Trudel c. 9280-4178 Québec inc. | 2024 QCTAL 14593 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 748218 31 20231128 G | No demande : | 4124099 | |||
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Date : | 03 mai 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Lucie Béliveau | |||||
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Gilles Trudel |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
9280-4178 Québec Inc. |
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Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours introduit le 28 novembre 2023, le locataire demande des ordonnances à l’encontre de la société locatrice afin qu’elle exécute des travaux. Il demande également une diminution de loyer mensuelle de 100 $ pour la période hivernale depuis l’année 2021, à raison de trois mois par hiver pour un total de neuf mois avec la condamnation de la société locatrice au paiement des frais de justice ainsi que l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
APERÇU ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le locataire
[3] Le locataire affirme que la société locatrice n’a pas rempli ses obligations, ce qui a diminué la jouissance paisible de son logement et lui a causé des inconvénients.
[4] Le 20 juin 2022, le locataire prétend avoir notifié une lettre au gestionnaire pour lui demander de changer sa fenêtre et la porte-patio parce qu’elles gèlent en hiver.
[5] Or, à l’occasion d’une rencontre avec les locataires, en juillet 2022, le mandataire de la société locatrice s’est engagé à remplacer sa fenêtre et sa porte-patio.
[6] Il explique que de la condensation se forme sur la fenêtre de sa chambre et sur la porte-patio dès le mois d’octobre et qu’en hiver, elles gèlent substantiellement, de sorte que cela l’empêche d’ouvrir la fenêtre de sa chambre et la porte-patio. Il s’inquiète pour sa sécurité en cas de feu par exemple.
[7] De plus, lorsque la température est plus clémente et que la glace fond, cela l’oblige à éponger l’eau qui s’accumule sous sa fenêtre, sur le calorifère et dans les rainures intérieures et extérieures de la porte-patio. Il doit étendre des serviettes avant d’aller dormir pour éviter les dégâts d’eau durant la nuit.
[8] Devant l’inaction de la société locatrice, le locataire notifie à la société locatrice une mise en demeure le 24 avril 2023 par voie de courrier recommandé, reçue le 1er mai 2023.
[9] Malgré ses avis verbaux et écrits, la société-locatrice n’effectue pas les rénovations ou réparations demandées.
[10] La seule intervention se résume au passage d’un ouvrier qui dernièrement, a pris les mesures de la porte-patio.
Une amie
[11] Une amie du locataire corrobore les prétentions du locataire concernant le gel et l’eau qui coule de la fenêtre et de la porte-patio.
Une locataire de l’immeuble
[12] Elle confirme qu’à la réunion entre la société locatrice et les locataires, le mandataire lui a également promis que sa fenêtre et sa porte-patio seraient changées car elle avait les mêmes problèmes.
Le frère du locataire
[13] Il rend visite presque toutes les fins de semaine à son frère et il est à même de constater que la porte-patio et la fenêtre du logement gèlent durant les mois d’hiver et qu’il est impossible de les ouvrir.
La société locatrice
[14] Le mandataire explique que l’immeuble a été construit en 1985 et que les fenêtres et portes-patio sont d’origine.
[15] Il est conscient que le niveau d’humidité dans le logement du locataire n’est pas le problème.
[16] Il a obtenu une soumission pour le changement de la porte-patio et le coût est de 3 485 $.
1- Les ordonnances sont-elles justifiées?
2- La société locatrice a-t-elle commis une faute donnant ouverture à des dommages moraux?
[17] Le Tribunal souligne qu’il a bien pris note de l’ensemble des témoignages et analysé attentivement toute la preuve administrée devant lui, mais qu’il sera uniquement fait mention à la présente des éléments pertinents retenus et fondant la décision.
Fardeau de la preuve
[18] Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
[19] Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
[20] Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
[21] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].
Obligations découlant d’un bail de logement
[22] Plusieurs obligations découlent d’un contrat de bail de logement, notamment pour le locateur l'obligation de livrer le logement en bon état de réparation de toute espèce, de procurer au locataire la jouissance paisible du bien loué pendant toute la durée du bail, de garantir que celui-ci peut servir à l’usage pour lequel il a été loué, de faire toutes les réparations nécessaires (autres que le menues réparations d’entretien), de garantir que le logement est apte à servir à l'usage pour lequel il est loué et de l’entretenir à cette fin durant toute la durée du bail[2].
[23] Dans l’éventualité où le locateur ne respecte pas ses obligations, un locataire peut demander l’exécution en nature sous la forme d’une ordonnance, de même que des dommages moraux[3].
Les ordonnances
Le changement de la porte-patio et de la fenêtre de la chambre
[24] De la preuve et des témoignages entendus, il ne fait pas de doute que la porte-patio et la fenêtre de la chambre du logement sont désuètes et ont besoin d’être changées. Elles sont fort probablement en fin de vie utile après avoir été installées depuis plus de 35 ans.
[25] Cette situation comporte un risque pour la sécurité du locataire qui ne pourrait évacuer son logement si le passage est inaccessible.
Les dommages moraux
[26] Le Tribunal doit clarifier la différence qui existe entre une diminution de loyer et des dommages moraux, il convient de reproduire des extraits d’une décision de la Cour du Québec[4] :
« (67) C’est ici qu’il convient de rappeler que le recours en diminution de loyer doit être distingué de celui en dommages. Le premier vise à rétablir l’équilibre des prestations en évaluant, de façon objective, la valeur de la perte locative subie alors que le second vise à compenser le préjudice subi en raison de la commission d’une faute 1.
(68) Or et s’agissant de la réclamation pour dommages moraux, Boardwalk a plaidé devant la Régie qu’en procédant aux réparations au stationnement intérieur de son immeuble, elle n’a commis aucune faute et n’a fait qu’exécuter l’obligation qui était sienne imposée aux propriétaires d’un parc de stationnement au terme des articles
(…)
(74) Le défaut de la Régie de se prononcer sur cette question constitue une erreur manifeste et déterminante et il y a lieu pour le Tribunal d’infirmer sa décision sur ce point. La preuve offerte ne démontrant pas que Boardwalk ait pu avoir commis une faute, il s’en suit qu’il ne pouvait y avoir octroi, à son encontre, de dommages moraux en faveur de la locatrice. »
[Renvois omis]
[27] Les dommages moraux visent à compenser le préjudice subi en raison de la commission d’une faute du locateur. L'attribution de dommages-intérêts compensatoires et l'évaluation des pertes subies obéissent donc aux règles générales du droit commun. Aussi, le tribunal doit considérer le lien de causalité qui existe entre la faute reprochée et les dommages réclamés. Les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance[5].
[28] Les dommages moraux visent à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue, les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables[6].
[29] Le Tribunal estime que la faute de la société locatrice a été démontrée puisqu’en date de l’audience, la problématique n’a toujours pas été réglée et qu’elle dure depuis plusieurs années malgré les avis donnés à la société locatrice.
[30] Le locataire qui aime faire aérer son logement n’a pas pu bénéficier d’air frais, il avait la crainte de ne pouvoir évacuer du logement par la fenêtre ou la porte-patio, il a dû éponger à plusieurs reprises la glace qui dégelait.
[31] Le Tribunal accorde une somme globale et forfaitaire de 500 $.
[32] Par ailleurs, en raison des circonstances exposées à l’audience, l'exécution provisoire de la présente décision est injustifiée[7].
[33] Finalement, tel que prévu par règlement[8], le locataire a droit aux frais de justice, lesquels ne correspondent pas nécessairement à tous les types de frais encourus et aux montants déboursés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[34] ACCUEILLE en partie la demande du locataire;
[35] ORDONNE à la société locatrice de changer la porte-patio et la fenêtre du logement du locataire d’ici le 1er juillet 2024;
[36] CONDAMNE la société locatrice à payer au locataire la somme de 500 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[37] REJETTE quant au surplus et aux autres conclusions.
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Lucie Béliveau | ||
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Présence(s) : | le locataire le mandataire du locateur | ||
Date de l’audience : | 30 janvier 2024 | ||
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[1] Articles
[2] Articles
[3] Articles
[4] FPI Boardwalk Québec inc. c. Isik, C.Q., 2020-08-04, 2020 QCCQ 2875,
[5] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., C.S. Can., 1978-01-19,
[6] Idem.
[7] Article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, chapitre T-15.01.
[8] Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, R.R.Q., c. T 15-01, r. 6.
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