Courtemanche c. Alenikov | 2024 QCTAL 34620 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Longueuil | ||||||
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No dossier : | 816662 37 20240903 T | No demande : | 4477956 | |||
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Date : | 25 octobre 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Marilyne Trudeau | |||||
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Johanne Courtemanche |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Andrey Alenikov |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours introduit le 1er octobre 2024, la locataire requiert la rétractation de la décision rendue le 27 septembre 2024, à la suite d’une audience tenue le même jour, à laquelle elle était présente.
APERÇU
[2] La locataire soutient que la décision devrait être rétractée, considérant que le locateur aurait perçu le loyer du mois de septembre 2024, concluant ainsi un nouveau bail à durée indéterminée.
[3] Elle ajoute ne pas avoir reçu le paiement total de l’indemnité accordée par le Tribunal dans le cadre de la décision faisant droit à la reprise du logement demandée par le locateur et rendue le 28 mars 2024 (dossier 759372).
[4] La locataire ajoute ne pouvoir quitter le logement concerné en raison de la crise du logement. Elle est incapable de se reloger, malgré ses recherches. Elle affirme avoir plus de 70 ans et ne pas disposer des revenus nécessaires. Elle soulève aussi l’inaction du locateur quant à des travaux requis dans l’immeuble.
[5] La locataire précise qu’elle présentera des demandes de rétractation tant qu’elle n’obtiendra pas gain de cause.
[6] Le locateur requiert du Tribunal de rejeter le recours et d’interdire à la locataire de présenter une autre demande de rétractation dans le présent dossier, comme il est évident qu’elle tente de retarder et empêcher l’exécution de la décision. Il nie par ailleurs avoir encaissé le loyer du mois de septembre 2024.
ANALYSE ET DÉCISION
Fardeau de preuve
[7] D'entrée de jeu, il est pertinent de rappeler que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal[1].
Le principe sur lequel se fonde une demande de rétractation
[8] Afin de rendre sa décision, le Tribunal doit tenir compte de la jurisprudence. Or, à maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :
« Le principe de l'irrévocabilité constitue un élément important de notre système juridique. En effet, une jurisprudence constante affirme que la stabilité des décisions judiciaires est essentielle à une saine administration de la justice. Ce principe se comprend facilement car il est évident que le justiciable, qui est partie à une action, s'attend à ce que le jugement en résultant mette fin au litige de façon définitive, sous réserve, bien sûr, de porter le jugement en appel. ... »[2]
Motifs
[9] Dans le cas qui nous concerne, puisque la locataire était présente à l'audience, la demande de rétractation, pour réussir, doit établir que cette dernière a été empêchée de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante[3].
[10] La locataire invoque que le locateur aurait perçu illégalement un montant pour le loyer du mois de septembre 2024, concluant ainsi un nouveau bail et qu’elle ne peut se reloger ailleurs en raison de la crise du logement, de son âge et de ses revenus.
[11] Les motifs invoqués par la locataire ne sauraient donner ouverture à la rétractation de la décision.
[12] D’une part, la locataire invoque à nouveau ne pouvoir quitter tant qu’elle n’aura pas trouvé un nouveau logement, ce qu’elle n’a pu faire en raison de la crise du logement, de son âge et de ses revenus. Il s’agit d’éléments mentionnés lors de l’audience du 27 septembre 2024 et pris en considération par la juge administrative Mailfait au paragraphe 5 de sa décision.
[13] De son témoignage, le Tribunal estime que la locataire veut réformer la décision rendue par le juge administratif. Or, les motifs de rétractation ne doivent pas être confondus avec l'appel de la décision.
[14] À cet effet, le Tribunal fait siens les propos de la juge administrative Francine Jodoin, dans une décision du Tribunal administratif du logement :
« Tel qu'expliqué lors de l'audience, la demande en rétractation ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision rendue. Le tribunal n'a pas à juger de la justesse de celle-ci ni s'interroger sur les erreurs de faits ou de droit commises puisqu'il ne s'agit pas d'un appel de la décision rendue. Il s'agit plutôt de s'interroger sur l'application de l'article 89 précité et chercher à déterminer si la partie qui en fait la demande a pu démontrer un des motifs prévus à cette disposition.
(...)
Il apparaît clair au tribunal que le locataire remet maintenant en cause la preuve soumise à l'audience en raison des conclusions de la décision. Il a donc plutôt été pris par surprise par la décision et il appert qu'ayant connu d'avance ses conclusions, il se serait préparé différemment. Il demande d'ailleurs la possibilité d'avoir une nouvelle audience pour lui permettre d'apporter des preuves additionnelles. »[4]
[15] La locataire est insatisfaite de la décision rendue et elle a pris le mauvais recours. L'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement ne peut servir de procédure d'appel et ne couvre pas la situation qu'elle a soulevée.
[16] D’autre part, la perception du loyer du mois de septembre 2024, bien que niée par le locateur et non démontrée par la locataire, ne constitue pas un élément pouvant donner ouverture à la rétractation d’une décision.
[17] Aussi, il en va de même quant au paiement de l’indemnité accordée en vertu d’une décision rendue dans le cadre d’un autre dossier. Des recours s’offrent à la locataire si elle souhaite obtenir l’exécution d’une décision, mais la rétractation n’est certainement pas le bon véhicule procédural.
La limitation procédurale
[18] Enfin, on requiert du Tribunal qu'il interdise au demandeur de présenter toute autre demande dans le présent dossier, conformément à l'alinéa 2 de l'article 63.2 de la Loi qui prévoit :
« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d'office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu'il juge abusif ou dilatoire ou l'assujettir à certaines conditions.
Lorsque le Tribunal constate qu'une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d'empêcher l'exécution d'une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d'introduire une demande devant lui à moins d'obtenir l'autorisation du président ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu'il désigne détermine.
Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d'un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l'article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu'il détermine. »
[19] La locataire a candidement déclaré qu’elle introduirait des demandes de rétractation jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle souhaite, soit rester dans le logement.
[20] Dans ce contexte, le Tribunal considère qu'il est opportun que la locataire ait à justifier la recevabilité d'une éventuelle demande de rétractation. En effet, il apparaît flagrant qu’elle n’accepte pas la décision rendue et qu’elle utilise de façon abusive le présent recours dans le but d'empêcher l'exécution de cette décision.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[21] REJETTE la demande en rétractation de la locataire qui en assume les frais;
[22] MAINTIENT la décision rendue le 27 septembre 2024;
[23] INTERDIT à la locataire de produite une nouvelle demande dans le présent dossier, à moins d’autorisation préalable du Président du Tribunal ou de toute personne désignée par celui-ci.
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Marilyne Trudeau | ||
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Présence(s) : | la locataire le locateur | ||
Date de l’audience : | 25 octobre 2024 | ||
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[1] Articles
[2] Lavallée c. Banque Nationale du Canada, C.A., 1998-08-28,
[3] - Article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
[4] O'Callaghan c. Fattal (R.D.L., 2003-05-27),
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