Décision

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Syndic de Mamoun

2018 QCCS 4702

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre commerciale)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

 

500-11-054361-189

 

 

 

DATE :

16 octobre 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARIE-ANNE PAQUETTE, j.c.s.

_____________________________________________________________________

 

DANS L’AFFAIRE DE LA FAILLITE DE

 

AHMED MAMOUN

et

M. DIAMOND & ASSOCIÉS INC.

Failli - INTIMÉ

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Opposante - APPELANTE

et

SURINTENDANT DES FAILLITES

            Mis en cause - MIS EN CAUSE

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur la Requête de la Procureure générale du QUébec en appel d’une décision du registraire (séq. 12)

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]           La Procureure générale du Québec (PGQ) en appelle du jugement de la registraire, Me Chantal Flamand, qui rejette sa demande en rejet de la Demande de monsieur Ahmed Mamoun pour être libéré d’une dette découlant d’un prêt étudiant.

[2]           Le Tribunal conclut que ce jugement est entaché d’une erreur de droit en ce qui a trait au calcul du délai de 5 ans à compter duquel un failli peut se prévaloir de l’article 178 (1.1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI[1]) pour faire une demande afin d’être libéré d’une dette découlant d’un prêt étudiant. L’appel est donc accueilli et la demande de M. Mamoun pour être libéré de cette dette est rejetée parce que prématurée.

1.            LE CONTEXTE

[3]           Le 7 mai 2010, M. Mamoun fait cession de ses biens.

[4]           Le 8 février 2011, il est partiellement libéré de ses dettes. En effet, le jugement de libération ne couvre pas ses dettes aux termes d’un prêt étudiant contracté de 1997 à 2003.

[5]           Du 27 novembre 2014 au 16 avril 2015, M. Mamoun retourne aux études[2].

[6]           Le 19 avril 2018, il présente une demande en vertu de l’article 178(1.1) de la LFI pour être libéré des dettes découlant d’un prêt étudiant.

[7]           Le 25 avril 2018, la PGQ présente une Demande préliminaire en rejet de la demande de M. Mamoun pour être libéré de dettes découlant d’un prêt étudiant.

[8]           Le 4 mai 2018, la registraire rejette cette demande en rejet.

[9]            Le 10 mai 2018, la PGQ dépose sa Requête en appel de la décision de la registraire, dont le présent jugement dispose.

2.            L’ANALYSE

 

[10]        L’appel est logé ici en vertu de l’article 192 (4) de la LFI. À moins que le jugement de la registraire ne soit entaché d’une erreur manifeste ou que la registraire n’ait pas exercé sa discrétion de manière judiciaire ou judicieuse, le Tribunal ne peut intervenir pour modifier la décision de la registraire[3].

[11]        D’entrée de jeu, une précision s’impose.

[12]        L’audience a eu lieu le 25 avril 2018.  À la fin de cette audience, la registraire s’est engagée à déposer les motifs détaillés de son jugement, ce qui a été fait le 4 mai 2018.

[13]        Bien que la registraire ait verbalement fait des commentaires, exprimé des réflexions et donné certains motifs au fil de cette audience, les motifs au soutien de son jugement sont ceux retenus dans le jugement détaillé qui a été signé après l’audience et qui a été communiqué aux parties le 4 mai 2018. Les motifs et conclusions qui doivent être considérés aux fins du présent appel sont ceux exprimés à ce jugement écrit.

[14]        Le litige porte sur l’interprétation de l’article 178 (1.1.) de la LFI, qui permet à un failli de présenter une demande pour être libéré d’une dette découlant d’un prêt étudiant s’il remplit certaines conditions, dont celle de ne plus être un étudiant depuis au moins cinq ans :

 (1) [L’ordonnance de libération ne libère pas des dettes] Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :[…]

g) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable, ou dans les sept ans suivant cette date;

g.1) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt octroyé au titre de la Loi sur les prêts aux apprentis lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé, au regard de cette loi, d’être un apprenti admissible, au sens de cette loi, ou dans les sept ans suivant cette date;

[…]

(1.1.) [Ordonnance de non-application du paragraphe (1)] Lorsque le failli qui a une dette visée aux alinéas (1)g) ou g.1) n’est plus un étudiant à temps plein ou à temps partiel ou un apprenti admissible, selon le cas, depuis au moins cinq ans au regard de la loi applicable, le tribunal peut, sur demande, ordonner que la dette soit soustraite à l’application du paragraphe (1) s’il est convaincu que le failli a agi de bonne foi relativement à ses obligations découlant de cette dette et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra pas acquitter celle-ci.

[Soulignements du Tribunal]

 

[15]        Les parties avancent des interprétations différentes sur le point de départ du calcul de ce délai de 5 ans.

[16]        Selon le failli, le point de référence pour le calcul de la période de cinq ans prévue à l’article 178 (1.1) de la LFI serait la dernière période d’étude avant la faillite. Puisque la faillite libère des dettes contractées avant la date de la faillite, un retour aux études après la date de la faillite n’aurait donc aucun impact sur le calcul de la période de cinq ans.  

[17]        Selon la PGQ, il n’existerait qu’une seule date de fin d’études. Ainsi, tout retour aux études devrait être considéré pour déterminer si le failli a cessé d’être un étudiant depuis au moins 5 ans, et ce, peu importe la date à laquelle cette fin d’études survient par rapport à la date de la faillite.

[18]        Dans son jugement, la registraire retient qu’il existe une jurisprudence discordante en ce qui a trait à la date de fin d’études aux fins d’établir le point de départ du calcul du délai pour demander la libération de dettes résultant de prêts étudiants. La demande préliminaire en rejet est rejetée pour ce motif[4].

[19]        Avec respect, cette conclusion du jugement de la registraire est entachée d’une erreur manifeste et déterminante dans l’interprétation de l’article 178(1.1.) de la LFI.

[20]        En effet, puisque l’intimé a effectué un retour aux études du 27 novembre 2014 au 16 avril 2015, il n’a pas cessé d’être étudiant depuis 5 ans. La période de cinq ans expire le 16 avril 2020. Il ne remplissait donc pas cette condition incontournable de l’article 178(1.1.) de la LFI et la registraire aurait dû accueillir la demande en rejet de la PGQ.

[21]        Plus précisément, l’article 178 (1.1.) de la LFI exige que le failli qui souhaite présenter une demande pour être libéré d’une dette découlant d’un prêt étudiant ait cessé d’être étudiant depuis 5 ans.

[22]        Il est également établi que la « loi applicable » à laquelle réfère l’article 178(1.1.) de la LFI est la Loi sur l’aide financière aux études[5], qui définit ainsi les notions d’ «étudiant», «étudiant à temps plein» et «étudiant à temps partiel» :

2. Pour l’application de la présente loi :

[…]

« étudiant » signifie la personne qui poursuit des études secondaires en formation professionnelle ou des études post-secondaires.

[…]

9. Pour l’application de la présente section, est à temps plein l’étudiant qui, selon l’établissement d’enseignement fréquenté, a un tel statut et est à temps partiel l’étudiant qui, n’étant pas à temps plein, reçoit un minimum de 20 heures d’enseignement par mois.

[Soulignements du Tribunal]

[23]        Or, une jurisprudence abondante et non contredite a confirmé à de nombreuses reprises qu’il n’existe qu’une seule date de fin d’études, que celle-ci survienne avant, pendant ou après la date de la cession de biens[6].

[24]        La jurisprudence est également constante quant au fait que la notion de statut d’étudiant n’est pas rattachée à l’obtention d’un prêt d’étude. Une personne peut donc être considérée avoir un statut d’étudiant pendant une période, et ce, même si elle ne bénéficie pas d’un prêt étudiant pendant cet intervalle de temps[7].

[25]        La Cour d’appel du Québec a rappelé à plusieurs reprises les objectifs et justifications qui sous-tendent cette interprétation, au sujet de laquelle il n’existe pas de controverse jurisprudentielle. L’objectif de cet article est décrit de la façon suivante par la trilogie de la Cour d’appel mentionnée ci-dessous:

Damache (syndic de), 2012 QCCA 2014

             [28] Le but de la protection de l'article 178(1) g) LFI n'est certes pas de faciliter la faillite des individus, non plus que de désavantager les personnes de bonne foi qui décident de se prendre en main. Son objectif est de conférer un avantage aux gouvernements et d'éviter qu'ils subissent des pertes pour les dettes d'études à la suite de la libération des étudiants.

Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 716

[45] L'interprétation retenue par le premier juge, dont le résultat est le même que celui auquel sont arrivés parfois d'autres registraires ailleurs au Canada, ne serait pas sans poser des sérieux problèmes pratiques. Ainsi, prenons l’hypothèse d'un étudiant qui obtient un premier diplôme grâce aux prêts gouvernementaux, interrompt provisoirement ses études pour les reprendre ensuite de manière continue, et finalement fait faillite peu après avoir obtenu son deuxième diplôme. Ainsi, la conséquence d’une multiplication des dates de fin d'études serait de permettre partiellement ce que le législateur cherchait précisément à interdire : la faillite opportuniste, celle qui survient sans que l'étudiant ait réellement tenté de capitaliser sur son éducation et sans que le Ministre ait eu l'opportunité de recouvrer sa créance. Le législateur ne peut pas avoir voulu un tel résultat.Québec (Procureur général) c. Paulin, [2008] R.J.Q. 16          

[76] Il ressort de ces sources que l'intention du législateur était de minimiser les pertes subies par les gouvernements en conséquence de la libération des débiteurs faillis de leurs dettes d'études.

[26]        Le Tribunal reprend ici intégralement ces propos du juge Gary Morrison dans un jugement récent :

[32] La date cruciale aux fins d’analyse est celle à laquelle le failli a cessé d’être étudiant à temps plein ou partiel.  Cette date n’est pas fixe et peut repartir à zéro, tout dépendant des faits.

[33] De plus, il faut noter que l’article 178 (1) g) LFI prévoit précisément, entre autres, le cas où la date de faillite précède celle où le failli cesse d’être étudiant.  Dans un tel cas, la dette n’est pas libérée.

[34] Sans vouloir dire que la date de faillite n’a pas d’importance, cette date, au sens dudit article, en est une de référence seulement et ne donne pas lieu à une cristallisation des faits.

[35] Permettre à un débiteur de faire cession de ses biens et, par la suite, même le lendemain, de retourner aux études, contournant ainsi l’objectif de l’article 178 (1) g) LFI, ne peut être le résultat voulu par le Législateur

[36] De l’avis du Tribunal, une situation semblable représente une autre forme de « faillite opportuniste ».[8]

[Soulignements du Tribunal]

[27]        Ici, M. Mamoun aurait rempli la condition de cinq ans et aurait pu présenter une demande pour être libéré de ses dettes découlant de prêt étudiant dès 2008. Cependant, aucune telle demande n’a été faite et tous reconnaissent que la libération pour les dettes résultant d’un prêt étudiant ne s’opère pas de plein droit lorsque le failli n’est plus étudiant depuis cinq ans.

[28]        Or, son retour aux études au Collège Vanier du 27 novembre 2014 au 16 avril 2015 a remis le compteur à zéro, a redémarré le calcul de la période de cinq ans et a repoussé l’expiration de cette période au 16 avril 2020.

[29]        Avec égards, la sympathie que le cas de M. Mamoun soulève ne permettait pas de passer outre aux conditions claires de l’article 178(1.1) de la LFI, tel qu’interprété à de multiples reprises par la Cour d’appel du Québec.

[30]        Il ressort de ces arrêts que les principes qui y sont énoncés s’appliquent, peu importe que la date de retour aux études et de fin des études soit antérieure, concomitante ou postérieure à la date de la faillite. Le fait que quelques jugements de première instance[9] aient retenu des interprétations différentes n’autorisait pas à conclure ici à l’existence d’une controverse jurisprudentielle.

[31]        Avec respect, les règles du stare decisis et l’importance de la prévisibilité des jugements imposait de suivre les enseignements répétés de la Cour d’appel du Québec en cette matière.

[32]        Par souci d’économie judiciaire, il est dans l’intérêt de tous de mettre un terme à ce débat qui est présentement voué à l’échec.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]        ACCUEILLE la Requête en appel de la décision de la registraire;

[34]        INFIRME le jugement de la registraire Chantal Flamand rendu le 25 avril 2018 (motifs déposés le 4 mai 2018);

[35]        REJETTE la Requête du failli pour obtenir la libération d’une dette découlant d’un prêt étudiant;

[36]        SANS FRAIS.

 

 

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MARIE-ANNE PAQUETTE, j.c.s.

 

Me Paule Lafontaine

EIDINGER & ASSOCIÉS

Avocat du Failli - INTIMÉ

 

Me Anne-Sophie Bourdeleau-Roy

BERNARD, ROY (Justice Québec)

Avocat de l’opposante - APPELANTE

 

Date d’audience :

9 octobre 2018

 

 



[1]     L.R.C. (1985) ch. B-3.

[2]     Confirmation des renseignements scolaires (Pièce I-1)

[3]     Tousignant (Syndic de), C.A., no. 200-09-001872-982, 14 février 2001, par. 28; B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315.

[4]     Jugement dont appel, par. 6-7.

Au soutien de la position de la PGQ : Damache (syndic de), 2012 QCCA 2014 et Québec (Procureur général) c. Paulin, [2008] R.J.Q. 16 (C.A.).

Au soutien de la position du failli : St. Dennis (Re), 2017 ONSC 2417 (CanLII) et Milne (Re), 2015 BCSC 1680 (CanLII).

[5]     RLRQ c. A-13.3 ; Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 726, par. 13.

[6]     Damache (syndic de), 2012 QCCA 2014, par. 22-23, 30-33; Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 716, par. 44-48, 51; Syndic de Bataille, 2017 QCCS 4400, par 20-25, 31-34; Gervais (syndic de), C.S.M., 500-11-020709-032, 13 mars 2013, par 10-12, 17; Fontaine c. Québec (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport), 2009 QCCS 1482, par. 23-25, 32-34; Huynh (Syndic de), 2008 QCCS 6764, par 5, par 11-14

[7]     Damache (syndic de), 2012 QCCA 2014, par. 23-27, 30-33; Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 716, par. 33-36; Huynh (Syndic de), 2008 QCCS 6764, par. 11.

[8]     Syndic de Bataille, 2017 QCCS 4400.

[9]     St. Dennis (Re), 2017 ONSC 2417 (CanLII), par. 13, 14, 22; Roy (Re), 2016 BCSC 1845 (CanLII), par. 22; Mallory (Re), 2015 BCSC 5 (CanLII), par. 66-70.

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