Syndic de Poirier | 2024 QCCA 554 | ||
COUR D'APPEL | |||
CANADA | |||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||
GREFFE DE | |||
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No : | |||
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE | |||
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DATE : Le 2 mai 2024 |
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FORMATION : LES HONORABLES | |
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DANS L'AFFAIRE DE LA FAILLITE DE DENIS POIRIER :
PARTIE APPELANTE | AVOCAT |
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(Daigle & Matte, avocats fiscalistes inc.)
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PARTIE INTIMÉE | AVOCAT |
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PARTIE MISE EN CAUSE |
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(personne responsable : Ronald P. gagnon, ll.b, sai,cirp)
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En appel d’un jugement rendu le 9 mai 2023 par l’honorable Jean Faullem de la Cour supérieure, district de Gatineau. |
NATURE DE L’APPEL : | Ordonnance de faillite du syndic – Compétence de Cour supérieure |
Salle : Pierre-Basile-Mignault |
AUDITION |
10 h 16 | Début de l’audience. Identification du dossier et des avocats. Remarques préliminaires de la Cour. La Cour demande à Me Daigle suivant le jugement du juge Mainville dans ce dossier qui ordonnait l’exécution provisoire, de confirmer s’il y a eu une assemblée des créanciers et si le syndic a été modifié ou confirmé lors de cette assemblée. |
10 h 21 | Argumentation de Me Daigle. |
10 h 33 | Me Gravel déclare que la nomination du syndic a été confirmée lors de la première assemblée des créanciers. |
10 h 34 | Suspension de l’audience. |
10 h 39 | Reprise de l’audience. La Cour avise Me Gravel qu’il ne sera pas nécessaire d’entendre ses représentations. |
10 h 40 | PAR LA COUR : Arrêt rendu séance tenante – voir page 4. |
10 h 41 | Fin de l’audience. |
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Vitélina Saint-Phard, Greffière-audiencière |
ARRÊT |
[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 9 mai 2023 par l’honorable Jean Faullem de la Cour supérieure, district de Gatineau, lequel rend une ordonnance de faillite à l’égard de l’appelant[1].
[2] L’appelant prétend que la Cour supérieure, au moment de prononcer son ordonnance, n’en avait plus la compétence. Sans en informer les parties concernées ou la Cour supérieure, il avait déposé, le 28 avril 2023, un avis d’intention de faire une proposition (l’« avis ») en omettant ensuite de respecter l’obligation prévue à l’article 50.4(2) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « LFI »)[2] de déposer certains documents dans un délai de 10 jours. Ce délai étant écoulé le 9 mai 2023, l’appelant soutient qu’il est réputé être en faillite en vertu de l’art. 50.4(8) LFI, tel que la Cour supérieure ne puisse plus prononcer une ordonnance de faillite. Au bout du compte, l’appelant semble souhaiter un dénouement où la faillite est gérée par le syndic qu’il a nommé dans l’avis, plutôt que par le syndic nommé par la Cour supérieure.
[3] Le 23 novembre 2021, l’intimée dépose une requête pour une ordonnance de mise en faillite de l’appelant en vertu des art. 43 et suivants de la LFI. L’intimée détient alors une créance calculée à 851 263 $ due solidairement par l’appelant et une de ses sociétés, Relance D.P. inc., qui résulte d’un jugement rendu par la Cour supérieure le 9 janvier 2020[3].
[4] Alors que le dossier est en délibéré, un autre juge de la Cour supérieure est saisi d’une requête ex parte pour une ordonnance initiale concernant Relance D.P. inc. et une autre société de l’appelant, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »)[4]; il suspend toute procédure à l’encontre des sociétés et des personnes qui y sont affiliées[5].
[5] Bien qu’il estime avoir le droit de rendre jugement malgré la procédure sous la LACC, le juge de première instance décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour suspendre son délibéré[6]. Ce faisant, il note que la défense de l’appelant repose sur une allégation que ses sociétés ont un potentiel d’être restructurées et, il ajoute que n’eût été la procédure enclenchée tardivement sous la LACC, il aurait accueilli la requête de l’intimée[7].
[6] Le 6 avril 2023, le juge Geoffroy, j.c.s., rend un jugement rejetant une demande par les sociétés de l’appelant de prolongation de l’ordonnance initiale[8], ce qui a pour effet pratique d’engager la probabilité de leur mise en liquidation. Il souligne à cet effet que le plan de restructuration des sociétés est irréaliste et ne s'inscrit pas dans les objectifs de la LACC[9], que l’appelant a souvent recours à des stratagèmes « afin d’éviter sa responsabilité personnelle et [de] frauder ses créanciers », que ses sociétés et lui-même sont régulièrement les sujets de déclarations d’abus de procédures et que l’appelant est peu crédible[10]. De plus, dans la procédure ex parte de l’ordonnance initiale, l’appelant a omis d’informer plusieurs créanciers de ses démarches[11]. Le 8 mai 2023, une juge de la Cour rejette une demande de permission d’appeler déposée par l’appelant et ses sociétés[12].
[7] Le 9 mai 2023, le juge de première instance prononce l’ordonnance de faillite, qui constitue le jugement entrepris. Comme la Cour l’a déjà souligné, ce n’est qu’après qu’une copie du jugement ait été envoyée aux parties que le procureur de l’appelant informe le juge que son client avait déposé l’avis. Il fait alors valoir l’argument que, puisque l’appelant était déjà en faillite technique en raison de son défaut de produire les documents exigés dans les délais prescrits, la requête en faillite est sans objet. L’avis daté du 28 avril 2023 nomme Mallette Syndics et gestionnaires inc. comme syndic; le certificat de dépôt par le séquestre officiel est daté du 2 mai 2023. L’intimée déclare qu’elle n’a jamais été informée de l’avis[13].
[8] Le 10 mai 2023, le séquestre officiel produit un Certificat du dépôt d’une ordonnance de faillite, endossant l’ordonnance de faillite suivant l’art. 43(9) LFI prononcée dans le jugement entrepris[14].
[9] Le 12 mai 2023, la déclaration d’appel est déposée. À la demande de l’intimée, le juge Mainville, j.c.a., ordonne l’exécution provisoire du jugement entrepris, dont l’ordonnance de faillite de l’appelant et la nomination du mis en cause comme syndic[15]. Le jugement fait état des procédures d’une manière détaillée et souligne qu’aucun syndic n’agit de fait comme syndic de faillite de l’appelant[16] : Mallette syndics et gestionnaires inc., le choix par l’appelant, n’a pas non plus agi selon la procédure requise par l’art. 50.4(8) LFI[17]. Il relève également que l’appel n’a pour seul effet que de déterminer le syndic approprié. Il rappelle les constatations nombreuses des comportements dilatoires et frauduleux de l’appelant par les instances inférieures[18] et indique que le moyen de l’appelant lui apparaît peu solide[19].
* * *
[10] L’appelant plaide que le juge n’avait plus compétence pour rendre une ordonnance de faillite, puisqu’il était déjà en faillite. En effet, suivant cet argument, lorsque l’appelant a déposé l’avis le 28 avril 2023, il devait, dans les 10 jours, déposer certains documents en vertu de l’art. 50.4(2) LFI. Ayant omis de ce faire, il est réputé avoir fait une cession de ses biens en vertu de l’art. 50.4(8)a) LFI et en faillite le 9 mai 2023 à 00 h 00. L’effet de la loi rendrait donc la procédure de faillite sans objet. Le syndic au dossier ne serait donc pas le mis en cause nommé dans le jugement entrepris, mais plutôt celui nommé dans l’avis.
[11] L’appelant a tort.
[12] Tout d’abord, la compétence de la Cour supérieure de prononcer une ordonnance de faillite n’a pas été écartée en l’espèce.
[13] La possibilité de suspendre un processus de requête en faillite est expressément prévue par la LFI. En vertu des art. 43(10) et (11) LFI, la Cour supérieure peut suspendre les procédures relatives à une requête en faillite lorsque le débiteur nie la véracité des faits au soutien de la requête ou pour d’autres raisons jugées suffisantes. De plus, les art. 69 et 69.1 LFI prévoient en principe la suspension des recours civils des créanciers et de la Couronne – et non pas d’une procédure judiciaire de requête en faillite – lorsqu’un avis d’intention de faire une proposition ou une proposition est déposée. L’art. 69.3 LFI prévoit la suspension des recours des créanciers contre le failli. Toutefois, l’art. 69.4 LFI permet à une cour de la faillite de lever la suspension de ces recours.
[14] Ces dispositions, qui donnent une discrétion au juge, ne requièrent certainement pas qu’il suspende les procédures relatives à une requête en faillite parce que le débiteur a failli à ses obligations dans le cadre d’un avis d’intention de faire une proposition. La jurisprudence indique au contraire que le dépôt d’un avis d’intention ou d’une proposition ne suspend pas automatiquement les procédures de la mise en faillite, puisque le juge conserve une discrétion à cet égard[20].
[15] L’art. 50.8(4) LFI constitue ni plus ni moins la conséquence du non-respect des délais de déposer les documents requis : il n’a pas pour effet d’éliminer la compétence du juge. Le dépôt d’un avis d’intention de faire une proposition ou d’une proposition n’exclut pas la compétence d’un juge de prononcer une ordonnance de faillite. Par ailleurs, un juge conserve toujours la discrétion de mettre fin au processus d’avis d’intention (art. 50.4 (11) LFI).
[16] On peut en outre, légitimement, se questionner sur la motivation de l’appelant qui dépose un avis d’intention et omet par la suite de déposer les documents requis dans le délai prescrit, alors que les parties attendaient une ordonnance de faillite (mettant fin au délibéré).
[17] L’art. 4.2(1) LFI, adopté en 2019, confirme explicitement l’obligation des parties d’agir de bonne foi, qui a toujours formé l’une des considérations de base des tribunaux de la faillite lorsque ceux-ci exercent leur pouvoir discrétionnaire en matière d’insolvabilité[21]. L’art. 4.2(2) LFI donne à la cour de la faillite un vaste pouvoir de rendre toute ordonnance pour remédier à l’absence de bonne foi d’une partie. Au Québec, le concept de la bonne foi dans le contexte de l’insolvabilité peut s’inspirer de la tradition propre au Code civil du Québec, tout en gardant en vue les objectifs particuliers du régime de la LFI[22] : une partie ne peut espérer trouver une caution auprès du tribunal lorsqu’elle agit dans un but illégitime, en contexte d’insolvabilité[23]. En l’espèce, l’appelant ne peut bénéficier de sa conduite empreinte de mauvaise foi dans la lignée des comportements que lui reconnaissent les jugements antérieurs, notamment dans les jugements des juges Mainville, j.c.a., et Geoffroy, j.c.s., déjà évoqués. Il ne profitera pas de sa manœuvre tentée à l’insu de l’intimée et du juge, et ayant manifestement comme objectif de nommer son propre syndic et de retarder le processus par un autre débat judiciaire. Il ne peut profiter de sa propre turpitude[24].
[18] Plus généralement, comme la Cour suprême l’a réitéré dans 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., l’art. 187(9) LFI permet à la cour de la faillite de remédier à une injustice grave lorsque la LFI est utilisée à des fins illégitimes et le régime de la LFI dans son ensemble donne à la cour de la faillite le pouvoir de superviser chaque étape du processus de faillite[25].
[19] L’appelant tente inhabilement de créer une situation juridique pour organiser sa faillite de la manière qui lui est la plus favorable. L’appel, même s’il était accueilli, ne change pas le fait qu’il est tout compte fait en état de faillite. La seule variable semble être le choix du syndic, qu’il semble vouloir contrôler, mais qui appartient en dernière analyse aux créanciers. Lors d’une première assemblée des créanciers de la manière prescrite par les art. 102 et s. LFI (ou en vertu de l’article 50.4 (8) c) LFI, le cas échéant), les créanciers pourront décider du sort du syndic, soit en le substituant par résolution spéciale suivant l’art. 14 LFI ou en confirmant son rôle par résolution ordinaire, suivant l’art. 115 LFI[26].
[20] En effet, les procureurs informent la Cour que suivant le jugement du juge unique, il y a eu une première assemblée des créanciers. Le syndic a été confirmé, par le vote majoritaire des créanciers dont les preuves de réclamation ont été acceptées (ou du moins pas rejetées par le syndic).
[21] Il n’y a en conséquence pas matière à intervention.
POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :
[22] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
| MARK SCHRAGER, J.C.A. |
| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
| ÉRIC HARDY, J.C.A. |
[1] Syndic de Poirier, 2023 QCCS 1615 [jugement entrepris].
[2] Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3.
[3] Syndic de Gestion Frédérik Prévost inc., 2020 QCCS 34, confirmée par Relance DP inc. c. Banque Laurentienne du Canada, 2020 QCCA 955.
[4] Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C-36.
[5] Arrangement relatif à 9298-9524 Québec inc., 2022 QCCS 3077.
[6] Syndic de Poirier, 2022 QCCS 3667, paragr. 56.
[7] Syndic de Poirier, 2022 QCCS 3667, paragr. 33, 57, 63 et 68-70.
[8] Arrangement relatif à 9298-9524 Québec inc., 2023 QCCS 1111.
[9] Id., paragr. 19 et 58-68.
[10] Id., paragr. 26-53.
[11] Id., paragr. 50.
[12] Arrangement relatif à 9298-9524 Québec inc., 2023 QCCA 612.
[13] Requête pour exécution provisoire, datée du 31 mai 2023, paragr. 8 et 18-19, tranchée par le juge Mainville, j.c.a., infra, note 15.
[14] Certificat du dépôt d’une ordonnance de faillite – Article 43 émis le Séquestre officiel, 10 mai 2023, dossier #33-165812 du surintendant de faillite.
[15] Syndic de Poirier, 2023 QCCA 894.
[16] Id., paragr. 9.
[17] Id., paragr. 13.
[18] Id., paragr. 22-28 et 30.
[19] Id., paragr. 29.
[20] Provincial Refining Co. v. Newfoundland Refining Co. (1977) C.B.R. (N.S.) 192, p. 197 (Cour d’appel de Terre-Neuve), confirmée par Provincial Refining Company Limited v. Atlantic Trading (Delaware) Corporation, [1978] 2 R.C.S. 836; voir, appliquant cet arrêt, Marquis, Re, 2004 CanLII 10342 (QC CS), paragr. 14; Corporation Mount Real (Syndic de), 2014 CanLII 58244, paragr. 2 (QC CS); Symonds (Syndic de), 2009 QCCS 2989, paragr. 8-9; Sport Maska Inc. v. RBI Plastique Inc., 2005 NBQB 394, paragr. 49; Bijouterie l'Érudit inc. c. 2964-3729 Québec inc., 1998 CanLII 11844, paragr. 6-8 (QC CS); Jean-Luc Surprenant inc. c. M.J. Robinson Trucking Ltd/ltée, [1986] R.J.Q. 337 (QC CS), paragr. 13; Re 389179 Ontario Ltd., [1979] 29 C.B.R. (N.S.) 221 (ON SC). Voir Houlden, Morawetz et Sarra, The 2022-2023 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act, Toronto: Thomson Reuters Canada, 2022, p. 143, § 3:98; Denis Brochu, Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 6e éd., Montréal : LexisNexis, 2022, p. 301.
[21] Séquestre de Media5 Corporation, 2020 QCCA 943, paragr. 93-94; Bowes v Bowes, 2022 NLCA 5, paragr. 51, citant Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, paragr. 70; 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, paragr. 50.
[22] Ernst & Young inc. v. Aquino, 2022 ONCA 202, paragr. 60; Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 8.1 et 8.2.
[23] 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, paragr. 56, 70-72; CWB Maxium Financial Inc v 2026998 Alberta Ltd, 2021 ABQB 137, paragr. 42.
[24] De la maxime nemo auditur turpitudinem suam allegans. Dans Sàfilo Canada Inc. c. Chic Optic, [2005] R.J.Q. 27, paragr. 22-26 (QC CA), le juge Dalphond conclut d’une manière semblable que l’appelante ne pouvait pas profiter des manœuvres procédurales. Voir aussi C.G. c. Québec (Curateur public), 2015 QCCA 813, paragr. 4 (j. Gagnon).
[25] 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, paragr. 71. Si le pouvoir discrétionnaire statutaire de la Cour supérieure n’était pas assez large, elle retient de toute façon une compétence inhérente en matière de faillite dans le cas où la LFI présente une lacune juridictionnelle, voir récemment Syndic de Chronométriq inc., 2023 QCCA 1295, paragr. 57.
[26] Houlden, Morawetz et Sarra, The 2022-2023 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act, Toronto: Thomson Reuters Canada, 2022, p. 543, § 6:17.
AVIS :
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