Décision

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Décision

Déziel c. Sicard

2019 QCRDL 18761

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

No dossier :

294795 36 20160902 G

No demande :

2075302

 

 

Date :

03 juin 2019

Régisseure :

Isabelle Normand, juge administrative

 

Marie-France Déziel

 

Roberto Pullano

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Lucie Sicard

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

 

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locataires demandent des dommages matériels, une diminution de loyer, les intérêts et les frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 1 250 $.

Contexte

[3]      Les locataires réclament des dommages matériels, le coût du remboursement de leurs frais de déménagement (250$) ainsi qu’une diminution de loyer de 50 %, de février à juin 2016 (3 125 $), plus les intérêts, l'indemnité additionnelle et les frais.

[4]      La demande des locataires est produite le 2 septembre 2016 au tribunal de la Régie du logement.

[5]      Cette demande réclamant la somme de 3 375 $ est introduite et signée par l’avocat d’alors des locataires.

[6]      À l’audience, le Tribunal soulève d’office les dispositions de l’article 73 de la Loi sur la Régie du logement qui interdit aux avocats d’agir dans un dossier de la compétence de la Cour du Québec en matière de recouvrement des petites créances.

[7]      L’avocat des locataires répond sur ce point qu’il n’a pas d’arguments à invoquer ou de représentations à formuler à cet effet.

[8]      Il en va de même de l’avocate de la locatrice.

Analyse et décision

[9]      La demande des locataires ne peut être accueillie pour le motif que la présente demande a été signée par un avocat réclamant une somme de 3 375 $ qui est de la nature d'une petite créance.


[10]   Selon l'article 73 de la Loi sur la Régie du logement[1], un avocat ne peut agir :

« 73. Malgré la Charte des droits et libertés de la personne (c. C-12), un avocat ne peut agir si la demande a pour seul objet le recouvrement d'une créance qui n'excède pas la compétence de la Cour du Québec en matière de recouvrement des petites créances, exigible d'un débiteur résidant au Québec par une personne en son nom et pour son compte personnel ou par un tuteur ou un curateur en sa qualité officielle. »

[11]   La Cour supérieure[2] s'est prononcée, en révision judiciaire, dans le cadre d'une demande en rétractation d'une décision du tribunal de la Régie du logement relative à une demande de la nature d'une petite créance.

[12]   Elle précise que la procédure ne peut être introduite par un avocat et que la représentation ne peut être effectuée par un avocat dans le cadre d'un litige devant le tribunal de la Régie du logement, en matière de petites créances.

[13]   De plus, il a été jugé par la Cour du Québec qu’un avocat ne peut préparer, rédiger et signer une demande présentée devant la Cour du Québec, division des petites créances, et ce, même si l’avocat est un employé au service du demandeur, ces dispositions sont d'ordre public et leur non-respect est sanctionné par une nullité relative[3].

[14]   La soussignée fait siens les motifs des juges des Cours supérieure et du Québec qui expliquent l'application des dispositions de l'article 73 de la Loi sur la Régie du logement dans un contexte de réclamation d'une petite créance.

[15]   Lorsqu'un litige concerne le recouvrement d'une petite créance relativement au bail d'un logement, la Loi interdit à une partie d'être représentée par un avocat. L'article 73 de la Loi énonce : « [...] un avocat ne peut agir si la demande a pour seul objet le recouvrement d'une créance [...] »[4].

[16]   L'article 73 de la Loi s'inspire fortement de l'article 959 C.p.c. qui prévoit que : « L'avocat ne peut [...] agir comme mandataire [...] en matière de petites créances relevant de la compétence de la Cour du Québec. »[5]

[17]   Puisque la Charte des droits et libertés de la personne prévoit expressément le droit « de se faire représenter par un avocat ou d'en être assisté devant tout tribunal »[6], le législateur a prévu une dérogation expresse à ce droit[7].

[18]   En matière de petites créances, cette dérogation a été jugée à la fois de la compétence de l'Assemblée nationale du Québec[8] et conforme aux règles de justice naturelle[9].

[19]   L'interdit aux avocats d'agir en matière de petites créances s'explique par une volonté du législateur d'assurer une procédure simple, accessible, expéditive et moins coûteuse. Dans ce sens, l'article 1 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[10] prévoit que :

« Le présent règlement vise à établir les règles de procédure applicables lors de l'exercice d'un recours devant la Régie du logement, de façon à en simplifier, à en faciliter et à en accélérer le déroulement, dans le respect des principes de justice fondamentale et de l'égalité des parties. »

[20]   La Loi prévoit également l'assistance du personnel de la Régie du logement pour la rédaction d'une procédure.

« Le personnel de la Régie doit prêter son assistance pour la rédaction d'une demande à une personne qui la requiert. »[11]

[21]   De plus, durant l'audience, le régisseur doit instruire sommairement les parties des règles de preuve et offrir un secours équitable et impartial aux parties « de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction. »[12]

[22]   Le juge Gosselin décrit ainsi la raison d'être de l'impossibilité d'être représenté par un avocat dans ce contexte :

« Il est donc clair qu'en règle générale, les parties doivent se représenter elles-mêmes. Cela est par ailleurs cohérent avec la philosophie sous-tendant le régime procédural applicable aux petites créances. En effet, le législateur a introduit cette procédure simple, sans formalisme et rapide dans le but de permettre aux justiciables de recouvrer des sommes de faible valeur à peu de coûts. Il a en outre misé sur l'accessibilité et configuré le régime de façon à favoriser le maintien d'un équilibre substantif et procédural entre les parties, l'une ne devant pas être avantagée par rapport à l'autre. D'où la règle générale de l'exclusion des avocats, qui s'applique malgré la Charte des droits et libertés de la personne (article 997.1 CPC), et son corollaire : c'est le juge qui "procède lui-même à l'interrogatoire" des témoins et qui "apporte à chacun un secours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction" (art. 976 al. 1 CPC). »[13]

[23]   L'interdit aux avocats d'agir en matière de petites créances devant la Régie du logement est donc formel et clair. Il couvre tous les aspects d'une réclamation, tant les actes de procédures, la rédaction, la signature de celles-ci que l'audition[14].

[24]   Les principes de cette décision ont été suivis à de nombreuses reprises par les juges administratifs du tribunal de la Régie du logement[15].

[25]   En conséquence, la demande des locataires, signée et introduite par un avocat, est nulle, car les dispositions de l'article 73 sont impératives et d'ordre public[16]. Elle est déclarée irrecevable pour les motifs mentionnés à la présente décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[26]   DÉCLARE irrecevable la demande des locataires qui en assument les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Normand

 

Présence(s) :

les locataires

Me Richard Walker, avocat des locataires

la locatrice

Me Elysabeth Bougie, avocate de la locatrice

Date de l’audience :  

21 mai 2019

 

 

 


 



[1] RLRQ, c. R-8.1.

[2] Quirapas c. Régie du logement, 2008 QCCS 151.

[3] Gestion Olymbec inc. c. Montréal (Ville de), SOQUIJ AZ-50612788; A.E./P.C. 2010-7086 (C.Q.); 2010EXP-1793 (C.Q.).

[4] Précitée note 2.

[5] D'ailleurs, plusieurs dispositions du Livre VIII du Code de procédure civile « Des Demandes Relatives à Des Petites Créances » sont reproduites, soit dans la Loi sur la Régie du Logement, soit dans le Règlement sur la procédure devant la Régie du logement.

[6] Article 34 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.

[7] Voir l'article 73 de la Loi sur la Régie du logement et l'article 959 du Code de procédure civile.

[8] Automobiles Nissan du Canada Ltée c. Pelletier, [1981] 1 R.C.S. 67.

[9] Canadian Air Line Pilots Association c. D'Orsonnens, R. & F., vol. 3, 134 (1978 - C.A.).

[10] L.R.Q. c. 8.1, r.5.

[11] Précitée note 1, article 21.

[12] Précitée note 10, article 63.

[13] Lajeunesse c. Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. (APCHQ), [2002] J.Q. nº 9326, paragr. 13.

[14] Voir Tittemore c. Auto Maximum Plus inc., B.E. 2002BE-972 où le juge Chicoine de la Cour du Québec a autorisé la rétractation d'une décision de la Régie du logement parce qu'un avocat avait représenté l'intimé dans une affaire de petites créances.

[15] Bibeau c. Émond (R.D.L., 2015-10-08), 2015 QCRDL 32774, SOQUIJ AZ-51221868; Nguyen c. Gherbi, (R.D.L., 2015-10-08), 2015 QCRDL 32776, SOQUIJ AZ-51221870; Pelletier c. Halim (R.D.L., 2015-07-30), 2015 QCRDL 25106, SOQUIJ AZ-51202864; Industrielle Alliance ass auto et habitation inc. c. Structures métropolitaines (SMI) inc. (R.D.L., 2014-12-10), 2014 QCRDL 42638, SOQUIJ AZ-51134770.

[16] Entreprises Ralp inc. c. Spyropoulos, (C.Q., 2013-10-24), 2013 QCCQ 12462, SOQUIJ AZ-51011982; Gestion Olymbec inc. c. Montréal (Ville de), (C.Q., 2010-02-19), 2010 QCCQ 1224, SOQUIJ AZ-50612788, 2010 EXP-1793.

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