Décision

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Droit de la famille — 192767

2019 QCCS 5769

 

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre familiale)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-12-335370-171

 

 

 

DATE :

LE 6 FÉVRIER 2020

______________________________________________________________________

 

L'HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

M... B...

                         Demanderesse

c.

H... H...

             Défendeur

 

 

TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS

DU JUGEMENT RENDU ORALEMENT LE 2 DÉCEMBRE 2019 [1]

 

1.      L’aperçu

[1]           Un adolescent de 16 ans a-t-il le droit de refuser de fournir une copie de ses passeports, de son certificat de citoyenneté et d’autres documents personnels du même genre à son père?

[2]           La mère de cet adolescent a-t-elle l’intérêt requis pour soutenir le refus de son fils de fournir de tels documents au père de l’enfant?

[3]           L’autorité parentale, exercée par le père de cet adolescent, supplante-t-elle le droit de ce dernier à la vie privée, protégé par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la Charte), entre autres?

[4]           Dans quel contexte un parent peut-il forcer l’autre parent, ou même son enfant, à lui communiquer des documents qui contiennent des renseignements personnels sur l’enfant?

[5]           La jurisprudence québécoise et canadienne contiennent peu de choses sur la vie privée des adolescents, alors que ce sujet est pourtant très important, à cette étape de leur vie.

[6]           Voilà donc la trame de fond sur laquelle nous disposons des demandes du père.

2.      Le contexte

[7]           Au moment de l’audition, l’enfant en cause a 16 ans et demi. Il s’agit donc d’un adolescent.

[8]           Depuis le 13 juin 2017, ses parents sont en instance de divorce, et le 21 août 2017, sa mère en a obtenu la garde légale.

[9]           Même si le jugement de garde prévoit des accès en faveur du père, la preuve démontre qu’ils n’ont été que peu exercés jusqu’à l’audition, étant donné qu’ils sont tributaires du désir de l’adolescent, qui a choisi de ne pas s’en prévaloir.

[10]        La demande du père répond à une autre de la mère, instituée le 2 août 2019, qui voulait avoir l’autorisation lui permettant d’obtenir un passeport pour son fils et de pouvoir voyager seule avec celui-ci [au Pays A], le père refusant alors de collaborer[2].

[11]        Le voyage étant prévu à la mi-août, cela explique pourquoi les parents se retrouvent à la Cour, le 6 août 2019, dans le cadre d’une ordonnance intérimaire.

[12]        À cette occasion, le père annonce qu’il ne conteste plus les demandes de la mère. Il exige toutefois que cette dernière l’informe de l’endroit où elle voyagera [au Pays A], ainsi que du moment du périple.

[13]        Dans une ordonnance de sauvegarde émise le même jour, la juge Duplessis autorise la mère à voyager seule avec l’enfant [au Pays A], accueille la demande du père, et assujettit la permission à l’obligation d’informer ce dernier du lieu du séjour et des dates précises du voyage [au Pays A].

[14]        C’est lors de cette audition, que le père en profite pour présenter une demande verbale visant à obtenir une copie de divers documents relatifs à son fils, tels son passeport [du Pays B], son passeport canadien, ainsi que divers documents relatifs à la citoyenneté canadienne de ce dernier.

[15]        Vu la nature de la demande, la mère annonce que son fils souhaite se faire représenter, afin de présenter son point de vue, de sorte que la juge reporte le dossier au 20 août 2019, afin de permettre à l’adolescent de mandater son avocate.

[16]        Le 20 août, Me Brault est de nouveau nommée par le Tribunal[3], pour contester les demandes de Monsieur, au nom de son jeune client.

[17]        Le 21 août, le père formule par écrit ses demandes de communication de documents, dans un acte de procédure intitulé : « Motion for exercise of parental authority respecting child’s travel, and provisional, and interim measures”.

[18]        Le temps annoncé pour débattre de ce sujet dépassant ce qui est disponible dans la salle à volume où le dossier se trouve, l’audition est fixée au 7 octobre, afin de permettre aux parties de présenter leur preuve et leurs arguments sur trois sujets :

1) la demande pour obtenir un passeport pour l’enfant sans la permission du père,

2) la demande de permission de voyager sans la permission de son père, et

3) la demande de communication de copies de documents relatifs à l’enfant et contenant des renseignements personnels sur ce dernier.

[19]        Le 7 octobre, la soussignée entend la demande. Le père demande alors d’ajouter des documents à la liste énoncée dans les conclusions de sa procédure, déclarant qu’il les a oubliés par mégarde, lors de la rédaction de sa demande.

[20]        L’avocate de l’enfant et celle de la mère s’opposent à cette modification, mais le Tribunal rejette leur opposition, pour des motifs énoncés séance tenante, lesquels tiennent du fait que l’ajout porte sur des documents de la même nature que ceux faisant déjà l’objet du débat, personne n’étant pris par surprise pour plaider les sujets soulevés par sa demande originale, soit le droit à la vie privée et l’autorité parentale.

[21]        Lors de cette audition, Monsieur déclare qu’il ne s’oppose plus à la demande de Madame qui demande de voyager avec son fils sans l’autorisation du père, de manière générale. Il acquiesce aussi à ce que son fils puisse voyager seul, sans l’autorisation de l’un ou l’autre des parents.

[22]        En conséquence, nous accordons les ordonnances demandées, ce qui met un terme aux deux premiers sujets prévus au menu du jour[4] et laisse place au seul débat qui reste : la demande de communication de documents.

[23]        Les parties présentent alors une preuve sommaire et leurs arguments, mais comme aucune des parties n’a vraiment d’autorités sur le sujet, alors que le Tribunal le considère à la fois nouveau et important pour les droits de l’adolescent, nous leur demandons de compléter leurs recherches sur les particularités des demandes de passeports, afin de donner suite à ce que le Décret sur les passeports canadiens[5] (ci-après le Décret) a révélé, sur les demandes de passeports faites par un adolescent de 16 ans et plus.

[24]        Voici ce que nous avons compris de la position respective des parties, après avoir lu leurs autorités et leur argumentation additionnelles.

3.      la position des parties

3.1       La position du père

[25]        Le père veut que nous obligions la mère et son fils à lui communiquer une copie des divers documents énoncés dans sa demande[6] au motif que son autorité parentale lui accorderait d’office le droit d’obtenir de tels renseignements, puisqu’ils concernent son fils.

[26]        Il se plaint de n’avoir aucun document en sa possession, concernant son enfant,  même ceux prouvant qu’il en est le père.

[27]        Il est convaincu que la mère a accès à ces documents et il souhaite bénéficier lui aussi des mêmes informations que cette dernière, sur son fils.

[28]        Pourquoi?

[29]        Parce qu’il craint que son fils soit victime d’aliénation parentale.

[30]        Peut-être est-ce pour cette raison qu’il compare les documents demandés à une « photo de famille »[7].

[31]        Selon lui, si le fédéral établit les modalités de délivrance des passeports, il reviendrait ensuite au provincial d’en régir les modalités de détention, lorsque ceux-ci sont émis au nom d’un mineur. Ce seraient les dispositions du Code civil du Québec (ci-après Code civil) sur l’autorité parentale qui régissent ce sujet[8].

[32]        Sans présenter de preuve, son avocat plaide aussi que si nous étions [au Pays B], le père aurait droit d’obtenir une copie de tous les documents demandés.

[33]        Voici les allégations pertinentes de l’acte de procédure du père, ainsi que les conclusions recherchées, pour comprendre d’où viennent ses demandes :

[…]

9.          On August 6, 2019, Defendant presented a verbal motion to obtain information regarding Child’s passports, [Country B], Canadian or other, in Plaintiff’s or Child’s possession and to obtain copy of said passports, before honourable Justice Guylaine Duplessis, J.S.C., as it appears from Court’s record.

[…]

12.        Plaintiff’s refuses without any justification to provide said information and copy of said documents.

13.        Plaintiff refuses without any justification to provide said information and copy of said documents.

14.        Defendant asks that this honourable Court to remind and order Plaintiff to respect his parental authority of the Child X.

15.        Defendant asks Plaintiff to provide proof of Child’s Canadian Citizenship, namely, copies of his Citizenship card and commemorative certificates, and Citizenship certificate.

16.        Defendant asks this honourable court to remind and order Plaintiff to minimally inform Defendant’s before 15 days before applying or renewing any of Child’s passports or travel documents.

17.        Defendant asks this honourable court to remind and order minimally the Plaintiff to inform him of any Child’s travel outside of the province of Québec 15 days prior of said travel.

ORDER the Plaintiff to provide proof of Child’s Canadian Citizenship, namely, copies of his Citizenship card and commemorative certificates, and Citizenship certificate.

REMIND and ORDER the Plaintiff to inform Defendant 15 days before applying or renewing for any of Child’s passports or travel documents[9].

(Nos soulignements et emphase)

[34]        Le père invoquant les articles sur l’autorité parentale pour justifier sa demande, voici les articles pertinents du Code civil sur le sujet :

598. L’enfant reste sous l’autorité de ses père et mère jusqu’à sa majorité ou son émancipation.

599. Les père et mère ont, à l’égard de leur enfant, le droit et le devoir de garde, de surveillance et d’éducation.

Ils doivent nourrir et entretenir leur enfant.

600. Les père et mère exercent ensemble l’autorité parentale.

Si l’un d’eux décède, est déchu de l’autorité parentale ou n’est pas en mesure de manifester sa volonté, l’autorité est exercée par l’autre.

601. Le titulaire de l’autorité parentale peut déléguer la garde, la surveillance ou l’éducation de l’enfant.

602. Le mineur non émancipé ne peut, sans le consentement du titulaire de l’autorité parentale, quitter son domicile.

603. À l’égard des tiers de bonne foi, le père ou la mère qui accomplit seul un acte d’autorité à l’égard de l’enfant est présumé agir avec l’accord de l’autre.

604. En cas de difficultés relatives à l’exercice de l’autorité parentale, le titulaire de l’autorité parentale peut saisir le tribunal qui statuera dans l’intérêt de l’enfant après avoir favorisé la conciliation des parties.

605. Que la garde de l’enfant ait été confiée à l’un des parents ou à une tierce personne, quelles qu’en soient les raisons, les père et mère conservent le droit de surveiller son entretien et son éducation et sont tenus d’y contribuer à proportion de leurs facultés.

(Nos soulignements et emphase)

3.2       La position de la mère

[35]        La mère refuse de communiquer l’ensemble des informations demandées, par solidarité envers son fils.

[36]        Ce dernier lui aurait mentionné qu’il ne veut pas communiquer les documents demandés à son père, car ils contiennent des renseignements personnels.

[37]        Elle plaide que son fils a le droit de partager de tels renseignements avec elle, s’il le souhaite, mais que ce partage ne justifie pas qu’il soit ensuite forcé de faire la même chose avec son père, en prenant appui seulement sur les articles régissant l’autorité parentale.

[38]        Le père n’aurait pas plus le droit de constituer un dossier sur son fils sans raison valable, ce qu’il semble vouloir faire en demandant tous ces documents.

[39]        Selon elle, accorder une telle demande irait à l’encontre de plusieurs articles des  lois sur la protection de la vie privée, qui protègent les renseignements personnels qui permettent d’identifier une personne.

[40]        Les articles pertinents invoqués sont les suivants :

Charte des droits et libertés de la personne

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

Code civil du Québec

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

[…]

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

(Nos soulignements et emphase)

[41]        Elle plaide aussi que l’article 2 du Décret sur les passeports, qui se lit ainsi, fournit des indices militant en faveur du respect de la vie privée de l’adolescent et donc, du refus d’accorder au père ce qu’il demande :

 Dans le présent décret,

(…)

Loi désigne la Loi sur la citoyenneté; (Act)

passeport désigne un document officiel canadien qui établit l’identité et la nationalité d’une personne afin de faciliter les déplacements de cette personne hors du Canada; (passport)

(…)

requérant Personne âgée d’au moins seize ans qui demande un passeport. (applicant)

(Notre emphase et soulignements)

[42]        Elle fait ensuite diverses analogies avec d’autres dispositions du Code civil, qui émancipent les enfants mineurs[10] à certains égards, en retirant aux parents, certains attributs de leur autorité parentale.

[43]        Selon elle, ces divers indices devraient nous inciter à limiter l’étendue de l’autorité parentale et à conclure qu’elle ne justifie pas qu’un adolescent de 16 ans et demi soit contraint de communiquer à son père, des données contenues dans son passeport canadien (et [du Pays B] tant qu’à y être)[11], et encore moins de lui remettre une copie de ces documents.

3.3       La position de l’adolescent

[44]        L’avocate de l’adolescent plaide que le droit à la vie privée de son jeune client devrait faire échec aux demandes du père, qu’elle accuse de vouloir exercer du contrôle sur son fils, en ce faisant.

[45]        Référant elle aussi aux articles énoncés par la mère, elle en ajoute d’autres, provenant du Code civil du Québec, pour justifier la position de son client, lesquels portent sur les droits généraux de tout enfant, dans le contexte d’un litige, ainsi que sur les aspects plus techniques de la constitution de dossiers sur autrui :

CHAPITRE DEUXIÈME

DU RESPECT DES DROITS DE L’ENFANT

32. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.

33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.

34. Le tribunal doit, chaque fois qu’il est saisi d’une demande mettant en jeu l’intérêt d’un enfant, lui donner la possibilité d’être entendu si son âge et son discernement le permettent.

CHAPITRE TROISIÈME

DU RESPECT DE LA RÉPUTATION ET DE LA VIE PRIVÉE

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants:

[…]

4°  Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5°  Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;

6°  Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

37. Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l’objet déclaré du dossier et elle ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi, les communiquer à des tiers ou les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution; elle ne peut non plus, dans la constitution ou l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressé ni à sa réputation.

(Nos soulignements et emphase)

[46]        Tant l’avocate de la mère que celle de l’enfant laissent entendre que leur client respectif entretient des craintes que le père puisse utiliser les documents qu’il cherche à obtenir, à mauvais escient.

[47]        En clair, elles craignent que l’adolescent puisse être ensuite victime d’un vol d’identité.

[48]        Abordons la preuve présentée de part et d’autre.

4.      La preuve

[49]        La demande du père comporte peu d’allégations expliquant les raisons pour lesquelles il souhaite obtenir une copie de tous les documents demandés, concernant son fils.

[50]        Bien qu’il appuie sa demande d’une déclaration sous serment, rien de particulier n’en ressort, pour nous éclairer sur le but recherché.

[51]        Les éléments de preuve de la mère et celle de l’enfant ne sont guère plus éclairants, pour étoffer les craintes énoncées en lien avec un possible vol d’identité dont cet adolescent pourrait être victime de la part de son propre père.

[52]        Par contre, un fait juridique ressort du dossier, sur ce sujet : Madame a déjà plaidé qu’elle craignait être potentiellement victime d’un vol d’identité, si elle était forcée de communiquer une copie de son propre passeport à Monsieur[12].  

[53]        Dans le procès-verbal du 13 juin 2019, signé par la juge Carole Hallée, nous retrouvons une mention pertinente à ce sujet. En effet, la juge enjoint alors Madame d’apporter avec elle son passeport, lors d’une audition, mais elle ne la force pas à en remettre une copie à Monsieur, qui semblait vouloir en obtenir une copie.

[54]        Ce qui ressort du dossier judiciaire, à cette étape antérieure à notre audition, c’est que Madame avait évoqué l’hypothèse que Monsieur puisse se livrer à de la fraude à son endroit, si ce dernier obtenait une copie d’un tel document.

[55]        Mais là s’arrêtent les informations sur un sujet pourtant délicat, à l’endroit du père.

[56]        Cela dit, lorsque la mère et l’adolescent plaident que le père ne satisfait pas le fardeau requis pour obtenir ce qu’il recherche, ils soulèvent un point fort intéressant.

[57]        En effet, en l’absence de démonstration de motifs valables, le simple fait de soulever le droit fondamental de l’enfant à la protection de sa vie privée pourrait suffire pour débouter le père, puisque sa démarche ressemble à une incursion dans les documents personnels de son fils, a priori.

[58]        Mais où doit-on tracer la ligne entre ce que l’autorité parentale accorde au père, comme droits, et la limite que le droit à la vie privée du fils pourrait venir imposer à cette autorité?

[59]        Abordons maintenant l’impact des faits énoncés, à la lumière des divers principes de droit applicables.

5.      L’analyse

[60]        Ce dossier porte sur l’étendue et l’interaction entre divers principes de droit.

[61]        Il entraîne le Tribunal dans la délicate mission qui consiste à tenter de concilier le droit à la vie privée de l’adolescent et les droits conférés à son père, par le truchement de l’autorité parentale.

[62]        À défaut de pouvoir concilier ces droits, il nous faudra prioriser l’un d’eux, en expliquant pourquoi.

[63]        La trame factuelle se déroulant dans un contexte familial, et plus particulièrement dans une instance de divorce, les parents vivent séparés et la mère exerce la garde exclusive de l’adolescent.

[64]        Cela dit, l’état du droit est clair sur les droits du parent gardien, et en l’espèce, ce n’est pas parce que la mère a la garde de cet adolescent que le père n’a rien à dire sur des sujets importants qui concernent son fils et que Madame peut décider seule de la question soulevée.

[65]        Étant donné que les parents ne s’entendent pas sur une question concernant un aspect important de la vie de cet adolescent, le père a raison de plaider que les tenants et aboutissants de l’autorité parentale se retrouvent aux premières loges, pour décider de sa demande.

[66]        Le litige doit aussi déterminer si la mère a l’intérêt juridique requis pour prendre part au débat, afin d’appuyer la position énoncée par son fils, qui s’exprime déjà par la voix de son avocate.

[67]        Évidemment, puisqu’elle-même détient l’autre part de l’autorité parentale, elle a donc voix au chapitre, et peut valablement instruire le Tribunal de sa position, soit celle qui consiste en l’espèce à refuser de communiquer de l’information que son fils a partagée avec elle en lui demandant de ne pas la partager avec son père.  

[68]        Pour décider de la demande du père, il faut donc déterminer les matières sur lesquelles porte cette autorité parentale et quelles en sont les limites.

[69]        Les parties s’entendent sur une chose : cette autorité vise toutes les décisions d’importance dans la vie d’un enfant mineur[13].

[70]        Cela ratisse donc assez large.

[71]        Si l’on tente de se rapprocher le plus possible de notre sujet, il y a lieu de préciser que les tribunaux reconnaissent sans ambages que le droit d’un enfant d’obtenir un passeport et de voyager sont des sujets qui relèvent de l’autorité parentale[14].  

[72]        Ainsi, lorsqu’un adolescent de 16 ans veut partir en voyage et que l’un de ses parents s’oppose à ce voyage, l’autorité parentale fait en sorte que l’autre parent doit s’adresser au Tribunal, pour obtenir les autorisations nécessaires.

[73]        La jurisprudence foisonne de précédents dans lesquels la Cour supérieure rend des ordonnances autorisant l’un ou l’autre des parents à obtenir seul un passeport, pour un enfant mineur, lorsque l’autre parent ne veut pas donner son consentement, et de décisions qui autorisent un parent, ou même l’enfant lui-même, parfois, à voyager avec ce parent ou avec un tiers[15].

[74]        En l’espèce, c’est en vertu d’une difficulté avec l’exercice de l’autorité parentale que la juge Duplessis est intervenue, pour autoriser la mère à obtenir un passeport et à voyager avec son fils [au Pays A], sans l’autorisation du père.

[75]        C’est également en vertu de ce même principe qu’ensuite, le père ayant finalement consenti à ce que son fils voyage sans son autorisation de manière générale, la soussignée a rendu une autre ordonnance permettant à l’adolescent de voyager seul, sans le consentement de ses deux parents[16].

[76]        Il faut noter que ce n’est pas dans tous les dossiers qu’un parent consent à ce qu’une ordonnance aussi large soit rendue.

[77]        Nous sommes d’avis que le genre d’ordonnance que nous avons rendue génère toutefois certains effets, car depuis le 7 octobre 2019, le fils des parties bénéficie d’une certaine discrétion relativement à ses allées et venues, puisqu’il peut voyager sans leur autorisation.

[78]        Cette réalité est de nature à augmenter son expectative de vie privée, à notre avis.

[79]        En effet, s’il peut maintenant aller où bon lui semble sans demander la permission à ses parents, pourquoi devrait-il être forcé de remettre une copie de ses passeports à son père, alors que ceux-ci peuvent indiquer les lieux où il se déplace et le moment où il a voyagé?

[80]        L’article 2 du Décret apporte un fait peu connu des justiciables, mais fort pertinent à notre décision : à partir de 16 ans, l’adolescent a le droit d’obtenir un passeport sans avoir à obtenir l’autorisation préalable de ses parents.

[81]        Selon nous, en permettant une telle façon de faire, le législateur fédéral crée un nouveau cas d’émancipation partielle en faveur d’un enfant mineur âgé de 16 ans et plus.

[82]        Et ce n’est pas là le seul exemple d’émancipation que l’on retrouve dans la législation canadienne et dans la législation québécoise.

[83]        En effet, une foule d’autres décisions importantes dans la vie d’un enfant, échappent à l’autorité parentale[17].

[84]        Si l’on demeure dans le domaine de compétence fédérale, l’obtention d’un numéro d’assurance sociale est une autre illustration de cette émancipation, puisqu’un enfant de 12 ans peut lui-même obtenir un tel numéro[18].

[85]        Quant aux exemples qui se trouvent dans la législation de compétence provinciale, le cas le plus connu d’émancipation d’un mineur qui échappe à l’autorité parentale, dans plusieurs cas, est celui qui touche au consentement aux soins de santé, lorsqu’un enfant atteint l’âge de 14 ans ou plus, que l’on retrouve aux articles 14 et 17 du Code civil.

[86]        Ces soins incluent aussi les tatouages et les piercings, de même que certaines interventions médicales, dont les transfusions sanguines et les dons d’organes[19].

[87]        Le Code civil prévoit aussi qu’un adolescent de 14 ans et plus peut décider de participer à des recherches médicales ou scientifiques, sans le consentement de ses parents si la recherche ne comporte qu’un risque minimal pour lui [20].

[88]        Si l’on pousse un peu plus loin l’énumération de décisions importantes dans la vie d’un adolescent et qui échappent aussi à l’autorité parentale, l’on retrouve les changements de nom et de sexe, les questions portant sur la filiation, ainsi que sur l’adoption.

[89]        Dans un autre ordre d’idées, il en est de même pour la conclusion d’un contrat de travail, pour ne citer que ces quelques exemples.

[90]        Le but de l’énumération n’est donc pas de faire une étude exhaustive, mais de référer à suffisamment d’exemples pour illustrer que dans des domaines très personnels, le législateur québécois confère un degré d’autonomie assez impressionnant aux adolescents, puisque ce constat est pertinent au sort de notre dossier[21]

[91]        En résumé, force est de constater que lorsqu’un enfant atteint soit l’âge de 12, 14 ou 16 ans, les deux paliers législatifs lui accordent une certaine latitude et une autonomie relative, en lien avec divers sujets d’importance dans sa vie[22].

[92]        Pour des exemples illustrant d’autres cas d’émancipation partielle d’enfants mineurs ou leur accordant une certaine autonomie qui fait en sorte de restreindre l’autorité que les parents exercent normalement sur eux, quant aux décisions d’importance dans leur vie, nous avons joint certaines références dans la note de bas de page ajoutée à la fin de ce paragraphe[23].

[93]        À notre avis, cette autonomie, que le législateur accorde aux enfants mineurs, dans de telles sphères de leur vie, augmente l’expectative de vie privée à l’égard de ces matières, car s’ensuit une obligation de confidentialité, imposée aux professionnels de la santé et autres personnes qui interagissent avec des adolescents, dans la plupart des contextes énoncés précédemment, lorsque des renseignements personnels et de nature privée, par la nature des interventions, leur sont communiqués.

[94]        Non seulement cette obligation protège-t-elle la divulgation du contenu des dossiers constitués lorsque des soins sont offerts à ces adolescents ou qu’ils participent à des études au cours desquelles ils sont amenés à révéler de l’information personnelle, à titre d’exemple, mais elle empêche aussi quiconque d’accéder aux dossiers créés à ces occasions et d’en obtenir des copies, y compris aux parents de ces enfants, dans certaines circonstances [24].

[95]        Et c’est ce qui tisse le lien entre les exemples énoncés précédemment, et notre cas.  

[96]        La question qui se pose alors est pourquoi ces cas d’émancipation ou d’autonomie partielle viennent-ils pour la plupart avec une obligation de confidentialité par rapport aux renseignements qui sont obtenus de l’adolescent, ainsi qu’avec la protection du contenu des dossiers créés à ces occasions?

[97]        Parce que ce qui résulte de ces soins, études, et demandes faites dans le but d’obtenir des pièces d’identité, qui se retrouve consigné dans des dossiers, contient de l’information éminemment personnelle.

[98]        Or, ce type d’information bénéficie de la protection accordée par l’article 5 de la Charte, en ce qui a trait à la vie privée.

[99]        Mais est-ce que des enfants et des adolescents bénéficient du droit à la protection de leur vie privée ou n’est-ce là que l’apanage des adultes?

[100]     La réponse à cette question se trouve à l’article 5 de la Charte, de même qu’aux articles 3 et 35 du Code civil, où le législateur édicte que cette protection s’applique à « toute personne »[25].

[101]     Le droit à la vie privée visant la sphère de l’intimité d’une personne, il protège donc aussi les mineurs des intrusions de quiconque dans leurs affaires personnelles, sans raison valable.

[102]     Ce droit comprend celui de conserver les renseignements personnels qui identifient une personne, et il protège les personnes contre l’utilisation de leur nom par quiconque, sans leur consentement, ces renseignements étant en lien avec leur autonomie[26].

[103]     Tout cela nous ramène donc à ce qui se passe, lorsqu’un adolescent de 16 ans demande au gouvernement fédéral de lui émettre un passeport, car pour l’obtenir, l’adolescent doit se soumettre aux exigences législatives et réglementaires.

[104]     Or, en l’espèce, cela implique qu’il doit fournir plusieurs informations personnelles, afin de s’identifier de manière satisfaisante aux autorités compétentes, pour que l’enquête effectuée, avant d’émettre un tel document, soit conclue.

[105]     C’est donc dire qu’une tierce personne, mise en possession des renseignements qui figurent sur le passeport d’une autre personne, ou qui possède une copie de ce passeport, pourrait techniquement en faire un usage dommageable.

[106]     C’est probablement ce qui incite le gouvernement fédéral à recommander aux détenteurs de passeports, de ne partager avec quiconque des copies de leur passeport, pour éviter le vol d’identité, puisque tous savent que ce document est très précieux, pour des fins d’identification.

[107]     Une analogie s’impose avec le numéro d’assurance sociale d’une personne, car il est de commune renommée que la carte d’assurance sociale fait partie des documents les plus utilisés pour identifier une personne, puisqu’il se trouve être une donnée exclusive et intimement personnelle, d’où la nécessité de le protéger, en évitant de le diffuser à des tiers, sans raison valable.

[108]     Comme nous l’avons mentionné, toutes les protections entourant les données contenues dans un passeport et le numéro d’assurance sociale d’une personne ne visent pas que les adultes, elles s’appliquent aussi aux mineurs, donc à l’adolescent en cause dans ce dossier.

[109]     La prudence face à la diffusion de documents personnels s’impose tout particulièrement du fait le vol d’identité est devenu un fléau social et juridique important. Or, un tel fléau n’a pas d’âge.

[110]     Ainsi, l’adolescent de 16 ans à qui le législateur accorde le droit de demander un passeport, et qui fait une telle demande, obtient en prime le droit de garder le contenu des informations contenues dans ce passeport pour lui-même, une fois émis.

[111]     Il ne peut donc être contraint de révéler les renseignements qui se trouvent dans son passeport, même à son père, qui détient toujours une certaine autorité parentale sur lui, jusqu’à sa majorité.

[112]     S’il ne peut être contraint de communiquer le contenu de son passeport, il n’y a pas davantage de raison de le contraindre à en remettre une copie à son père, simplement parce que ce dernier en fait la demande.

[113]     Dans l’hypothèse où une preuve avait démontré qu’il aurait été dans le meilleur intérêt de cet adolescent de faire une brèche dans son droit à la vie privée, le Tribunal aurait pu arriver à un autre résultat et forcer l’adolescent et même la mère à communiquer certains des documents demandés par son père.

[114]     Mais en l’espèce, l’acte de procédure et la preuve du père ne révèlent rien qui nous permette d’arriver à la conclusion qu’il soit dans le meilleur intérêt de l’adolescent en cause, de divulguer les renseignements demandés.

[115]     Les conditions ne sont pas satisfaites pour permettre au père de l’adolescent en cause de faire une incursion dans la vie privée de son fils sans aucune raison valable, pour obtenir des données personnelles permettant d’identifier ce dernier.

[116]     Le seul arrêt que nous avons recensé porte sur la détention des mineurs, de son passeport.

[117]     En mars 2019, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a accordé à deux adolescents, de 16 et 17 ans, la permission de conserver leur passeport, plutôt que de devoir les laisser à l’un ou l’autre de leurs parents, vu le contexte très litigieux révélé par la preuve[27].

[118]     L’arrêt ne discute toutefois pas la détention des passeports sous l’angle de  la vie privée des adolescents. Elle ne fait que rappeler que des jeunes de cet âge peuvent obtenir un passeport sans l’intervention de leurs parents.

[119]     Nous comprenons que cette réalité a probablement joué dans la décision consistant à leur laisser la possession de leur passeport, d’où l’intérêt de la décision, pour étoffer notre opinion voulant que si un adolescent de cet âge a le droit d’obtenir un passeport, d’avoir la garde d’un document aussi important, il devrait aussi avoir par voie de conséquence, le droit d’en faire ce que bon lui semble, ce qui comprend le droit de refuser d’en partager le contenu ou une copie, avec quiconque, y compris ses parents, ou l’un ou l’autre de ceux-ci.

[120]     Au Québec, l’abondante jurisprudence portant sur la permission d’obtenir un passeport et celle permettant à un parent de voyager avec un enfant sans l’autorisation de l’autre, ne discutent pas du droit d’un parent d’obtenir la copie du passeport d’un adolescent ni du droit d’un parent d’obtenir la copie d’autres documents contenant des renseignements personnels sur leur enfant ou leur adolescent. Elle ne se prononce que sur les demandes visant à contraindre le parent qui ne voyage pas, à remettre l’original du passeport de l’enfant qui est ainsi autorisé à voyager avec l’autre parent.

[121]     Les cas se rapprochant le plus de notre dossier ne font que référence à la détention de tels documents par des adolescents, et ce sujet intervient dans des décisions rendues par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse.

[122]     Dans l’un d’eux, parce que la mère d’une adolescente avait des problèmes d’alcool et qu’il jugeait qu’il fallait éviter un préjudice à l’enfant, si une urgence relative à la santé de cette dernière devait survenir, le juge a permis à l’adolescente de conserver sa carte d’assurance maladie avec elle, plutôt que de la laisser en possession de la mère.

[123]     Même si les faits sont loin du contexte mis en lumière dans notre dossier, le fait qu’un juge ait accordé le droit à cette adolescente de détenir un tel document, à l’exclusion de sa mère, cela nous permet de faire un rapprochement pertinent, pour les fins de notre analyse.

[124]     Dans d’autres dossiers, la Cour du Québec a aussi permis à des adolescents de conserver d’autres documents contenant des renseignements personnels les concernant. Il s’agissait de leur carnet de maladie, leur carte d’assurance maladie, leur carte d’assurance sociale, leur carte de citoyenneté, leur carte de résident permanent, un extrait du registre des naissances, un certificat de naissance, ainsi que leurs passeports (canadien et [du Pays A])[28].

[125]     Dans le dossier où les passeports ont été discutés, il n’y a aucune analyse sur la vie privée.

[126]     Malgré tout, ces précédents ont une incidence sur notre décision, au sujet de l’ensemble des autres documents demandés par le père, parce que certains sont les mêmes que ceux sur lesquels nous avons dû nous pencher (relativement aux documents sur la citoyenneté.

[127]     C’est en s’inspirant de ces décisions et après notre analyse sur la vie privée, que nous concluons qu’il n’y a pas lieu d’ordonner à l’adolescent en cause de remettre les divers documents relatifs à sa citoyenneté canadienne, de même que ses passeports.

[128]     Quelques mots, en terminant, sur la possibilité de constituer un dossier sur un enfant ou un adolescent, puisque c’est sur ce sujet que nous mettons la touche finale aux motifs justifiant notre décision.

[129]     Les paragraphes 4 et 6 de l’article 36 et les articles 37 et 39 du Code civil, précisent dans quel contexte une personne peut être autorisée à constituer un dossier sur autrui. Elle ne peut le faire que lorsqu’elle démontre qu’elle a un intérêt sérieux et légitime, non contraire à la loi[29].

[130]     À notre avis, le seul fait d’être le père d’un enfant satisfait certes la portion légitime du test, mais pas le critère de l’intérêt sérieux.

[131]     En demandant d’obtenir des copies de plusieurs documents permettant d’identifier son fils, nous sommes d’avis que Monsieur tente de constituer un dossier sur ce dernier, alors qu’il n’a pas démontré avoir de motifs sérieux pour le faire.

[132]     Sa demande est donc contraire aux lois qui protègent la vie privée de cet adolescent.

[133]      Non seulement le désir de constituer un tel dossier sur son fils viole-t-il l’article 5 de la Charte, mais dans l’hypothèse où nous lui donnions gain de cause, nous irions directement à l’encontre d’un autre principe de droit, dont les tribunaux ont reconnu l’Importance à maintes reprises.

[134]     En effet, lorsqu’il nous faut rendre une décision susceptible d’affecter les droits d’un enfant, il faut tenir compte de cette opinion avant de rendre notre décision, lorsque l’enfant est jugé mature et qu’il exprime son opinion sur un sujet qui le concerne.

[135]     C’est la manière de faire, pour s’assurer de rendre une décision dans son meilleur intérêt, tels que nous le rappellent les articles 33 et 34 du Code civil, soulevés à juste titre par l’avocate de l’adolescent.

[136]     Si les tribunaux tiennent compte du point de vue d’un adolescent lorsqu’il est question de sa garde et des accès qu’il pourrait avoir à l’un ou l’autre de ses parents, pourquoi devrait-il en être autrement lorsque les questions portent sur sa vie privée?

[137]      Selon nous, il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement.

[138]      L’adolescent en cause s’opposant fermement aux demandes de communication de son père, rien, dans les faits présentés, ne milite en faveur d’une ordonnance le forçant à communiquer à ce dernier des informations personnelles qui permettent d’identifier cet adolescent ni en faveur d’une ordonnance lui enjoignant de remettre de tels documents à son père.

[139]     Alors que rien ne démontre que cet adolescent n’était pas en mesure d’exprimer une position éclairée à son avocate, pour contester la demande du père, et que les motifs qu’il énonce (ainsi que ceux de sa mère) sont à la fois sérieux et plus que légitimes, il ne serait pas dans son meilleur intérêt d’aller à l’encontre de son désir, dans les circonstances, puisqu’agir autrement porterait directement atteinte à ses droits fondamentaux[30].

[140]     En résumé, le simple fait pour le demandeur d’être le père de l’adolescent et d’être l’un des détenteurs de l’autorité parentale est insuffisant pour passer outre au respect de la vie privée de cet adolescent, protégée par la Charte, puisque le Tribunal a le devoir de protéger les droits et libertés fondamentaux de cet adolescent, et l’obligation lui est faite de veiller à son meilleur intérêt.

[141]     Ce que le père recherche va directement à l’encontre d’une valeur que notre société a décidé de protéger de manière particulière, en l’insérant dans la Charte.

[142]     En conclusion, comme il est impossible de concilier les droits des parties et que la Charte est un texte de loi hiérarchiquement supérieur aux articles contenus dans le Code civil au chapitre de l’autorité parentale, c’est donc le droit à la vie privée de l’adolescent qui doit prévaloir, en l’espèce.

[143]     Cela dit, le père avait raison de s’adresser au Tribunal, pour trancher cette difficulté, puisque les tenants et aboutissants de l’exercice de son autorité parentale étaient directement en cause, dans ce dossier, et que la question était nouvelle[31].

[144]     Cependant, pour les motifs énoncés, comme l’autorité parentale du père doit céder le pas à la protection de la vie privée de son fils, nous n’avons d’autre choix que de rejeter sa demande.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[145]     REJETTE les demandes du père;

[146]     Sans frais de justice.

 

 

 

 

                                                                            

CLAUDE DALLAIRE, j.c.s.

 

Me Xi Quan

Cabinet de Me Xi Quan

            AVOCATE de la demanderesse

 

Me Farzad Bigdeli-Azari

Cabinet de Me Farzad Bigdeli-Azari

            AVOCAT du défendeur

 

Me Isabel Brault

Cabinet de Me Isabel Brault

            AVOCATE de l’enfant

 

Date d’audience :

Le 7 octobre 2019

Mise en délibéré :

Le 16 octobre 2019

Demande de transcription :

Le 2 décembre 2019

             



[1]      Le jugement a été rendu séance tenante. Comme le permet l’arrêt Kellogg's Company of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258, 259-260, au moment de rendre sa décision, le Tribunal s'est réservé le droit d'en modifier, amplifier et remanier les motifs. La soussignée les a donc remaniés pour en améliorer la présentation et la compréhension.

[2]     Craignant qu’elle aille [au Pays B], avec l’enfant.

[3]     Qui a représenté l’enfant lors du débat sur la garde.

[4]     Voir procès-verbal d’audience du 7 octobre 2019, 9h59-10h42.

[5]     TR/81-86.

[6]     Ou à lui communiquer le contenu indiqué de ces documents.

[7]     Voir ses notes complémentaires du 15 octobre 2019, paragraphes 1 et 2.

[8]     Notes complémentaires, par. 3. Il plaide l’arrêt Young c. Young, 1993 CanLII 37, par. 28, de la Cour suprême.

[9]     Rappelons qu’une modification à l’acte procédural a été autorisée par la suite, aucun acte modifié n’ayant été déposé au dossier de la Cour, mais la demande visait aussi le passeport canadien et le passeport[du Pays B] de l’enfant.

[10]    Pour le consentement aux soins prévu à l’article 14 C.c.Q., entre autres choses. Plus loin dans le jugement nous référons à plusieurs autres cas.

[11]    Il en va de même pour tous les autres documents, puisqu’il s’agit en fait de variations sur le même thème.

[12]    Que ce dernier demandait aussi d’obtenir, au début du dossier, pour une raison qui nous échappe, même après avoir relu le dossier.

[13]    Notamment en matière de santé, de religion, d’éducation, de voyages. Voir entre autres Droit de la famille — 09746, 2009 QCCA 623, par. 45; Protection de la jeunesse — 177509, 2017 QCCQ 17367.

[14]    Voir à titre d’exemples sur le sujet, Protection de la jeunesse — 176390, 2017 QCCQ 15629, par. 29; Droit de la famille — 182147, 2018 QCCS 4302, par. 33 et  Droit de la famille — 182471, 2018 QCCS 5088, par. 47;

[15]    Voir à titre d’exemple Droit de la famille — 14194, 2014 QCCS 430, par. 37.

[16]    Le cas se distingue de la jurisprudence citée par le père, où une ordonnance a été émise pour forcer le parent qui détenait le passeport de ses enfants au parent qui s’est vu octroyer la garde de ceux-ci. Voir Droit de la famille — 103345, 2010 QCCS 6122, à titre d’exemple. Il se distingue aussi des faits dans Droit de la famille — 06455, 2006 QCCS 6796 et dans Droit de la famille — 182308, 2018 QCCS 4731.

[17]    À titre d’exemple, l’adolescent peut choisir son médecin. Voir Droit de la famille - 148104, 2010 QCCS 2582, par. 13, 30-34.

[18]    Règlement sur le numéro d'assurance sociale, DORS/2013-82, art. 3 (1) a); dans la décision Protection de la jeunesse — 148104, 2014 QCCQ 20031, par. 11, le juge fait référence au fait qu’une enfant mineure de 17 ans a fait une telle demande, au paragraphe 11.

[19]    Voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille, 2009 CSC 30), par. 89-94, sur le droit de l’enfant en cas de transfusion sanguine, même si dans ce cas précis, le tribunal a quand même passé outre à la volonté de l’enfant, car il y avait un risque pour la vie de l’adolescente. Le principe qui ressort est que le tribunal doit tenir compte des choix de l’enfant, lorsque celui-ci est suffisamment mature pour décider de son traitement, pour respecter l’intérêt supérieur de l’enfant.

[20]    C.c.Q., art. 21 al.5.

[21]    Voir à titre d’exemple Droit de la famille — 081156, 2008 QCCS 2102, par. 32-34, où la position, voire le consentement d’enfants mineurs est pris en considération ou est requis.

[22]    Voir entre autres Centre universitaire de santé McGill (CUSM—Hôpital général de Montréal) c. X, 2017 QCCS 3946, par. 37 à 43, où il est fait mention du concept de « mineur mature », pour expliquer cette tendance à laisser de l’autonomie à des enfants mineurs, lorsqu’ils ont atteint un certain degré de développement.

[23]    En général, le consentement aux soins requis par l’état de santé du mineur est donné par le titulaire de l’autorité parentale ou par son tuteur. Toutefois, le mineur de 14 ans et plus, peut consentir seul aux soins requis par son état de santé. Par contre, si cela implique qu’il doit rester dans un établissement plus de 12 heures, le titulaire doit être prévenu de ce fait (14 al. 2 C.c.Q.); le mineur de 14 ans et plus peut consentir seul aux soins non requis par son état de santé. Mais si l’intervention comporte un risque sérieux, il faut l’autorisation de l’autorité parentale (17 C.c.Q.);  le consentement à une recherche susceptible de porter atteinte à l’intégrité du mineur peut être donné par celui de 14 ans et plus, si la recherche ne comporte qu’un risque minimal pour lui (21 al. 5 C.c.Q.); le mineur de 14 ans et plus peut, dans un but médical ou scientifique, consentir au don d’organe ou à des prélèvements sur son corps (43 C.c.Q); le mineur de 14 ans et plus peut faire sa propre demande de changement de nom (60, 66 C.c.Q.); le mineur de 14 ans et plus peut s’opposer au changement de son nom (62 C.c.Q.); le directeur de l’État civil doit obtenir le consentement du mineur de 14 ans et plus pour modifier la déclaration de filiation qui le concerne (130 al.2 C.c.Q.); pour les actes relatifs à son emploi, ou à l’exercice de son art ou de son contrat de travail, le mineur est réputé majeur (156 C.c.Q.); le tuteur doit remettre au mineur de 14 ans et plus le compte annuel de sa gestion, de même que le compte de sa gestion à la fin de son administration  (246  et 247 C.c.Q.); l’adoption ne peut avoir lieu sans le consentement de l’enfant mineur de 10 ans et plus, sauf s’il est dans l’impossibilité de prononcer sa volonté (549 C.c.Q); le refus du mineur de 14 ans et plus fait obstacle à son adoption (550 C.c.Q.); le parent mineur peut consentir lui-même à l’adoption de son enfant (554 C.c.Q.). Ces exemples ne sont pas exhaustifs. D’autres lois accordent aussi de l’autonomie aux mineurs âgés de 14 ans et plus. Voir à titre d’exemple, la Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, L.Q. 2016, c. 19, art. 9 et 10, qui accorde aux mineurs de 14 ans et plus, le droit de faire eux-mêmes une demande auprès du Directeur de l’État civil, afin d’obtenir le changement du sexe figurant à leur acte de naissance.

[24]    Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, art. 17, 19, 21, sur le droit de l’adolescent de 14 ans et plus de s’opposer à la divulgation de son dossier médical. Voir aussi L.A. c. Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire, 2014 QCCAI 73, par. 21-27, le mineur qui refuse l’accès à son dossier est âgé de 15 ans et 8 mois, dans ce dossier; Voir aussi : J.G. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, 2016 QCCQ 2317, par. 3, 16-17 (Appel rejeté; le dossier est retourné à la CAI, 2016-12-09, no. 500-80-032021-157); L.A. c. Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire, 2014 QCCAI 73, par. 21-27.

[25]    Aubry c. Vice-versa, [1998] 1 R.C.S. 591; Droit de la famille - 1549, [1992] R.J.Q. 855 (C.A.), p. 11; Dans Droit de la famille - 07732, 2007 QCCS 1568, par. 10, le juge conclut que l’article 35 C.c.Q. s’applique au mineur.

 

[26]    C’est entre autres le cas des renseignements qui se retrouvent sur le permis de conduire, la carte d’assurance maladie, le passeport, la carte de citoyenneté, entre autres choses, comme documents souvent utilisés pour identifier une personne, vu les divers renseignements personnels qu’ils contiennent.

[27]    VSG v. TAH, 2019 ABQB 197, par. 32 et 33.

[28]    Dans la situation de L.C.(A.), 2003 CanLII 41617 (QC CQ), par. 8 et conclusions; J.N. (Dans la situation de), 2004 CanLII 51369 (QC CQ), par. 25; L.-A.A.-U. (Dans la situation de), 2005 CanLII 28621 (QC CQ), par. 15; Protection de la jeunesse — 11871, 2011 QCCQ 5367, par. 44; Protection de la jeunesse — 162537, 2016 QCCQ 6007, par. 31.

[29]    A.P. c. Y.R., 2012 QCCQ 9732, par. 44-45 : c’est le cas d’un employeur éventuel, à titre d’exemple. 

[30]    Cela ne respecte pas le stade de développement intellectuel et affectif où il est rendu, tel que révélé par la preuve, notamment en ce qui a trait à la relation qu’il entretient avec son père. Voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l'enfant et à la famille), 2009 CSC 30, par. 89. L’enfant étant un « sujet de droit » et non « un bien sur lequel les parents détiennent un droit de propriété », mais plutôt un être humain envers qui les parents ont des obligations importantes, dont celle de respecter leurs droits fondamentaux, a notre avis. Voir Protection de la jeunesse — 1223, 2012 QCCQ 675, par. 41 à 44, où le fait que l’enfant soit un sujet de droit et que cela entraine des conséquences sur ses droits, est discuté.

[31]    Idem, par. 38, 44, 46-48.

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