Décision

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R. c. Yanon

2021 QCCQ 7295

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

LOCALITÉ DE

 GATINEAU

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

550-01-116619-208

 

DATE :

13 juillet 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

RICHARD MEREDITH, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Poursuivante

c.

 

MARTIAL YANON

 

Accusé

 

 

______________________________________________________________________

Ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4 du Code Criminel

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

INTRODUCTION

 

[1]   L’accusé a subi son procès relativement à un chef d’accusation d’avoir à Gatineau le 18 novembre 2019 agressé sexuellement N... C....

[2]   Cette accusation fait suite à des évènements survenus 48 heures environ après l’admission de la plaignante à l’Hôpital de Hull le 16 novembre 2019. À cette date, la plaignante alors âgée de 41 ans, se rend à cet hôpital à cause de divers problèmes de santé qui lui cause beaucoup de douleur. Elle y séjournera pendant quelques jours.

[3]   Dans la nuit du 17 au 18 novembre 2019, alors qu’elle est toujours à l’hôpital, la plaignante fait appel au personnel infirmier, à l’aide de la sonnerie à sa disposition, à cause de la douleur qu’elle ressent à divers endroits de son corps.

[4]   Après un certain temps, l’accusé, qui est infirmier auxiliaire, répond à cet appel. C’est la première fois que l’accusé et la plaignante se rencontrent. L’accusé se présente aux environs de 4 h 30.

[5]   La plaignante croit que l’accusé fait partie du personnel infirmier. Il est vêtu d’un uniforme de couleur bleue typique de personnel infirmier, à sa connaissance. À son arrivée à son chevet les deux discutent de divers malaises qu’elle ressent et les parties de son corps affectées. 

[6]   Entre autres, elle informe l’accusé qu’elle a une bosse à l’anus qui lui cause beaucoup de douleur. L’accusé lui propose de l’examiner et lui demande la permission de la toucher à cet endroit, ce qu’elle accepte. Elle prétend que l’accusé lui a fait des attouchements au vagin et à l’anus.

[7]   Vers la fin de l’examen, l’accusé se met alors à lui faire des compliments sur son vagin, lui disant qu’elle a un beau vagin et lui demande même s’il peut jouer avec et il lui fait d’autres commentaires de cette nature. 

[8]   Pour sa part, l’accusé prétend qu’il a effectivement procédé à l’examen de l’anus de la plaignante à l’anus. Cette dernière se plaignait d’une bosse à cet endroit et elle ne comprenait pas pourquoi personne à l’hôpital n’avait examiné cette bosse depuis son admission à l’hôpital.

[9]   Dans le but d’aider et de soulager la plaignante, il a donc proposé de procéder à une évaluation de ladite masse à l’anus dont elle se plaignait. Il soutient qu’il a expliqué à la plaignante que l’infirmière en service n’était pas disponible à ce moment et il lui a demandé si elle consent à ce qu’il procède à cet examen, en lui soulignant que cela nécessiterait qu’il touche à son anus et que cela pourrait lui faire mal. Elle était d’accord à ce qu’il procède à l’examen. Il aurait palpé le rebord de l’anus sans toutefois constater la présence d’une bosse.  

[10]        Il soutient qu’il a juste touché l’anus et qu’il est possible que son index ait entré un peu, mais il n’a pas touché au vagin de la plaignante. Il ajoute que s’il a touché au vagin de la plaignante c’est purement accidentellement qu’il ait pu le frôler.

[11]        Il reconnait qu’en terminant ces palpations il a dit à la plaignante que tout était beau et qu’elle avait un beau vagin. Il dit avoir ajouté ce commentaire, car il ne voulait pas que la plaignante se sente mal à l’aise.

[12]        À cette époque, l’accusé avait environ 15 ans d’expérience à titre d’infirmier auxiliaire.

[13]        Aux termes de l’analyse que doit effectuer le Tribunal, la question en litige dans la présente affaire est :

·        Est-ce que les touchers prodigués par l’accusé dans de telles circonstances constituent une agression sexuelle ?

ANALYSE

1)    Le droit

a)    Fardeau de preuve

[14]        Comme dans tout procès criminel c’est à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’acte criminel reprochés à l’accusé. Cette notion de preuve hors de tout doute raisonnable doit être appliquée en conformité avec l’enseignement de la Cour suprême du Canada dans R. c. Lifchus[1] où la Cour définit ce fardeau de preuve de la façon suivante :

·        la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux, c’est-à-dire la présomption d’innocence;

·        le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé;

·        un doute raisonnable ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé;

·        il repose plutôt sur la raison et le bon sens;

·        il a un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve;

·        la norme n’exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue; il ne s’agit pas d’une preuve au-delà de n’importe quel doute; il ne peut s’agir non plus d’un doute imaginaire ou frivole;

·        il faut davantage que la preuve que l’accusé soit probablement coupable — le jury qui conclut seulement que l’accusé est probablement coupable doit acquitter l’accusé.

[15]        Cette norme de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique lorsque le tribunal est appelé à considérer la crédibilité des témoins. En l’espèce, la preuve est contradictoire alors il s’agit d’un aspect important dans l’analyse du Tribunal.

[16]        De plus, lorsque le Tribunal analyse la crédibilité des témoins, il n’a pas à choisir la version la plus crédible. Il ne s’agit pas d’un concours de crédibilité entre les témoins de la poursuite et les témoins de la défense, et l’accusé. Par ailleurs, dans l’exercice de sa discrétion le Tribunal peut croire certaines parties de témoignages de témoins entendus et ne pas retenir d’autres parties.  

[17]        Dans la présente affaire, l’accusé a choisi de témoigner, alors le Tribunal a appliqué l’approche énoncée par la Cour suprême du Canada dans R. c. W(D)[2] qui prévoit les 3 étapes suivantes :

[18]        Dans un premier temps, après avoir considéré le témoignage de l’accusé à la lumière de l’ensemble de la preuve, si le Tribunal croit le témoignage de l’accusé il doit être acquitté.

[19]        Deuxièmement, si le Tribunal ne croit pas le témoignage de l’accusé, mais après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve, il subsiste un doute raisonnable dans son esprit, il doit aussi dans de telles circonstances acquitter l’accusé. 

[20]        Troisièmement, même s’il n’a pas de doute à la suite du témoignage de l’accusé, le Tribunal doit tout de même se demander, en vertu de la preuve acceptée, s’il est convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.

b)   Le crime d’agression sexuelle

[21]        Dans la présente affaire, l’infraction reprochée à l’accusé dont la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable est d’avoir agressé sexuellement la plaignante, contrairement à l’article 271 du Code criminel.

[22]        Le crime d’agression sexuelle est un crime d’intention générale ce qui implique l’intention de commettre le geste qui constitue l’agression. Les circonstances entourant le ou les gestes reprochés doivent être considérées pour déterminer la nature sexuelle du geste ou des gestes posés.[3] 

[23]        L’actus reus du crime d’agression sexuelle requiert que la preuve démontre 1) qu’il y a eu un touché, 2) que ce contact était de nature sexuelle et 3) l’absence de consentement de la plaignante.[4]

[24]        Rappelons aussi que dans l’arrêt Chase[5], la Cour suprême du Canada énonce la définition suivante pour l’agression sexuelle :

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) (maintenant 265(1) C. Cr.), qui est commis dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. Le critère doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif : « Compte tenu de toutes les circonstances une personne raisonnable peut-elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l’agression ».

[25]        En l’espèce, soulignons que la preuve du comportement reproché ne comporte pas objectivement de caractère hostile. Rappelons que le recours à la force physique ou une forme quelconque d’hostilité dans le comportement n’est pas nécessaire pour qu’il y ait agression sexuelle.

[26]        Une agression (ou un voie de fait) est définie à l’article 265(1) du Code criminel et prévoit au sous-alinéa a) que : « constitue une agression quiconque qui de manière intentionnelle, emploie la force directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement ». Tel que le prévoit le sous-paragraphe 2) de 265, cette définition s’applique à l’agression sexuelle. 

[27]        La Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Bernier a confirmé, ce qui était accepté en common law, qu’une agression sexuelle est tout toucher intentionnel qui a un caractère sexuel sans le consentement de la plaignante. Dépendant des circonstances le caractère hostile du terme agression ne sera pas toujours présent.[6]

c)    La notion de consentement

[28]        Généralement, la preuve de l’infraction d’agression sexuelle exige que la poursuite établisse hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’a pas consenti au geste ou comportement reproché à un accusé. Toutefois, la loi prévoit des mécanismes qui encadrent la preuve de consentement qui peuvent être pertinent dans certaines circonstances, lorsque par exemple, la question de l’incapacité de la plaignante est en cause ou lorsqu’il y a abus de confiance ou lorsqu’il s’agit de circonstances où il y avait consentement au départ, mais que celui-ci est retiré durant l’activité sexuelle.

[29]        De plus, l’article 265(3) c) prévoit que ne constitue pas un consentement le fait pour une plaignante de se soumettre ou de ne pas résister en raison de la fraude. Le Tribunal doit considérer l’application de cette disposition considérant les représentations de la poursuite selon lesquelles l’accusé n’était nullement autorisé dans le cadre de sa profession d’infirmier auxiliaire à toucher la plaignante de la façon décrite en l’espèce. Donc tout consentement qu’elle a pu donner à se faire toucher est vicié parce qu’elle n’a pas été informée que l’accusé ne pouvait pas poser de tels gestes même à des fins médicales.

2)    Application du droit aux faits  

a)    La crédibilité/fiabilité des témoins

[30]        L’accusé a témoigné disant que la nuit du 18 novembre 2019, il a tout d’abord échangé avec la plaignante en vue de déterminer là où elle ressentait de la douleur et quelle était l’intensité de sa douleur. À la suite de ces échanges, l’accusé soutient qu’il lui a administré les médicaments requis soit de la morphine et du Tylenol.

[31]        Il prétend que les soins prodigués l’ont été selon les règles de l’art, en vue de soulager la plaignante et pour venir en aide à l’infirmière en service cette nuit-là qui était, selon lui, occupée avec une autre patiente au même moment. Vu la nature de l’intervention qu’il a effectuée, une fois l’examen terminé, il a immédiatement noté les détails de son intervention. 

[32]        Il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’était pas autorisé par un médecin à effectuer un tel examen et qu’il ne savait pas que cela prenait une ordonnance d’un médecin autorisant un examen de cette nature dans de telles circonstances. Il a admis de plus qu’il s’agissait de la première fois de sa carrière qu’il effectuait un tel examen sur une femme.

[33]        Il soutient que l’examen qu’il a fait de l’anus de la plaignante n’avait aucune connotation ou intention sexuelle et qu’il n’a à aucun moment eu une érection. Il n’a posé ces gestes qu’à des fins médicales après avoir obtenu le consentement de la plaignante.  

[34]        Il soutient que l’examen est allé aussi loin à cause de l’insistance de la plaignante qui se plaignait que depuis son admission personne ne voulait examiner la bosse qu’elle avait à l’intérieur de l’anus et qu’elle ne comprenait pas pourquoi. Il a proposé alors de l’examiner en vue de la soulager et afin de l’évaluer.

[35]        Le Tribunal a analysé le témoignage de l’accusé à la lumière de l’ensemble de la preuve, incluant les diverses pièces déposées en preuve, les témoignages des divers autres témoins et l’enregistrement vidéo de la déclaration du mois de décembre 2019 de l’accusé, faite à l’enquêteur responsable de cette enquête.

[36]        Au sujet de ladite déclaration sur vidéo, rappelons que le caractère libre et volontaire de celle-ci est admis par la défense et le DVD fût déposé en preuve principale.  

[37]        Après avoir considéré le témoignage de l’accusé, il est clair qu’il ne s’agit pas d’une situation où le Tribunal est en mesure d’écarter l’entièreté de son témoignage. À bien des égards, il y a divers aspects sur lesquels le Tribunal croit l’accusé.

[38]        Sans être exhaustif, par exemple, lorsqu’il se rend au chevet du lit de la plaignante le Tribunal n’a pas de raison de croire qu’à ce stade l’accusé est animé d’une volonté malveillante envers la plaignante. À ce moment, il joue son rôle d’infirmier auxiliaire et le Tribunal accepte la preuve à cet effet. 

[39]        Un autre exemple constitue la prétention de l’accusé selon laquelle il a demandé à la plaignante si elle était d’accord qu’il touche à son anus afin de l’examiner. D’ailleurs, la plaignante elle-même a reconnu qu’elle a acquiescé, quoiqu’elle prétende que cela se produit selon un échange différent de celui qu’il rapporte.

[40]        Le Tribunal accepte également la partie du témoignage de l’accusé où il dit que la plaignante ne portait pas de sous-vêtement. D’ailleurs, la plaignante à ce sujet dit ne pas se rappeler si elle portait des sous-vêtements cette nuit-là. 

[41]        Enfin, le Tribunal n’écarte pas non plus la partie du témoignage où l’accusé a fini par admettre qu’il a dit à la plaignante qu’elle avait un beau vagin.

[42]        Toutefois, quoiqu’il y ait certaines parties du témoignage de l’accusé que le Tribunal ne puisse écarter, dans l’ensemble le Tribunal ne croit pas l’accusé sur les détails entourant les touchers qu’il prétend avoir faits ni sur sa prétention à l’effet qu’il a posé les gestes en question uniquement à des fins médicales, selon les règles de l’art et en vue de soulager la plaignante.

[43]        Le Tribunal est convaincu que l’accusé a tenté de banaliser la nature des gestes posés, en faisant référence à l’insistance de la plaignante au sujet de sa bosse dans l’anus que personne, dit-il, ne voulait examiner.

[44]        Selon la plaignante, cette bosse lui causait de la douleur, mais ce n’était pas un problème nouveau pour elle. Elle a expliqué qu’elle avait cette bosse bien avant son admission à l’hôpital le 16 novembre et que son médecin était au courant de ce problème.

[45]        Dans sa déclaration sur vidéo, l’accusé caractérise son examen, au départ, comme un exercice purement médical accompli selon les règles de l’art uniquement en vue d’évaluer et soulager la plaignante et pour aider l’infirmière en service cette nuit-là.

[46]        Plus tard, il ira jusqu’à faire état qu’il était un peu sous le choc d’avoir effectué un tel examen. Il a même admis qu’il a pensé qu’il a peut-être commis une erreur. Il est allé aussi loin que de dire qu’il aurait aimé que la plaignante démontre plus de retenue.

[47]        Cette réponse, qui met en relief un état d’esprit plus nerveux et en état de choc, est incompatible avec la partie de son témoignage qui laisse sous-entendre qu’il considérait n’avoir posé qu’un geste médical selon les règles de l’art, en vue de venir en aide à la plaignante.

[48]        L’accusé a aussi tenté de justifier ses agissements en prétendant qu’il a voulu faire appel au départ à l’infirmière en service. Il rapporte plusieurs détails sur ces échanges avec cette infirmière pour justifier la suite de son comportement et sa décision de s’occuper de la plaignante. Toutes ces supposées paroles de l’infirmière rapportées par l’accusé ne font aucunement preuve de leur contenu évidemment.

[49]        C’est donc en vue d’évaluer et de soulager la plaignante qu’il dit qu’il procède à cet examen, qu’il décrit comme faisant la palpation avec un doigt, soit l’index, autour du rebord de l’anus. Questionné à ce sujet lors de l’interrogatoire policier sur vidéo, à savoir s’il a inséré son doigt dans l’anus et s’il a touché aux grandes lèvres du vagin de la plaignante, il dira que tel n’est pas le cas, mais que c’est bien possible et si tel est le cas ce fut purement accidentel.

[50]        Le fait de prétendre avoir dit à la plaignante que l’infirmière en service n’est pas disponible pour l’examiner, à la suite de ses plaintes au sujet de sa bosse à l’anus, pour ensuite lui demander si elle était donc d’accord qu’il procède lui-même à l’examen tend à démontrer qu’il savait qu’il n’était pas autorisé à faire un tel examen.   

[51]        La preuve documentaire, déposée sous P-2, décrit les activités professionnelles des infirmières auxiliaires du Québec. Ce document confirme qu’une telle intervention par une infirmière auxiliaire ne peut être faite dans de telles circonstances sans ordonnance d’un médecin, ce qui n’existait pas en l’espèce. D’ailleurs, l’infirmière auxiliaire, France Lavergne, témoin de la poursuite dans le présent dossier, a confirmé qu’elle-même était au courant qu’à titre d’infirmière auxiliaire, elle n’était généralement pas autorisée à faire un examen d’une patiente par palpation rectale dans un tel contexte, à moins que ce soit en présence ou sur ordonnance d’un médecin.

[52]        À la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que l’accusé n’était pas autorisé par sa profession à procéder à un tel examen dans les présentes circonstances. Le Tribunal ne croit pas l’accusé lorsqu’il dit en contre-interrogatoire qu’il ne savait pas que cela prenait une ordonnance médicale pour faire un tel examen. 

[53]        Considérant le nombre d’années qu’il travaillait dans ce domaine le Tribunal considère son témoignage tout à fait invraisemblable à ce sujet.

[54]        Finalement, l’accusé admet qu’il a dit à la plaignante qu’elle avait un beau vagin. Il faut cependant considérer son témoignage à la lumière de l’ensemble de la preuve, incluant sa déclaration sur vidéo faite à l’enquêteur, pour y déceler l’absence de transparence de l’accusé à ce sujet.

[55]         L’accusé a témoigné de façon à banaliser ce commentaire. Il prétend qu’il a dit cela pour que la plaignante ne soit pas mal à l’aise, vu la nature de l’examen qui l’a amené à toucher son anus et à proximité visuelle de son vagin.  

[56]        Il est clair que l’accusé cherche à se distancer de toute inférence selon laquelle cette interaction avec la plaignante ait pu avoir un mobile d’ordre sexuel ou de gratification sexuelle. Le Tribunal considère l’explication de l’accusé tout à fait invraisemblable.

[57]        Rappelons ce qu’il dit au début de l’interrogatoire policier, alors que l’enquêteur ne le questionne pas sur les détails de l’interaction avec la plaignante. Questionné de façon générale au sujet de ses fonctions, il indique qu’il sait bien qu’il y a certaines choses qu’il a le droit de faire sans ordonnance de médecin en tant qu’infirmier auxiliaire et d’autres qu’il ne peut pas faire et qui sont réservées par exemple à des infirmières en titre. Il donne d’ailleurs certains exemples de ces tâches.

[58]        Il soutient aussi qu’il ne peut pas faire d’évaluation, des examens comme celui en cause, à moins qu’une infirmière en titre soit présente, sauf situations exceptionnelles.

[59]        L’enquêteur lui demande aussi s’il parle avec les patients dans le cadre de son travail. Il répond qu’il ne pose pas trop de questions et qu’il ne pose pas de questions personnelles ni au sujet de la famille.

[60]        Plus tard, l’enquêteur lui demande de raconter son intervention auprès de la plaignante. Il y a diverses questions ou sous questions qui lui sont posées où l’accusé décide d’exercer son droit de garder le silence. À cet égard, le tribunal ne tire aucune inférence au sujet de la crédibilité de l’accusé à ces occasions.

[61]        Toutefois, il répond à plusieurs questions. Essentiellement, il raconte qu’il a palpé l’anus avec son index pour vérifier s’il y avait une bosse et il n’a rien vu et il en informe la plaignante. Il mentionne avoir dit qu’il ne voit pas de bosse, qu’il n’y a pas de fissures et que tout est beau et qu’elle verra le médecin le lendemain. Il soutient qu’il a fait son travail selon les normes. 

[62]        Il mentionne aussi qu’il n’a pas touché à d’autres parties de son corps avec ses doigts.

[63]        L’enquêteur lui demande spécifiquement s’il lui a fait des compliments sur son corps et sa réponse suggère qu’il n’a pas de souvenir de cela et qu’il essaie d’y penser. Ensuite, les questions sont plus précises et suggestives. Par exemple, elle lui demande s’il a fait un commentaire au sujet de sa vulve. Il répond qu’il ne le sait pas. Il sait qu’il a dit que tout est beau.

[64]        Ensuite, questionné davantage sur la teneur de propos qu’il aurait tenu à l’endroit de la plaignante, il mentionne qu’il essaie d’y penser. Lorsqu’on lui demande si c’est possible qu’il ait dit qu’elle avait une belle vulve, il finit par dire que ça se peut, mais il mentionne qu’il essaie de penser à ce qu’il a dit et il recule et répond qu’il n’a pas dit qu’elle avait une belle vulve.

[65]        Il finira par reconnaitre qu’il a dit deux fois à la plaignante qu’elle avait un beau vagin. Rendu à ce stade, curieusement il ne semble pas avoir de difficulté avec son souvenir de ces propos. Il nie par ailleurs avoir demandé à la plaignante, tel qu’elle le prétend, s’il pouvait jouer avec son vagin ou de lui avoir dit qu’elle avait une belle plote. Par contre, il admet que lors de l’examen il a constaté qu’elle avait un beau vagin.

[66]        Pour le Tribunal, cette évolution de la version de l’accusé est troublante. Il commence par être évasif ou par nier avoir tenu de tels propos et d’avoir touché possiblement au vagin. Ensuite, il hésite pour finir par admettre sans équivoque qu’il a commenté sur le vagin de la plaignante et même indiquer qu’il est possible qu’il ait touché accidentellement au vagin. Le Tribunal ne croit aucunement que l’accusé avait de la difficulté au départ à se rappeler avoir tenu de tel propos. Sa version est tout à fait invraisemblable à ce sujet. Le Tribunal conclut qu’il a volontairement été non transparent à cet égard.

[67]        L’explication de l’accusé à l’effet qu’il a dit à la plaignante qu’elle avait un beau vagin afin que la plaignante ne soit pas mal à l’aise n’a aucune vraisemblance dans les circonstances et à la lumière de l’ensemble de la preuve. Considérant l’acte médical qu’il prétend qu’il posait à ce moment, les observations et les commentaires de l’accusé au sujet du vagin de la plaignante n’ont aucun rapport.

[68]        Lorsque l’accusé rencontre la plaignante, il apprend qu’elle ressent de la douleur également au niveau de son ventre. Pourtant il ne propose aucun support ou examen physique quelconque de son ventre.

[69]        Le dénominateur commun tant dans sa déclaration à l’enquêteur que lors de son témoignage est le même, soit se distancer de toute inférence possible qu’il aurait agi envers la plaignante à des fins d’ordre sexuelles ou à des fins de gratification, en insistant qu’il a agi uniquement à des fins médicales, selon les normes, pour venir en aide à cette dame qui souffrait beaucoup. Pourtant la preuve démontre qu’il n’a pas respecté les normes.

[70]        L’accusé a reconnu avec hésitation qu’il n’y avait pas vraiment urgence. Après avoir considéré l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut qu’il n’y avait effectivement aucune urgence.

[71]        Comme mentionné précédemment, le Tribunal ne croit pas l’accusé lorsqu’il dit qu’il ne savait pas qu’une ordonnance de médecin était requise pour autoriser ce genre d’intervention. Selon la défense, le fait qu’il ait posé un geste qu’il n’avait pas le droit de poser ne permet que de conclure qu’il a commis une faute professionnelle, mais que cela ne change pas le fait qu’il n’y avait aucune connotation sexuelle dans ses agissements.

[72]        Avec respect, le Tribunal ne croit pas l’accusé à ce sujet. Le Tribunal conclut davantage au caractère suspect de son comportement envers la plaignante.

[73]        La plaignante a témoigné que cette bosse à l’anus ce n’était pas nouveau et existait avant son admission à l’hôpital. Lorsqu’elle s’était couchée le soir du 17 novembre on lui avait administré ses médicaments, dont de la morphine. Elle mentionne que la morphine pouvait l’aider à s’endormir, mais ne l’empêchait pas d’être consciente de ce qui se passait lorsqu‘elle était éveillée. Elle a même reconnu que cela pouvait affecter sa mémoire dans certaines circonstances. 

[74]        Elle a expliqué qu’elle s’est réveillée entre 3 et 4 h dans la nuit du 17 au 18 novembre à cause de la douleur.

[75]        La défense plaide que le Tribunal ne peut accorder foi à son témoignage ni baser une condamnation sur la foi de sa version à cause de manque de fiabilité de son souvenir de cet évènement et des détails entourant celui-ci. Certaines contradictions ont été soulignées et le fait qu’à différents moments après le 18 novembre qu’elle ait ajouté des détails qu’elle n’avait pas mentionnés précédemment.

[76]        À l’appui de cet argument, la défense réfère, entre autres, au témoignage de l’infirmière auxiliaire, France Lavergne, qui était en service le matin qui a suivi la nuit où l’accusé serait intervenu auprès de la plaignante. 

[77]        Selon madame Lavergne la plaignante lui aurait dit qu’elle n’était pas certaine si c’était un rêve qu’elle a vécu la nuit passée, mais elle a demandé s’il y avait un infirmier de race noire qui avait travaillé cette nuit. Madame Lavergne lui répond par l’affirmative, car elle savait que l’accusé avait travaillé. Par contre, celui-ci est infirmer auxiliaire, contrairement à l’impression de la plaignante à ce sujet, qui s’est renseignée si un infirmier de race noire avait travaillé. 

[78]        La confirmation de la présence d’une personne, qu’elle croyait infirmier, de race noire est un premier indice de la fiabilité de son souvenir.

[79]        Par la suite, la plaignante a effectivement raconté à madame Lavergne ce qui se serait passé avec l’accusé la nuit précédente, ce qui est tout à fait semblable à ce que la plaignante a raconté devant le tribunal, incluant que l’accusé lui aurait dit qu’elle avait un beau vagin. Cela est confirmé par Madame Lavergne.

[80]        D’ailleurs, divers aspects de la version de la plaignante le matin du 18 novembre, comme rapporté par madame Lavergne, sont confirmés par l’accusé lui-même. Toutefois, ce dernier suggère que tout se passe selon les normes et uniquement à des fins médicales et qu’il n’y avait aucune connotation sexuelle dans ses propos ni dans ses gestes.

[81]        Madame Lavergne rapporte par ailleurs que la plaignante ne lui a pas dit que l’accusé lui avait touché au vagin ni à l’anus. Même si la plaignante n’a pas mentionné cela à ce témoin, comment peut-on prétendre que cela affecte la fiabilité de son témoignage lorsqu’on sait que tant la plaignante que l’accusé lui-même confirment qu’il a touché à l’anus de la plaignante. Il reconnait même qu’il est possible qu’il ait touché au vagin, accidentellement cependant. 

[82]        La position de la défense au sujet de l’absence de fiabilité de la version de la plaignante est basée principalement sur le fait que, selon madame Lavergne, la plaignante aurait dit qu’elle ne savait pas s’il s’agissait d’un rêve ou pas et qu’elle semblait endormie et confuse.

[83]        Pour le Tribunal, l’observation de ce témoin selon laquelle la plaignante semblait incertaine et confuse, relève davantage de son interprétation plutôt que d’une constatation de fait.  Il appartient au Tribunal de déterminer la valeur probante à accorder aux observations ou l’interprétation de madame Lavergne à cet égard. Le Tribunal se doit d’être prudent avant de conclure que la version de la plaignante n’est pas fiable sur la base de la perception ou l’interprétation d’un témoin et apprécier le témoignage de la plaignante à la lumière de l’ensemble de la preuve.

[84]        Pour la défense, ce que rapporte madame Lavergne, et son interprétation au sujet des propos et de l’état de la plaignante, implique nécessairement que cette dernière ne sait pas vraiment ce qui s’est passé et donc sa version n’est pas fiable. 

[85]        Avec respect, considérant les circonstances de la plaignante à ce moment (soit dans un milieu médical où elle était en droit de s’attendre qu’elle serait en sécurité et qu’elle prétend avoir été agressée sexuellement par un membre du personnel médical au beau milieu de la nuit), pour le Tribunal, l’état de la plaignante et le propos qu’elle tient quelques heures plus tard sont tout aussi compatibles avec une personne en état de choc au moment où elle rencontre madame Lavergne, dû justement à ce qu’elle venait de vivre quelques heures auparavant.

[86]        Cet état de choc est d’ailleurs confirmé par le père de la plaignante, qui a témoigné dans cette affaire, selon ce qu’il a observé le matin du 18 novembre 2019.

[87]        Après avoir considéré le témoignage de la plaignante à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne conclut aucunement qu’il n’est pas fiable ni crédible. Au contraire, comme déjà souligné, il y’a justement divers éléments de preuve qui tendent à confirmer la véracité et la fiabilité du témoignage de la plaignante.

[88]        L’accusé confirme en grande partie le témoignage de la plaignante. De plus, la patiente voisine de la plaignante, madame J… D…, a témoigné qu’elle a vu l’accusé fermer le rideau après qu’il eut proposé à la plaignante de lui faire un examen du rectum.

[89]        De plus, elle a entendu cette personne demander à la plaignante si elle avait un chum, des enfants. Ce sont des propos, en des termes similaires, que la plaignante et l’accusé reconnaissent avoir été dits par l’accusé. Toutefois, l’accusé attribue à ses propos une connotation tout à fait innocente.

[90]        Pourtant, dans sa déclaration sur vidéo lors de l’interrogatoire policier, alors qu’il est questionné de façon générale au sujet de son travail, lorsqu’on lui demande s’il parle avec les patient(e)s, l’accusé répond à ce moment de l’interrogatoire que généralement il ne pose pas trop de questions et qu’il ne pose pas de questions personnelles, ni au sujet de la famille. Alors qu’est-ce qui l’incite à poser des questions de cette nature à cette patiente en particulier? Cet élément considéré isolément ne permet aucunement de tirer d’inférence concernant la crédibilité ou l’état d’esprit de l’accusé, mais considéré à la lumière de l’ensemble de la preuve, cela soulève des interrogations concernant sa crédibilité.

[91]        Madame D... mentionne aussi, comme la plaignante, qu’il n’y avait aucune lumière allumée. L’accusé prétend qu’il y avait un certain éclairage provenant d’une veilleuse. À ce sujet, le Tribunal conclut que la preuve démontre que la plaignante de toute évidence ne se trouvait pas dans la noirceur totale, qu’il devait y avoir un éclairage, quoique limité, mais que c’était tout de même sombre sur les lieux. Cet élément en soi n’est pas déterminant dans l’analyse du Tribunal.

[92]        De plus, madame D... dit avoir entendu l’accusé demander à la plaignante si elle voulait se toucher à l’anus, tel que le prétend la plaignante. L’accusé pour sa part prétend qu’il n’a jamais dit cela.

[93]        Madame D... cependant souligne qu’elle n’a pas entendu l’accusé tenir des propos de nature sexuelle à l’endroit de la plaignante. Elle n’a pas entendu l’accusé dire le mot plote ou vulve.

[94]        Rappelons qu’elle n’a pas non plus entendu l’accusé dire le mot vagin ou que la plaignante avait un beau vagin. Pourtant, même l’accusé reconnait avoir dit cela plus d’une fois. Il appert donc qu’il y a certaines choses, soit qu’elle n’a pas entendu ou n’a plus de souvenir. En conséquence, le Tribunal ne tire pas de conclusions au sujet de la fiabilité ou crédibilité de la plaignante à partir de tels éléments.

[95]        Le Tribunal est convaincu que madame D... a témoigné au meilleur de son souvenir, qu’elle semblait sincère, de bonne foi et elle ne semblait pas vouloir favoriser la plaignante. D’ailleurs, ces deux personnes ne se connaissaient aucunement avant leur hospitalisation, elles n’étaient pas des amies et elles ne sont pas devenues des amies par la suite. Rien ne suggère d’ailleurs qu’elle avait quelque préjugé à l’endroit de l’accusé.

[96]        Son souvenir de ce qu’elle a entendu semble précis et fiable à certains égards. Par contre, pour certaines paroles qu’elle dit ne pas avoir entendues il est certes raisonnable de conclure qu’elle n’ait plus de souvenir de certaines choses ou qu’elle n’ait pas entendu, par exemple, comme mentionné par la plaignante, car l’accusé chuchotait durant une partie de leur interaction.

[97]        Un autre élément qui tend à confirmer que la plaignante a un souvenir précis de ce qui se passait cette nuit-là est son observation quant à la présence du conjoint de madame D... et le lieu précis où il était assis et qu’il dormait.

[98]        De plus, la plaignante mentionne qu’elle aurait fait appel au service infirmier à cause de la douleur entre 3 et 4 h. Cela tend aussi à démontrer un souvenir assez précis dans le temps. Elle se souvient également que l’accusé a enfilé des gants de latex, mais il n’a pas mis de lubrifiant.

[99]        La plaignante se souvient même de la présence d’une petite dame, membre du personnel médical, qui portait des lunettes et avait un accent français. Cette dame se serait occupée de la patiente voisine. Cela tend aussi à démontrer une certaine présence d’esprit chez la plaignante et d’un souvenir précis de divers aspects pertinents à la nuit des évènements.

[100]     Du même coup, lorsqu’on lui demande si elle portait des sous-vêtements elle n’est pas certaine et c’est ce qu’elle dit. De plus, elle rapporte que l’accusé s’est identifié, mais qu’elle n’a pas compris ce qu’il a dit. Elle mentionne aussi que selon son souvenir l’accusé n’a pas pris ses signes vitaux. Il est possible qu’elle se trompe sur ce point, mais pour le Tribunal, cet aspect à lui seul n’est pas un facteur déterminant dans l’évaluation de l’ensemble du témoignage de la plaignante.

[101]     Monsieur Antoine Dumont a témoigné en défense. Ce dernier était Chef de l’urgence de l’hôpital de Hull le 18 novembre 2019. Ce témoin a pris la version initiale de la plaignante avec une agente de relation de travail, après qu’il eut rencontré madame Lavergne.

[102]     Ce qui ressort de son témoignage est qu’il n’a porté aucune attention au protocole existant au Centre intégré de santé et des services sociaux de l’Outaouais (CISSSO), qui requiert normalement que la Centre d’aide et de lutte contre des agressions à caractère sexuel (CALACS) soit contacté lorsqu’il y a une plainte d’agression sexuelle dans de telles circonstances, pour permettre l’intervention d’une intervenante de cet organisme pour soutenir la plaignante.

[103]     L’hôpital n’a pas non plus appelé les autorités policières. Monsieur Dumont prétend que la plaignante ne voulait pas porter plainte. Ceci est tout à fait incompatible avec la version de la plaignante. Il appert que rapidement, il a été décidé de traiter le comportement de l’accusé comme une faute professionnelle.

[104]     Monsieur Dumont semble suggérer qu’il y avait plusieurs éléments flous dans la version de la plaignante. De toute évidence, selon son témoignage, il appert que les autorités médicales à tout le moins n’étaient pas suffisamment convaincues que la plaignante avait été agressée sexuellement.

[105]     Le Tribunal est convaincu que la plaignante croyait qu’elle avait affaire à un infirmier à ce moment. Elle a expliqué la façon que l’accusé lui a touché l’anus et lui a entré l’index dans l’anus. L’accusé aussi confirme que c’est avec son index qu’il a touché l’anus de la plaignante.

[106]     La plaignante a expliqué aussi la façon qu’un autre doigt est entré en contact avec son vagin. Elle mentionne les propos tenus par l’accusé à ce moment et qu’elle se souvient qu’il chuchotait durant une partie de l’échange.  

[107]     À un certain moment, elle croit qu’à travers les barreaux de son lit, qu’on peut voir sur la photo déposée en preuve sous P-3A, qu’elle a ressenti ce qu’elle croit être son pénis en érection. Ceci est nié par l’accusé.

[108]     Après ce qui venait de se produire, elle était en état choc, en mode panique et elle ne s’est pas rendormie de la nuit.

[109]     La défense évoque certaines différences ou contradictions entre différentes déclarations de la victime et son témoignage à la cour. Entre autres, dans sa déclaration du 24 novembre 2019 elle dit que l’accusé a mis son doigt près de son vagin alors qu’avec un autre doigt il essayait de pénétrer son anus. Au procès, elle dit qu’il aurait entré un quart de son doigt dans son vagin.

[110]     Elle est catégorique que s’il manquait des détails au moment de cette déclaration, depuis certaines choses se sont clarifiés dans son esprit.  

[111]     Elle est confrontée à ce qu’elle dit à ce sujet lors de sa deuxième déclaration du mois de décembre aux autorités policières. À ce moment, elle aurait dit que l’accusé avait le bout d’un doigt entré dans son anus et un autre doigt était accoté, inséré dans ses grandes lèvres. Cela dure un minimum d’une minute.

[112]     À ce sujet, la plaignante explique qu’elle voulait plutôt dire « inséré » dans son vagin, en expliquant ces différences, en précisant qu’il s’agit d’un cheminement le fait d’accepter d’avoir été agressée.

[113]     Elle insiste devant le Tribunal que le doigt de l’accusé était inséré dans son vagin. Elle a aussi expliqué que c’est lorsqu’elle a visionné à nouveau sa déclaration sur vidéo du mois de décembre, en préparation pour son témoignage au procès (et dont c’était la première fois depuis la prise de cette déclaration), elle a constaté que cela n’était pas mentionné. Elle a même à ce moment informé l’enquêteur de cette correction qu’elle souhaitait faire. Elle était ferme qu’il avait inséré son doigt.

[114]     En effet, il appert qu’il y a certaines différences entre le témoignage de la plaignante et certains propos qu’elle a tenus antérieurement dans ses déclarations. Elle a expliqué ces contradictions. Des contradictions ou différences entre les versions d’un témoin, il s’agit d’un aspect important qui doit être analysé par le Tribunal. Le Tribunal doit aussi analyser l’ensemble de la preuve.

[115]     En l’espèce, vu les circonstances dans lesquelles une première déclaration de la plaignante a été obtenue, suivi de celle du mois de décembre et les circonstances difficiles, voire traumatisantes pour la plaignante, le Tribunal est convaincu de sa sincérité à fournir un récit le plus complet possible, franc et honnête des évènements survenus le 18 novembre 2019.

[116]     Lorsqu’elle ne se souvenait pas de certaines choses ou qu’elle n’était pas certaine, elle le reconnaissait. Cependant, lorsque son souvenir était sans équivoque elle maintenait sa position et était ferme dans ses réponses. Elle était émotive à certains moments de son témoignage et semblait fatiguée, mais malgré ceci elle semblait faire un effort véritable de raconter les évènements au meilleur de son souvenir et le Tribunal la croit.

[117]     La preuve dans son ensemble n’appuie pas la prétention de la défense selon laquelle le témoignage de la plaignante n’est pas fiable. Après avoir considéré son témoignage à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal croit le témoignage de la plaignante.

[118]     Concernant le témoignage de l’accusé, après avoir considéré l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne le croit pas lorsqu’il dit que tous ses faits et gestes n’avaient pour but que d’aider la plaignante, d’évaluer le problème concernant son anus (dont il insiste qu’elle disait que personne ne voulait s’en occuper) et dans le but d’appuyer sa collègue, l’infirmière en service cette nuit-là. L’accusé a rapporté des échanges qu’il aurait eus avec cette infirmière, mais rappelons que rien de ce que l’accusé mentionne avoir été dit par cette dame ne fait preuve du contenu. Elle n’a pas témoigné.

[119]     L’accusé n’était pas autorisé à faire un tel examen. Comme déjà mentionné, le Tribunal ne croit pas l’accusé lorsqu’il dit qu’il ne savait pas que cela prenait une ordonnance d’un médecin pour faire un tel examen. Le fait qu’il n’ait jamais auparavant fait un tel examen sur une patiente, malgré une quinzaine d’années d’expérience dans ce métier, est une bonne indication du caractère exceptionnel de ce genre d’examen.

[120]     Le manque de transparence de l’accusé lorsqu’il est questionné sur les gestes qu’il a posés affecte grandement sa crédibilité. Par exemple, lors de l’interrogatoire policier l’accusé commence par dire qu’il n’a pas touché au vagin de la plaignante. Cependant, au fur et à mesure que l’interrogatoire avance il finit par reconnaitre qu’il est possible qu’il ait touché à son vagin. Encore là, il prétend que si c’est le cas ce n’était pas intentionnel et que tout ce qu’il a fait était selon les normes.

[121]     Le Tribunal ne croit pas l’accusé sur la légitimité des touchers qu’il dit avoir fait pour soulager la plaignante et évaluer son problème médical et appuyer sa collègue, l’infirmière en service.

[122]     Il n’y avait aucune urgence. Il va jusqu’à blâmer la plaignante lorsqu’il explique le stress qu’il dit avoir ressenti à un certain moment en disant qu’il aurait souhaité qu’elle démontre plus de retenue. Son état de choc qu’il décrit à ce moment est incompatible avec l’impression qu’il tente de donner à d’autres moments lors de son témoignage disant qu’il n’a rien à se reprocher, qu’il a bien fait son travail selon les règles de l’art.

[123]     Alors qu’il est questionné par l’enquêteur au sujet des propos qu’il aurait tenus au sujet d’une partie du corps de la plaignante, qui sans contredit est une partie intime (tel que l’anus est considéré d’ailleurs), il réagit de façon à donner l’impression de ne pas comprendre et il suggère qu’il essaie de s’en souvenir.

[124]     Lorsque l’enquêteur le confronte directement au fait qu’il aurait dit à la plaignante qu’elle avait un beau vagin, il finit par admettre avoir dit cela.

[125]     Après avoir considéré son témoignage à la lumière de l’ensemble de la preuve le Tribunal est convaincu qu’il savait très bien à quoi l’enquêteur faisait référence. Il ne s’agit qu’une autre illustration de son manque de transparence.

b)   Est-ce que les touchers prodigués par l’accusé dans de telles circonstances constituent une agression sexuelle ?

[126]     Une agression sexuelle est tout toucher intentionnel qui a un caractère sexuel sans le consentement de la plaignante.

[127]     Comme énoncé dans l’arrêt Chase, l’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept à l’article 265(1) du Code criminel qui est commis dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif. On doit se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable percevrait le contexte sexuel ou charnel de l’agression ».

[128]     Il est sans équivoque, qu’à la lumière de la preuve acceptée par le Tribunal que cette question se répond par l’affirmative. Les circonstances entourant le ou les gestes reprochés doivent être considérées pour déterminer la nature sexuelle du geste ou des gestes posés. 

[129]     L’accusé a fait des attouchements aux parties les plus intimes d’une femme, soit au niveau de l’anus et du vagin, alors que celle-ci se trouvait dans une situation vulnérable. Le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable qu’une personne raisonnable percevrait le contexte sexuel du ou des gestes posés à l’endroit de la plaignante. Le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que cela a porté atteinte à l’intégrité sexuelle de la plaignante.

[130]     Le Tribunal ne croit pas l’accusé à l’effet qu’il a agi ainsi totalement et uniquement à des fins médicales, soit seulement pour évaluer son problème médical au niveau de l’anus et en vue de la soulager et pour appuyer l’infirmière en service.  

[131]     Il a posé des gestes allant au-delà de ses fonctions alors qu’il n’y avait pas d’urgence et encore, le Tribunal ne retient pas la prétention de l’accusé qu’il a agi selon les normes et uniquement pour les fins qu’il a mentionnées.

[132]     La nature des attouchements, l’endroit sur le corps de la plaignante où ces attouchements sont faits et la teneur des propos de l’accusé à l’endroit de celle-ci sont tous des facteurs qui convainquent le Tribunal sur le caractère charnel ou sexuel des gestes posés par l’accusé à l’endroit de la plaignante.

[133]     Même si l’on se limite au propos que l’accusé admet, soit de dire à la plaignante qu’elle avait un beau vagin, après qu’il ait constaté qu’effectivement qu’elle avait un beau vagin (tel qu’il a reconnu en répondant à une question de l’enquêteur lors de l’interrogatoire policier), la conclusion du Tribunal demeure la même. Il va de soi cependant que suivant les propos très explicites rapportés par la plaignante, le caractère sexuel de ces propos et gestes sont simplement encore plus évidents.

[134]     Le fait que l’accusé ait posé des gestes qui dépassent les fonctions d’un infirmier auxiliaire a une certaine pertinence relativement à la question de savoir si la poursuite a prouvé hors de tout doute l’absence de consentement de la plaignante.

[135]     La preuve démontre que la plaignante croyait qu’elle avait affaire à un membre du personnel médical qui pouvait lui prodiguer les soins dont il est question.

[136]     Elle était en droit de savoir sans équivoque que le genre d’examen proposé par l’accusé ne fait pas partie de ses fonctions en tant qu’infirmier auxiliaire. Le fait qu’elle ait acquiescé que l’accusé procède à un examen, qui impliquerait des touchers au niveau de l’anus, ne peut constituer un consentement valide dans un tel contexte, peu importe la nature et les fins des touchers en question.

[137]     Le Tribunal est convaincu qu’au départ la plaignante croyait qu’un certain contact aurait lieu à des fins médicales. Elle est à ce point stupéfaite en réalisant ce qui se produit, qu’elle répond merci, dans son désarroi, lorsque l‘accusé lui fait un compliment sur son vagin.

[138]     Le Tribunal conclut qu’il ne peut s’agir d’un consentement valide, et ce, sur l’une ou l’autre de deux bases. Premièrement, il ne peut s’agir d’un consentement valide dans un contexte où elle croit avoir affaire à une personne qui est autorisée à prodiguer des soins impliquant des attouchements dans un tel contexte. Deuxièmement, son consentement ne peut être valide lorsqu’il est soutiré dans de circonstances qui lui laissent croire à une démarche légitime à des fins strictement médicales lorsque tel n’est pas le cas.

CONCLUSION

[139]     Le Tribunal est convaincu que des touchers intentionnels, ayant un caractère sexuel, ont été faits sur la victime, en l’absence d’un consentement valide et éclairé de sa part.

[140]     Dans la présente affaire, après avoir considéré l’ensemble de la preuve, le Tribunal n’a pas de doute à la suite du témoignage de l’accusé, et en vertu de la preuve que le Tribunal accepte, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DÉCLARE l’accusé Martial Yanon COUPABLE sur le seul chef d’accusation.

 

 

 

__________________________________

RICHARD MEREDITH, J.C.Q.

 

Me Marie-Josée Genest

Procureur aux poursuites criminelles et pénales

 

Me Primo Vinnie Tilli

Procureur de l’accusé

 

Date d’audience :

7, 8 et 9 avril 2021

 



[1]     R. c Lifchus. [1997] 3 SCR 320.

[2]     R. c. W (D) [1991] 1 RCS 742.

[3]     R. c. Bernard [1988] 2 RCS 833 - par. 66.

[4]     R. c. Ewanchuk [1997] 1 RCS 330 - par. 25.

[5]     R. c. Chase [1987] (2) RCS 293 - page 302.

[6]     R. c. Bernier 1997 CanLII 9937 - pages 6 - 8.

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