Décision

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Décision

Bourdon c. Richer

2021 QCTAL 25983

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

556183 28 20210209 T

No demande :

3327107

 

 

Date :

13 octobre 2021

Devant le juge administratif :

Daniel Gilbert

 

Steve Bourdon

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Étienne Richer

 

Locateur - Partie défenderesse

et

Lise Corbeil

 

Partie intéressée

 

 

D É C I S I O N

 

 

Contexte procédural

[1]      Le 25 août 2021, le locataire, Steve Bourdon, dépose une demande de rétractation de la décision rendue le 21 juillet 2021 dans le présent dossier (la « Décision »). La Décision découle d’une audience tenue le 12 juillet 2021 en l’absence du locataire. Lors de cette audience, le locateur demande la résiliation du bail de même que l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement, et ce, vu le retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer. Le locateur réclame aussi aux locataires le loyer impayé de 2 300 $.

[2]      Les conclusions de la Décision sont :

« [7] RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;

[8] CONDAMNE les locataires à payer au locateur la somme de 5 810 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 9 février 2021 sur la somme de 2 300 $, et sur le solde à compter de l'échéance de chaque loyer, plus les frais de 125 $. »

[3]      Le locataire indique dans sa demande qu’il a pris connaissance de la Décision le 25 août 2021 lorsqu’un huissier s’est présenté au logement pour lui signifier un avis d’expulsion. La même journée, soit le 25 août 2021, il dépose une demande de rétractation au Tribunal.

[4]      Le locataire demande la rétractation de la Décision au motif qu’il ne s’est pas présenté à l’audience n’ayant jamais reçu l’avis de convocation sans qu’il y ait faute de sa part.


[5]      Le locataire ne soumet aucun moyen de défense au soutien de sa demande écrite. Lors de l’audience, il admet devoir le loyer impayé qui lui est réclamé par le locateur et pour lequel il a été condamné dans la Décision. Il soumet qu’il veut payer le locateur et qu’il fera le nécessaire pour le payer dès lors qu’il recevra des entrées de fonds, ce qui devrait se produire prochainement.

Droit applicable et analyse

[6]      La demande de rétractation est prévue à l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement qui édicte :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.

La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »

[7]      Ainsi, le Tribunal doit d’abord déterminer si la demande de rétractation du locataire est présentée dans le délai requis de la connaissance de la décision. Ensuite, le locataire doit démontrer qu’il a des motifs de rétractation à faire valoir. Enfin, le Tribunal doit aussi évaluer si les moyens de défense soulevés par le locataire afin de contester la demande originaire apparaissent sérieux à première vue[1]

[8]      Ces trois conditions sont cumulatives en ce sens que le locataire doit établir qu’il rencontre chacune d’elles. Le Tribunal entend analyser ces trois conditions selon le même ordre.

Délai

[9]         Le locataire déclare avoir pris connaissance de la Décision le 25 août 2021. Le même jour, le locataire produit une demande de rétractation au Tribunal administratif du logement. Le délai de 10 jours prévu à l’alinéa 3 de l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement a été respecté. En effet, le locateur n’a pas établi, par une preuve prépondérante, que le locataire a introduit le présent recours en rétractation plus de 10 jours après avoir pris connaissance de la Décision.

Motifs de rétractation

[10]    Quant aux motifs de rétractation, le locataire témoigne qu’il n’a pas été en mesure de prendre connaissance de l’avis de convocation, ne l’ayant jamais reçu par la poste avant l’audience.

Moyens sommaires de défense

[11]   Le locataire ne soumet aucun moyen de défense valable à l’encontre de la demande originaire du locateur contrairement aux dispositions de l’article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[2] :

« 44. La demande de rétractation d’une décision doit contenir non seulement les motifs qui la justifient mais, si elle est produite par le défendeur à la demande originaire, elle doit également contenir les moyens sommaires de défense à la demande originaire. »

[12]   Le locataire admet devoir le loyer impayé pour lequel il a été condamné en vertu de la Décision.

[13]   La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt C.N.T. c. Les Entreprises C.J.S. Inc.[3], a déjà indiqué :

« La requête en rétractation constitue une dérogation au principe de l'irrévocabilité des jugements d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation (Banque de Montréal c. Chaput, [1979] C.A. 222; Entreprises Roger Pilon Inc. c. Atlantis Real Estate Co, [1980] C.A. 218).  Le juge auquel une requête en rétractation est présentée pour réception doit décider si « prima facie » les faits allégués sont suffisants pour justifier la réception.  Si au stade de la réception, les faits allégués doivent être tenus pour avérés, cela ne veut pas dire que le juge soit nécessairement lié, dans l'exercice de sa discrétion, par les allégations de la requête.  Il pourra refuser de recevoir la requête si, par exemple, il acquiert par des moyens juridiques la conviction que la nouvelle preuve que l'on veut faire est telle que le jugement n'aurait pas été différent si elle avait été faite au procès (Voir Fontaine c. Baril, [1974] C.A. 234). »

[14]   Considérant la preuve soumise, le Tribunal estime que le locataire ne rencontre pas les critères mentionnés à l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement pour accorder la rétractation de la Décision.

Demande pour l’émission d’une ordonnance d’interdiction

[15]   Considérant que le locataire abuse en présentant une demande de rétractation uniquement dans le but d’éviter l’exécution de la Décision, la mandataire du locateur demande verbalement à l’audience l’émission d’une ordonnance d’interdiction selon les dispositions du 2e alinéa de l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[4], afin qu’il ne puisse produire aucune autre demande dans le présent dossier :

« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »

[16]   Dans le jugement Structures métropolitaines (SMI) inc. c. Cour du Québec du district judiciaire de Montréal[5], l’Honorable juge Yves Poirier, j.c.s., traitant de l’article 63.2 de la loi qui s’appelait alors la Loi sur la Régie du logement, énonce :

« [20]        La limitation procédurale prévue à l’article 63.2 de la Loi sur la régie du logement (« LRL ») a comme objectif d’empêcher une partie d’utiliser un subterfuge visant à retarder indument l’exécution d’une décision rendue par l’un des juges administratifs de la Régie.

[21]        Suivant les procureurs de la Régie, cette limitation procédurale s’impose dans le cas type d’un locataire qui refuse, sans droit, de payer son loyer.  Une décision concluant à cet état de fait et ordonnant l’expulsion du locataire nécessite plusieurs mois d’attente avant que le jugement n’intervienne.  Dans l’hypothèse où la décision est rendue de façon ex-parte, il est loisible pour ce locataire de demander la rétractation de ce jugement, ce qui retarde, là encore, l’exécution du jugement en expulsion.  En l’absence du locataire lors de la présentation de la requête en rétractation, le juge administratif peut, suivant la nature du dossier, rejeter la demande en rétractation et pourra se prononcer sur la limitation procédurale de l’affaire se référant à l’article 63.2 LRL.

[22]        Notons que la Régie avise les parties de la date d’audition de sa demande en rétractation.  En l’absence du locataire, le juge administratif peut rejeter sa demande en rétraction.  De plus, le juge administratif qui constate un abus peut limiter la répétition de l’abus en imposant la limitation prévue à la loi à l’article 63.2 LRL.

[23]        Cette limitation n’est pas, à proprement parlé, une forclusion.  En effet, la forclusion met normalement fin aux droits d’une partie de poser un geste procédural.  Dans la limitation procédurale, déclarée par le juge administratif dans la décision du 19 octobre 2017, on comprend que le Président de la Régie peut autoriser la poursuite de la demande.  Le juge administratif en fait d’ailleurs état dans sa conclusion à son paragraphe 7 :

« [7] DÉCLARE les locataires forclos de produire toute autre demande de rétractation, sauf sur permission du président du Tribunal ou de toute autre personne qu’il désigne à cette fin. »

[24]        Cette limitation procédurale n’est donc pas fatale.  Son imposition force la partie visée à requérir une autorisation particulière afin d’exercer ce recours.  Le juge administratif devrait donc conclure à une limitation procédurale et non à une forclusion.  La terminologie retenue est déficiente.

[25]        L’abus peut être constaté d’office par le juge administratif ou requis par la partie adverse.

[26]        Il n’est donc pas nécessaire d’assujettir la démarche et la décision du juge administratif lorsqu’il applique la limitation procédurale prévue à la LRL (art. 63.2) au règlement de procédure et à un avis à l’encontre de l’abuseur.  La partie défaillante ayant déjà été convoquée pour disposer de la procédure (dans notre cas, la requête en rétractation).  La règle d’« audi alteram partem » quant à la requête en rétractation est, dès lors, respectée. »

[17]   La preuve soumise démontre que le locataire n’a payé aucun loyer depuis la Décision jusqu’au jour de l’audience, plus les intérêts et les frais.

[18]   Le Tribunal estime que le locataire fait preuve d’abus d’autant plus que la demande de rétractation est frivole et vouée à l’échec puisqu’aucun moyen de défense, susceptible d’être retenu à première vue, n’est soumis.

[19]  Selon la mandataire du locateur, le locataire a produit une demande de rétractation uniquement afin d’empêcher l’exécution de la Décision et ainsi gagner du temps pour éviter son expulsion du logement.

[20]   Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que la présente demande de rétractation du locataire est dilatoire et l’ordonnance d’interdiction demandée est accordée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]   REJETTE la demande de rétractation du locataire qui en assume les frais;

[22]   MAINTIENT la décision rendue le 21 juillet 2021;

[23]   INTERDIT au locataire de déposer toute nouvelle demande dans le présent dossier au Tribunal administratif du logement à moins d'obtenir au préalable l'autorisation du Président ou de toute autre personne qu’il désigne à cette fin.

 

 

 

 

 

 

 

 

Daniel Gilbert

 

Présence(s) :

le locataire

la mandataire du locateur

Date de l’audience :  

4 octobre 2021

 

 

 


 



[1] La Capitale des Cantons de l'Est Inc. c. Super Plus Inc.et al., 2005 CanLII 27296 (QC CS), j. Fréchette (paragr. 134).

[2] RLRQ c. T-15.01, r 5.

[3] 1992 CanLII 2911 (QC CA).

[4] RLRQ c. T-15.01.

[5] 2019 QCCS 5368.

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