R. c. Applebaum |
2016 QCCQ 9202 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
500-01-090833-135 |
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DATE : |
Le 12 septembre 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DANIEL BÉDARD, J.C.Q. |
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Sa majesté la Reine |
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Poursuivante |
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c. |
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Michael Applebaum |
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Accusé |
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JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR ÉMISSION D’UNE ORDONNANCE DE DIVULGATION DE CERTAINS ÉLÉMENTS DE PREUVE ET SUR REQUÊTE EN ORDONNANCE D’ARRÊT DES PROCÉDURES POUR DÉFAUT DE DIVULGATION
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JB8273 |
[1] Monsieur Michael Applebaum fait face à 14 chefs d’accusation pour des événements survenus entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2011. Maire de l’arrondissement Côtes-Des-Neiges à l’époque, il est accusé entre autres, d’abus de confiance, complot, fraude envers le gouvernement et corruption.
[2] Le procès doit débuter le 15 novembre 2016 suite à l’enquête préliminaire tenue les 1, 2 et 3 juin 2015.
[3]
Le soussigné est le juge désigné en vertu de l’article
POSITION DE LA DÉFENSE
[4] La défense dépose deux requêtes qui contiennent essentiellement les mêmes allégués, sauf les derniers, considérant que l’une demande la divulgation et l’autre l’arrêt des procédures.
[5] La situation alléguée dans les deux requêtes peut-être résumée comme suit :
- Monsieur Hugo Tremblay est un témoin essentiel ou le témoin essentiel de la poursuite, sans être l’unique témoin;
- il existe une preuve indépendante à son égard en ce qui a trait à la commission des crimes reprochés à monsieur Applebaum;
- Monsieur Tremblay n’est pas accusé et n’est pas partie à une entente de collaboration et n’est donc pas soumis aux exigences qui s’y rattachent;
- son utilisation comme témoin par la poursuite n’est pas conforme aux lignes directrices du DPCP;
[6] Selon la défense, ce qui précède affecte grandement, si l’on peut s’exprimer ainsi, sa crédibilité, de sorte que cela commande une divulgation complète, totale et sans restriction du contenu des rencontres entre le témoin Tremblay, la procureure au dossier et les policiers, tel qu’allégué au paragraphe 16 a de la requête.
[7] Après maintes questions et précisions, il appert qu’il s’agit des 3 rencontres qui précèdent la tenue de l’enquête préliminaire, soit les rencontres du 23, 24 et 27 avril 2015.
[8] La défense avance au paragraphe 16b et la poursuite reconnaît que, du mois d’avril 2014 au mois de mai 2015, aucune des communications entre le témoin Tremblay et l’enquêteur Lamy, que ce soit par message texte ou téléphone, n’a fait l’objet d’une prise de notes par ce dernier. Le Tribunal reviendra de manière détaillée sur cet aspect plus loin dans le jugement.
[9] La défense demande donc la divulgation des notes de la procureure pour les rencontres du 23, 24 et 27 avril 2015 et un résumé judiciaire pour toutes et chacune des communications entre mars 2014 et mai 2015.
[10] Quant à la demande d’arrêt des procédures, la défense avance que ces lacunes dans la divulgation compromettent de manière irrémédiable le droit de l’accusé à une défense pleine et entière. (para. 17 et 18 de la requête en arrêt des procédures)
[11] Il est donc, selon la défense, souhaitable de ne pas attendre le procès pour vider la question puisque le juge du procès ne pourra, faire une analyse complète. ( para. 18 de la requête en arrêt des procédures)
[12] La défense, pour justifier l’arrêt des procédures, avance l’abus de procédures relatives à l’inconduite de l’État, de manière plus précise, un exercice inadéquat ou incorrect du pouvoir discrétionnaire de la poursuite reconnu par la doctrine, confirmé et explicité par la jurisprudence
[13] La poursuite répond par le dépôt d’une requête en irrecevabilité à l’encontre de la demande d’arrêt des procédures et dépose de plus une réponse à la demande de l’arrêt des procédures, de même qu’une contestation quant à la tenue d’un voir-dire.
[14] C’est dans la réponse de la poursuite, plus précisément aux para. 43 et 44 que la poursuite annonce son intention d’interroger l’affiant, en l’occurrence le procureur de monsieur Applebaum, quant aux allégations de preuve indépendante contre le témoin Tremblay, l’avantage reçu par ce denier en ne participant pas à l’entente et ce sur quoi se base l’affiant pour affirmer que la directive n’est pas appliquée dans le dossier.
[15] De plus, la poursuite soumet que les notes de la procureure au dossier sont couvertes par le privilège relatif au litige et qu’elle n’a donc pas à les divulguer. Quant à l’absence de notes pour les communications, la poursuite reconnaît, admet la violation, mais ajoute du même souffle qu’il ne s’agit pas d’une violation de nature à justifier un arrêt des procédures.
[16] Lors d’une conférence téléphonique demandée par les procureurs et tenue en salle d’audience quelques jours avant l’audition des requêtes prévue le 22 août 2016, la défense annonce retirer ses allégués relatifs à l’inconduite de la poursuite et cette dernière annonce alors qu’elle renonce à son intention d’interroger le procureur de monsieur Applebaum.
[17] Voilà où nous en sommes en début d’audition le 22 août 2016.
[18] Après avoir entendu les représentations des parties et demandé plusieurs précisions sur les allégués, afin de circonscrire correctement le litige, 2 questions précises font surface :
a) le privilège relatif au litige réclamé par la poursuite en lien avec les rencontres du 23, 24 et 27 avril 2015, doit-il être reconnu ? (para.16a de la requête);
b) L’absence de notes pour les communications entre le témoin Tremblay et l’enquêteur Lamy pour la période entre avril 2014 et mai 2015 constitue-t-elle une base juridique et factuelle ouvrant la porte à une demande d’arrêt des procédures pour le motif invoqué par la défense, à savoir l’impossibilité de mener un contre-interrogatoire complet et efficace? (para.16b de la requête).
[19] La poursuite dépose la directive PRE-1 au sujet du collaborateur de justice, les déclarations du témoin Tremblay et la transcription de son témoignage rendu lors de l’enquête préliminaire. La défense dépose un rapport d’enquête de l’agent Lamy au sujet de l’absence de notes pour la période concernée, rapport rédigé le 12 mai 2015. Sont aussi déposées des notes rédigées le 2 avril 2014 par l’enquêtrice Dumais qui explique les démarches menant à l’absence et reprise de notes.
[20] De manière générale, toute question qui a trait à la divulgation doit et devrait être réglée avant la tenue d’un procès. Par exemple, en présence d’une demande additionnelle de divulgation de la défense ou d’une opposition de la poursuite à divulguer. Dans la présente affaire, il y a une demande de divulgation en vertu du paragraphe 16 de la requête, tant en divulgation qu’en arrêt des procédures.
[21] De manière aussi générale, lorsque l’accusé invoque un abus de procédure et qu’une demande d’arrêt desdites procédures est la réparation demandée, la doctrine et la jurisprudence enseignent qu’il est préférable que le juge du procès soit le juge qui se prononce sur la demande.
[22] Ainsi dans la cause R. c. La [1997] 2 R.C.S., la Cour suprême précise aux pages 694 et 695:
« Souvent, il est préférable de trancher cette question au fur et à mesure du déroulement du procès….À moins qu’il ne soit évident qu’aucune autre mesure ne pourra réparer le préjudice causé par la conduite donnant lieu à l’abus, il est généralement préférable de sursoir à statuer sur la demande… »
« J’ajouterais que, même si le juge du procès rejetait la requête dès le début du procès, une autre requête au même effet pourrait être présentée advenant un changement important de conséquences. »
[23]
D’autre part, le rôle du juge désigné en vertu de l’article
« 551.2 RÔLE-Le juge responsable de la gestion de l’instance favorise la tenue d’un procès équitable et efficace, notamment en veillant, dans la mesure du possible, à ce que la preuve sur le fond soit présentée sans interruption. »
[24] En résumé, la question de la divulgation doit être réglée avant la tenue du procès et la demande d’arrêt des procédures doit être laissée au juge du procès.
[25] Considérant que :
- l’accusé avance que l’absence de notes pour la période spécifiée précédemment l’empêche de mener un contre-interrogatoire du témoin Tremblay de manière complète et efficace et que cela met en péril une défense pleine et entière;
- l’accusé avance que l’équité du procès est entachée de manière irrémédiable par ce fait;
- la possibilité, si la question n’est pas réglée à ce stade, que cela mine l’un des objectifs prévu à l’article 551.2 qui est de favoriser un procès équitable et sans interruption;
- la possibilité, si la question n’est pas tranchée à ce stade, qu’il y ait interruption de la présentation de la preuve au fond, lors du procès;
- la ligne directrice émise dans l’affaire R. c. La, est explicitée de manière générale, qu’elle n’est pas étanche et peut être écartée en fonction du contexte.
[26] Le Tribunal, après analyse et évaluation, procède donc sur la demande de divulgation et sur la demande d’arrêt des procédures.
[27] Ne pas se prononcer à ce stade sur la demande en arrêt des procédures, alors que c’est l’équité du procès qui est mise en cause par la défense et sachant que le motif invoqué à l’appui est l’impossibilité de mener un contre-interrogatoire complet dans le cadre d’une défense pleine et entière équivaut, selon le Tribunal, à fragiliser la tenue d’un procès efficace, d’autant plus lorsque tout repose uniquement ou à défaut, essentiellement sur l’absence de notes pour la période d’avril 2014 à mai 2015.
[28] Des précisions méritent d’être apportées quant à l’opposition de la poursuite à la tenue d’un voir-dire et sur la requête en irrecevabilité qu’elle présente. Même si le soussigné possède les pouvoirs du juge du procès il ne l’est pas, et de ce fait, agit à l’extérieur du procès. De sorte que la tenue d’un voir-dire pour entendre la requête de la défense n’apparaît pas nécessaire et appropriée.
[29]
D’autre part, lorsque la défense présente une demande et un remède en
vertu de la Charte, il est, à moins d’un contexte exceptionnel ou de
circonstances particulières, peu souhaitable de rejeter sa demande sans
l’entendre, en accueillant la requête en irrecevabilité. Il est préférable
d’entendre la défense et de vider la question, d’autant plus lorsque le juge
agit en vertu de l’article
a) L’arrêt des procédures pour absence de divulgation pour la période allant de mai 2014 à mai 2015
[30]
Dans la présente affaire, l’accusé, si le Tribunal comprend bien,
n’avance plus inconduite de la poursuite ou à tout le moins, ne la qualifie
plus, se limitant à affirmer que les décisions prises ont un impact sur
l’équité du procès. Il avance donc que la conduite de l’État est un cas qui
entre dans la catégorie principale, tel qu’explicité au paragraphe 31 dans R.
c. Babos
[31] Il faut préciser que la défense avance que tout en n’étant pas empreintes de mauvaise foi, les décisions prises et en quelque sorte le traitement du dossier par la poursuite, affectent grandement l’équité du procès au point où l’arrêt des procédures apparaît comme le seul remède ou à défaut, l’interdiction imposée à la poursuite d’utiliser monsieur Hugo Tremblay comme témoin.
[32] À tout événement, le requérant doit satisfaire ou rencontrer son fardeau initial et démontrer qu’il est en mesure, avec les éléments avancés, de faire une preuve suffisante d’un abus de procédures.
[33] Que le témoin Hugo Tremblay soit un témoin essentiel ou unique sur certains éléments des infractions reprochés à l’accusé est un facteur neutre pour les fins de l’analyse. (Point #1)
[34] Que la crédibilité du témoin Hugo Tremblay soit un paramètre central dans l’analyse de la preuve, qui sera, le cas échéant, faite par le juge du procès, est aussi un facteur neutre pour les fins de l’analyse. (Point #2)
[35] Qu’il existe une preuve indépendante à partir de laquelle le témoin Hugo Tremblay pourrait être accusé est encore un élément neutre aux fins de l’analyse. Il faut cependant préciser que la poursuite conteste l’existence d’une preuve indépendante complète à l’égard du témoin Hugo Tremblay et la défense n’est pas en mesure de dépasser par une preuve l’étape de l’allégué. (Point #3)
[36] Que le témoin Hugo Tremblay refuse d’être encadré par une entente de collaboration pour devenir un collaborateur de justice constitue un fait sur lequel la défense pour attaquer sa crédibilité, le cas échéant, lors du procès. (Point #4)
[37] Que la poursuite utilise monsieur Hugo Tremblay comme témoin lors du procès alors qu’il refuse de signer une entente pour devenir collaborateur de justice et alors qu’il est, selon ses déclarations, impliqué dans des actes de corruption et d’abus de confiance avec l’accusé est, pourrait être ou sera, lors du procès, un paramètre à considérer par le juge et argumenté par les procureurs. Dans le cadre de l’analyse actuelle, ce paramètre n’ajoute rien. (Point #5)
[38] La défense demande au Tribunal de considérer l’effet cumulatif des points 1 à 5 et d’y ajouter à titre de facteur additionnel à la mise en péril d’une défense pleine et entière l’absence de notes pour la période avril 2014-mai 2015.
[39] Sur ce point particulier, 2 témoins sont entendus, soit l’enquêteur principal au dossier l’agente Dumais et l’agent contrôleur Luc Lamy.
[40] L’agente Dumais affirme que, pendant l’enquête, un livre est tenu pour consigner tout ce qui se passe avec le témoin Tremblay et que les agents Lamy et Courteau doivent y inscrire toutes leurs notes au sujet des rencontres et communications avec le témoin Tremblay. Le but est d’éviter que les notes soient dans les calepins individuels des 2 contrôleurs et que tout soit consigné dans un seul et même livre. Ce n’est pas une pratique particulière et elle est appliquée dans un souci d’efficacité.
[41] La pièce produite est la page 239 de ce livre et les 2 derniers paragraphes sont de sa main. L’avant dernier paragraphe confirme une vérification avec la procureure de la poursuite, à savoir s’il faut continuer à écrire dans le cahier, car l’enquête est terminée. Elle écrit que la procureure lui répond que ce n’est plus nécessaire.
[42] Le dernier paragraphe confirme la reprise des notes dans le livre considérant la reprise des contacts avec le témoin en vue du processus judiciaire qui reprend, plus précisément l’enquête préliminaire.
[43] L’agente explique que le contrôleur Lamy, principal contact du témoin Tremblay, se plaint à l’époque que le témoin ne cesse de communiquer avec lui et qu’il s’agit de futilités. Il veut savoir s’il doit continuer à consigner les communications dans le livre, puisque l’enquête est terminée et il est occupé avec d’autres dossiers.
[44] D’où l’avant-dernier paragraphe de la page 239.
[45] L’agent Lamy témoigne qu’il rencontre le témoin Tremblay en mars 2013. Tout lui est expliqué et lu. Soit la mise en garde, le parjure, la preuve indépendante et autres. Aucune promesse.
[46] En mars 2014 il s’interroge sur la pertinence des notes, car l’enquête est terminée. Dans 99.9% des cas, les contacts sont initiés par le témoin Tremblay et selon l’enquêteur, rien de ce qui est dit n’est pertinent. Le témoin discute de sa fille, des difficultés avec la mère de sa fille, son emploi, les actualités, ses états d’âme, sa vie amoureuse, ses activités, les activités policières et autres sujets qui n’ont rien à voir avec le dossier.
[47] L’agent essaie tant bien que mal de faire comprendre au témoin que ce n’est pas pertinent, mais pas de manière suffisamment directe, si le Tribunal comprend bien.
[48] Il se sent comme un grand frère, mais il n’est pas à ce point importuné pour lui dire de manière claire de cesser. Sur la centaine de communications au cours de la période litigieuse, jamais n’a-t-il été question des faits de la cause.
[49] Il reconnaît qu’avant le mois d’avril 2014, il amène le témoin chez le psychologue, car ce dernier a des idéations suicidaires. Son témoignage fait ressortir une relation particulière ou de proximité avec le témoin.
[50] Il faut préciser que l’agent Lamy, disponible lors de l’enquête préliminaire, n’est pas interrogé par la défense qui demande son exclusion pendant le témoignage du témoin Tremblay, qui lui est contre-interrogé, sous toutes les facettes possibles au sujet des communications entre lui et l’agent Lamy au cours de la période concernée. Son témoignage va dans le même sens que celui de l’agent Lamy.
[51] Le témoignage de l’agent Lamy est crédible et les explications données sont vraisemblables.
[52] Cela dit, la poursuite concède que l’absence de notes pour les communications entre le témoin Tremblay et l’agent Lamy constitue une violation du droit à la divulgation, mais ajoute du même souffle que cette violation est sans conséquence sur l’équité du procès, car il n’y a aucune atteinte à une défense pleine et entière, puisque le contenu des communications n’est d’aucune pertinence.
[53] L’analyse du Tribunal sur l’absence de notes amène les constats suivants :
a) il y a inexistence des notes policières pour la période avril 2014-mai 2015;
b) ces notes concernent uniquement des communications entre le témoin et l’agent après avril 2014, c’est-à-dire, une fois l’enquête terminée;
c) cette absence de notes résulte d’une demande faite par le policier considérant la teneur des communications et d’une décision de la procureure de la poursuite mise au courant de la situation;
d) ces communications n’ont aucun lien avec les faits du dossier tel que relaté par le policier dans son témoignage et confirmé par le témoin à l’enquête préliminaire;
e) la procureure de la poursuite concède qu’il y a violation, mais qu’elle est sans conséquence et ne porte pas atteinte au droit de l’accusé à une défense pleine et entière;
f) la défense avance que cette absence de notes met en péril son droit à une défense pleine et entière, puisque le contre-interrogatoire du témoin Tremblay sera irrémédiablement réduit ou limité.
[54] Pour le Tribunal, la décision de la procureure de la poursuite d’autoriser le policier à ne pas prendre des notes lors des communications, parce que l’enquête est terminée, constitue une erreur ou une maladresse, mais cela dit, le contre-interrogatoire du témoin Tremblay à l’enquête préliminaire et le témoignage du policier Lamy, convainquent le Tribunal que les informations qui découlent de ces communications n’atteignent pas un seuil de pertinence qui permette de conclure même de loin, à un éventuel contre-interrogatoire du témoin Tremblay sans effet, au point de constituer une atteinte au droit de l’accusé à une défense pleine et entière. D'ailleurs, le contre-interrogatoire du témoin Tremblay lors de l’enquête préliminaire ne va pas dans ce sens.
[55] Dans l’affaire Harvey et als c. La Reine, Cour supérieure du Québec, no. 200-01-160676-114, monsieur le juge François Huot, tout en réaffirmant au paragraphe 52 le principe qu’une violation au droit à la divulgation n’entraîne pas nécessairement une atteinte à une défense pleine et entière, explicite l’analyse qu’il convient de faire dans une telle situation.
[56] Il écrit aux paragraphes 53, 54 et 55 :
53- Pour déterminer s’il y a eu une atteinte au droit à une défense pleine et entière, il faut entreprendre une analyse en deux temps.
54-, Dans un premier temps, pour évaluer le bien-fondé du résultat, il convient d’examiner les résultats non divulgués pour déterminer l’incidence qu’ils auraient pu avoir sur le verdict. S’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués influent, à première vue, sur le bien-fondé du verdict, le droit à une défense pleine et entière est établi.
55-Par ailleurs, même si les renseignements non divulgués n’influent pas eux-mêmes sur le bien-fondé du verdict, il faut considérer dans une seconde étape de l’analyse, l’effet de la non-divulgation sur l’équité globale du procès. Pour ce faire, il faut évaluer sous l’angle d’une possibilité raisonnable, les questions qui auraient pu être posées aux témoins ou les possibilités de recueillir d’autres éléments de preuve que la Défense aurait pu avoir si les renseignements pertinents avaient été divulgués. »
[57] Considérant ce qui précède, le Tribunal n’est donc pas convaincu, à ce stade-ci des procédures, que l’accusé ne peut pas présenter une défense pleine et entière à l’encontre des accusations portées contre lui, en raison de l’absence de notes pour la période qui se situe entre avril 2014 et mai 2015. La preuve n’est pas convaincante tant sur la pertinence que sur l’impact diminué du contre-interrogatoire.
[58] La défense avance, sans qualifier la conduite de la poursuite de répréhensible, que l’ensemble des points 1 à 5, joints à l’absence de notes, démontrent tout de même une conduite ou un ensemble de décisions qui minent de manière fatale l’équité du procès au point d’arrêter les procédures.
[59] Sans l’avancer de manière formelle, elle souhaite que le Tribunal scrute le pouvoir discrétionnaire de la poursuite, tel qu’exercé jusqu’à maintenant dans le présent dossier.
[60]
Or le Tribunal, en l’absence d’une preuve suffisante d’un abus de
procédure. (R. c. Anderson,
[61]
Dans R. c. Anderson
« 48- Manifestement, le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites justifie une grande déférence. Toutefois, il n’est pas à l’abri de toute surveillance judiciaire. Notre Cour a affirmé à maintes reprises que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est susceptible de contrôle judiciaire s’il y a eu abus de procédures : Krieger, para.32, Nixon, para.31; Miazga, para.46
« 50- Indépendamment des termes employés, l’abus de procédures s’entend essentiellement d’une conduite du ministère public qui est inacceptable et qui compromet sérieusement l’équité du procès ou l’intégrité du système de justice… »
[62] La défense fait grand état de l’utilisation de monsieur Hugo Tremblay comme témoin alors qu’il n’est pas partie à une entente, comme témoin collaborateur de justice, qu’il n’est pas accusé à ce jour et qu’il est un témoin essentiel sur un des points litigieux, soit la remise d’argent à l’accusé.
[63] Rien dans ce qui précède ne permet d’inférer une conduite inacceptable ou répréhensible de la poursuite et rien dans le contre-interrogatoire du témoin Tremblay à l’enquête préliminaire ne fait ressortir un avantage, un bénéfice ou une promesse faite en contravention de la directive.
[64] L’arrêt des procédures pour abus de procédure ne peut donc être retenu par le Tribunal. À tout le moins, pas à ce stade.
b) rencontres des 23, 24 et 27 avril 2015 et privilège relatif au litige
[65] La défense conteste le privilège relatif au litige réclamé par la poursuite et avance que le privilège devait être écarté au nom du droit de l’accusé à une défense pleine et entière, via un contre-interrogatoire total et complet. Le fardeau de convaincre le Tribunal repose sur la poursuite.
[66] La poursuite réplique que les rencontres du 23, 24 et 27 ont eu lieu dans le but de préparer l’enquête préliminaire et que tout fait nouveau ou additionnel ou changement dans la trame factuelle apportée par le témoin ont été divulgués à la défense, comme en font foi les déclarations additionnelles du témoin des 6 et 29 mai 2015.
[67] Il est établi par la doctrine et la jurisprudence que le privilège relatif au litige constitue une des exceptions à l’obligation de divulgation de la poursuite. Il est aussi établi que ce privilège sujet à interprétation restrictive, peut être écarté lorsqu’il est démontré une conduite répréhensible de la part de la poursuite ou lorsqu’il met en péril le droit de l’accusé à une défense pleine et entière.
[68]
Dans l’affaire R. c. Welsh,
« 146- The in camera procedure was adopted because of the real concern that Crown counsel’s notes were privileged. In their submissions, the parties referred to work product privilege. In Canada, the privilege is usually termed litigation privilege. Referring to General Accident Assurance Co. v. Chrusz (2000), 45 O.R. (3d) 321 (C.A.), the authors of the Law of Evidence in Canada at 14.186 describe litigation privilege as a zone of privacy within which a solicitor can prepare for trail without intrusion into his or her thoughts or work product; see …..The increasingly broad scope of discovery in civil cases, and the Crown disclosure in criminal cases, has necessarily narrowed the scope of litigation privilege…”
[69] Dans R. c. Basi [2008] BSCS 1858, au paragraphe 70 :
« In the Law of Privilege in Canada, the authors opine at page 12-3, paragraph 12.10, that:
“Litigation privilege in criminal proceedings is usually called “work product privilege”…..The communications covered by work product privilege are generally narrower than those in a civil context and are confined to lawyer’s notes, theories, opinions and strategies, and police work in preparation for trial. (as opposed to investigative work)”
[70] Il faut que ce travail préparatoire soit principalement créé pour et vise de manière évidente un litige en cours ou à venir.
[71] Dans la présente affaire, le Tribunal applique la procédure explicitée dans R. c. Chan [2002] ABQB 287 (CanLII), au para. 102 et procède in camera à l’examen des documents, plus spécifiquement les notes prises par la poursuite lors des 3 rencontres, ceci après avoir donné l’opportunité à la défense de faire ses observations et représentations quant à l’examen à faire par le Tribunal.
[72] L’examen des notes de la procureure de la poursuite pour les 3 rencontres, de même que le « will say » proposé, qui dans les faits est plutôt un résumé judiciaire, amène les constats suivants:
- les notes écrites de la procureure sont de la nature de notes généralement couvertes par le privilège relatif au litige;
- Il n’y a pas, dans ces notes, de faits nouveaux quant à la trame factuelle des accusations, sauf certaines précisions sur des faits déjà divulgués;
- Il y a des notes qui portent sur les caractéristiques professionnelles ou personnelles de l’accusé et du témoin Tremblay. Ces notes n’ont pas, d’après l’analyse du Tribunal, une pertinence convaincante;
- Le droit de l’accusé à une défense pleine et entière via un contre-interrogatoire complet et efficace, n‘est pas mis en péril, réduit ou diminué par le privilège réclamé par la poursuite.
[73] Le résumé judiciaire (will say) est dans les faits le résultat de l’exercice fait par la poursuite, c’est-à-dire que la procureure s’est livrée à une comparaison entre les déclarations du témoin Tremblay, son témoignage à l’enquête préliminaire et ses notes écrites lors des rencontres. Tout ce qui n’apparaissait pas dans les déclarations ou le témoignage, mais qui se retrouvait dans les notes écrites, constitue le résumé judiciaire.
[74] Ces constats faits, la poursuite, dans un souci de transparence totale, consent à ce qu’un résumé judiciaire conforme aux constats faits soit remis à la défense. Considérant le consentement de la poursuite et malgré le fait que le Tribunal ne soit pas convaincu de la pertinence des informations dans le résumé judiciaire, il est souhaitable que cette divulgation se fasse afin de vider la question et de réduire un certain climat de suspicion qui semble s’être installé.
c) Conclusion
[75] L’arrêt des procédures pour abus des procédures ou pour défaut de divulgation n’est pas soutenu par une preuve suffisante.
[76] La défense affirme que la crédibilité du témoin Tremblay est au coeur même du litige. Si tel est le cas, alors l’accusé est en possession de toute l’information pour mener un contre-interrogatoire complet et efficace, comme il l’a fait, selon le Tribunal, lors de l’enquête préliminaire.
[77] Tel qu’explicité précédemment, l’absence de notes ne peut d’une part être associée à une conduite malveillante et répréhensible de la poursuite et même, si tel était le cas, encore faudrait-il qu’il s’agisse d’un des cas les plus manifestes.
[78]
C’est-à-dire une situation ou un contexte à ce point vicié qu’il devient
manifeste que l’équité du procès, ne peut, à sa face même, convaincre une
personne raisonnablement informée, sans, en plus, mettre en péril par ricochet,
l’intégrité du processus judiciaire. Dans l’affaire (R c. Powers
« Je conclus, par conséquent, que, dans les affaires criminelles, les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire résiduel de remédier à un abus de la procédure de la cour, mais uniquement dans les « cas les plus manifestes » ce qui, à mon avis, signifie un comportement qui choque la conscience de la collectivité et porte préjudice à l’administration régulière de la justice au point qu’il justifie une intervention des tribunaux. »
[79] De plus, le contre-interrogatoire du témoin Tremblay à l’enquête préliminaire au sujet des communications, rendu en l’absence de l’agent Lamy et le témoignage de ce dernier, livré à l’audition de la requête, n’établissent aucunement une tentative d’éviter ou de contourner l’obligation de divulgation de la poursuite.
[80] À moins que lors du procès se soit révélée une conduite de la poursuite qui n’est pas en preuve à ce stade-ci, le Tribunal considère que la demande en arrêt des procédures n’est pas fondée en faits et en droit.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL
REJETTE la demande en arrêt des procédures;
ACCUEILLE partiellement la demande en divulgation;
RECONNAÎT partiellement le privilège relatif au litige demandé par la poursuite;
MET FIN à la mise sous scellés du résumé judiciaire;
ORDONNE la divulgation du résumé judiciaire;
ORDONNE le maintien de la mise sous scellés de l’enregistrement de l’audition à huis clos et ex-parte, tenue le 26 août 2016;
INTERDIT la publication et la diffusion de l’enregistrement
MAINTIENT la mise sous scellés des notes de la procureure de la poursuite prises lors des rencontres du 23, 24 et 27 avril 2015;
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__________________________________ DANIEL BÉDARD, J.C.Q. |
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Me Nathalie Kleber Me Corinne Girard Procureures de la couronne |
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Me Pierre Teasdale Procureur de la défense |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.