Boucher c. Roy |
2020 QCTAL 8458 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Rivière-du-Loup |
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Nos dossiers : |
525946 07 20200622 G 527672 07 20200706 G |
Nos demandes : |
3007813 3013428 |
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Date : |
26 novembre 2020 |
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Devant le juge administratif : |
Philippe Morisset |
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André Boucher |
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Locataire - Partie demanderesse (525946 07 20200622 G) Partie défenderesse (527672 07 20200706 G) |
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c. |
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René Roy |
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Locateur - Partie défenderesse (525946 07 20200622 G) Partie demanderesse (527672 07 20200706 G) |
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D É C I S I O N
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[1] Le 22 juin 2020, le locataire a introduit une demande par laquelle il cherche des ordonnances de travaux, ainsi qu’une ordonnance afin que le locateur cesse tout harcèlement, en plus des frais.
[2] Quant
au locateur, celui-ci a introduit une demande en résiliation de bail, en
recouvrement du loyer dû au moment de l’audience, incluant l’intérêt légal et
l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[3] Les demandes ont été réunies conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
CONTEXTE
[4] Les parties sont liées par un bail verbal à durée indéterminée au loyer mensuel de 550 $ incluant les frais d’énergie et certains meubles.
[5] Il s’agit d’un logement de trois pièces et demie réparti sur deux étages, situé dans un immeuble comportant cinq logements.
[6] Le locataire habite le logement depuis environ cinq ans.
Demande du locataire
[7] Le locataire témoigne qu’il y a présence de moisissure au pourtour du bain et sur les murs de la douche. Selon le locataire, le revêtement de la douche est à changer vu son très mauvais état.
[8] Des photos du contour du bain ont été produites[1].
[9] Le locataire désire que le locateur effectue le remplacement du contour du bain.
[10] Le locataire se plaint également des marches de son logement. Il explique que des moulures se décollent et que cela est dangereux.
[11] Quant aux autres demandes de travaux, le locataire mentionne que le locateur a fait les travaux nécessaires.
[12] Finalement, le locataire témoigne être victime de harcèlement. Il mentionne que le locateur n’effectue pas les travaux qu’il demande. Il ajoute que le locateur venait souvent au logement pour percevoir le loyer, bien qu’il admette qu’il avait des retards. Il expose avoir mentionné au locateur qu’il était payé aux deux semaines et que cela ne servait à rien de se présenter toutes les semaines pour obtenir le paiement complet du loyer.
[13] À cela s’ajoute qu’il a dû faire lui-même un perron afin de pouvoir avoir accès à son logement sans devoir être dans la boue, puisque le locateur n’a pas répondu à ses demandes.
[14] En défense, le locateur explique que le logement a été livré en bon état et qu’il occupait le logement avant qu’il ne soit loué au locataire.
[15] Le locateur mentionne qu’il va effectuer les travaux nécessaires pour le contour du bain et les marches du logement dès que l’entrepreneur sera libre.
[16] Il nie avoir harcelé le locataire.
Demande du locateur
[17] Au soutien de sa demande, le locateur mentionne que le locataire est en retard dans le paiement de son loyer et qu’il paye fréquemment son loyer en retard.
[18] Le locateur témoigne que le locataire doit 800 $ à titre de loyer dû jusqu’au mois de novembre 2020 inclusivement.
[19] Quant aux retards fréquents, le locateur mentionne que le locataire n’a jamais payé le premier du mois durant les 12 derniers mois. Cette situation lui cause préjudice, car il doit assumer plusieurs frais récurrents sur l’immeuble, tels que l’hypothèque, les taxes foncières et scolaires, les assurances et les frais d’entretien.
[20] Lorsque le locataire ne paie pas son loyer à temps, cela lui cause un manque de liquidité qu’il n’a pas la capacité de combler. Il se retrouve donc dans une position financière négative.
[21] Il reproche également au locataire la réalisation de travaux sans droit, dont le perron ainsi que l’installation d’une piscine. En date de l’audience, la piscine a été retirée par le locataire.
[22] Finalement, le locateur ajoute que le locataire stationne fréquemment son véhicule tout-terrain sur le trottoir de l’immeuble, ce qui cause une difficulté d’accès pour les autres locataires de l’immeuble.
[23] Le locateur a fait témoigner madame Patience Roy. Madame Roy est sa conjointe. Elle confirme que son conjoint s’est présenté fréquemment au logement du locataire pour percevoir le loyer.
[24] Elle ajoute également que préalablement à la prise de possession du logement par le locataire, plusieurs travaux ont été faits.
[25] En défense, le locataire admet devoir une somme de 800 $ à titre de loyer. Lors de l’audience, une somme de 250 $ est remise au locateur, laissant un solde de 550 $.
[26] Pour justifier ses retards dans le paiement de son loyer, le locataire mentionne avoir perdu son emploi et qu’il a connu des difficultés financières par la suite.
[27] Quant à la présence de son véhicule tout-terrain, il explique le stationner afin de limiter l’accès des véhicules près de son logement, puisque plusieurs véhicules venaient se retourner. Le locataire nie bloquer l’accès.
[28] Voilà ce qui résume l’essentielle de la preuve des parties.
QUESTIONS EN LITIGE
1. Le locataire a-t-il droit aux ordonnances de travaux recherchées?
2. Le locataire est-il victime de harcèlement justifiant l’ordonnance recherchée?
3. Le locateur a-t-il droit à la résiliation du bail?
DÉCISION
Le locataire a-t-il droit aux ordonnances de travaux recherchées?
[29] La preuve démontre que le contour du bain nécessite des travaux vu son mauvais état.
[30] Il en est de même relativement aux marches du logement.
[31] Lors de l’audience, le locateur a indiqué au Tribunal qu’il allait effectuer les travaux nécessaires dès qu’un entrepreneur sera libre.
[32] Bien que le locateur entende faire les travaux, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu tout de même de faire droit aux demandes d’ordonnances afin d’imposer un délai au locateur pour les effectuer, soit au plus tard le 31 janvier 2021.
Le locataire est-il victime de harcèlement justifiant l’ordonnance recherchée?
[33] Dans son article intitulé, « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec »[2], l’auteur Pierre Pratte définit le harcèlement comme suit :
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l’effet dérangeant qu’elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l’auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l’article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit : “Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d’un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d’obtenir qu’il quitte le logement.” »
[34] Il ajoute ce qui suit :
« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement ; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d’une stratégie plus ou moins planifiée en vue d’atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l’effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire[3]. »
[35] L’auteur Denis Lamy, dans son ouvrage sur le harcèlement[4], le définit comme suit :
« Conduite vexatoire, généralement répétée et continue, qu’une personne adopte envers une autre, ses proches ou ses biens, se manifestant notamment par des comportements, des propos, des actes ou des gestes répétés, insultants, intimidants, illicites, humiliants, malveillants, discriminants, dégradants ou injurieux ; qui sont soit hostiles ou non désirés, lesquels portent atteinte à la dignité ou à l’intégralité psychologique ou physique du locataire, en vue d’obtenir que ce dernier quitte son logement ou ayant comme conséquence de restreindre de façon continue et significative le droit de ce dernier au maintien dans les lieux ou son droit à la jouissance paisible des lieux. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif pour le ou la locataire. »
[36] La Cour supérieure, dans l’affaire Huot c. Martineau, reprenait avec approbation la définition suivante :
« Le harcèlement est un comportement volontaire, généralement répété et continu d’un locateur ou son représentant ou toute autre personne, se manifestant par des paroles, des actes ou des gestes à caractère vexatoire, méprisant ou intimidant à l’encontre d’un locataire, ses proches ou ses biens en vue de restreindre sa jouissance paisible des lieux ou qu’il quitte le logement[5]. »
[37] L’intention malicieuse doit donc apparaître dans les agissements du locateur dans le cadre d’une stratégie planifiée.
[38] Il est reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective, puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle des locataires[6].
[39] Le Tribunal doit apprécier l’ensemble des faits de façon objective et chercher à déterminer si les gestes posés peuvent raisonnablement être qualifiés d’actes de harcèlement constituant une série de mesures systémiques ayant comme conséquence de restreindre le droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir que les locataires quittent le logement.
[40] Des faits mis en preuve, le Tribunal ne peut conclure que le locataire a été victime de harcèlement. De l’avis du Tribunal, le locateur n’a fait qu'exercer son droit de percevoir le loyer en retard, retard que le locataire a admis.
[41] Quant aux autres prétentions du locataire, il s’agit plutôt de mésententes entre les parties, lesquelles ne constituent pas du harcèlement au sens des principes énoncés ci-devant.
[42] La demande d’ordonnance est donc rejetée.
Le locateur a-t-il droit à la résiliation du bail?
[43] L’article
[44] Également, l’article
« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s’il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »
[45] Qu’en est-il dans la présente affaire ?
[46] La preuve démontre que le locataire doit la somme de 550 $ à titre de loyer pour le mois de novembre 2020.
[47] Le locataire n’étant
pas en retard de plus de trois semaines au moment de l’audience en vertu de
l’article
[48] Quant au deuxième motif de résiliation, le locateur invoque les retards fréquents du locataire à payer son loyer. Pour obtenir cette conclusion, la loi impose qu'il fasse également la preuve du préjudice sérieux que ces retards lui occasionnent. Il mentionne que le loyer a été payé en retard à tous les mois au cours des 12 derniers mois.
[49] Le locataire a admis ne pas payer ses loyers le premier jour du mois et, par conséquent, les retards.
[50] La preuve démontre que le locateur a effectué de nombreuses démarches auprès du locataire pour percevoir son loyer. À cela s’ajoutent les difficultés financières occasionnées au locateur par les retards.
[51] De plus, la preuve démontre que le locataire paie ses loyers selon son bon vouloir.
[52] Pour le Tribunal, le locateur a démontré subir un préjudice sérieux occasionné par les fréquents retards du locataire à payer son loyer, il est donc en droit d'obtenir la résiliation du bail.
[53] Cependant, le Tribunal considère qu'il y a lieu de surseoir
à la résiliation du bail pour retards fréquents et d'y substituer l'ordonnance prévue à l'article
[54] Cette ordonnance sera en vigueur à compter du 1er janvier 2021, vu le délai légal d'exécution de la présente décision. Le bail étant à durée indéterminée, l’ordonnance sera pour une durée de 24 mois, si le bail fait l’objet de reconduction durant cette période.
[55] Il s'agit là d'une ordonnance sévère. Advenant le défaut du locataire de payer son loyer le premier de chaque mois, le Tribunal, sur demande du locateur, résiliera le bail.
[56] Quant aux autres motifs de résiliation invoqués par le locateur, le Tribunal est d’avis que le locateur n’a pas rempli son fardeau de preuve. Pour le Tribunal, le locateur n’a pas fait la preuve qu’il en subissait un préjudice sérieux. Le Tribunal rappelle qu’il y a lieu de faire la distinction entre un inconvénient ou un simple préjudice et un préjudice que l’on peut qualifier de sérieux.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Sur la demande 525946
[57] ACCUEILLE en partie la demande du locataire;
[58] ORDONNE au locateur de procéder aux travaux nécessaires afin de remettre en bon état le contour du bain et les marches du logement, et ce, au plus tard le 31 janvier 2021;
[59] CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais judiciaires de 87,75 $.
Sur la demande 527672
[60] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[61] SURSOIT à la résiliation et ORDONNE au locataire de payer son loyer le premier jour de chaque mois à compter du 1er janvier 2021, et ce, pour une durée de 24 mois, si le bail fait l’objet de reconduction durant cette période;
[62]
CONDAMNE le locataire à payer au locateur 550 $, plus les
intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle
prévue à l'article
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Philippe Morisset |
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Présence(s) : |
le locataire le locateur |
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Date de l’audience : |
10 novembre 2020 |
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[1] Pièce L-1.
[2] (1996) 56 R. du B. 3, page 6.
[3] Idem note 10, p.3.
[4] Lamy, Denis, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, 2004, Éd. Wilson et Lafleur Ltée, p. 6.
[5] 2004 CanLII 40641 (QC CS),
[6] Idem note 12, pp. 206 à 208.
[7] « 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer ; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.