R. c. Lapointe | 2023 QCCQ 5902 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||||
LOCALITÉ DE | MONTRÉAL | ||||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||||
Nos: | 500-01-212147-208 | ||||||
| 500-01-212148-206 | ||||||
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DATE : | 12 septembre 2023 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | SUZANNE COSTOM, J.C.Q. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||||
Poursuivant | |||||||
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c. | |||||||
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Frédéric LAPOINTE | |||||||
Accusé | |||||||
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JUGEMENT SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE | |||||||
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[1] M. Frédéric Lapointe a plaidé coupable aux infractions suivantes : utilisation non-autorisée d’un ordinateur (art. 342.1(1)a) du Code criminel); possession de documents contrefaits (art. 368(1)d)(1.1)a) du Code criminel); utilisation non-autorisée d’une carte de crédit (art. 342(3)a) du Code criminel) et vol d’identité (art. 402.2(1)(5)a) du Code criminel). Il a aussi reconnu sa culpabilité en lien avec une accusation de possession simple de cocaïne (art. 4(1)(3) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances « LRCDAS »).
[2] La poursuite soutient que la gravité objective et subjective des infractions est telle qu’une peine de 4 ans de pénitencier serait juste et appropriée. La défense, pour sa part, plaide qu’une peine d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une ordonnance de probation, incluant l'obligation d'effectuer des travaux communautaires[1], refléterait adéquatement la gravité de l'infraction tout en respectant l'obligation d'individualiser la peine.
[3] Voici la décision de la Cour.
LES FAITS
[4] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits[2] qui résume l'enquête et le rôle que l’accusé reconnaît avoir joué dans les infractions commises. Essentiellement, les autorités apprennent que le système d'information ICARE[3] a été piraté. Ce système contient toutes les informations normatives de tous les enseignants actifs et retraités au Québec.
[5] L'enquête permet d'identifier des adresses IP utilisées pour se connecter au système ICARE. Cela conduit à des perquisitions à 4 adresses différentes associées aux adresses IP, dont le domicile de M. Lapointe.
[6] Les objets suivants sont saisis au domicile de l'accusé :
[7] Lors de l'audience de détermination de la peine, les parties ont souligné ce qui suit en ce qui concerne les objets saisis au domicile de M. Lapointe :
M. Lapointe nie avoir utilisé les fausses cartes d’identité portant sa photo. Aucune preuve ne vient remettre en cause cette dénégation.
Bien que de nombreux enseignants dont les identités étaient stockées dans le système ICARE aient effectivement été escroqués, l’enquête n’a pas été en mesure de démontrer un lien entre les données trouvées en possession de l’accusé et un acte de fraude spécifique.
[8] Toutefois, la défense admet que M. Lapointe était en possession de données sans aucune raison légitime.
LES VICTIMES
[9] La poursuite a déposé deux déclarations de victimes rédigées par deux des enseignants dont les informations personnelles étaient stockées dans ICARE et qui ont été victimes d’une usurpation d’identité[6].
[10] M. Simon Foster[7] décrit les appels que sa conjointe a reçus sur son téléphone portable de la part d’agences de recouvrement qui étaient à sa recherche en prétendant qu’il leur devait de l’argent. Non seulement M. Foster a dû consacrer beaucoup de temps à prouver qu’il n’avait aucune dette mais, qu’en plus, cette situation a engendré un stress considérable pour le couple et a suscité de multiples interrogations : de quelle façon les agences de recouvrement ont-elles pu obtenir le numéro du téléphone portable de la conjointe de M. Foster et quelles autres informations personnelles ces agences de recouvrement détenaient-elles?
[11] M. Foster a reçu des appels d’autres sociétés concernant des demandes de crédit qu’il n’avait jamais faites. Là encore, il a dû passer du temps à expliquer qu’il n’avait jamais fait de telles demandes. Il a informé les sociétés de crédit qu’il avait été victime d’une usurpation d’identité, ce qui a entraîné des vérifications plus strictes de son dossier de crédit et un stress accru lorsqu’il traitait avec des institutions financières.
[12] Pas plus tard qu’en janvier 2023, alors qu’il était en vacances, M. Foster a reçu un appel de sa banque l’informant de transactions frauduleuses. Il a alors réalisé que plus jamais il ne sera à l’abri de ce genre d’incidents.
[13] Heureusement, il n’a subi aucune perte financière.
[14] Comme M. Foster, M. Xavier Brouillette[8] décrit le temps et l’énergie nécessaires pour faire face à l’usurpation de son identité. Il évoque, notamment, un voyage aux États-Unis au cours duquel sa carte de crédit a été bloquée et où il n’a pu accéder qu’à un montant minimum d'argent.
[15] Il décrit le stress lié à sa préoccupation de l’impact potentiel sur sa cote de crédit. Il mentionne aussi son manque de confiance envers les institutions financières, compte tenu de la facilité avec laquelle les gens peuvent obtenir du crédit au nom de quelqu’un d’autre. De plus, son numéro de permis de conduire ayant été piraté, il a été contraint d'avertir les autorités policières.
[16] Il n'a subi aucune perte financière. Cependant, l’éventualité qu’il puisse être, à tout moment, victime d’une usurpation d’identité et de fraude, suscite chez lui une grande inquiétude.
[17] Bien que ces deux déclarations de victimes aient été les seules reçues par le Tribunal, il n’en demeure pas moins que les identités de plus de 60 000 personnes ont été illégitimement en possession de M. Lapointe. Chacune de ces personnes est susceptible d'être une victime d'un vol d'identité (chef 5).
L’ACCUSÉ
Historique, éducation et emploi
[18] M. Lapointe est âgé de 44 ans et n'a pas de casier judiciaire. Il a été élevé par une mère célibataire avec laquelle il est encore très proche[9].
[19] En 2001, il a obtenu un diplôme d'études professionnelles en « montage de structure aérospatiale »[10] et a immédiatement commencé à travailler dans l'industrie aéronautique. Ce secteur est caractérisé par des hauts et des bas liés à des événements mondiaux, tels que les attentats du 11 septembre 2001 contre le « World Trade Center » et la crise financière de 2008. Comme d'autres personnes travaillant dans ce secteur, M. Lapointe a été régulièrement licencié puis réembauché au fil des ans.
[20] En 2002, pendant l'une de ces périodes de mise à pied, M. Lapointe a obtenu un diplôme en « pose de système intérieur » et a commencé à travailler dans le domaine de la construction. Cependant, ce travail ne correspondait pas à ses attentes et il est retourné dans l’industrie aéronautique dès que son ancien employeur a offert de le réembaucher.
[21] M. Lapointe a travaillé pour une série d'employeurs dans le secteur de l'aéronautique jusqu'en 2010, date à laquelle son employeur a fait faillite et où il a perdu ses outils d'une valeur de 10 000$.
[22] À peu près à la même époque, en plus de ce revers professionnel, M. Lapointe a appris que sa conjointe avec laquelle il vivait depuis 6 ans entretenait une liaison avec son meilleur ami.
[23] M. Lapointe a commencé à boire davantage et à sortir dans les bars. À la fin de l'année 2010, il a commencé à travailler comme chauffeur pour une agence d'escortes. Au départ, il avait l'intention d’occuper ce poste pendant une courte période afin d'accumuler suffisamment d'argent pour remplacer ses outils, mais il a finalement effectué ce travail pendant 8 ou 9 ans.
[24] Selon les dires de M. Lapointe, il menait une vie nocturne - il travaillait comme chauffeur 4 ou 5 nuits par semaine et passait son temps à boire et à fréquenter les boîtes de nuit le reste du temps. Il a rencontré de nombreuses personnes qui, selon lui, ne gagnaient pas leur argent de manière légitime, certaines d'entre elles étant manifestement des « fraudeurs ».
[25] Durant toutes ces années, il a été payé en liquide et n'a pas géré son argent correctement. Il ne sait pas exactement combien il a gagné mais il a payé des impôts sur un revenu d’environ 30 000$ par année.
[26] Il a vécu au-dessus de ses moyens et a accumulé des dettes, ce qui l'a amené à faire une proposition de consommateur en 2013. En 2017, il s'est de nouveau retrouvé en difficulté financière et a intégré ses dettes supplémentaires à sa proposition de consommateur. Il a effectué des paiements de 100$ par mois au cours des dix dernières années et a fait récemment son dernier paiement.
Les infractions
[27] M. Lapointe a rencontré quelqu’un qui lui a proposé de le payer pour conserver chez lui les items perquisitionnés. Il ne savait pas précisément ce qu'il stockait mais il savait qu'il s'agissait de données susceptibles d'être utilisées pour commettre des fraudes. En contrepartie, une somme de 700$ en argent comptant lui était remise chaque mois par une personne qui n’était pas toujours la même.
[28] M. Lapointe recevait aussi parfois des appels téléphoniques (là encore, provenant de diverses personnes) lui demandant de récupérer des données spécifiques sur la clé USB ou dans le système ICARE. Dans ce dernier cas, il recevait un mot de passe et des instructions pour naviguer dans le système. Il recevait une rémunération supplémentaire de 200$ à 300$ dollars pour exécuter ces demandes qui lui ont été faites sporadiquement en 2017 et 2018 mais qui ont diminué au cours des mois précédant la perquisition.
[29] On a également demandé à M. Lapointe d'ouvrir des boîtes postales au nom d'autres personnes dans le but de rediriger leur courrier vers ces boîtes postales. Il a créé les fausses cartes d'identité qui ont été retrouvées à son domicile dans le but d'ouvrir ces boîtes postales mais il a pris peur et n'a pas donné suite.
[30] Quant à la cocaïne saisie, elle n’était pas destinée à son usage personnel car il n’en consomme pas personnellement mais il la conservait chez lui pour son ami et voisin qui avait un problème de consommation. En la gardant, il a pensé qu’il pouvait l'aider à limiter sa consommation.
La perquisition, l'arrestation et la situation actuelle de M. Lapointe
[31] Peu avant la perquisition de son domicile en février 2019[11], M. Lapointe a eu une divergence d'opinions avec la direction de l'agence d'escortes et a cessé de travailler comme chauffeur. Les choses allaient bien dans le domaine de l'aéronautique et au début du mois de février 2019, il a obtenu un emploi dans son domaine.
[32] En août 2019, il a subi une opération de chirurgie bariatrique et a pris un mois de congé et a repris le travail après sa convalescence. Avec la perte de poids qui a suivi la chirurgie, il avait une plus grande mobilité et ne ressentait plus de douleurs aux genoux lorsqu’il travaillait. Il a pris un poste à Trois-Rivières où il travaillait de 50 à 60 heures par semaine. Il vivait une vie tranquille et a pu acquérir une plus grande stabilité financière.
[33] M. Lapointe a été arrêté en novembre 2020. Son nom et son visage ont fait le tour des médias. Il a pris un congé de quatre mois et s’est rendu au Mexique. À son retour, il a expliqué la situation à l’agence de placement qui lui trouvait des emplois. L’agence a accepté de le garder.
[34] Depuis 2021, M. Lapointe a effectué un contrat de six mois aux États-Unis, un contrat de deux mois en Allemagne et un contrat de dix mois en France. Il est revenu à Montréal en avril 2023 en raison des procédures judiciaires et travaille actuellement dans une entreprise d’aéronautique à Mirabel, avec un salaire de 55$ de l’heure. Sa situation financière est stable.
L’attitude de M. Lapointe à l’égard des infractions
[35] M. Lapointe a témoigné que même s’il était conscient que les informations en sa possession pouvaient être utilisées pour commettre la fraude, il avait besoin d’argent et n’a pas réfléchi aux préjudices qui pouvaient découler de ses gestes.
[36] La perquisition et plus particulièrement son arrestation ont suscité chez lui une prise de conscience quant à la gravité des accusations qui pesaient sur lui.
[37] Il n'est pas fier de son comportement et est désolé pour le stress qu'il a causé aux victimes. Ayant lui-même vécu avec une mauvaise cote de crédit, il sait à quel point c'est difficile pour les gens de restaurer un dossier de crédit. S’il pouvait faire quelque chose pour aider les victimes, il le ferait. Il serait heureux d’effectuer des travaux communautaires.
[38] De même, lorsqu’il a accepté de garder, dans son domicile, la cocaïne de son ami, il n’a pas réalisé le caractère répréhensible et les conséquences de cette décision.
[39] Le rapport présentenciel (« RPS ») décrit M. Lapointe comme un individu aux valeurs élastiques, qui a fait des choix marginaux lorsqu'il a été confronté à des difficultés sociales et financières. Il a également eu tendance, dans le passé, à vivre au-dessus de ses moyens. Ce sont ces facteurs qui ont mené à la commission des infractions. S'il devait à nouveau rencontrer des difficultés financières, il y aurait un risque de récidive.
[40] Cela dit, le RPS fait état que les procédures judiciaires ont eu un impact important sur M. Lapointe. Il semble maintenant travaillant, mature et responsable. Il a des amis qui le soutiennent et il s'est éloigné des mauvaises influences. Dans la mesure où il continue dans cette voie, il représente un risque de récidive faible.
[41] Le RPS mentionne que M. Lapointe a entrepris « une réflexion embryonnaire quant aux délits reprochés »[13]. La rédactrice du rapport souligne que M. Lapointe aurait intérêt à approfondir sa réflexion sur les facteurs qui l’ont mené à la commission des infractions ainsi que sur la gravité des infractions elles-mêmes.
LES PRINCIPES
[42] Selon l’article 718.1 du Code criminel, le principe fondamental en matière de détermination de la peine est que la peine soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
[43] L’article 718 C.cr. énumère les objectifs en matière de détermination de la peine, à savoir : dénoncer le comportement illégal; dissuader ce genre de comportement; isoler au besoin les délinquants; favoriser la réinsertion sociale des délinquants; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[44] L’article 718.2 C.cr. fait état des autres principes que le Tribunal doit considérer dans la détermination de la peine. Selon l’alinéa a), la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. L’alinéa b) codifie le principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’imposition de peines semblables à celles appliquées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Les alinéas d) et e) codifient le principe voulant que le Tribunal examine la possibilité de sanctions moins contraignantes que la privation de liberté lorsque les circonstances le justifient.
[45] Dans chaque cas, il incombe au Tribunal de soupeser l’importance à accorder aux divers principes et objectifs de détermination de la peine à la lumière des facteurs aggravants ou atténuants, ayant toujours à l’esprit le principe fondamental de la proportionnalité de la peine.
L’emprisonnement avec sursis
[46] Selon l’article 742.1 du Code criminel[14], le Tribunal peut imposer un emprisonnement avec sursis si l’accusé est condamné à un emprisonnement de moins de deux ans et si les conditions suivantes sont réunies :
a) le Tribunal est convaincu que la mesure ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et est conforme à l’objectif essentiel et aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2;
b) aucune peine minimale d’emprisonnement n’est prévue pour l’infraction;
c) il ne s’agit pas d’une infraction énumérée dans la disposition qui est spécifiquement exclue du régime de la condamnation à l'emprisonnement avec sursis.
[47] L’arrêt Proulx[15] de la Cour suprême du Canada établit la démarche à suivre pour déterminer si ces critères sont satisfaits. Dans tous les cas où les conditions préalables à l’octroi d’un emprisonnement avec sursis sont réunies, le Tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis[16]. Cette obligation découle du principe de la modération dans la détermination de la peine prévue aux articles 718.2 d) et e) C.cr.
[48] Il n’y a aucune infraction qui est exclue du champ d’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement et il n’existe aucune présomption d’inapplicabilité du sursis à l’emprisonnement pour certaines catégories de crimes.
LA POSITION DES PARTIES
[49] En proposant une peine de 4 ans de pénitencier, la poursuite souligne la gravité objective accrue des infractions et le besoin pressant de dénonciation et de dissuasion.
[50] La poursuite a cité une série de décisions qui présentent un large éventail de peines en matière d'usurpation d'identité, de fraude et de fabrication de faux documents[17]. Cependant, des différences importantes apparaissent clairement entre les faits décrits dans les décisions soumises et les faits relatés dans le présent dossier.
[51] La défense, pour sa part, reconnaît la gravité objective de l'infraction. Toutefois, elle fait valoir qu'une peine d'emprisonnement avec sursis peut permettre d'atteindre les objectifs en matière de détermination de la peine tout en tenant compte de la situation particulière de l'accusé. Elle a invoqué deux décisions dans lesquelles des peines d'emprisonnement avec sursis ont été prononcées pour des délits d'usurpation d'identité[18]. Tout comme les affaires plaidées par la poursuite, les faits peuvent être distingués de ceux de la présente affaire.
[52] La défense a également présenté une série de décisions relatives à des agressions sexuelles à l'appui de sa position selon laquelle une peine d'emprisonnement avec sursis peut être prononcée même dans le cas de crimes graves qui représentent un fléau social important[19]. Le Tribunal reconnaît que lorsque les conditions préalables sont réunies, des décisions peuvent être rendues en ce sens.
[53] Ce que le Tribunal retient de la jurisprudence soumise est que l'usurpation d'identité est un fléau qui doit être sanctionné par des peines sévères qui mettent l'accent sur la dissuasion et la dénonciation[20]. En effet, les infractions reliées au vol d’identité causent des torts importants aux victimes et à la société en général. Cela dit, comme c’est le cas en matière de toutes infractions[21], chaque cas est un cas d’espèce et chaque peine doit être individualisée sur la base de la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant.
APPLICATION
[54] La peine que le Tribunal impose sera nécessairement tributaire de la gravité objective et subjective de l’infraction ainsi que des facteurs aggravants et atténuants présents en l’espèce.
[55] La gravité objective du crime se dégage de la peine maximale prévue par le législateur. En l’espèce, il s’agit des peines maximales de 10 ans : (art. 342.1(1)a); (art. 368(1)d)(1.1)a); art. 342(3)a)) et de 5 ans : (art. 402.2(1)(5)a)) du Code criminel.
[56] La possession simple de cocaïne est punissable par un emprisonnement maximal de 7 ans.
[57] En ce qui a trait à la gravité subjective, le juge doit s’attarder, entre autres, à la façon dont le crime a été commis et à la culpabilité morale du délinquant.
Les facteurs aggravants à souligner sont :
[58] Sur ce dernier point, le Tribunal prend acte de la position des parties à l'effet qu'il n'y a pas de preuve spécifique liant l'accusé aux conséquences subies par M. Foster et M. Brouillette, soit les deux personnes qui ont soumis des déclarations écrites. Cependant, malgré cette absence de preuve, les conséquences négatives reliées au vol d’identités et aux autres infractions commises par l’accusé sont bien connues. En fait, dans cette affaire, il y avait 62 000 victimes individuelles potentielles. Les sociétés de cartes de crédit et les institutions financières étaient également des victimes potentielles.
Les facteurs atténuants suivants sont pertinents :
[59] La poursuite demande au Tribunal d'accorder peu de poids au plaidoyer de culpabilité en tant que circonstance atténuante, compte tenu de la force écrasante de la preuve et du fait qu'une enquête préliminaire a eu lieu.
[60] Compte tenu de la nature technique de la preuve, le Tribunal ne considère pas qu'il soit approprié de limiter l'effet modérateur du plaidoyer de culpabilité en se fondant sur la décision de l'accusé d'insister sur la tenue d'une enquête préliminaire. Il est vrai que du matériel incriminant a été trouvé en possession de l’accusé, à son domicile, et que la preuve semble solide. Cependant, en plaidant coupable, l'accusé a économisé beaucoup de temps de Cour[23] et a évité à de nombreux témoins de témoigner. Le Tribunal considère également que le plaidoyer de culpabilité de l'accusé, combiné à son témoignage lors de l'audience de détermination de la peine, est un signe qu’il éprouve des remords. En tant que tel, le plaidoyer de culpabilité sera pleinement pris en compte.
[61] Le Tribunal prend également en considération la situation actuelle de l'accusé qui semble avoir changé son mode de vie depuis la période au cours de laquelle les infractions ont été commises. Il a un emploi rémunéré, a remboursé toutes ses dettes et semble s’être éloigné du milieu qui le mettait en contact avec des influences négatives. Le Tribunal retient la conclusion du rapport présentenciel selon laquelle, à la lumière de ces changements positifs, le risque de récidive est faible.
[62] Cependant, le Tribunal note que l’accusé, après avoir repris son travail dans l’industrie aéronautique, en janvier 2019, et après avoir pris des dispositions pour rembourser ses dettes, a continué à percevoir de l’argent en échange de la conservation des identités volées.
[63] En outre, à la lecture du rapport présentenciel, le Tribunal comprend que l’accusé a encore du travail à faire pour apprécier pleinement la portée et l’impact de son comportement fautif.
[64] La combinaison des informations contenues dans le rapport présentenciel et le témoignage de l’accusé amènent le Tribunal à croire au potentiel de réhabilitation de l’accusé, tout en concluant qu’il est prématuré de le considérer comme étant déjà complètement réhabilité.
CONCLUSION
[65] À la lumière de ce qui précède, quelle est la peine appropriée?
[66] Bien qu'il ait été impliqué dans un système criminel organisé, l'accusé n'en était manifestement pas le cerveau et a agi sur les instructions d’autres personnes. Cela dit, il ne s’est pas limité de stocker des informations. En fait, il a accédé à plusieurs reprises aux informations contenues dans la banque de données ICARE et sur la clé USB, et ce, en échange d'un paiement supplémentaire. Il a créé des documents contenant les informations demandées. À cet égard, il a joué un rôle important dans le système global frauduleux et n’était pas un acteur marginal au rôle limité.
[67] Le rôle de l'accusé, combiné aux autres facteurs aggravants, est tel que la gravité objective des infractions est très élevée et que le besoin de dissuasion et de dénonciation est pressant.
[68] Cependant, l'accusé se trouve devant les tribunaux pour la première fois de sa vie et il a pris des mesures de réinsertion. Le risque de récidive est faible et il n'est plus un danger pour la société. En conséquence, le Tribunal estime qu'une peine de détention pour une période inférieure à 2 ans est appropriée.
[69] Le Tribunal a considéré attentivement la possibilité de condamner l’accusé à purger une peine d'emprisonnement avec sursis. Le Tribunal reconnaît qu'une peine d'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif important, même en présence de multiples facteurs aggravants[24]. Toutefois, dans le cas présent, l’importance des facteurs aggravants l'emporte largement sur celle des facteurs atténuants. Les faits en l'espèce font en sorte qu'une peine d'emprisonnement avec sursis ne reflèterait pas la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité de l’accusé et ne serait pas conforme aux principes de détermination de la peine.
AINSI, POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dans le dossier 500-01-212148-206
CONDAMNE l’accusé à une peine d’emprisonnement d’une durée de de 2 ans moins un jour sur les chefs 2, 3, 4 et 5.
Étant donné que toutes les infractions ont pour origine le stockage par l'accusé des identités volées, les peines seront purgées concurremment.
Et, à l’expiration de cette période d’emprisonnement, SOUMET l’accusé à une ordonnance de probation d’une durée d’une année, avec les conditions statutaires ainsi que les conditions additionnelles suivantes :
Dans le dossier 500-01-212147-208
CONDAMNE l’accusé à une peine d’emprisonnement d’une durée de 3 mois.
Bien que les faits attribuables aux deux dossiers ne soient pas reliés entre eux, le principe de la globalité des peines est tel que la peine rendue dans le dossier 500-01-212147-208 sera purgée de manière concurrente à la peine prononcée dans le dossier 500-01-212148-206.
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| __________________________________ SUZANNE COSTOM, J.C.Q. | |
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Me Geneviève Bélanger | ||
Me Sarah-Audrey Daigneault | ||
Procureures du DPCP | ||
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Me Alexandre Paradis | ||
Procureur de l’accusé | ||
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Date d’audience : | 20 juin 2023 | |
[1] La défense n'a pas insisté sur un quantum spécifique mais a suggéré qu'une peine de l'ordre de 18 à 24 mois serait appropriée. Elle n'a pas non plus indiqué un nombre d'heures de travaux communautaires à effectuer.
[2] Pièce P-1.
[3] « ICARE » : Information sur la Classification Académique Reconnu du personnel Enseignant.
[4] L’adresse courriel fredericlapointe78@xxx.com se trouve à 10 567 endroits dans l’ordinateur. En outre, M. Lapointe a confirmé aux enquêteurs être la seule personne à l’utiliser (Plus précisément, il a déclaré : « Je suis un solitaire. À part Nicolas Turcotte et ma mère, personne ne vient chez moi. […] Nicolas travaille dans l’armée. C’est un gars de terrain, pas d’informatique ».
[5] Pièce P-1 : précité, note 2, à la page 3.
[6] Bien qu’il n’y ait pas de preuve claire établissant un lien entre la fraude commise à l'encontre de ces deux personnes et les données trouvées en possession de M. Lapointe, ni de preuve que les cartes frauduleuses portant les noms de ces deux personnes ont effectivement été utilisées (tel qu’indiqué au paragr. 7 du présent jugement), la défense a admis les déclarations des victimes en tant qu'exemples des conséquences du vol d'identité.
[7] Pièce S-2. Déclaration écrite de M. Simon Foster. Voir aussi le paragr. 6 du présent jugement– de faux documents avec la photo de Frédéric Lapointe au nom de Simon Foster ont été saisis chez M. Lapointe.
[8] Pièce S-3. Déclaration écrite de M. Xavier Brouillette. Voir aussi le paragr. 6 du présent jugement– Un faux permis de conduire avec les renseignements identificateurs de Xavier Brouillette et la photo de Frédéric Lapointe ont été saisis chez M. Lapointe.
[9] Pièce S-1 : Rapport présentenciel rédigé le 30 janvier 2023 par Mary-Soleil Imbeault, criminologue et agente de probation, pages 3 et 5.
[10] Pièce SD-1 : Diplôme du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
[11] Comme mentionné dans la pièce P-1 : précité, note 2, la perquisition a eu lieu le 19 février 2019.
[12] Pièce S-1 : précité, note 9.
[13] Ibid., page 4.
[14] La version de l’article 742.1 du Code criminel alors en vigueur à l’époque de la commission des infractions.
[15] R. c. Proulx,
[16] Cette obligation a été réitérée par notre Cour d'appel dans Nadeau c. R.,
[17] R. c. Edugie,
[18] R. v. Bigcharles, 2015 BCSC 1212 et R. c. Tchouta Koko,
[19] Lemieux c. R.,
[20] Voir, précité, note 17 : R. c. Edugie, paragr. 1-3, 43-53 et 68; R. c. Khalladi, paragr. 28-34; R. c. Matondo; paragr. 9; R. v. Harvey-Langton, paragr. 23-25, 29-30; R. c. Okubadejo – paragr. 43.
Voir aussi deux décisions déposées par la défense qui vont dans le même sens : R. v. Bigcharles, précité, note 18, paragr. 29 et R. c. Tchouta Koko, précité, note 18, paragr. 25, 28 et 38.
[21] Sauf les infractions avec les peines minimales obligatoires.
[22] Art. 718.2(a)(iv) du Code criminel.
[23] Deux jours avaient été prévus pour les requêtes préalables au procès et sept jours d’audition avaient été fixés pour le procès.
[24] R. c. Proulx, précitée, note 15, paragr. 115.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.