Allard c. Leclerc | 2025 QCTAL 10223 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Shawinigan |
|
No dossier : | 843414 14 20250114 G | No demande : | 4584612 |
| |
Date : | 26 mars 2025 |
Devant la juge administrative : | Sophie Lafleur |
|
John Allard | |
Locateur - Partie demanderesse |
c. |
Nancy Leclerc | |
Locataire - Partie défenderesse |
|
D É C I S I O N
|
| | | | | | |
- Par une demande introduite le 14 janvier 2025, le locateur demande l’autorisation à reprendre le logement concerné à compter du 1er juillet 2025 afin de s’y loger.
CONTEXTE
- Les parties sont liées par un bail reconduit jusqu’au 30 juin 2025, au loyer mensuel de 580 $.
PREUVE
- Le 5 décembre 2024, le locateur a signifié à la locataire un avis de reprise de logement effective à l’expiration du bail, soit pour le 30 juin 2025.
- Le locateur témoigne que la locataire n’a pas répondu à l’avis de reprise de logement dans les 30 jours suivant sa réception.
- Il déclare être le seul propriétaire de l’immeuble où est situé le logement ciblé, ce qui n’est pas contesté par la locataire. Le logement est situé dans un immeuble comportant six logements de cinq pièces et demie, répartis sur trois étages. Celui ciblé est situé au troisième étage. Tous les locataires ont renouvelé leurs baux, faisant en sorte qu’aucun logement n’était disponible pour le 1er juillet 2025.
- Le locateur ajoute qu’il ne détient plus d’autre immeuble à revenus.
- Il témoigne qu’il souhaite reprendre le logement concerné puisqu’il est actuellement retraité, ce qui fait en sorte que ses revenus ont diminué. Actuellement, il loue un logement au loyer mensuel de 640 $ dans un autre secteur de la région.
- Il privilégie le logement concerné puisqu’il est situé au troisième et dernier étage et qu’il ne veut pas de locataire habitant au-dessus de chez lui. La locataire occupant l’autre logement situé au troisième étage est une dame âgée d’environ 90 ans et elle habite ce logement depuis environ 20 ans.
- La locataire a également témoigné.
- Elle conteste les intentions du locateur indiquées à sa demande de reprise.
- D’entrée de jeu, elle précise qu’il est inexact qu’elle n’a pas répondu à l’avis de reprise de logement. Elle exhibe devant le Tribunal une enveloppe qu’elle avait transmise au locateur, par courrier recommandé, et indique que ce dernier n’est pas allé quérir ladite enveloppe.
- Elle précise qu’elle habite son logement depuis le 1er juillet 2020. Elle témoigne qu’elle a refusé les avis d’augmentation de loyer du locateur puisque certains travaux qui auraient dus être effectués ne le furent pas.
- Elle ajoute que le 27 mars 2024, suivant son refus de consentir à l’augmentation de loyer, le locateur aurait fortement réagi, qu’elle a eu peur de ce dernier et qu’elle a contacté les services policiers pour porter plainte. Elle témoigne que le locateur lui aurait proféré d’autres menaces à une autre occasion.
- Elle ajoute que dans le passé, le locateur a déjà verbalisé son souhait de reprendre le logement pour le bénéfice de son fils. De plus, au cours de l’année 2023, le locateur a souhaité reprendre son logement, dit-elle, mais aucune procédure ne fut introduite devant le Tribunal à cet effet, la locataire ayant alors mentionné qu’elle refuserait la demande de reprise de logement.
- Elle doute donc des intentions du locateur, ce dernier lui ayant déjà offert de résilier le bail. Elle croit que la demande de reprise de logement est liée au fait que le locateur « ne lui aime pas la face » et qu’il veut utiliser le processus de reprise de logement afin d’en profiter pour hausser le coût du loyer. Elle dépose, sous la cote L-2, une vidéo captée au printemps 2023, démontrant une discussion houleuse avec le locateur, au cours de laquelle il lui offre de résilier son bail.
- Elle n’a pas fait préparer de soumission quant à ses frais de déménagement, advenant que la reprise de logement soit autorisée, et souhaite réserver ses recours à cet effet.
- En réplique, le locateur témoigne ne pas avoir récupéré la lettre de la locataire puisqu’il était à l’extérieur de la région à ce moment. Il ajoute n’avoir reçu l’appel d’aucun policier suivant la plainte dont a témoigné la locataire.
QUESTIONS EN LITIGE
- L’avis de reprise de logement est-il valide ?
- Le cas échéant, le locateur a-t-il démontré qu'il avait réellement l'intention de reprendre le logement concerné pour s'y loger et que la reprise du logement ne constitue pas un prétexte pour atteindre une autre fin ?
ANALYSE
- D’entrée de jeu, le Tribunal rappelle que celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal.
- Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
- Le plaideur doit donc démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n’est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
- Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].
- L’avis de reprise de logement est-il valide ?
- Les articles pertinents du Code civil du Québec sont notamment les articles 1957, 1960, 1961 et 1963 qui stipulent :
« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction. »
« 1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.
Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1. Dans le cas où un avis d’éviction vise un logement situé dans une résidence privée pour aînés ou dans un autre lieu d’hébergement où sont offerts à des aînés des services qui se rattachent à la personne même du locataire, il doit également reproduire le contenu des articles 1955.1 et 1959.2.
La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. »
- Dans la présente situation, le locateur a respecté le délai requis quant au délai à donner à la locataire lors de l’envoi de son avis de reprise de logement et pour introduire sa demande.
- De plus, son avis contient les exigences requises à la loi. Dans les circonstances, l’avis de reprise de logement est valide.
- Le cas échéant, le locateur a-t-il démontré qu'il avait réellement l'intention de reprendre le logement concerné pour s'y loger et que la reprise du logement ne constitue pas un prétexte pour atteindre une autre fin ?
- Le Tribunal comprend que des mésententes existent entre les parties, que la locataire a demandé que certains travaux soient exécutés et que le locateur n’a pas fourni de la peinture, tel qu’il s’y était engagé, mais la preuve ne démontre pas que cela est un plan du locateur pour en arriver à une reprise de logement.
- L'auteur Pierre-Gabriel Jobin traite de la question de l'intention du locateur qui désire reprendre le logement :
« [...] la bonne foi exigée par la loi doit être prouvée non seulement relativement à l'intention (du locateur) d'habiter (les lieux), mais aussi relativement aux intentions qui l'ont poussé et motivé à faire la demande de repossession. »[2]
- La Cour du Québec, dans l’affaire Germain c Lefebvre et al.[3], a qualifié la conduite que doit avoir le locateur dans le cadre d'une demande de reprise de logement :
« La bonne foi requise pour pouvoir reprendre possession d'un logement (1659.3) ne fait pas que s'opposer à la fraude et au dol. Elle implique une conduite soucieuse, consciencieuse et nullement répréhensible. Elle est en somme la traduction d'une bonne volonté. Il est aussi très significatif qu'aux termes de l'article 1659.8, le locataire peut recouvrer des dommages même s'il a consenti à la reprise de possession. »
- Le Tribunal fait siens les propos du juge administratif Luk Dufort qui résume la jurisprudence quant à la bonne foi lors de demande de reprise[4] :
« [37] Ainsi, le Tribunal doit vérifier si les motifs de la locatrice n'ont pas pour but de mettre fin au droit au maintien dans les lieux des locataires par un moyen détourné.
[38] Dans l'affaire Jovicic c. Avery[11], le Tribunal se prononce ainsi sur la notion de bonne foi en matière de reprise du logement :
« [10] (...) Le législateur a, en effet, choisi de préserver le droit au maintien dans les lieux du locataire et c'est pourquoi il impose l'obligation de démontrer qu'il y a absence de prétexte.
[11] Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant à ses intentions de se loger réellement dans le logement, mais aussi quant aux raisons qui l'amènent à requérir le logement. »
[39] L'intention du locateur devra donc être analysée en fonction de l'ensemble des faits. Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault[12], le Tribunal s'exprime en ces termes :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »
[40] Dans Leroux c. David[13], la juge administrative Francine Jodoin dit ceci quant au fardeau de preuve requis en matière de reprise de logement :
« [29] Il ressort de ces principes que le locateur assume le fardeau de démontrer, par prépondérance de preuve, qu'il rencontre les exigences prévues par la loi pour reprendre le logement concerné.
[30] Le législateur a choisi de préserver le droit au maintien dans les lieux du locataire et c'est pourquoi il impose l'obligation de démontrer l'intention réelle de reprendre le logement et l'absence de prétexte.
[31] Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant à ses intentions de se loger réellement dans le logement qu'aux raisons qui l'amènent à requérir le logement.
[32] En effet, l'intention de se loger dans le logement peut être bien réelle, mais s'il s'agit d'un subterfuge, un faux-fuyant ou une diversion pour obtenir le départ du locataire afin de satisfaire d'autres besoins, l'autorisation à la reprise ne peut être accordé.
[33] Le contexte dans lequel s'inscrit la reprise du logement, la disponibilité d'autres logements convenables[5], l'état des relations[6] ou les raisons qui amènent un locateur à vouloir reprendre le logement spécifiquement[7] peuvent aider le Tribunal à apprécier l'intention véritable du locateur et l'existence d'un prétexte, mais le Tribunal n'a pas à substituer ses propres choix au sien.
[34] Dans cette évaluation, les tribunaux ont tendance à analyser le besoin réel et sérieux de reprendre le logement.[8]
[35] Le locateur qui choisit d'exercer une procédure de reprise du logement ne peut se servir de ce droit dans le but d'évincer un locataire pour d'autres motifs (ex. rentabilisation de son investissement immobilier, manquements contractuels, loyer peu élevé, rénovations à entreprendre, etc). »
[41] En l'espèce, le Tribunal considère que la locatrice respecte les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait que celui-ci désire bien le logement concerné pour s'y loger. »
(Références omises)
- Dans la présente affaire, le témoignage du locateur est clair et crédible. Il a témoigné de son projet en lien avec la diminution de ses revenus dans le cadre de sa retraite et des motifs justifiant le choix du logement de la locataire.
- La preuve démontre que le locateur ne détient aucun autre logement vacant pour le 1er juillet prochain, tous ses locataires ayant renouvelé leurs baux.
- Le locateur a convaincu le Tribunal, de manière prépondérante, que son but premier est bien de reprendre le logement concerné pour son bénéfice et non d’en arriver à d’autres fins.
- Le Tribunal comprend que la locataire souhaite conserver son logement qui lui convient tout-à-fait et qu’un déménagement n’est pas ce qu’elle souhaite, d’autant plus, dans un contexte de pénurie de logements. Cependant, cela n’est pas un motif permettant au Tribunal de rejeter la demande du locateur.
- Dans les circonstances, la reprise du logement sera autorisée pour le 1er juillet 2025.
- Quant à l’indemnité que peut recevoir la locataire, advenant une reprise, elle est prévue à l’article 1967 du Code civil du Québec, lequel se lit ainsi :
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
- L’indemnité comprend différents frais reconnus par la jurisprudence, tel que les frais de déménagement ainsi que les frais de rebranchement de services publics tels qu'électricité, téléphonie, câblodistribution et internet, ainsi que des frais de changement d'adresse et de suivi de courrier.
- Dans les circonstances, la locataire n’ayant pas entrepris les démarches nécessaires pour produire une évaluation des frais de son déménagement et puisqu’elle ignore de quel ordre sera l’indemnité qu’elle souhaite obtenir, le Tribunal réservera ses recours, à défaut d’entente entre les parties.
- Le Tribunal rappelle aux parties, que l'article 1968 du Code civil du Québec permet au Tribunal d'accorder des dommages-intérêts et même des dommages-intérêts punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.
- De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.
- Vu la nature de la demande du locateur, ce dernier en supportera les frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- AUTORISE le locateur à reprendre le logement pour s’y loger, à compter du 1er juillet 2025;
- ORDONNE à la locataire de quitter les lieux au plus tard le 1er juillet 2025;
- ORDONNE l'expulsion de la locataire ainsi que celle de tous les autres occupants du logement à compter de cette date;
- RÉSERVE les recours de la locataire quant à son droit d’obtenir une indemnité pour frais de son déménagement, à défaut d’entente avec le locateur;
- LE TOUT, sans frais de justice.
| | |
| Sophie Lafleur |
|
Présence(s) : | le locateur la locataire |
Date de l’audience : | 10 mars 2025 |
|
|
| | | |