Décision

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Jolin c. B.L.

2023 QCTAL 36169

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Val-d'Or

 

No dossier :

717331 13 20230621 G

No demande :

3946997

 

 

Date :

17 novembre 2023

Devant le juge administratif :

Serge Adam

 

Jacques Jolin

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

B… L…

 

Locataire - Partie défenderesse

et

Curateur publique Qc/

Arthur Leclerc 5581012

 

Partie intéressée

 

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le 21 juin 2023, le locateur produit une demande de résiliation de bail avec sa locataire et d’éviction de tous les occupants du logement. Le locateur demande également l’exécution provisoire nonobstant appel et de statuer sur les frais.

[2]         Les parties sont liées par un bail renouvelé du 1er février 2023 au 29 février 2024 au loyer mensuel de 635 $, payable le 1er jour de chaque mois.

[3]         Le 30 octobre 2023, ce dossier fut réassigné au soussigné par le Président du Tribunal administratif du logement, en vertu de l'article 81 de sa Loi, la juge administrative ayant entendu l'entièreté de la preuve des parties ne pouvant rendre sa décision.

[4]         Sur la base de l'enregistrement sonore de l'audience tenue pour ce dossier devant ma collègue la juge Marie-Ève Marcil et, après analyse de l'entièreté de la preuve au dossier, le Tribunal rend sa décision.

Question en litige

[5]         Le comportement de la locataire est-il fautif et de nature à entraîner un préjudice sérieux à la locatrice?


Allégations et preuve du locateur

[6]         Au soutien de sa demande, le locateur allègue que la locataire n’use pas du logement en personne responsable, ce qui lui cause un préjudice sérieux. Il allègue aussi que la locataire se conduit de façon à ne pas assurer aux autres occupants de l’immeuble la jouissance paisible et normale des lieux loués.

[7]         Elle ferait ainsi défaut d’exécuter les obligations que la loi lui impose, obligations qu’elle a, de plus, assumées de plein gré à la signature du bail. Elle contreviendrait ainsi aux dispositions des articles 1855 et 1860 du Code civil du Québec qui stipulent :

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d’user du bien avec prudence et diligence. »

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

[8]         Plus amplement, le locateur allègue que la locataire a un comportement bruyant, agressif et totalement inapproprié.

[9]         Il précise avoir perdu de nombreux locataires dont certains n’ont pas demeuré plus de deux semaines tellement le comportement de la locataire nuisait considérablement à leur pleine jouissance.

[10]     Ce dernier a communiqué à de de multiples occasions, soit quatre ou cinq dans les 12 derniers mois au représentant de la Curatelle publique, car la locataire est sous curatelle aux biens et à la personne depuis plusieurs années.

[11]     Malgré le dépôt de la demande, laquelle est au surplus une mise en demeure expédiée tant à la locataire et à la Curatelle la situation s’est aggravée tellement le comportement de la locataire est inapproprié, bruyant, voire agressif.

[12]     Le locateur témoigne de plus du refus de la locataire de suivre des traitements, car cette dernière aurait besoin de services.

[13]     La locataire a importuné et elle importune toujours les occupants des autres logements de l’immeuble, alors que cette dernière intentionnellement fait du bruit à différentes heures de la journée.

[14]     De plus, Mme Liette Gosselin, voisine immédiate et en dessous du logement de la locataire, a corroboré la présence constante et dérangeante de bruit en provenance du logement de la locataire à différentes heures de la journée, en plus de se faire déranger par des coups sur son plancher en guise de représailles à différentes heures de la journée, notamment entre 5h00 et 7h00 le matin.

[15]     Mme Gosselin témoigne avoir été et est toujours harcelée par la locataire rendant son séjour dans son logement comme un cauchemar tellement la situation est difficile à vivre. Mme Gosselin a de plus témoigné de ne plus vouloir vivre dans ce logement tellement elle stressée, nerveuse si la situation ne se résorbe pas complètement.

DÉCISION

Comportement inapproprié

[16]     La preuve est-elle prépondérante à démontrer que le comportement de la locataire est fautif et de nature à entraîner un préjudice sérieux à la locatrice?

[17]     La demande de la locatrice est fondée sur l'article 1860 du Code civil du Québec précité.


[18]     De plus, l'article 1863 du Code civil du Québec prévoit que :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[19]     L'article 2803 du Code civil du Québec impose au demandeur le fardeau de preuve.

[20]     Les règles régissant le bon voisinage sont également pertinentes à la présente affaire. À cet égard, l’article 976 du Code civil du Québec précise ce qui suit :

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leur fonds, ou suivant les usages locaux. »

[21]     Aussi, cette disposition établit comme critère applicable le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Dans la décision Lacasse c. Picard[1], il fut décidé :

« Pour réussir en la présente cause, les locateurs doivent établir que les locataires ou une personne dont ils sont responsables ou à qui ils permettent l’accès au logement a eu, au cours d’une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit. »

[22]     Comme le souligne l’auteur Pierre-Gabriel Jobin, dans son traité portant sur le louage[2] :

« 98. Conditions. Deux conditions, à notre avis, s’attachent à la responsabilité pour troubles de voisinage entre locataires. D’abord, comme le suggère le texte même de l’article 1860, [L.Q. 1991, c. 64 article 1860 alinéa 1], le locataire voisin doit avoir subi des inconvénients anormaux. Qu’est-ce qu’un inconvénient normal? Cette première question nous amènera à préciser notamment si le trouble doit être persistant et si le locataire voisin doit avoir subi un préjudice sérieux. Deuxièmement, le comportement reproché au locataire doit être illégitime de sa part.

Relativement à la première condition, on relève parfois l’affirmation que le trouble causé au locataire voisin doit être “anormal”. Pour juste qu’elle soit, l’expression n’en demeure pas moins vague. Afin de mieux cerner le niveau d’exigence imposé au locataire, on peut maintenant se tourner vers le langage utilisé par le législateur lui-même pour définir l’abus de droit et surtout pour poser les critères des troubles de voisinage : “Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux”. Conciliation d’intérêts contraires, tolérance, situation des lieux et usage seront donc les guides du juge pour apprécier la conduite du locataire prétendument fautif. Ainsi, le niveau critique d’un trouble de voisinage peut varier sensiblement d’un contexte à un autre. On tiendra compte des mœurs, du niveau général de tolérance du milieu social ainsi que des caractéristiques inhérentes à l’usage pour lequel les lieux ont été loués (par exemple, une famille ayant des enfants fait plus de bruit qu’un couple sans enfant). [...]

 Par ailleurs, on notera que le trouble doit être persistant. Dans l’esprit des tribunaux, un fait isolé ne saurait constituer des inconvénients anormaux. [...]

La seconde condition pour que le trouble de voisinage entraîne la responsabilité du locataire est que celui-ci doit avoir agi de façon illégitime. »

[23]     Les témoignages précis, détaillés et très crédibles du locateur et de son témoin ont convaincu le Tribunal que la locataire est une source de tracasserie sérieuse tant pour le locateur que pour les autres locataires de l’immeuble, notamment ceux voisins de la locataire.

[24]     La preuve prépondérante permet aussi de conclure que la locataire n'a pas le comportement d’une personne prudente, diligente et respectueuse des droits d'autrui et qu’elle est intolérante envers ses voisins, quels qu'ils soient.


[25]     Il ne s'agit pas de faits isolés. Ce sont des comportements qui se répètent depuis plusieurs mois voire depuis quelques années au logement, soit et contre plusieurs personnes lesquelles ne demandent que de vivre en toute quiétude.

[26]     Certes, chacun des prétextes ou plaintes ou allégations pris en lui-même et isolés des autres ne justifie peut-être pas la résiliation du bail, mais la somme de ceux-ci causés par la locataire, son acharnement et l’accumulation des sources diverses et continuelles de conflit cause un préjudice sérieux évident à la locatrice et à ceux à qui elle autorise l’accès.

[27]     Ainsi, la preuve révèle que la locataire a eu une conduite ayant pu produire un effet dérangeant, par sa multitude d'interventions inutiles auprès d’eux, de bruits divers à toute heure de la journée, avec continuité dans le temps, et ce de manière susceptible de créer éventuellement une pression psychologique telle qu'elle puisse nuire aux droits de tous les autres occupants voisins de la locataire à jouir paisiblement des lieux loués.

[28]     Le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu, dans le présent litige, d'accepter la demande en résiliation du bail du locateur puisqu'il y a une preuve prépondérante et non contestée de comportement menaçant, agressif, grossier et inadéquat provenant de la locataire envers les autres occupants et du locateur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]     RÉSILIE le bail liant les parties, à partir du 1er janvier 2024 pour permettre à la locataire d’être relocalisée par les Services gouvernementaux;

[30]     ORDONNE à la locataire et à tous ses occupants de quitter le logement le ou avant le 1er janvier 2024;

[31]     CONDAMNE la locataire au locateur la somme de 107 $ représentant les frais judiciaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

Serge Adam

 

Présence(s) :

le locateur

Me Jackson Kazane, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

23 août 2023

 

 

 


 


[1] 2011 QCCQ 7733.

[2] R.L. Québec no. 18-890911-014G, j. a. Gérald Bernard.

 

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