Décision

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Décision

Discepola c. Rioux

2014 QCRDL 14126

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

No dossier:

37-120314-018 37 20120314 G

No demande:

18918

 

 

Date :

14 avril 2014

Régisseure :

Anne Morin Houde, juge administratif

 

Moraldo Discepola

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

ISABELLE RIOUX

 

Locataire - Partie défenderesse

et

Raymond Chabot inc. Syndics de faillite

 

Partie intéressée

 

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande le recouvrement du loyer (1 350 $) ainsi que le loyer dû au moment de l’audience et des dommages-intérêts au montant de 2 488,24 $ à la suite d’un déguerpissement de la locataire.

[2]      La preuve démontre que le locateur réclame 1 350 $, soit le loyer des mois de février et mars 2010 et 2 025 $ à titre d’indemnité de relocation pour les loyers des mois d’avril, mai et juin 2010. De plus, des frais d’énergie de 250,94 $ et de dépistage de 63,24 $ sont également requis.

[3]       Or, à l’audience la soussignée informe le locateur que la locataire a fait cession de ses biens le 2 septembre 2010. Le syndic de faillite a requis du tribunal de suspendre la présente procédure à la suite de l’envoi d’un avis de suspension de procédure.

[4]      Le locateur s’oppose à cette suspension car il informe le tribunal n’avoir jamais eu connaissance de cette faillite et il estime avoir droit de recevoir les sommes réclamées.

[5]      Le tribunal a souligné que les prescriptions relatives à la Loi sur la faillite devaient être respectées.

[6]      À ce sujet, le tribunal  retient l’analyse de l’honorable juge Gilles Charpentier dans l’affaire Sussmann c. Kerassinis[1] dans laquelle la Cour du Québec que le tribunal ne pouvait que condamner au dividende auquel le locateur aurait eu droit si une réclamation prouvable avait été déclarée auprès du syndic de faillite.


[7]      Pour une meilleure compréhension de ce litige, le tribunal rapporte ci-dessous le jugement de ce magistrat compte tenu de son analogie avec le présent dossier :

[1]           Le demandeur/locataire en appelle d'une décision de la Régie du logement rendue le 7 novembre 2011 le condamnant à payer au défendeur/locateur une somme de 9 840 $ couvrant les chefs de réclamation suivants :

            a) loyers impayés de septembre 2007 à janvier 2008 (1 600 $ x 5)           8 000 $

            b) frais de courtier                                                                                              1 600 $

            c) frais de nettoyage                                                                                             240 $

                TOTAL                                                                                                             9 840 $

[2]           La requête pour permission d'appeler a été accordée en regard des questions suivantes :

1.       La régisseure, après avoir statué que la réclamation du défendeur était une réclamation prouvable en vertu de l'article 178(1)(f) (L.F.I.), pouvait-elle condamner le demandeur à payer la totalité de la réclamation du défendeur?

2.       Après avoir démontré que la réclamation prouvable du défendeur était visée par l'article 178(1)(f) L.F.I., revenait-il au défendeur de prouver le dividende qu'il aurait eu droit de recevoir si sa réclamation prouvable avait été révélée au syndic?

3.       Sans aucune preuve du dividende qu'aurait eu droit de recevoir le défendeur, la régisseure pouvait-elle condamner le demandeur à payer la totalité de la réclamation prouvable, soit 9 840 $?

4.       La régisseure a-t-elle commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve en déclarant que le demandeur n'a pas pris des moyens raisonnables pour aviser le locateur alors qu'il avait fait cession de ses biens?

[3]           L'appel a été entendu selon la preuve documentaire et testimoniale présentée devant la Régie du logement.

LES FAITS

[4]           Le locataire a quitté le logement au cours du mois d'août 2007 et le locateur réclame 8 000 $, soit le loyer des mois de septembre 2007 à janvier 2008 ainsi que 1 600 $ en frais de courtier pour la relocation du logement à louer ainsi que les frais de 240 $ pour le nettoyage et la peinture.

[5]           À l'audience, le locataire était absent, mais avait expédié avec son avis d'audition la preuve qu'il avait fait cession de ses biens le 1er juin 2009.

[6]           La dette due au locateur n'a pas été déclarée dans la faillite.

[7]           Se basant sur l'article 178(1)(f) de la Loi sur la faillite, la régisseure a déclaré que la dette due au locateur n'était pas libérée, car le locateur ne connaissait pas la situation de faillite du locataire et qu'il s'agit d'une réclamation prouvable au sens de la Loi.

[8]           La Régie du logement a également considéré que les articles 69, 89 et 121 de la Loi sur la faillite s'appliquent.

[9]           Conséquemment, la régisseure a déclaré que la réclamation du locateur était une réclamation prouvable en matière de faillite et que le locataire n'a pas pris les moyens raisonnables pour aviser le locateur alors qu'il avait fait cession de ses biens.

[10]        Elle a donc condamné le locataire à payer au locateur la somme ci-haut décrite.

POSITION DES PARTIES

[11]        L'article 178, paragraphe 1 de la Loi sur la faillite se lit comme suit :

« 178. (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :

a) de toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal, ou de toute autre dette provenant d’un engagement ou d’un cautionnement en matière pénale;

a.1) de toute indemnité accordée en justice dans une affaire civile :

(i) pour des lésions corporelles causées intentionnellement ou pour agression sexuelle,

(ii) pour décès découlant de celles-ci;

b) de toute dette ou obligation pour pension alimentaire;


c) de toute dette ou obligation aux termes de la décision d’un tribunal en matière de filiation ou d’aliments ou aux termes d’une entente alimentaire au profit d’un époux, d’un ex-époux ou ancien conjoint de fait ou d’un enfant vivant séparé du failli;

d) de toute dette ou obligation résultant de la fraude, du détournement, de la concussion ou de l’abus de confiance alors qu’il agissait, dans la province de Québec, à titre de fiduciaire ou d’administrateur du bien d’autrui ou, dans les autres provinces, à titre de fiduciaire;

e) de toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens par des fausses représentations ou des présentations erronées et frauduleuses des faits;

f) de l’obligation visant le dividende qu’un créancier aurait eu droit de recevoir sur toute réclamation prouvable non révélée au syndic, à moins que ce créancier n’ait été averti ou n’ait eu connaissance de la faillite et n’ait omis de prendre les mesures raisonnables pour prouver sa réclamation;

g) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, en application de ces lois, ou dans les dix ans suivant cette date;

h) de toute dette relative aux intérêts dus à l’égard d’une somme visée à l’un des alinéas a) à g).

Ordonnance de non-application du paragraphe (1)

(1.1) Lorsqu'un failli qui a une dette visée à l’alinéa (1)g) n’est plus étudiant à temps plein ou à temps partiel depuis au moins dix ans au titre de la loi applicable, le tribunal peut, sur demande, ordonner que le paragraphe (1) ne s'applique pas à la dette s’il est convaincu que le failli a agi de bonne foi relativement à ses obligations et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra acquitter cette dette.

Réclamations libérées

(2) Une ordonnance de libération libère le failli de toutes autres réclamations prouvables en matière de faillite. »  (notre soulignement)

LES QUESTIONS SOUMISES

1.         La régisseure, après avoir statué que la réclamation du défendeur était une réclamation prouvable en vertu de l'article 178(1)(f) (L.F.I.), pouvait-elle condamner le demandeur à payer la totalité de la réclamation du défendeur?

[12]        Le procureur du locataire plaide qu'il y a erreur en droit et que la régisseure ne pouvait condamner celui-ci à la somme de 9 840 $, car la faillite du locataire l'a libéré de cette dette et que le droit du locateur se limite à percevoir le dividende qu'il aurait effectivement reçu s'il avait produit sa réclamation dans le processus normal.

[13]        Le procureur du locateur prétend que le jugement de la Régie du logement n'a pas à être modifié, car il n'a comme effet que de déterminer le montant dû par le locataire qui devra par la suite effectuer sa réclamation dans le cadre du processus du dossier de faillite.

[14]        Il est déjà de jurisprudence constante que l'omission par un débiteur d'inclure un créancier dans la liste des dettes apparaissant à une cession de biens ne fait pas revivre la créance, mais au contraire libère celle-ci dans les limites prévues par l'article 178(1)(f) de la Loi sur la faillite.

[15]        En d'autres mots, bien que le locataire n'ait pas inclus la dette due au locateur, le locateur ne peut que recevoir le dividende qu'il aurait reçu à titre de créancier sur sa réclamation prouvable si elle avait été dénoncée au syndic.

[16]        La régisseure ne pouvait donc condamner le demandeur à payer la totalité de la réclamation du locateur.

2.         Après avoir démontré que la réclamation prouvable du défendeur était visée par l'article 178(1)(f) L.F.I., revenait-il au défendeur de prouver le dividende qu'il aurait eu droit de recevoir si sa réclamation prouvable avait été révélée au syndic?

[17]        Les parties admettent qu'il n’est nullement évident qu'un dividende serait redevable au locateur à cause de l'ampleur du passif (3 899 771,05 $) et la petitesse de l'actif (6 200,00 $).


[18]        En conséquence, la régisseure, après avoir déclaré que la dette du locataire était une réclamation prouvable au sens de la Loi sur la faillite, aurait dû retourner le dossier au syndic pour production d'une réclamation en bonne et due forme ou ajourner celui-ci à une autre date pour permettre au locateur de prouver le dividende qu'il aurait droit de recevoir.

[19]        Au bout du compte, il revenait donc au locateur de prouver le dividende qu'il aurait eu droit de recevoir.

3.         Sans aucune preuve du dividende qu'aurait eu droit de recevoir le défendeur, la régisseure pouvait-elle condamner le demandeur à payer la totalité de la réclamation prouvable, soit 9 840 $?

[20]        Considérant l'absence de preuve du dividende recevable, la régisseure ne pouvait condamner le locataire à payer au demandeur la totalité de la réclamation prouvable soit 9 840 $.

4.         La régisseure a-t-elle commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve en déclarant que le demandeur n'a pas pris des moyens raisonnables pour aviser le locateur alors qu'il avait fait cession de ses biens?

[21]        La preuve démontre qu'un avis de la cession de biens a été transmis à la régisseure qui a celui-ci en sa possession pour rendre sa décision, et ce, malgré l'absence du locataire.

[22]        La régisseure a donc commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve en déclarant que le locataire n'a pas pris les moyens raisonnables pour aviser le locateur qu'il avait fait cession de ses biens.

[23]        En résumé, dans l'affaire Charbonneau c. Parent (500-09-017915-075), la Cour d'appel précise qu'une dette qui n'a pas été déclarée ne peut faire l'objet du recours puisqu'elle devient alors une réclamation prouvable de la faillite purgée par la libération du failli, et ne donne donc droit qu'aux dividendes.

[24]        Le droit du créancier se limite donc à percevoir du failli, même libéré, les dividendes qu'il aurait reçus si sa créance avait été déclarée.

[25]        Dans le cas présent, les procureurs indiquent qu'il est illusoire de percevoir un dividende et en conséquence, le locateur n'a pas subi de préjudice.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE l'appel, mais sans frais vus les circonstances;

INFIRME la décision de première instance;

DÉCLARE que la créance du locateur se limite aux dividendes qu'il aurait droit de recevoir sur toute réclamation prouvable révélée au syndic;

REJETTE la réclamation du locateur, sans frais.

                                                           Gilles Charpentier, J.Q.C. »

(Notre soulignement)

[8]      Compte tenu du fait qu’aucune preuve n’a été faite à l’audience concernant le dividende que le locateur aurait dû recevoir et que la Cour du Québec souligne que cette preuve aurait dû être faite par le locateur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[9]      ORDONNE au maître des rôles de reconvoquer les parties afin de disposer du montant du dividende auquel le locateur a droit.

 

 

 

 

 

 

 

 

Anne Morin Houde

 

Présence(s) :

le locateur

Date de l’audience :  

18 mars 2014

 


 



[1] 2012 QCCQ 3484.

AVIS :
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