Pilon c. Touchette |
2011 QCRDL 5694 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Saint-Jean-sur-Richelieu |
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No : |
25 101217 002 G |
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Date : |
14 février 2011 |
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Régisseure : |
Anne Morin, juge administratif |
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André Pilon
France Archambault |
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Locateurs - Partie demanderesse |
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c. |
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Lucie Touchette |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les
locateurs ont déposé à la Régie du logement, le 17 décembre 2010, une demande
d’autorisation de reprendre le logement occupé par la locataire afin d’y loger leur
fille, conformément à l’article
[2] Selon la demande, le bail couvre la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 à un loyer mensuel de 550 $.
[3] La preuve présentée révèle qu’un avis de reprise du logement a été expédié à la locataire et qu’elle a refusé le droit à la reprise. Les locateurs sont propriétaires de l’immeuble.
[4] Ils
ont introduit le présent recours à la suite de ce refus, conformément à
l’article
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.»
[5] Les
requérants doivent établir que leur fille entend réellement habiter le logement
et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins (art.
[6] La preuve démontre que la fille des locateurs Caroline Pilon soutient vouloir vivre dans le logement de la locataire. Elle y vivra avec son conjoint car le logement qu’elle occupe ne comprend que 31/2 pièces. Elle souhaite se rapprocher de sa famille.
[7] En défense, la locataire craint de ne pas trouver un logement adéquat. Elle aurait souhaité continuer à y vivre et se demande si elle est évincée pour le motif que son loyer est inférieur aux autres locataires.
Bonne foi des locateurs
[8] En
vertu des articles
[9] De
plus, selon l’article
[10] Dans la cause Simard-Godin c. Gibeault, La Régie du logement a interprété cette notion de bonne foi en ces termes :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre, la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur a requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause[2].
[11] Les locateurs souhaitent toutefois reprendre le logement de la locataire en vertu du droit de propriété qu’ils possèdent sur cet immeuble afin de permettre à leur fille d’y vivre.
[12] Dans l’affaire Dagostino c. Sabourin, Me Jean Bisson a déjà décidé que :
«Lors de la de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent : d'une part le droit du propriétaire d'un bien d’en jouir comme bon lui semble et, d'autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit que le législateur impose des conditions au locateur[3].»
[13] De plus, la jurisprudence de la Régie établit que l'existence de conflits ou de tensions entre les parties ne permet pas au tribunal, de ce seul fait, de conclure automatiquement à la mauvaise foi du locateur[4].
[14] Ainsi, dans Lavigne c. Bathily, Me De Palma, régisseure à la Régie du logement, énonçait relativement à cette problématique :
« En l’espèce, il est vrai qu’un conflit existe entre les parties, de même qu’avec le frère du locateur mais ces conflits, du seul fait qu’ils existent, ne permettent pas au tribunal de conclure automatiquement à la mauvaise foi du locateur.
En l’espèce, le tribunal considère que le locateur respecte les exigences de la loi quant à la reprise de logement et il est satisfait que ce dernier désire réellement habiter le logement du locataire[5].»
[15] Après analyse de la preuve soumise, le tribunal est convaincu du fait que la fille des locateurs entend réellement reprendre le logement concerné pour s’y loger et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre une autre fin. Il ne s’agit manifestement d’un cas où un locateur cherche uniquement à évincer un locataire. Pour ces motifs, le tribunal autorisera la reprise du logement.
Indemnité
[16] Le tribunal note que
la locataire a droit à une indemnité fondée sur l’article
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.»
[17] L’analyse du droit applicable révèle que l’exercice du droit à la reprise constitue un droit légitime reconnu par la loi. Il n’y a donc pas lieu de pénaliser un locateur pour l’exercice de ce droit. Aussi, l’indemnité doit donc viser à compenser la locataire adéquatement sans risquer de créer pour le locateur une contrainte financière telle que l’exercice même de ce droit s’en trouverait affecté.
[18] Dans l'affaire Boulay c. Tremblay, le juge Lachapelle précise la nature de l'indemnité applicable en matière de reprise de logement en ces termes :
«Dans les cas d'éviction du locataire pour
subdivision du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une
indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme
supérieure si le locataire le justifie. (Art.
Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :
« Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire.»
Le juge aux termes de l'article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il «doit en user «judiciairement», ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable.» (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 19651978, p. 30)
Ainsi il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive.
Il ressort de la lecture des articles 1660.4, 1659.8 et 1659.7 que les conditions justes et raisonnables et l'indemnité que doit fixer le Tribunal doivent se limiter aux dépenses et inconvénients ayant trait directement à la reprise de possession, au départ du locataire et à son aménagement et son déménagement dans un autre logement.»[6]
[19] Le tribunal est en accord avec les principes dégagés par le Juge Lachapelle dans ce jugement. De plus, l'analyse de la jurisprudence nous indique aussi que des facteurs tels que l'âge du locataire, son état de santé, la durée d'occupation du logement, son attachement au logement, le coût du transport des biens, les frais de branchement aux services publics (téléphone, électricité, câblodistribution, etc.) peuvent être pris en considération pour calculer l’indemnité applicable en vertu de l'article 1967[7]. Les dépenses et inconvénients qui découlent de la reprise du logement seront donc accordés en fonction des critères élaborés par la jurisprudence.
[20] Dans les circonstances actuelles, le tribunal est d'avis que la locataire a droit d'être indemnisée pour les dépenses et inconvénients qu'elle subira, en raison du déménagement et de son emménagement. Après analyse de l'ensemble des faits soumis, le tribunal croit qu'un montant de 1 200 $ est suffisant pour compenser la locataire de tous les frais raisonnables.
[21] Les parties ont convenu de permettre à la locataire de quitter son logement avant la fin du bail et de mettre fin au bail à cette date.
[22] À titre d’information,
il convient d’ajouter que l’article
[23] De plus, l’article
[24] Enfin, l’article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] AUTORISE les locateurs à reprendre le logement pour y loger leur fille à compter du 1er juillet 2011;
[26] ORDONNE à la locataire et à tous les occupants du logement de quitter le logement à l'expiration du bail, le 30 juin 2011;
[27] Donne acte à l’entente de permettre à la locataire de déménager avant la fin du bail et de mettre fin à ses obligations relatives au bail;
[28] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire un montant de 1 200 $ en argent comptant, par chèque certifié ou mandat poste le jour du départ de la locataire;
[29] Les locateurs assument les frais judiciaires de la demande.
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Anne Morin |
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Présence(s) : |
les locateurs la locataire |
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Date de l’audience : |
3 février 2011 |
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[1] Commentaires du ministre de la Justice, Tome II, Les publications du Québec 1993, p. 1234.
[2] J.L. 87-82 (R.L.) p.40.
[3] 31-991119-037G, 26 janvier 2000, au même effet : Tremblay c. Galipeau, 31-021211-132G, Me Francine Jodoin, 28 février 2003.
[4] Lavigne c. Bathily et Lutzenberger, 31-020729-072G, Me
Luce De Palma, 23 décembre 2002, Lapierre c. Cloutier,
28-980115-007G, Me Danielle Dumont, 25 mars 1998, Salzberg c.
Krausz,
[5] Id. à la page 2.
[6]
Boulay
c. Tremblay
[7] Carlin c.
Dec,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.