de la LPA, mais aussi au paragraphe 135.1 a) de la LPJ? J’estime qu’il est inutile de se pencher sur cette question car, à mon avis, on ne pouvait conclure ici que l’appelante et son conjoint, en fait, ont versé une « rémunération » ou une « rétribution » à la donneuse d’ovule et à la mère porteuse.

[28]        Il importe tout d’abord de bien replacer l’affaire dans son contexte d’ensemble. L’appelante A a éloquemment décrit dans sa déposition les démarches et les traitements médicaux parfois très pénibles qu’elle s’est imposés pendant plusieurs années dans le but de donner naissance à un enfant. Certains comportaient des risques qui, à un moment au cours de cette période, ont gravement compromis sa santé. N’obtenant jamais le résultat souhaité, elle se résout à faire ce que ses médecins lui présentent comme une solution de dernier ressort. Cette solution s’avère la bonne et en 2009, comme on vient de le voir, l’appelante adopte un premier enfant, Y, après que C eut consenti à porter l’ovule d’une donneuse, fécondé in vitro par B. La situation en 2009 était donc en tout point semblable à celle qui nous intéresse ici. Or, selon les éléments d’information que l’on peut tirer du dossier, l’adoption de ce premier enfant par l’appelante ne suscita à l’époque aucune opposition. L’enfant a aujourd’hui pour père et mère B et A.

[29]        Que se passe-t-il en 2010? Le couple A-B décide d’entreprendre la même démarche, dans les mêmes conditions, avec le concours de la même mère porteuse qui, opportunément, est de nouveau consentante. Rien de leur expérience antérieure lors de l’adoption de l’enfant Y ne laisse présager que de nouvelles formalités ou exigences, par exemple pour ce qui concerne la preuve des dépenses engendrées par cette démarche s’échelonnant sur près de deux ans, encadreront désormais la demande d’une ordonnance de placement en vue de l’adoption et pourraient même faire obstacle à l’adoption.

[30]        Je n’ignore pas que, au moment où l’appelante et son conjoint prirent cette décision en mai 2010, les articles 12 et 65 de la LPA existaient déjà. La Cour suprême du Canada en confirmera d’ailleurs la validité constitutionnelle en décembre de la même année. On ne saurait s’étonner, par contre, que la stricte conformité avec une réglementation inexistante (et qui de toute manière le demeurera, car l’article 12 de la LPA n’est jamais entré en vigueur) n’ait pas figuré parmi les préoccupations les plus pressantes du couple. Pour la seconde fois en trois ans, ils amorcent un processus qui, je le suppose, nécessite de leur part un investissement émotif considérable. Ce processus sera d’ailleurs marqué par quelques premières tentatives en clinique de fertilité qui ne donneront pas le résultat souhaité. Il n’est que normal qu’ils aient eu l’esprit ailleurs. Aussi peut-on comprendre que leur relevé des dépenses engagées tout au long de cette démarche soit approximatif - après avoir fait appel à des médecins, une donneuse d’ovule et une mère porteuse, il ne leur serait sans doute jamais venu à l’esprit de s’adresser également à un teneur de livres pour comptabiliser leurs dépenses.

[31]        L’appelante, son conjoint B et la mère porteuse C ont tous trois nié formellement et plus d’une fois qu’une quelconque rétribution ou rémunération avait été versée à C. L’appelante et B ont fait de même au sujet de la donneuse d’ovule. Dans chaque cas, les témoins parlent de remboursement de dépenses. L’appelante mentionne que pendant toute la période en cause C aura reçu « approximately $ 9,000.00 » et la donneuse d’ovule « about $ 2,000.00 », pour des frais résultant de « childcare expenses, nutrition, travel, medication, … in vitro medication, babysitting, clothing ». Plusieurs essais auront été requis avant que la procédure médicale ne donne un résultat positif. On sait aussi, par exemple, que le couple A-B a rencontré la donneuse d’ovule « several times » et qu'elle venait [de la Province A], ce qui donne à penser que ses frais de déplacement n’étaient pas négligeables. Bref, il m’apparaît impossible de conclure à partir de la preuve testimoniale que ce qui fut versé aux deux intéressées était autre chose que des remboursements de dépenses ou des paiements faits en anticipation de dépenses réelles.

[32]        Mais il y a plus. Le relevé de dépenses manuscrit du couple, je l’ai noté plus haut, est approximatif, et il est difficile d’en tirer une image claire de tous les frais qui ont été couverts. Ce relevé existe néanmoins pour les dépenses relatives à la mère porteuse seulement, et non pour les quelque 2 000 $ remboursés à la donneuse d’ovule[9]. Le relevé est même accompagné d’un certain nombre de pièces justificatives (il s’agit de la pièce R-6, produite en liasse) mais il est acquis que celles-ci sont incomplètes car certains paiements, par exemple à des commerçants ou à des gardiennes d’enfants, ont été faits directement et au comptant. Outre les types de dépenses énumérés par l’appelante dans son témoignage, le relevé fait aussi mention de dépenses diverses telles que des échographies, des tests sanguins, des massages, des frais de stationnement et des frais de services ménagers. Si l’on effectue une compilation systématique de ces fragments de preuve documentaire, en tenant compte  (i) des reçus faits au nom de C ou sans nom, (ii) des reçus faits au nom de C ou sans nom et des montants notés dans le relevé manuscrit, (iii) des seuls reçus, mais y compris ceux faits au nom de l’appelante, (iv) de tous les reçus et des montants notés dans le relevé manuscrit, ou (v) de toutes ces pièces sans tenter de faire des recoupements, on obtient respectivement les totaux suivants : (i) 1 068 $, (ii) 5 768 $, (iii) 3 303 $, (iv) 8 003 $ et (v) 8 625 $.

[33]        À la lumière de ce qui précède, je conclus que le paragraphe [25] des motifs de la juge de première instance cité plus haut[10] est entaché d’une erreur manifeste. Il n’y avait pas ici matière à déduire de la preuve que l’entente entre l’appelante, son conjoint et C pourvoyait à la rémunération ou rétribution de C en sa qualité de mère porteuse. Il m’apparaît donc important de rectifier cette erreur compte tenu de la prohibition édictée par l’article 6 de la LPA, de celle édictée par l’article 135.1 de la LPJ,  et des conséquences qui peuvent résulter d’une contravention à ces dispositions.

b) La portée de l’article 541 C.c.Q.

[34]        Il convient sur ce point de revenir sur les considérations qui sous-tendent la conclusion de la juge de première instance et au besoin d’approfondir l’analyse.

1. État de la question selon la jurisprudence

[35]        La juge constate qu’en matière d’adoption il y a peu d’affaires traitant « de situations dans lesquelles sont utilisés les services d’une “mère porteuse” et d'une “donneuse d'ovule” au Québec », ce en quoi elle a raison. Elle renvoie dans ses motifs à deux jugements de la Cour du Québec[11] et à un arrêt de la Cour d’appel[12]. Or, au moment où la juge de première instance s’est prononcée dans le dossier en cours, on dénombrait dans la jurisprudence publiée ou disponible par banques de données sept décisions[13] de la Cour du Québec présentant quelque pertinence et au moins un jugement de la même cour demeuré inédit; un autre jugement du même tribunal s’y ajoutera par la suite.

[36]        Une première affaire avait abordé sommairement la question en 2007 : Adoption — 07219[14]. Le juge Dubois y prononce l’adoption d’une enfant X, née d’une mère porteuse et biologique, en faveur du père biologique de l’enfant et de l’épouse de celui-ci. Il appert que l’épouse en question était également la belle-sœur[15] de la mère porteuse. Quelques mois auparavant, vu les consentements spéciaux à l’adoption des parents biologiques, la Cour du Québec avait accordé une ordonnance de placement aux fins d’adoption dans un jugement demeuré inédit. En permettant l’adoption, le juge livre les observations suivantes qui constituent l’essentiel de sa motivation :

[5]          Vu que lors de l'audition du 29 mai 2007, la requérante a livré un témoignage transparent, crédible et émouvant, décrivant d'une manière simple, avec les mots du cœur, l'histoire de cette offre de pure gratuité, de grande générosité de la part de la conjointe de son frère (conjointe depuis plus de 10 ans) à l'effet de procéder par don de sperme de la part du père de l'enfant et de porter l'enfant à terme, en l'associant étroitement à toutes les étapes de la grossesse et de l'accouchement;

[6]          Vu l'accord du conjoint de la mère porteuse;

[7]          Vu que personne n'a invoqué la nullité de la convention de gestation pour le compte d'autrui (article 541 C.c.Q.) et qu'au contraire, l'entente verbale a été honorée par toutes les parties;

[8]          Vu qu'il ne s'agit pas d'une situation de dérive de l'institution de l'adoption justifiant l'intervention du tribunal dans le but de protéger l'enfant;

[9]          Vu que le tribunal est invité à un acte de foi en souhaitant que l'enfant se considère également comme un beau cadeau lorsqu'il apprendra cet arrangement entre les adultes;

[10]        Vu l'intérêt prouvé de l'enfant[.]

En outre, au soutien de la proposition contenue au paragraphe [8] de ces motifs, le juge cite une source de doctrine[16].

[37]        Vint ensuite le jugement précité du même juge Dubois dont s’inspire largement la juge de première instance. Cette affaire Adoption — 091 fut tranchée en janvier 2009[17]. Un fait inusité dans ce dossier était que seule la filiation paternelle de l’enfant apparaissait sur son extrait de naissance[18]. La conjointe du père demandait une ordonnance de placement de cet enfant afin de l’adopter. Les circonstances de l’affaire sommairement décrites étaient les suivantes. Après avoir tenté pendant sept ans et au moyen de diverses techniques médicales de concevoir un enfant, la conjointe du père et requérante en adoption s’entendit avec lui pour trouver une mère porteuse qui serait inséminée artificiellement avec le sperme du père. Une entente « contractuelle verbale en bonne et due forme » fut ainsi conclue avec une mère porteuse, entente qui prévoyait le versement de 20 000 $ à cette dernière en compensation pour ses « inconvénients et dépenses »[19]. La somme en question fut effectivement versée à la mère porteuse qui, deux jours après la naissance, signait un consentement spécial en vue d’adoption par lequel elle acceptait expressément que l’enfant soit confié à la conjointe du père. Et de fait, à compter de son congé de l’hôpital, l’enfant vécut avec son père et sa conjointe. Comme on l’a vu plus haut, le juge Dubois rejeta la demande d’ordonnance de placement en vue de l’adoption de l’enfant.

[38]        Ce jugement s’appuie sur un important appareil de notes qui renvoient à diverses sources doctrinales et jurisprudentielles dont certaines seront évoquées plus loin. Beaucoup plus longuement motivé que le jugement de 2007, celui de 2009 adopte une position soutenue par une partie de la doctrine pertinente pour conclure au rejet de la demande d’ordonnance. Il semble cependant qu’un facteur entre tous aura été décisif dans l’analyse du juge : une apparence de fraude à la loi que le juge dégage des faits à l’origine du dossier. Sur le conseil de leur avocate[20], la requérante et son conjoint s’étaient entendus avec la mère biologique de l’enfant pour que le nom de cette dernière ne figure pas sur l'acte de naissance de l’enfant. En agissant ainsi, ils ne faisaient que se conformer à une suggestion (maladroite?) tirée d’un texte de doctrine et formulée comme suit [21]: « Faute d'avoir été reconnue par la femme porteuse dans les trente jours, la filiation de l'enfant n'est établie qu'à l'égard de l'homme du couple demandeur, il suffit donc que celui-ci consente à l'adoption pour que sa conjointe puisse faire établir sa maternité à l'égard de l'enfant issu du contrat de maternité de substitution. » Qualifié par le juge de « projet parental alambiqué et soigneusement planifié[22] », ce procédé de la requérante et de son conjoint inspire au juge des commentaires qui ne manquent pas de sévérité (les caractères gras proviennent de l’original) :

[62]      Dans le contexte factuel particulier de cette affaire, force est de conclure que le projet parental de la requérante et du père de l'enfant entraînait inévitablement, dès le départ, la création délibérée d'une situation d'abandon du bébé par sa mère biologique pour satisfaire leur désir d'enfant, puis dans un deuxième temps, le consentement à l'adoption (pièce R-2).

[63]      Toutes les étapes chronologiquement postérieures à la décision de recruter une mère porteuse, au mépris des lois existantes et en marge du droit, ont donc logiquement engendré la suite des événements.

[64]      Il est clair que la requérante mise beaucoup sur la situation de fait accompli. L'enfant étant née, le principe cardinal de l'intérêt de l'enfant en chair et en os devrait non seulement émouvoir le Tribunal, mais constituer le seul critère déterminant de la décision à être rendue.

[65]      La requérante espère que le Tribunal adhérera à sa conception du « droit à l'enfant » dont l'intérêt, une fois née, ne fait plus de doute puisqu'elle s'en occupe déjà et qu'elle veut continuer d'en prendre soin.

[66]      Ainsi donc, toute la démarche conçue et réalisée dans l'illégalité aboutirait finalement à un résultat légal, grâce à l'utilisation commode du critère passe-partout de l'intérêt de l'enfant. Ce critère purifierait plus blanc que blanc et effacerait tout ce qui a été fait auparavant.

Ce concours de circonstances (c’est-à-dire une démarche engendrant l’anomalie d’un acte de naissance sur lequel n’apparaît pas le nom de la mère biologique) semble bien avoir été interprété dans certaines espèces ultérieures[23] comme déterminant puisque ces espèces s’en distinguent en mentionnant explicitement cet aspect du dossier.

[39]        De nouveau sous la forme d’une demande d’ordonnance de placement en vue d’une adoption, la question devait revenir devant le juge Claude Tremblay de la Cour du Québec qui se prononça le 29 juin 2009 dans le dossier Adoption — 09185[24]. Les faits de cette nouvelle espèce sont ceux qui présentent l’analogie la plus étroite avec ceux à l’origine du pourvoi en cours. Incapable de concevoir un enfant, et ce, malgré deux tentatives médicalement assistées qui l’exposèrent à un très grave risque pour sa santé[25], la requérante A avait conçu avec son conjoint B un projet de maternité de substitution auquel C, une tante par alliance de la requérante, accepta de se prêter en tant que mère porteuse. Le juge en explique les modalités en ces termes[26] : « Les ovules de madame A et le sperme de monsieur B sont fécondés in vitro et des embryons sont insérés dans l'utérus de madame C qui devient enceinte et donnera naissance par césarienne […] à X et à son frère jumeau Y. » C ne reçut aucune rémunération ni aucun dédommagement pour dépenses afférentes, malgré une grossesse difficile qui comporta plusieurs semaines d’hospitalisation. Les formalités relatives à la déclaration de naissance furent complétées de manière à identifier C comme « mère biologique » et B comme « père biologique ». Le juge remarque à ce sujet :

[7]        … ce formulaire ne prévoit pas la possibilité d'inscrire le nom de la "mère génétique" (celle qui a fourni l'ovule ou les ovules) à moins bien sûr que le nom de la "mère génétique" ne soit inscrit dans la section "mère biologique", ce qui ne serait pas sans fondement.  En effet, si on accepte facilement que celui dont le sperme a fécondé l'ovule soit inscrit comme "père", un "père biologique" en quelque sorte, pourquoi ne serait-il pas acceptable que celle dont l'ovule a été fécondé soit inscrite comme mère ou "mère biologique" ?  La "mère génétique" est certes plus "mère biologique" que la "mère porteuse".  Mais ces distinctions, le Code civil du Québec ne les connaît pas ou les connaît de façon incomplète.

Et il ajoute plus loin dans ses motifs que, si un acte de naissance avait été demandé pour l’enfant X, il aurait identifié C comme la mère de l’enfant.

[40]        Après avoir relevé la bonne foi manifeste de toutes les parties (qui « en aucun moment… n'ont voulu enfreindre quelque loi que ce soit »), le juge procède à une analyse juridique de la question dont il est saisi, analyse dont j’aurai l’occasion de citer un passage plus loin dans ces motifs. Il estime cependant que le jugement du juge Dubois dans l’affaire Adoption — 091 découle d’un ensemble de faits qui, étant nettement différents, permettent de distinguer cette espèce et l’espèce en cours :

En terminant, il faut le dire, les faits de la présente affaire diffèrent grandement de ceux considérés par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, dans une décision rendue récemment et qui impliquait aussi une mère porteuse [2009 QCCQ 628].  Le moyen utilisé alors pour tenter de faire reconnaître la maternité avait aussi consisté au dépôt d'une demande d'ordonnance de placement en vue de son adoption. On a vu aux paragraphes 17 et 23 que des moyens autres que l'adoption sont parfois disponibles pour atteindre le même but.

Cela étant, le juge Tremblay accueille la requête de la requérante A.

[41]        La question fut de nouveau envisagée quelques mois plus tard, et tranchée le 4 août de la même année, mais sous un angle légèrement différent, dans le dossier Adoption — 09558[27]. Deux conjoints de même sexe qui souhaitaient devenir parents s’étaient adressés à une agence californienne pour retenir les services d’une mère porteuse. Il est acquis qu’en Californie la loi permet les contrats rémunérés de mère porteuse. Conformément à l’entente ainsi conclue, toutes les dépenses médicales et autres de la mère porteuse furent défrayées par les conjoints qui lui versèrent également un paiement à titre de rémunération. Au terme de sa grossesse, la mère porteuse vint accoucher au Québec. Les conjoints en question présentèrent une demande d’ordonnance de placement en vue de l’adoption de l’enfant, appuyée par le consentement de la mère porteuse. Conscient du jugement récemment rendu par son collègue le juge Dubois, le juge Louis Grégoire en traita en ces termes (je souligne) :

[10]      Après analyse, le tribunal constate que plusieurs faits distinguent la présente affaire de l'affaire soumise à l'attention de notre collègue, l'honorable juge Dubois.

[11]      Dans un premier temps, tout le côté contractuel de l'aventure a été exécuté en Californie. Ces démarches ont été complétées de façon publique et tout à fait légalement. Une preuve non contredite à cet effet a été présentée au soussigné. Elle consiste en une opinion juridique et un jugement de la Cour Supérieure de l'état de la Californie. La mère n'est venue à ville A que pour donner naissance à l'enfant, consentir à l'adoption et recevoir signification de la requête sous étude.

[12]      Également, et c'est peut-être ici le fait le plus important, la mère de cette enfant apparaît au certificat de naissance québécois de l'enfant. Rien n'a été fait pour cacher, taire ou camoufler l'identité de cette personne. Bien au contraire, elle est venue accoucher au Québec et a dûment signé les registres de l'état civil. Son nom apparaît au certificat de naissance produit.

[13]      Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal entend faire droit à la demande du requérant.

Et plus loin, en concluant, il ajoutait (notes de bas de page omises):

[23]      Les auteurs ne sont pas unanimes quant à la légalité de la route empruntée par le requérant. Cependant, certains d'entre eux reconnaissent la validité de cette façon de faire. C'est avec respect pour l'opinion contraire que le soussigné constate que si le législateur au moment d'amender le Code civil du Québec, (notamment lors des ajouts des articles 539.1 et 578.1) avait voulu exclure le cas actuellement sous étude, il l'aurait exprimé soit aux articles 522, 523 et 541 énumérés ici ou dans le chapitre de l'adoption, ce qui n'est pas le cas. Ainsi la nullité absolue prônée à l'article 541 C.c.Q. n'affecte que les parties contractantes.

[42]        Un cinquième jugement pertinent, inédit celui-là, fut rendu par la juge Dominique Wilhelmy le 7 janvier 2010[28]. Les faits de cette nouvelle affaire se résument en quelques lignes. Un ovule de la requérante A, fécondé par son conjoint B, avait été implanté dans le corps de la mère porteuse C, infirmière et collègue de travail de B qui lui-même était médecin dans la même institution hospitalière. Selon la preuve testimoniale, une somme évaluée entre 10 000 $ et 15 000 $ avait été versée à C pour rembourser ses dépenses et l’indemniser pour les inconvénients subis[29]. L'acte de naissance de l’enfant portait les noms de B et de C comme ses père et mère qui tous deux donnèrent un consentement spécial à l’adoption.

[43]        La juge cite longuement les jugements des juges Dubois[30], Tremblay et Grégoire décrits plus haut et elle renvoie à quelques sources de doctrine[31]. Puis, analysant le fond de la demande à la lumière de son exposé du droit applicable, elle formule le fondement de son jugement en ces termes (les caractères gras proviennent de l’original, notes de bas de page omises) :

[48]      L'ordonnance de placement en vue de l'adoption est une décision qui doit être rendue au point [de vue] de l’enfant, en prenant de nombreuses précautions et tenant compte à la fois des dispositions de la Loi et de l'intérêt de l'enfant, et non du point de vue des personnes qui ont conclu une entente de procréation assistée.

[49]      L'intérêt de l'enfant est un critère important soit, mais le respect des règles l'est tout autant.

[50]      Le tribunal est d'avis qu'il y a lieu de faire une distinction entre les situations de procréation assistée par une «mère porteuse» qui accepte d'héberger l'ovule fécondé d'une autre femme.

 [51]     Me Alain Roy (précité), traite d'une situation où l'ovule fécondé serait celui de la «mère porteuse» et le tribunal est d'avis que dans un tel cas, l'adoption priverait l'enfant de son droit de connaître les personnes qui sont à l'origine de sa création, et serait contraire à son intérêt.

[52]      Ainsi, dans les mêmes circonstances, et en présence d'un contrat tout aussi illégal, si l'ovule fécondé avait été celui de la  «mère porteuse» la présente requête serait rejetée, sans hésitations et ce, en considérant l'intérêt supérieur de l'enfant.

[53]      Or, dans la présente instance, l'ovule fécondé par les spermatozoïdes du père et implanté dans l'utérus de la «mère porteuse», ayant mené à la naissance l'enfant sujet de la présente requête, provient de la requérante.

[54]      Celle-ci et son conjoint, le père de l'enfant, sont ses géniteurs.  Ils en ont pris charge depuis sa naissance et lui prodiguent les soins, l'attention et l'affection auxquels il a droit.

[55]      L'intérêt de l'enfant commande qu'il puisse jouir du lien de filiation avec ses géniteurs.

[56]      Une décision favorisant le placement en vue d'adoption de l'enfant n'aurait pas pour effet de le priver de lien avec madame, parent à l'origine du consentement, puisque ce parent ne désire pas entretenir de tels liens et n'a aucun lien génétique avec lui.

[57]      L’intérêt de l’enfant d’être adopté par la requérante dans ce dossier est réel et le tribunal doit favoriser les conditions les plus propices à son épanouissement.

[58]      Ce critère étant établi, qu’en est-il des dispositions de la Loi et ce, en regard du deuxième critère de l’article 543 du Code civil du Québec ?

[59]      À l’instar de l’honorable juge Claude Tremblay, la soussignée considère que les tribunaux doivent être créatifs, tenant compte des valeurs fondamentales de la société québécoise, et le présent dossier invite à une telle interprétation des dispositions de la loi.

[60]      Le consentement spécial donné par la mère au certificat de naissance soit madame [C] est devenu l’instrument par lequel le père et son épouse ont contourné les prohibitions législatives existantes dans cette province et dans ce pays, et fait partie d’une démarche illégale et contraire à l’ordre public, visant à faire produire de façon détournée des conséquences juridiques à ce qui est prohibé par la Loi, et les autorités compétentes pourront mettre en œuvre les dispositions pénales applicables, si elles le jugent approprié.

[61]      Mais le tribunal n’a pas à se prononcer sur cette question.

[62]      La requête soumise au tribunal a pour but de permettre à l’enfant de bénéficier de sa vraie filiation maternelle, filiation qui est conforme à la possession constante d’état.

Il est donc fait droit à la requête pour ordonnance de placement.

[44]        Saisie dans des circonstances voisines des précédentes de deux requêtes pour ordonnance de placement, la juge Françoise Garneau-Fournier rendait le 1er octobre 2010 deux jugements identiques par leur contenu[32]. Elle y accueillait ces requêtes relatives à deux jumeaux. La requérante A était la conjointe du père biologique B. Deux de ses ovules, fécondés par B, avaient été portés par C, amie de longue date du couple, qui donna naissance aux jumeaux en question. Aucune somme d’argent ne fut versée à madame C. Le père biologique B et la mère porteuse C, inscrite à l’acte de naissance des enfants, consentaient à l’adoption selon les exigences du Code civil. La juge Garneau-Fournier distingue d’abord le jugement Adoption — 091 en ces termes :

[15]      … dans le présent dossier, la mère porteuse est inscrite à l'acte de naissance de l'enfant et elle a, tout comme le père, signé un consentement spécial à l'adoption en faveur de la requérante, conjointe du père.  Or, les articles 522, 523 et 538.1 précisent que la filiation d'un enfant, même né d'une procréation assistée, s'établit par l'acte de naissance.  De plus, le Code ajoute "quelles que soient les circonstances de la naissance de l'enfant". 

Elle emprunte ensuite au juge Tremblay un passage sur lequel je reviendrai et qui circonscrit la portée de l’article 541 C.c.Q. Puis, revenant sur le jugement de la juge Wilhelmy, elle reproduit les paragraphes [48] à [56] cités ci-dessus au paragraphe [43]. Enfin, elle conclut ses motifs en ces termes :

[19]      Ainsi, tout comme dans les deux situations relatées précédemment, la mère légale inscrite à l'acte de naissance de l'enfant en cause a donné son consentement spécial à l'adoption de son enfant, dès sa naissance, à l'égard de la requérante, conjointe du père de l'enfant.  De même, le père de l'enfant a aussi donné son consentement spécial et rien dans la preuve n'a démontré que ces consentements sont viciés ou invalides.  De plus, la mère de l'enfant est venue réaffirmer son consentement et le contexte du projet parental ayant conduit à la naissance de l'enfant et de son jumeau. Par surcroît, une preuve médicale a confirmé le processus en cause et suivi.

[20]      De plus, même si cet engagement à titre gratuit constitue une entente nulle de nullité absolue, la Cour estime que la présente procédure ne constitue pas un recours en exécution de cette entente.

Comme dans l’affaire précédente, la requête est accueillie.

[45]        Le 13 décembre 2010, c’était au tour de la juge Denyse Leduc d’accueillir une requête pour ordonnance de placement dans un dossier comparable, Adoption — 10489[33]. La requérante A et son conjoint, le père biologique B, avait convenu avec C que cette dernière porterait l’ovule de A fécondé in vitro avec le sperme de B, un processus qui demanda 21 mois de démarches et de traitements suivis de neuf mois de grossesse. La juge note[34] : « La requérante et son conjoint ont assumé tous les coûts médicaux, de transport, de logement et de subsistance lors des déplacements de madame C. Les coûts ont augmenté suite au déménagement de la famille C de la région [X] à ville [Y]. » L’enfant résida avec A et B dès après sa naissance et C, la mère déclarée à l'extrait de naissance, donna un consentement spécial à l’adoption. La juge poursuit[35] : « L’objectif actuel est de donner à l'enfant sa vraie filiation maternelle soit celle qu'elle possède en raison du lien biologique et également résultant de la possession d'état constante depuis sa naissance. » Après avoir cité les jugements Adoption — 09185[36] et Adoption — 07219[37], la juge Leduc ordonne le placement de l’enfant en vue de son adoption.

[46]        Enfin, le 22 janvier 2013, dans le dossier Adoption — 1342[38], la juge Johanne Denis ordonnait un placement en vue de l’adoption dans des circonstances assez semblables à celles de l’espèce précédente : la requérante A, conjointe du père biologique, et dont l’ovule avait été fécondé in vitro avec le sperme de son conjoint, souhaite adopter l’enfant dont a accouché la mère porteuse C, belle-sœur de madame A et consentante à l’adoption. Les motifs de la juge Denis ne mentionnent pas la jurisprudence dont il a été question jusqu’ici mais ils s’appuient plutôt sur un texte de doctrine fréquemment cité et dont l’auteure est la Pre Michelle Giroux[39].

[47]        On aura noté que dans la plupart de ces affaires la mère d’intention, ou future mère adoptive, est aussi la mère génétique ou génitrice de l’enfant, l’entente avec la mère porteuse ayant consisté en une convention[40] de gestation plutôt qu’une convention de procréation. S’en distinguent quelques espèces, comme Adoption — 091[41] où l’ovule de la mère porteuse avait été inséminé artificiellement avec le sperme du conjoint de la requérante, ou encore l’espèce en cours, qui comportait à l’origine un don d’ovule par une tierce personne.

 

2. État de la question selon la doctrine

[48]        La doctrine québécoise s’est elle aussi interrogée sur la portée de l’article 541 C.c.Q. et la question ne fait pas l’unanimité parmi les auteurs qui se sont prononcés. Je ne crois pas nécessaire ici de passer en revue de manière exhaustive ce qui s’est écrit sur le sujet - il suffira de camper les principales positions qui ressortent de ces publications savantes, dont certaines sont antérieures à la totalité de la jurisprudence précitée. Les unes, comme le jugement Adoption — 091[42], sont hostiles à l’adoption sur consentement spécial, les autres, comme le jugement Adoption — 09185[43], lui sont favorables.

[49]        Le Pr Alain Roy, dans la deuxième édition de son ouvrage sur l’adoption[44], porte un regard critique sur trois des jugements examinés plus haut. Il tire du jugement Adoption — 091 l’extrait suivant[45], conférant ainsi à cette décision une portée plus grande que ce que lui prêtent plusieurs jugements ultérieurs et une portée qui déborde peut-être ce que l’on peut tirer d’une lecture conjointe des jugements Adoption — 091 et Adoption — 07219[46] :

[57]      À moins de choisir de porter des œillères, il n'est toutefois pas possible de dissocier la question de la validité de ce consentement [spécial à l’adoption] des étapes précédentes concoctées dans la réalisation du projet parental de ce couple. Ce consentement est vicié parce qu'il est partie prenante à la démarche illégale et contraire à l'ordre public. On ne parle pas de droit procédural, mais de droit substantif.

Étant d’accord avec cette proposition, le Pr Roy, naturellement, critique les jugements dans les affaires Adoption — 09185[47] et Adoption — 09558[48]. Il s’exprime ainsi[49] :

39.       Mère porteuse — … Dans l’état actuel du droit québécois, les décisions prononcées par les juges Tremblay et Grégoire nous apparaissent mal fondées. Aussi empathique puissions-nous être à l’égard de l’enfant ainsi privé d’une filiation, le législateur a choisi de frapper tous les contrats de mère porteuse de nullité absolue, et ce, peu importe l’origine des ovules. L’article 541 C.c.Q. est clair : tant les conventions par lesquelles une femme s’engage à procréer pour le compte d’autrui que celles qui lui confient la seule responsabilité de porter l’enfant sont nulles de nullité absolue. La loi du lieu du domicile de la mère porteuse n’apparaît pas non plus pertinente. Compte tenu des circonstances, la loi qui régit l’établissement de la filiation de l’enfant demeure la loi québécoise.

            Ceci étant dit, il nous paraît difficile d’admettre que l’on puisse contourner la règle de l’article 541 C.c.Q. au moyen de l’adoption, règle qui, est-il utile de le souligner, repose sur des considérations d’ordre public qui n’ont rien d’anodin. Comme l’écrit la professeure Giroux : « [c]’est la commercialisation de la pratique et les valeurs en jeu - protection de la femme contre l’exploitation, refus de chosification de l’enfant et plus globalement, l’intérêt général de la société - qui forcent les législateurs à intervenir ». On ne saurait non plus se rabattre sur le principe du meilleur intérêt de l’enfant pour se soustraire à la prohibition législative et justifier l’adoption. L’adoption, rappelons-le, ne peut avoir lieu que dans l’intérêt de l’enfant et aux conditions prévues par la loi. Avec respect pour l’opinion contraire, nous ne pouvons admettre l’interprétation suivant laquelle ces conditions ne renvoient qu’aux seules règles matérielles et procédurales contenues au chapitre de l’adoption. À notre avis, elles renvoient plutôt à l’ensemble des dispositions à travers lesquelles le législateur exprime son attachement à des valeurs qu’il croit justifiées par l’intérêt des enfants en général. En ce sens, on ne peut croire qu’un projet d’adoption qui repose sur un montage que le droit ne reconnaît pas pour les raisons susmentionnées ne respecte pas les conditions de la loi et ne peut en conséquence être accueilli par le tribunal.

Je signale que l’extrait d’un texte de la Pre Giroux que cite ici le Pr Roy est tiré d’un article[50] antérieur à une contribution plus récente[51] dans laquelle la Pre Giroux ne juge pas que les considérations d’ordre public énumérées par le Pr Roy feraient obstacle à l’adoption de l’enfant né d’une mère porteuse.

[50]        Le point de vue du Pr Roy est partagé avec certaines précisions par l’auteur Michel Tétrault qui écrit, après avoir cité l’article 541 C.c.Q. [52]:

9.9 La mère porteuse On est à même de constater que dans l’état actuel de la législation, deux restrictions sont édictées quant à la procréation assistée : le contrat visant la procréation  et celui portant sur la gestation. On notera que le Code civil interdit l’utilisation du corps lorsqu’il s’agit d’une femme : une mère porteuse (art. 541 C.c.Q.); il est permis d’avoir recours à un géniteur masculin aux fins de procréer par le biais d’une relation sexuelle. L’adoption par consentement spécial de la mère porteuse et du parent biologique permettrait-elle de contourner cette difficulté et d’établir une filiation en faveur du conjoint du parent biologique en dépit de l’illégalité de la démarche (art. 541 C.c.Q.)? Nous ne le croyons pas si on retrouve dans la démarche une forme quelconque de compensation  ou d’entente préalable de la remise de l’enfant; on ne devrait pas pouvoir faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement. La littérature invoque le caractère souvent exploitant de ce type de contrat en établissant que la femme disposée à devenir mère porteuse est économiquement vulnérable au départ et qu’il y a disproportion des risques et des obligations  assumées par chacune des parties, sans parler de l’atteinte à la dignité de la femme en ce qu’on renforce une certaine perception à l’effet qu’elle n’est qu’une porteuse d’enfant.

[51]        En 2005, dans un essai de droit comparé abondamment documenté et issu de sa thèse de doctorat, la Pre Carmen Lavallée faisait preuve de prescience en circonscrivant le débat à venir dans les termes suivants[53] :

513.  Bien que les tribunaux québécois n’aient pas été saisis de la question, la loi prévoit que le contrat de maternité substituée est sans effet. En 1988, le Comité du Barreau sur les nouvelles technologies de reproduction avait étudié la question de la légitimité des conventions de maternité substituée. Dans un premier temps, le Comité se prononçait en faveur d’une condamnation de ce type de contrat à la fois d’un point de vue éthique et juridique. Le Comité recommandait que la loi prohibe tout effet au contrat considéré comme contraire à l’ordre public, ce qui est désormais reconnu par l’article 541 du Code civil. Les membres du Comité allaient plus loin en proposant qu’aucun droit préférentiel d’adoption ne soit accordé à la conjointe du père biologique quant à l’adoption de l’enfant, et cela, afin de décourager les couples infertiles d’avoir recours aux services d’une mère porteuse. Le législateur québécois n’a pas cru bon de retenir cette suggestion. Cela ne signifie pas que l’adoption doit être prononcée pour cette raison, car l’adoption est à la fois une question d’opportunité et de légalité, elle ne peut être prononcée qu’aux conditions prévues par la loi et dans l’intérêt de l’enfant. C’est sur ce terrain de l’intérêt de l’enfant que se placeraient les tribunaux québécois. Certains croient que l’adoption doit être prononcée parce que l’intérêt de l’enfant le commande, distinguant l’intérêt de l’enfant a priori - c’est-à-dire avant sa conception et sa naissance - qui nécessite la condamnation de la maternité de substitution et l’intérêt de l’enfant a posteriori - une fois l’enfant né - qui suppose le prononcé de l’adoption lorsque les autres conditions de la loi sont rencontrées. L’adoption a priori est en fait l’intérêt abstrait de l’enfant qui justifie l’interdiction de la maternité de substitution. L’intérêt a posteriori ne peut être que l’intérêt concret de l’enfant. Il est toutefois nécessaire de rappeler que l’intérêt concret constitue un élément d’interprétation et qu’il ne peut, à ce titre, contredire une règle de droit.

Et de fait, l’essentiel du débat qu’illustre la jurisprudence actuelle gravite autour des considérations identifiées ici par la Pre Lavallée.

[52]        D’autre part, certains auteurs apportent un soutien, parfois réservé, à la solution préconisée dans Adoption — 09185. C’est une solution de ce genre qu’anticipaient les Prs Jean Pineau et Marie Pratte (cette dernière aujourd’hui juge à la Cour du Québec) dans leur traité[54]. Ils écrivaient :

Le contrat par lequel une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est donc nul de nullité absolue; si une partie refuse de l’exécuter volontairement, aucun tribunal ne pourra en forcer l’exécution. Cependant, comme cette convention n’est pas interdite par la Loi sur la procréation assistée, et même si elle est sanctionnée de nullité absolue par le Code civil du Québec, certains prendront probablement le risque de recourir aux services d’une mère porteuse. Se posera alors la question de la détermination de la filiation des enfants qui naîtront à la suite d’un tel arrangement, question à laquelle les principes généraux de la filiation par le sang fourniront une réponse.

L’enfant aura comme mère la femme qui a accouché et qui, selon le cas, pourra être à la fois génitrice et gestatrice ou simplement gestatrice. Selon les circonstances de l’espèce, le père sera l’homme désigné par l’acte de naissance, la possession d’état ou la présomption de paternité. Ce pourra donc être le conjoint de la mère porteuse ou, si le contrat a été volontairement exécuté, le géniteur qui a contracté avec celle-ci et à qui l’enfant peut être remis. Dans cette hypothèse, si ce géniteur vit en couple, il faudra se demander s’il est possible que le ou la conjointe de ce père devienne légalement le deuxième parent de l’enfant. Certes, l’enfant ayant déjà une mère qui, avons-nous dit, est la mère porteuse, il faudrait donc que celle-ci consente à l’adoption de son enfant par celui ou celle qui veut prendre sa place. L’adoption est en effet le seul moyen de permettre au conjoint du père d’accéder au rang de parent; peut-on l’utiliser?

La jurisprudence française l’a interdit en adoptant la solution qu’impose la logique juridique : le droit ne doit pas permettre la réalisation d’un contrat contraire à l’ordre public. Mais la pure logique juridique doit-elle à elle seule dicter la réponse à cette question? Un enfant est né; un couple a voulu sa naissance et est à l’origine de sa conception; sa mère biologique, par ailleurs, l’a mis au monde dans le but de l’abandonner. Quel objectif doit-on poursuivre? Protéger l’intérêt de l’enfant en cause en permettant la consécration juridique d’un lien affectif? Ou imposer à cet enfant, au nom du respect de l’ordre public et de la logique juridique, une vie écartelée entre son véritable père, une mère qui le rejette, et une autre personne qui agit comme deuxième parent sans en avoir le statut? Ne doit-on pas, dans cette situation, préférer la protection de l’intérêt immédiat de l’enfant plutôt que le respect de l’intérêt général? Il faut, selon nous, tolérer le recours à l’adoption en faveur de la conjointe du père, dans la mesure où, évidemment, la mère porteuse y aura consenti. Pourra-t-elle donner un consentement spécial? L’article 555 C.c.Q. ne prévoit évidemment pas spécifiquement cette hypothèse et il n’a certainement pas été rédigé pour régler cette situation. Il permet néanmoins un consentement spécial en faveur du conjoint du père ou de la mère de l’enfant; si donc la paternité est établie en faveur de l’homme qui espérait recueillir cet enfant, la mère porteuse pourrait, selon la lettre de la loi, donner un consentement spécial en faveur du conjoint ou de la conjointe du père. Il faut, nous semble-t-il, et cela dans l’intérêt de l’enfant, privilégier cette interprétation, même si, pourtant, cette possibilité favorise le détournement de la loi. Le législateur aurait pu éviter cette perversion de la loi en décidant - au point où il en était - d’abroger l’article 541 C.c.Q. : fût-ce de la timidité (à laquelle nous ne sommes plus habitués)?... ou une absence de cohérence?

[53]        Récemment, dans des textes d’excellente tenue, plusieurs autres auteurs se sont prononcés dans le même sens que les Prs Pineau et Pratte, après avoir effectué une étude systématique de la jurisprudence examinée plus haut.  C’est notamment le cas de la Pre Giroux dans un article auquel j’ai déjà fait référence[55], de même que de la Pre Bureau et de sa coauteure Édith Guilhermont[56]. Un texte plus récent encore, du Pr Benoît Moore, revient sur la question en concentrant l’analyse sur l’article 541 C.c.Q. et son impact sur les cas d’adoption à la suite d’une maternité de substitution[57]. Selon cet auteur, la nullité prévue par cet article demeure nécessaire pour neutraliser les effets potentiels (et, je préciserais, indésirables) des contrats de gestation ou de procréation. Elle est cependant insuffisante pour « porter quelque effet que ce soit sur les tiers, notamment la filiation de l’enfant, objet du contrat [58]».

[54]        Voici certaines des explications que fournit cet auteur[59] :

… la nullité des contrats de maternité de substitution doit être maintenue. Cette nullité a pour effet d’anéantir toute force obligatoire au contrat. En cela, il laisse planer des incertitudes importantes quant à l’efficacité de l’entente, dissuadant ainsi les parties. La mère porteuse, par l’accouchement, demeure la mère de l’enfant. Elle peut ainsi refuser d’exécuter son contrat et conserver l’enfant, sans s’ouvrir à des sanctions. À l’inverse, les parents d’intention, à tout le moins la mère d’intention, ne peuvent jamais être tenus de respecter leur engagement et de reconnaître l’enfant ou de consentir à son adoption. La nullité joue ainsi un rôle prophylactique, non seulement en refusant de cautionner mais, plus encore, en décourageant un phénomène que l’on souhaite canaliser, dans ce qu’on a pu appeler, l’intérêt a priori de l’enfant.

Mais là doit s’arrêter l’effet de la disposition et plusieurs arguments de logique juridique et de politique judiciaire militent dans ce sens selon le PMoore[60] :

En dernière analyse, l’adoption de l’enfant par le parent d’intention me semble être la solution la moins insatisfaisante. S’il est vrai que le droit ne peut admettre « la dictature des faits », il doit bien cibler l’objectif qu’il recherche. Refuser l’adoption de l’enfant revient à faire peser sur l’enfant le comportement des parents. Si détournement de l’adoption il y a, c’est le fait des parents et non celui des enfants. La sanction doit se limiter à eux et c’est pourquoi, l’intérêt de l’enfant exige que l’adoption soit dissociée de la nullité du contrat.

            Mais non seulement cette dissociation est-elle conforme à l’intérêt de l’enfant, argument pragmatique de politique judiciaire, mais elle est aussi conforme à la logique juridique. L’effet de la nullité d’un contrat est la neutralisation de l’exécution de celui-ci, l’anéantissement de sa force obligatoire. En ce sens, la nullité du contrat opère ici normalement : les parents d’intention ne peuvent demander la sanction du défaut de la mère porteuse de remettre l’enfant ou l’exécution de toute autre obligation contractuelle pas plus que la mère porteuse ne peut imposer aux parents d’intention d’assumer un lien filial. Le droit n’entérine donc pas la détermination à l’avance de la filiation de l’enfant, objet de l’interdiction du contrat. Autre chose est la question de l’adoption de l’enfant lors de la naissance. Sur celle-ci seules les règles de filiation doivent intervenir de la même façon qu’elles l’auraient fait en l’absence d’un tel contrat. C’est pourquoi, malgré l’existence d’un tel contrat, il est généralement admis que le père d’intention, lorsqu’il est le père biologique, peut en application des règles classiques de la filiation établir son lien paternel. Une telle acceptation procède de la dissociation entre le contrat et la filiation. Refuser la paternité serait lier les deux et faire porter effet à la nullité sur le droit de la filiation. Le droit refuse cette association pour la paternité, il devrait en être de même pour la maternité lorsque l’on recourt à l’adoption.

… la jurisprudence accepte, sans doute aucun, le consentement à l’adoption d’une mère en faveur de la conjointe du père biologique afin que celle-ci adopte l’enfant né d’une relation adultère. La refuser dans un cas similaire, uniquement parce que la naissance intervient dans le cadre d’un contrat de maternité de substitution revient à traiter différemment la filiation adoptive de l’enfant en raison du contexte de sa naissance. C’est le retour de l’enfant naturel. Celui de l’adultère est licéisé; celui de la mère porteuse honni.

Enfin, et ultimement, le refus de l’adoption de l’enfant, à terme, demeure impuissant à gérer la situation de celui-ci. Ainsi qu’advient-il de l’enfant lors du refus de l’adoption? Dans un premier scénario celui-ci n’est pas remis aux parents d’intention et la mère porteuse le remet pour adoption. Dans un tel cas, la logique selon laquelle les parents d’intention ne peuvent adopter l’enfant, fera en sorte que celui-ci pourra être adopté par quiconque, sauf les parents d’intention. Ou encore, plus généralement, l’enfant sera remis à son père biologique. Après un certain temps suivant l’abandon de la mère porteuse, il sera possible de demander la déchéance de l’autorité parentale de cette dernière. Dans un tel cas, l’enfant sera admissible à l’adoption. Le parent d’intention, conjoint du père biologique avec qui l’enfant a toujours vécu et avec lequel une relation de parenté sociale s’est développée pourra-t-il alors obtenir l’adoption de l’enfant? L’accepter serait non seulement incohérent avec le refus initial mais marquerait également l’inefficience de celui-ci. À l’inverse, le refus participerait d’une forme d’acharnement en ce que la personne la mieux placée pour assurer l’intérêt supérieur de l’enfant serait aussi la seule à ne pouvoir l’adopter. L’argument n’est peut-être pas orthodoxe mais nous semble néanmoins déterminant. Laissons donc aux règles contractuelles leur rôle prophylactique et réaffirmons la nécessaire et complète étanchéité entre contrat et filiation, ce qui implique une révision d’ensemble des règles de la procréation assistée en droit québécois. La filiation n’est pas un objet contractualisable pas plus qu’elle n’est une sanction accessoire à la nullité de celui-ci. La solution n’est pas parfaite, mais elle est pragmatique et a l’avantage de rallier de manière optimale, l’intérêt général et l’intérêt particulier.

[55]        Ces citations, inhabituellement longues, font cependant ressortir l’importance des enjeux juridiques ou simplement humains que comporte le pourvoi, et combien la doctrine est partagée à ce sujet - comme l’est d’ailleurs la jurisprudence.

3) Synthèse et mise en application aux fins du pourvoi

[56]        La question qui est au cœur de ce pourvoi a suscité bien des controverses, et plus encore le phénomène relativement récent de la maternité de substitution sous ses divers aspects. L’abondante et très utile documentation locale et étrangère mise à la disposition de la Cour par l’amicus curiae démontre avec force détails ce qu’il en est. Bien entendu, il ne s’agit pas en l’occurrence de compter les avis exprimés, ici ou ailleurs, de part et d’autre de cette question, mais de soupeser le pour et le contre dans le cadre précis du droit positif actuellement en vigueur au Québec. C’est une question délicate, sur laquelle on peut honorablement diverger d’opinion, mais qu’il importe maintenant de trancher à la lumière de ce qui paraît avoir été l’intention législative sous-jacente à l’article 541 C.c.Q.

[57]        Le commentaire du ministre de la Justice issu des travaux d’adoption du Code civil du Québec ne nous éclaire pas sur le sujet. Tout au plus souligne-t-il que la disposition est de droit nouveau[61]. Elle l’est indéniablement et il en est ainsi parce que le phénomène de la maternité de substitution tel qu’il existe aujourd’hui était récent à l’époque de la codification. Aussi ne peut-on rattacher l’article 541 C.c.Q. à une longue tradition interprétative au cours de laquelle les notions en cause auraient pu se charger d’un sens qui au fil du temps aurait arrêté leur portée normative. La question, pourtant, paraît nette : en bref, parlant ici de la nullité de certaines conventions, voulait-on vraiment par cet article 541 C.c.Q. empêcher l’adoption d’un enfant issu d’une entente nulle de nullité absolue aux termes du même texte? La réponse appelle des nuances. 

[58]        Un premier élément qui, à mon avis, est lourd de sens, a déjà été évoqué par la Pre Lavallée dans l’extrait précité au paragraphe [51]. La possibilité de lier nullité contractuelle et filiation avait été explicitement recommandée en 1988 dans le rapport du Comité du Barreau du Québec sur les nouvelles technologies de reproduction[62]. Les membres de ce Comité avaient estimé à la majorité « que la maternité de substitution doit être résolument condamnée éthiquement et juridiquement dans tous les cas »[63]. Aussi, une solution législative simple et claire s’imposait. Par sa vingt-et-unième recommandation, le Comité proposait :

Qu'aucun droit préférentiel à l'adoption ne soit accordé au conjoint du père biologique lorsque l'enfant est né à la suite d'une convention de mère porteuse et qu'à cette fin, l'article 607 C.c.Q. soit modifié afin de permettre le consentement spécial en faveur du conjoint du père ou de la mère de l'enfant et de l'interdire lorsque celui-ci est né d'une mère porteuse.

Or, l’article 607 de l’époque[64], qui correspond à l’actuel article 555 C.c.Q., n’a jamais été modifié dans le sens que proposait ce Comité. Bien que certains propos du ministre de la Justice tenus en commission parlementaire lors des travaux préparatoires puissent sembler ambigus[65], la possibilité (assez singulière il est vrai) d’une adoption en ligne collatérale est mentionnée plus loin au cours du même débat[66] et on ne peut tirer de cette source aucune indication claire quant à l’impact que l’article 541 C.c.Q. devrait avoir, ou ne pas avoir, sur une éventuelle filiation par adoption. Il me paraît donc approprié de considérer ici que le silence du législateur, qui se prolonge, était délibéré et qu’il est de plus en plus significatif.

[59]        L’hostilité envers la maternité de substitution que manifesta en 1988 le Comité du Barreau du Québec me semble avoir eu pour cause (ou pour cause à tout le moins partielle) le caractère relativement récent, et profondément perturbateur, des méthodes utilisées pour la rendre possible. On peut comprendre cette réaction, et le rapport énumère plusieurs raisons qui, à l’époque, pouvaient sembler tout à fait légitimes pour justifier cette méfiance : l’atteinte à la dignité de l’enfant devenu marchandise, l’asservissement possible de la femme utilisée comme mère porteuse, les impacts psychologiques ultérieurs et dommageables sur l’enfant et sur la mère porteuse, la dépersonnalisation de la maternité. Cela justifiait d’importantes réserves. Mais les risques annoncés ne se matérialisent pas toujours et les perceptions changent en conséquence. J’en veux pour indice, parmi d’autres, l’évolution de la jurisprudence en Cour du Québec. Elle correspond à une adaptation qu’on observe aussi ailleurs. Dans un avis de 2009 remis au ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, un comité de travail de la Commission de l’éthique, de la science et de la technologie dressait le constat suivant sur le contrat de mère porteuse[67] :

… ce contrat, bien qu’illicite, et par conséquent non exécutoire pour le droit civil, n’est pas pour autant nécessairement illégal, c’est-à-dire sanctionné par une peine d’amende ou d’emprisonnement. En effet, la Loi canadienne sur la procréation assistée, qui criminalise certaines pratiques, n’interdit pas comme telle la maternité de substitution; elle en défend seulement la rétribution et celle des personnes qui serviraient d’intermédiaires ou qui feraient de la publicité en vue d’obtenir les services d’une mère porteuse. Par contre, la loi interdit aux membres du corps médical d’aider une personne de sexe féminin à devenir mère porteuse s’ils savent ou s’ils ont des raisons de croire qu’elle a moins de 18 ans. La pratique, « bien que présentée a contrario est donc encadrée » et, dans une certaine mesure, légitimée par la loi fédérale. Il existerait donc, a priori, une dichotomie entre le droit criminel et le droit civil, qui n’a pas été sans engendrer une certaine confusion entre ce qui est nul et ce qui est illégal, chez les cliniciens qui pratiquent dans ce domaine.

Cette situation n’est cependant pas unique. En effet, dans la plupart des pays où, à l’exemple du Canada, la gestation pour autrui à caractère altruiste n’est pas prohibée par la loi, la convention qui lui sert de support n’est pas exécutoire en tant que telle : « la mère de substitution est toujours la mère légale et ce n’est qu’ensuite, avec son accord, que la filiation peut être modifiée ». C’est le cas, en particulier, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, pays dans lesquels le transfert des droits parentaux est régi par la loi et non pas sur la base du contrat. Au Canada, sur la scène provinciale, c’est également le cas de l’Alberta.

Étant nul de nullité absolue, le contrat de mère porteuse contrevient à une règle que le législateur a située dans le champ de l’ordre public de direction. Les conséquences d’un tel choix sont graves et le contrat ne peut en aucun cas avoir d’effet obligatoire. Mais cela ne signifie pas qu’ipso facto, tous ses effets, même indirects, même sur des tiers, doivent être combattus à tout prix par le droit. L’enfant, ici, est un tiers, il est plus qu’un objet.

[60]        Je souligne également que les législatures de plusieurs provinces canadiennes ont adopté des lois afin d'encadrer le recours aux mères porteuses. Ainsi, dans certaines provinces, il est possible de soumettre au tribunal une déclaration de filiation, ce qui a comme conséquence la radiation du nom de la mère porteuse de l'acte de naissance initial. Dans certaines provinces, on exige qu'au moins un des parents d'intention soit un parent génétique de l'enfant[68], alors qu’ailleurs il faut que les deux parents d'intention soient les parents génétiques de l'enfant[69]. Parfois aussi, le lien génétique est inutile[70].

[61]        Je suis d’avis que l’analyse la plus juste et la plus mesurée des effets de l’article 541 C.c.Q. sur la filiation par adoption est celle que formulait le juge Tremblay dans le dossier Adoption — 09185[71]  il écrivait :

Ainsi l'entente verbale intervenue entre la requérante-adoptante (mère génétique) et le mis-en-cause (père génétique) d'une part, et la mise-en-cause (mère porteuse) d'autre part, est probablement nulle de nullité absolue en regard de l'article 541 du Code civil du Québec. Cela signifie que la requérante-adoptante A et le mis-en-cause B n'auraient pu par exemple obliger la mise-en-cause C à poursuivre sa grossesse si cette dernière avait décidé de l'interrompre. Cela signifie aussi qu'on ne pourrait invoquer l'entente de procréation et de gestation si, dans un autre exemple, la mise en cause C avait refusé de signer un consentement à l'adoption.  Voilà deux exemples qui ont été cités en commission parlementaire lors de l'étude de l'article 541. Mais ce n'est pas de ce genre de questions que j'ai à décider. Il faut décider du statut d'un enfant qui existe et qui a droit au respect intégral de ses droits, notamment ceux prévus aux articles 32, 33 et 34 du Code civil du Québec.  Le tribunal, voyant que l'intérêt d'un mineur était en jeu, aurait pu ajourner la présente instruction afin que l'enfant soit représenté (394.1 C.P.C.), ce qui n'a pas été nécessaire, le présent tribunal siégeant en matière d'adoption étant investi d'office du pouvoir de sauvegarder l'intérêt d'un mineur, tels que le stipulent les articles précités 543, 32, 33 et 34 du C.C.Q. mais aussi implicitement les articles 36.1, 46 et 394.1 du Code de procédure civile du Québec. Il s'agit donc de rendre une décision du point de vue de l'enfant et non du point de vue des personnes qui ont fait, répétons-le, en toute bonne foi et par pur altruisme en ce qui concerne la mise-en-cause, une entente de procréation assistée. 

Cette analyse me semble en parfait accord avec celle de plusieurs auteurs que j’ai cités ou mentionnés plus haut. À mon sens, tel doit être aujourd’hui le régime auquel obéit la demande de placement en vue de l’adoption à la suite d’une maternité de substitution.

[62]        Mais, pourrait-on objecter, la requérante-adoptante dans le dossier Adoption — 09185 était la mère génétique ou génitrice de l’enfant, ce qui n’est pas le cas ici. Cela justifie-t-il que l’on introduise une nouvelle distinction? Je ne le crois pas.

[63]        J’ai déjà signalé qu’entre le sens que lui attribue une certaine jurisprudence[72] et celui que lui prête un auteur de doctrine[73], le jugement dans l’affaire Adoption — 091[74] ne fait pas l’objet d’une interprétation unanime. C’est, je crois, la Pre Giroux qui a pointé du doigt une raison vraisemblable de cette divergence. Dans son article de 2011, elle observait dans une note de bas de page[75] :

Il convient d’ajouter une brève remarque à propos de la décision rendue par le juge Dubois. L’absence de lien maternel à l’acte de naissance nous semble, comme nous l’avons indiqué plus haut, une différence digne de mention. Comme le droit civil québécois ne reconnaît que l’adoption plénière, cette dernière mettant fin à la filiation d’origine (art. 577 C.c.Q.), prononcer l’adoption dans ce contexte empêche techniquement l’enfant de rechercher ses origines. Le jugement Dubois a pour effet de ne pas priver l’enfant de ce droit. Le juge aurait-il été plus enclin à prononcer l’adoption si la mère porteuse avait déclaré sa maternité à l’égard de l’enfant? Difficile à dire, car il insiste surtout sur l’illicéité de la convention pour justifier sa décision et sur ce point, nous différons d’opinion. Il reste que dans les autres décisions où la mère porteuse a déclaré sa maternité, l’adoption a par la suite été prononcée. Cela incitera peut-être (du moins nous voulons bien le croire) les mères porteuses à déclarer leur maternité et à ne pas « frauder la loi ».

[64]        Avant d’aller plus loin, je rappelle que, dans le dossier du pourvoi, aucune fraude à la loi, réelle ou apparente, ne peut être reprochée à l’appelante. C est la mère déclarée de l’enfant X (et celle qui, en l’occurrence, serait visée par l’adage mater est quam gestatio demonstrat); l’on peut supposer que la nature des relations entre toutes les parties, y compris les relations avec la donneuse d’ovule, ne feraient jamais écran à la recherche par l’enfant X de ses origines génétiques. Aussi suis-je d’avis que tout ici s’est effectué dans la transparence. Cela en soi permet de distinguer l’espèce en cours du dossier Adoption — 091.

[65]        Il est très possible que la remarque de la Pre Giroux explique l’issue du litige dans l’affaire Adoption — 091, mais je ne vois pas en quoi transposer cette solution et priver l’enfant d’une mère adoptive qui n’est pas sa génitrice remédie de quelque façon que ce soit à la difficulté pour lui de rechercher ses origines génétiques, dès lors qu’il est issu d’un ovule qui ne provient ni de la mère d’intention ni de la mère porteuse (celle qui en l’occurrence est identifiée à l'acte de naissance). Je ne sous-estime pas l’importance de la question. La médecine de nos jours met régulièrement en relief des situations où la faculté pour une personne de retracer ses origines génétiques peut lui permettre, parfois même de manière primordiale, d’exercer une meilleure maitrise sur ses conditions de vie[76]. Mais ces considérations n’ont pas d’application ici. Peut-être serait-il souhaitable que le législateur se prononce sur cette question précise. Les différentes hypothèses entre une adoption « ouverte » et une adoption « plénière » ouvrent la voie pour une réflexion plus approfondie en la matière[77]. Néanmoins, dans le cadre du litige en cours, rien de tout cela n’est directement pertinent à la recherche d’une solution.

[66]        J’en viens donc à la conclusion, pour les raisons qui précèdent, que faire droit à la requête pour ordonnance de placement en vue de l’adoption de l’enfant X est, selon l’expression fort juste du Pr Moore, la solution la moins insatisfaisante. C’est très certainement celle qui, conformément aux articles 33 et 543 C.c.Q., sert le mieux l’intérêt de l’enfant X. Celle-ci vit depuis sa naissance avec son père, son aîné de trois ans qui est le fils du même père, et l’appelante, conjointe de leur père. Cette cellule familiale, qui actuellement comprend son demi-frère Y et l’appelante, est la seule qu’elle connaît. C, dont le nom apparaît sur l'acte de naissance de l’enfant X, n’a jamais eu la moindre intention d’exercer une quelconque autorité parentale[78] sur cet enfant dont elle a été la gestatrice.

[67]        Si cette autorité parentale était exercée par B et C plutôt que par B et A, il en résulterait une situation tout à fait artificielle qui compliquerait sans raison mais de manière tangible diverses circonstances de la vie courante, allant du consentement aux soins au choix d’une école en passant par l’obtention d’un passeport ou la possibilité même de faire un voyage. Aussi est-il vraisemblable que, par la force des choses, B exercera seul l’autorité parentale. Mais d’autres difficultés surgiront, dont certaines risquent d’être graves. Qui composera la famille élargie de X, ses grands-parents, ses oncles, tantes et cousins? Qu’adviendra-t-il si l’appelante et son conjoint périssent dans un accident? S’ils venaient à se séparer, quel lien subsisterait entre X et l’appelante? X ne pourrait succéder à l’appelante si cette dernière venait à décéder ab intestat. Succèderait-elle à C si celle-ci décédait ab intestat? Au décès de B, c’est encore C qui serait la mère de l’enfant. On pourrait multiplier les hypothèses de ce genre dont toutes ou presque pointent dans la même direction.

[68]        Autoriser l'adoption est également la solution qui respecte le mieux le principe fondamental énoncé à l'article 522 C.c.Q., qui veut que tous les enfants dont la filiation est établie aient les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance.

[69]        Le projet parental de l’appelante et de son conjoint comportait de sérieux risques juridiques, amplement mis en lumière dans les sources que j’ai citées plus haut. Par ailleurs, même si dans la jurisprudence actuelle et publiée l’on ne trouve aucun exemple de poursuite criminelle ou pénale en vertu de la LPA, cette loi est bel et bien en vigueur et elle prévoit de graves sanctions dans les cas de maternité de substitution rétribuée. Il est essentiel qu’avant de s’engager sur la même voie que l’appelante et son conjoint, les parties à un tel projet soient pleinement informées des aléas qu’il recèle ainsi que de la nécessité de se conformer aux dispositions de la LPA et de la LPJ. Il m’apparaît nécessaire de le rappeler car le dossier du pourvoi, tel qu’il est constitué, laisse planer certains doutes quant à la teneur et la suffisance de l’information mise à la disposition des intéressés par les médecins ou éthiciens qu’ils ont consultés. Cela dit, en l'espèce, il importe peu que la mère porteuse ait ou n'ait pas été rémunérée[79]. Dans le contexte d'une requête pour une ordonnance de placement en vue de l'adoption, c'est l'intérêt de l'enfant qui prévaut et non les circonstances de sa naissance. Il revient aux autorités compétentes de voir à la sanction des actes illégaux selon la LPA, ce n’est pas au tribunal saisi de la requête pour l'ordonnance de placement de l'enfant qu’incombe cette responsabilité.

[70]        Dans l’état actuel du droit positif, je ne crois pas qu’il existe un « droit à l’enfant ». L’expression, en effet, est dépourvue de connotation juridique, comme le soulignait le juge Dubois dans l’affaire Adoption — 091[80]. Cette idée a-t-elle un sens selon l’une ou l’autre des différentes écoles de droit naturel, a-t-elle un lien quelconque avec le droit à l’égalité consacré par les chartes de droits fondamentaux? J’en doute fort, mais je l’ignore. Ce qui est certain, cependant, c’est que le droit positif n’a pas réponse à tout et qu’il lui faut sans cesse s’ajuster en tablant sur les transformations de la société et les avancées du savoir scientifique. Au moyen de la procréation assistée et de la maternité de substitution, la volonté naturelle, bien humaine et largement partagée par des gens de conditions médicales ou d’orientations sexuelles diverses, de procréer ou de devenir le parent d’un enfant, peut aujourd’hui s’accomplir là où autrefois elle faisait face à des obstacles de droit ou de fait insurmontables. La notion d’ordre public a certes un champ d’application nécessaire dans ce domaine : ainsi, la marchandisation[81] ou chosification de la personne humaine est une tendance à laquelle le droit doit résister. Mais invoquer cette notion d’ordre public venue du droit des obligations dans le contexte précis d’un dossier comme celui-ci lui prête une portée qu’elle n’a pas - elle n’a pas ce caractère souverain et péremptoire[82]. Et elle ne peut servir à contrecarrer la volonté de parents adoptifs qui, avec transparence et dans le respect des lois sur l’adoption, ont voulu avoir recours aux ressources de la science médicale pour que soit procréé un enfant, leur enfant, et qu’il lui soit donné une famille. À mon sens, voilà aujourd’hui l’état des choses et du droit.

*   *   *   *   *

[71]        Pour ces motifs, je ferais droit à l’appel et j’accueillerais selon ses conclusions la requête de l’appelante pour une ordonnance de placement en vue de l’adoption de l’enfant X, le tout sans frais.

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 



[1]     Adoption — 12464, 2012 QCCQ 20039.

[2]     L’expression semble consacrée : voir la Loi sur la procréation assistée citée plus bas.

[3]     Le jugement qui prononce l’adoption, très succinct et inédit (daté du 16 juin 2009 dans le dossier 525 - 43-005801-093 de la Chambre de la jeunesse), énonce notamment : « Considérant l’intérêt de l’enfant et la preuve faite par la requérante de l’accomplissement des conditions et formalités établies par la loi… ».

[4]     Adoption — 091, 2009 QCCQ 628.

[5]     Au paragraphe 59 de ses motifs, le juge Dubois écrit : « La preuve montre que ce consentement (pièce R-2) fait partie d'un tout. Il n'est que la suite logique et prévue de ce même projet parental soigneusement planifié bref, une manière détournée de donner effet à cette entente contractuelle « en faisant produire des conséquences juridiques à ce qui est prohibé par la loi ». Les caractères gras sont tirés de l’original.

[6]     RLRQ, c. P-34.1.

[7]     L.C. 2004, c. 2.

[8]     [2010] 3 R.C.S. 457.

[9]     Et rien au dossier ne laisse supposer qu’il y a eu ici une dérogation à la règle posée par le premier alinéa de l’article 25 C.c.Q.

[10]    Supra, paragr. [23].

[11]    Adoption — 091, supra, note 4 et Adoption — 09367, 2008 QCCQ 16815.

[12]    Ev.S. c. St.K., J.E. 2005-84 (C.A.).

[13]    Deux d’entre elles, celles répertoriées infra à la note 32, sont en tous points identiques et portent sur deux enfants jumeaux.

[14]    2007 QCCQ 21504.

[15]    Plus précisément, la conjointe du frère de l’épouse adoptive.

[16]    Carmen LAVALLÉE, L'enfant, ses familles et les institutions de l'adoption, Regards sur le droit français et le droit québécois, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2005, pages 401 à 414.

[17]    Supra, note 4.

[18]    L’attestation de naissance remplie par le médecin accoucheur identifiait cependant la mère porteuse comme mère biologique de l’enfant.

[19]    Ibid., paragr. 14 et 15.

[20]    Ibid., paragr. 19.

[21]    Ibid,, paragr. [47]. La citation est tirée d’un texte de Me Sonia Le BRIS, « Procréation médicalement assistée et parentalité à l'aube du XXIe siècle » (1994), 1 Cours de perfectionnement du notariat 133, p. 158.

[22]    Ibid., paragr. [5].

[23]    Dont Adoption — 09185, infra, note 24, au paragr. [17], Adoption — 09558, infra, note 27, au paragr. [12], et le jugement inédit commenté ci-dessous aux paragraphes [42] et [43]. 

[24]    Le jugement du 29 juin 2009, Adoption — 09184, 2009 QCCQ 9058, comportait deux erreurs typographiques corrigées dans le jugement du 9 juillet 2009, Adoption — 09185, 2009 QCCQ 8703.

[25]    Le juge note qu’en raison de ces tentatives, la requérante « frôle la mort » en deux occasions, ibid., paragr. [4]; ce fut aussi le cas, en une occasion, de l’appelante dans le dossier du pourvoi en cours.

[26]    Ibid., paragr. [6].

[27]    2009 QCCQ 20292.

[28]    Dossier 525-43-005788-092 de la Chambre de la jeunesse. Un long extrait de ce jugement est cependant reproduit dans les deux jugements auxquels il est fait référence à la note 32 ci-dessous.

[29]    Identifiés comme « aide domestique, médicaments, vêtements et déneigement ». La juge écarte cette preuve aux paragraphes [30] et [31] de ses motifs. Notant une contradiction entre les dépositions de B et C sur un point autre que celui-ci, elle écrit qu’elle leur aurait prêté plus de crédibilité si la requérante avait présenté une preuve documentaire au sujet des sommes versées. Elle ajoute « Ce ne fut pas le cas et pour ces motifs, le tribunal considère que des sommes ont été versées en vue de louer l’utérus de madame [C] qui est devenue la mère de l’enfant au certificat de naissance. » On peut penser que l’expression « louer l’utérus » n’est pas des plus heureuses.

[30]    Dans le cas du juge Dubois, elle cite le jugement Adoption — 091, supra, note 4, mais ne mentionne pas le jugement Adoption — 07219, supra, note 14.

[31]    Alain Roy, Le droit de l’adoption au Québec, Montréal : Wilson & Lafleur, 2006. Il existe une seconde édition de cet ouvrage, Droit de l’adoption : adoption interne et internationale, Montréal : Wilson & Lafleur, 2010.

[32]    Adoption — 10329, 2010 QCCQ 18645 et Adoption —10330, 2010 QCCQ 17819.

[33]    2010 QCCQ 19971

[34]    Ibid., paragr. [9].

[35]    Ibid., paragr. [17].

[36]    Supra, note 24.

[37]    Supra, note 14.

[38]    2013 QCCQ 4585.

[39]    « Le recours controversé à l’adoption pour établir la filiation de l’enfant né d’une mère porteuse : entre ordre public contractuel et intérêt de l’enfant » (2011), 70 Revue du Barreau 509.

[40]    Les Prs Pineau et Pratte préfèrent le terme « arrangement », infra, paragr. [52].

[41]    Supra, note 4.

[42]    Supra, note 4.

[43]    Supra, note 24.

[44]    Supra, note 31.

[45]    Supra, note 31, p. 64.

[46]    Supra, note 14.

[47]    Supra, note 24.

[48]    Supra, note 27.

[49]    Supra, note 31, p. 66-67 (les caractères gras et les italiques et proviennent de l’original, notes de bas de page omises).

[50]    « L’encadrement de la maternité de substitution au Québec et la protection de l’intérêt de l’enfant » (1997), 28 Revue Générale de Droit 535.

[51]    Supra, note 39.

[52]    Droit de la famille, 3e éd., Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2005, p. 1174 (notes de bas de page omises). La distinction entre intérêt a priori et intérêt a posteriori de l’enfant est empruntée à la Pre Giroux dans le texte précité, supra, note 50, p. 542.

[53]    L’enfant, ses familles et les institutions d’adoption - Regards sur le droit français et le droit québécois, Montréal : Wilson & Lafleur, 2005, p. 411.

[54]    La famille, Montréal : Les Éditions Thémis, 2006 (les soulignements proviennent de l’original, notes de bas de page omise).

[55]    Supra, note 39.

[56]    « Maternité, gestation et liberté : réflexions sur la prohibition de la gestation pour autrui en droit québécois » (2010-2011), 4 McGill Journal of Law and Health 43.

[57]  « Maternité de substitution et filiation en droit québécois » dans l’ouvrage collectif Liber Amicorum - Mélanges en l’honneur de Camille Jauffret-Spinosi, Paris,  Dalloz, 2013, p. 859.

[58]    Ibid., p. 862.

[59]    Ibid., p. 866 (notes de bas de page omises).

[60]    Ibid., p. 873 (les italiques proviennent de l’original; notes de bas de page omises).

[61]    Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la justice : le Code civil du Québec, Tome 1, Québec : Publications du Québec, 1993, p. 327.

[62]    Les enjeux éthiques et juridiques des nouvelles technologies de reproduction, Barreau du Québec, avril 1988. Le Comité, présidé par Me Jean-Louis Baudouin, à l’époque professeur à l’Université de Montréal, était composé des Pres Édith Deleury, Bartha M. Knoppers, Suzanne Nootens et Marie Pratte; Me Suzanne Vadboncoeur en était la secrétaire. Mmes Pratte et Vadboncoeur sont aujourd’hui juges à la Cour du Québec.

[63]    Ibid., p. 33.

[64]    L’article énonçait : « Le consentement à l'adoption peut être général ou spécial; s'il est spécial, il ne peut être donné qu'en faveur d'un ascendant de l'enfant, d'un parent en ligne collatérale jusqu'au troisième degré ou du conjoint de cet ascendant ou parent. » « Conjoint » ne s’appliquait pas comme aujourd’hui aux conjoints de même sexe et les conjoints de fait, considérés comme « concubins » (voir Droit de la famille — 372, [1987] R.D.F. 197 (C.S.)), n’étaient pas visés par la disposition. Comme on le voit, il suffit d’une ou deux générations pour que les mentalités évoluent.

[65]    Journal des débats 1991, Volume 31, no 7, 5 septembre 1991, p. 268 « Mme Harel : Là, la sanction, c’est que, si le contrat a été à titre onéreux, c’est annulé. M. Rémillard : Ça c’est nul comme aussi toutes les questions de filiation, toutes les questions se rapportant à la filiation, puis des dommages qui pourraient en résulter, les pensions alimentaires, etc. Toute la ligne juridique, si vous voulez, qui découle d’une filiation est rompue. »

[66]    Ibid., p. 269.

[67]    Avis de la Commission de l’éthique, de la science et de la technologie, Éthique et procréation assistée : des orientations pour le don de gamètes et d’embryons, la gestation pour autrui et le diagnostic préimplantatoire, Québec : Gouvernement du Québec, 2009, p. 70-72.

[68]    C’est le cas en Alberta (Family Law Act, S.A. 2003, c. F-4.5) et en Nouvelle-Écosse (Birth Registration Regulations, N.S. Reg. 390/2007 et Vital Statistics Act, R.S.N.S. 1989, c. 494).

[69]    Cela semble être le cas au Manitoba (Family Maintenance Act, C.C.S.M., c. F-20).

[70]    C’est le cas en Colombie-Britannique (Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25) et en Ontario (Vital Statistics Act, R.S.O. 1990, c. V.4 et Children's Law Reform Act, R.S.O. 1990, c. C.12).

[71]    Supra, note 24, paragr. [22] (notes de bas de page omises).

[72]    Supra, notamment, aux paragr. [38], [40] et [43].

[73]    Supra, paragr. [49].

[74]    Supra, note 4.

[75]    Supra, note 39, p. 536, à la note de bas de page 90.

[76]    Je pense ici, par exemple, aux circonstances à l’origine de l’arrêt Watters c. White, 2012 QCCA 257.

[77]    Sur ces distinctions, on peut consulter le rapport du Groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption (sous la présidence de la Pre Carmen Lavallée), Pour une adoption québécoise à la mesure de chaque enfant, 30 mars 2007, en particulier les p. 33-39, 77-79 et l’annexe 4.

[78]    Ni a fortiori la tutelle légale visée par l’article 192 C.c.Q. Or, ni l’autorité parentale ni la tutelle légale ne sont affaire d’intention. Dans l’état actuel des choses, C n’aurait pas le choix, sauf si elle déléguait certains attributs de son statut de mère dans la mesure admise par la loi.

[79]    Je rappelle qu’en l’espèce elle ne l’a pas été, de sorte que la question est doublement sans objet.

 

[80]    Supra, note 4, paragr. [61] et suivants. Sur cette notion, voir aussi l’Avis de la Commission de l’éthique, de la science et de la technologie, supra, note 67, p. 6, 12 et 13.

 

[81]    Au sens de commodification en langue anglaise.

 

[82]    À ce sujet, il n’est pas sans intérêt de noter qu’à l’origine l’article 541 se trouvait dans la section III (« De la procréation médicalement assistée ») du Chapitre Premier (« De la filiation par le sang ») du Titre deuxième (« De la filiation ») du Livre deuxième (« De la famille ») du Code civil du Québec. L’article énonçait à l’époque : « Les conventions de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui sont nulles de nullité absolue. » Le législateur est intervenu en 2002 par la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6, pour apporter de substantielles modifications au Code, à la suite desquelles l’article 541 dans sa nouvelle version (« Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue. ») se retrouve au Chapitre Premier.1 (« De la filiation des enfants nés d’une procréation assistée ») du Titre deuxième (« De la filiation »). En somme, cette disposition n’a jamais fait partie du Chapitre deuxième (« De l’adoption ») du Titre deuxième du Livre deuxième du Code. Ces considérations de structure ont leur importance dans une codification du droit civil et il s’ensuit que l’article 541 ne constitue pas une quelconque « condition prévue par la loi » au sens de l’article 543. 

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