R. c. Pak | 2023 QCCQ 5991 | |||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
LOCALITÉ DE MONTRÉAL « Chambre criminelle et pénale »
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N° : | 500-01-212149-204 | |||||
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DATE : | 14 septembre 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | YVES PARADIS, J.C.Q. | ||||
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Sa Majesté le Roi | ||||||
Poursuivant | ||||||
c. | ||||||
Rath PAK | ||||||
Accusé | ||||||
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PEINES | ||||||
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APERÇU
[1] Le 6 février 2023, M. Rath Pak plaide coupable à trois chefs d’accusation, à savoir utilisation non autorisée d’un ordinateur, possession non autorisée de données relatives à une carte de crédit et vol d’identité.
[2] Au moment des plaidoyers de culpabilité, un exposé conjoint des faits est lu et déposé[1]. La présentation des observations sur les peines est alors reportée pour permettre la rédaction d’un rapport par une agente de probation[2].
[3] La déclaration d’une victime est déposée[3]. M. Pak et sa conjointe témoignent lors des observations sur les peines. M. Pak lit également une lettre d’excuses[4].
CONTEXTE DES INFRACTIONS
[4] Un système informatique du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) nommé Information sur la Classification Académique Reconnu du Personnel Enseignant (ICARE) comportait des anomalies de connexion. Ce système, qui permet de consulter le niveau de scolarité du personnel enseignant du Québec, comprend des informations nominatives concernant tous les enseignants au Québec, y compris ceux à la retraite.
[5] L’enquête policière a permis de découvrir que le compte d’une conseillère syndicale a été piraté et que des connexions ont été effectuées au système ICARE dans six lieux situés à Montréal et ses environs. Un de ses lieux est la résidence voisine de celle où habite M. Pak. L’adresse IP de cette résidence a été utilisée à l’insu de ses occupants.
[6] La résidence de M. Pak a été perquisitionnée. Les policiers y ont saisi deux ordinateurs portables, de même que des documents, dont des notes manuscrites comprenant des informations nominatives, à savoir:
[7] Les notes manuscrites saisies à cet endroit contiennent des informations nominatives relativement à 24 identités dont les détails varient, mais peuvent comprendre des numéros d’assurance sociale, des adresses courriel, des mots de passe, des numéros de téléphone, des adresses, des numéros de carte de crédit et le nom des employeurs.
[8] Le premier ordinateur portable saisi à cet endroit contient des références au site de la conseillère syndicale et à son mot de passe. Cet ordinateur a fait l’objet d’une expertise informatique qui révèle plus d’une centaine de connexions à l’adresse IP de la résidence voisine entre avril et septembre 2018. Cet ordinateur contient:
[9] Le deuxième ordinateur portable saisi a fait l’objet d’une expertise qui révèle huit connexions à l’adresse IP de la résidence voisine, dont une la même journée qu’est recensée une connexion sur le compte ICARE de la conseillère syndicale avec l’adresse IP des voisins de M. Pak. Cet ordinateur contient également des traces d’utilisation de quatre autres adresses IP de l’extérieur du Canada qui se sont déjà connectées au compte ICARE de la conseillère syndicale. Cet ordinateur contient des fichiers comprenant:
VICTIME
[10] Une victime a fourni une déclaration de victime. Elle y déclare avoir vécu une grande période d’anxiété après avoir découvert que son identité avait été utilisée. Sa cote de crédit en a été grandement affectée. Elle a dû travailler de nombreuses heures et assumer des frais afin de rétablir son dossier de crédit, qui comprend toujours des informations qu’elle est incapable de faire corriger. Elle a été par moment découragée par le nombre important de demandes exécutées en utilisant sans autorisation son nom et par la complexité des démarches pour tenter de corriger la situation. Sachant que les personnes impliquées avaient des informations personnelles à son sujet, elle a craint pour sa sécurité.
L’ACCUSÉ
[11] Les renseignements concernant M. Pak proviennent de trois sources: un rapport de l’agente de probation du 5 juin 2023, le témoignage de M. Pak et le témoignage de sa conjointe.
Rapport de l’agente de probation
[12] M. Pak est âgé de quarante-quatre ans. Il est détenteur d’un diplôme d’études secondaires. Il vit en couple depuis un an et demi. Il n’a pas d’enfant. Il n’a aucuns antécédents judiciaires.
[13] Son parcours scolaire a été dénué de difficultés. M. Pak s’est démarqué dans les sports où il a excellé, comme le basketball. Après l’obtention de son diplôme d’études secondaires, il a entrepris une formation professionnelle en électricité qu’il a abandonnée à l’annonce du cancer de sa mère. C’est à ce moment que M. Pak a semblé perdre ses repères.
[14] Il est sans emploi. Il n’a aucun revenu. Ses proches ne lui connaissent aucune implication soutenue hormis lorsqu’un membre de la famille l’a embauché à l’âge de dix-huit ans en restauration rapide. Il appert que les rares postes qu’il a occupés lui ont été proposés par son entourage et constituaient de brefs contrats à temps partiel ou sur appel, dont les revenus n’étaient généralement pas déclarés. Selon l’agente de probation, M. Pak affirme qu’il démissionnait après quelques semaines, jugeant les tâches trop exigeantes. Ainsi, il serait inactif depuis les vingt dernières années.
[15] Dans sa jeunesse M. Pak a exploré l’usage du cannabis et du GHB sans en apprécier les effets. Puis il a consommé speed et alcool de façon récréative. À la mi-vingtaine, il s’est initié à la consommation de cocaïne. À cela s’ajoutent un usage sporadique d’ecstasy et la consommation d’alcool en quantité importante. Toutefois, M. Pak voit peu la pertinence d’entreprendre une démarche thérapeutique visant à réduire, voire cesser, sa consommation. Il considère que sa toxicomanie n’induit aucun effet néfaste sur son fonctionnement global. Selon l’agente de probation, ce manque important d’autocritique et de remise en question soulève des préoccupations.
[16] En guise de projet de réinsertion sociale, M. Pak évoque la possibilité d’ouvrir un restaurant avec un héritage qu’il recevra. Bien qu’il ne manque que deux cours de stage à son programme d’études en formation culinaire professionnelle, il ne compte pas les compléter.
Témoignage de M. Pak
[17] M. Pak a travaillé un peu avec son père à la maison. En 2003, il a travaillé comme agent de sécurité durant un an et demi. Il a eu quelques autres emplois où il a démissionné, car les tâches étaient trop exigeantes.
[18] À partir de 2004, M. Pak a été proche aidant de sa mère qui souffrait d’un cancer. Voir sa mère dépérir s’est avéré difficile. Il a commencé à consommer de la boisson et de la cocaïne.
[19] Sa consommation de drogues s’est intensifiée au décès de sa mère en 2014. Il a commencé alors à avoir de mauvaises fréquentations. À l’époque où il a commis les crimes, il consommait beaucoup de cocaïne et de bière. Il avait besoin d’argent. Il a vendu des profils d’enseignants pour se procurer de l’argent. Il vendait des profils au prix de 10 $ par profil, pour un revenu mensuel d’environ 600 $. Il a cessé d’en vendre lorsqu’il a été arrêté.
[20] M. Pak mentionne qu’il veut changer. Il sait qu’il aura besoin d’aide. Il pense aller en cure de désintoxication puisqu’il serait préférable qu’il soit encadré. À ce jour, il n’a jamais entrepris de démarche en ce sens. Il continue à consommer le soir car cela le rend plus joyeux, plus heureux et l’aide à dormir. Il consomme environ ¼ gramme de cocaïne aux deux jours.
[21] Son arrestation a été médiatisée au point où il était interpelé à l’école qu’il fréquentait.
[22] Son arrestation a provoqué une prise de conscience. Il considère le processus judiciaire lourd. Il reconnaît sa culpabilité. Il connaît maintenant les effets de ses actes sur les victimes. Il exprime des remords. Il regrette les torts causés. En contre-interrogatoire, il mentionne qu’il a réalisé que ses actes pouvaient affecter la cote de crédit des gens un an avant de se faire arrêter. Dans sa lettre d’excuses, il mentionne qu’il regrette de ne pas avoir distingué plus tôt le bien du mal.
[23] Depuis son arrestation, il n’a plus de mauvaises fréquentations. Il partage sa vie avec sa conjointe depuis un an et demi. Il s’occupe à la maison. Il côtoie sa famille: son frère, sa sœur et leurs enfants. Il veut compléter les trois mois de scolarité qu’il lui reste. Au moyen d’un héritage, il souhaite ouvrir un restaurant.
Témoignage de Mme Nathalie Audrey Pépin
[24] Mme Nathalie Audrey Pépin a rencontré M. Pak par l’entremise d’un ami commun.
[25] Rapidement, M. Pak lui a révélé qu’il faisait l’objet d’accusations.
[26] Il a un problème de consommation de boisson et de cocaïne, problème qu’il doit régler. Il consomme encore de la cocaïne à la maison et de la bière à l’occasion.
[27] Lorsqu’ils ont emménagé ensemble, ils ont décidé que Mme Pépin travaillerait et que M. Pak s’occuperait de la maison et se concentrerait sur ses études et ses problèmes.
[28] M. Pak est attentif et gentil. Il est l’une des meilleures personnes qu’elle connaît.
[29] Il a coupé ses liens avec ses amis qui représentaient une mauvaise influence. Elle ne tolèrerait pas qu’il fréquente des personnes criminalisées. Depuis que M. Pak vit avec elle, il n’a pas eu de comportement criminalisé. Il n’a pas accès à l’ordinateur de Mme Pépin.
[30] Selon Mme Pépin, M. Pak est vraiment repentant. Il a besoin d’aide.
POSITIONS DES PARTIES
[31] Considérant l’intrusion dans un système gouvernemental, la quantité de renseignements personnels obtenus illégalement et le nombre de renseignements vendus, la poursuite suggère une peine d’emprisonnement de trois ans.
[32] La défense souligne l’absence d’antécédents judiciaires, les difficultés rencontrées par M. Pak au cours de sa vie et son problème de consommation, dont les coûts représentent la motivation à la base des infractions, pour suggérer une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour, suivie d’une probation de trois ans comprenant un suivi probatoire et l’exécution de travaux communautaires.
PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES
[33] Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants: la dénonciation, la dissuasion générale et spécifique, l’isolation au besoin du délinquant, la réinsertion sociale, la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants[6].
[34] La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant[7].
[35] Elle doit être adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant[8].
[36] Le Tribunal doit également tenir compte du principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables[9].
ANALYSE
[37] La gravité objective d’une infraction est déterminée en fonction de la peine prévue par le législateur. Les infractions d’utilisation non autorisée d’un ordinateur et de possession non autorisée de données relatives à une carte de crédit sont parmi les plus graves prévues par la loi puisqu’elles rendent leur auteur passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. Le vol d’identité est une infraction grave, car son auteur est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans.
[38] Le vol d’informations personnelles et leur vente constituent des crimes sérieux. D’abord, il s’agit d’une intrusion importante dans la vie privée des victimes. Puis, l’utilisation de ces informations provoque des conséquences financières directes sur les victimes, soit par l’appropriation d’argent ou de biens leur appartenant, soit par l’effet de leur utilisation sur leur cote de crédit, qui traduit la solvabilité reconnue d’une personne. Ces crimes provoquent anxiété, détresse et un sentiment de violation de la vie privée. Corriger la situation s’avère un exercice laborieux, nécessitant temps et argent. De plus, même après avoir déployé tous les efforts possibles, les victimes demeurent toujours inquiètes que ces renseignements puissent être utilisés plus tard. La déclaration de la victime dans le présent dossier représente un exemple concret de ces conséquences. Malheureusement, la fréquence des crimes de cette nature ne diminue pas. Des infractions de ce type affectent la confiance de tous les citoyens sur la conservation sécuritaire de leurs renseignements personnels et ont des impacts considérables sur l’économie en général.
[39] La gravité subjective est fonction des circonstances propres à chaque affaire. Pendant une longue période, plus de dix mois, M. Pak s’est introduit illégalement dans un système informatique gouvernemental comprenant des renseignements personnels d’un nombre important de personnes. Ces intrusions ont été commises notamment en utilisant des adresses IP d’autres personnes à leur insu. Il s’agit de gestes prémédités, planifiés et délibérés. De nombreux renseignements personnels au sujet d’un nombre important de personnes ont été obtenus. Un nombre important de ces renseignements ont été vendus, environ 600 selon le témoignage de M. Pak. Les conséquences, à tout le moins pour une victime, ont été importantes. Subjectivement, il s’agit d’infractions graves.
[40] Il existe certaines disparités entre les propos tenus par M. Pak devant le Tribunal et ceux rapportés par l’agente de probation. M. Pak a témoigné à l’effet qu’il veut compléter sa formation alors que l’agente de probation rapporte le contraire. Il exprime devant le Tribunal des remords et des regrets alors que l’agente de probation mentionne qu’il peine à réaliser la nature inadéquate des crimes perpétrés et n’exprime pas de regret, verbalisant même de la fierté face à ce qu’il considère être un accomplissement.
[41] L’agente de probation mentionne qu’il avait déterminé des cibles d’intrusion de choix, comme les sites de la défense et de l’armée, en laissant des indices, car ces organisations représentaient des employeurs potentiels de choix selon lui. M. Pak nie lui avoir dit cela, en précisant qu’il a plutôt parlé d’intrusion sur un site de surplus de l’armée. Il nie catégoriquement lui avoir dit qu’il considérait avoir acquis la réputation d’être devenu une référence dans le domaine.
[42] Ces disparités laissent perplexe quant à la crédibilité de M. Pak, d’autant que le rapport de l’agente de probation a été déposé sans que cette dernière soit interrogée ou contre-interrogée. Dans l’ensemble des circonstances, le Tribunal considère que les remords et regrets exprimés revêtent un certain caractère opportuniste.
[43] M. Pak a affirmé à l’agente de probation qu’il vit des crises d’anxiété ponctuelles. Selon lui, cette anxiété résulterait d’un enlèvement dont il a été victime il y a une douzaine d’années et de la torture infligée par ses ravisseurs. Il aurait été battu et torturé jusqu’à ce qu’il donne suite à la demande des ravisseurs de faire la démonstration de ses habiletés à pirater et à extraire des renseignements bancaires. Satisfaits de sa performance et de ses compétences, ses ravisseurs l’auraient libéré en lui remettant une somme d’argent et en lui offrant un emploi, emploi qu’il a refusé. M. Pak n’a pas dénoncé la situation aux autorités et son entourage n'a pas réalisé son absence. Aucune source officielle et crédible ne peut corroborer ce récit ni préciser son état de santé. En fait, ces crises d’anxiété n’ont fait l’objet d’aucun diagnostic. Rappelons que la malhonnêteté est l’essence des infractions commises. Cette malhonnêteté affecte la crédibilité de M. Pak. Dans ces circonstances, le Tribunal n’ajoute pas foi à cet événement et aux crises d’anxiété alléguées. Au mieux, comme le souligne l’agente de probation, cet événement n'aurait eu aucun effet dissuasif sur M. Pak qui a poursuivi ses activités, quoiqu’en se montrant plus prudent.
[44] Lors de son témoignage, M. Pak laisse entendre que le produit de ces activités servait à payer les drogues et la boisson qu’il consommait. Puisqu’il a affirmé à l’agente de probation que sa toxicomanie n’induit aucun effet néfaste sur son fonctionnement global, il n’était certes pas dans la situation d’un dépendant qui a perdu le contrôle. L’appât du gain est la principale motivation.
[45] Les facteurs atténuants sont le respect des conditions de mise en liberté et, dans une certaine mesure, l’absence d’antécédents judiciaires et le plaidoyer de culpabilité. En effet, l'absence d'antécédents judiciaires n'est pas très significative lorsque l’infraction résulte d’une série d’actes planifiés sur une longue période[10]. Quant aux plaidoyers de culpabilité, ils sont enregistrés deux ans et deux mois après le dépôt des accusations et après l’audition d’une requête en exclusion de preuve. De plus, la preuve démontrant la participation de M. Pak est particulièrement probante. Dans ces circonstances, le plaidoyer de culpabilité doit être considéré, mais avec un effet limité[11]. Quant aux conditions de mise en liberté, la jurisprudence reconnaît qu'il peut s'agir d'un facteur atténuant pour déterminer la peine appropriée lorsque les conditions sont contraignantes[12]. M. Pak est en liberté sous conditions depuis plus de 33 mois. Une de ces conditions lui interdit d’utiliser un ordinateur ou un appareil informatique sauf pour ses fonctions d’appels téléphoniques et à une école de formation professionnelle aux fins de formation en cuisine. Dans la réalité de tous les aspects de la vie quotidienne, cette condition est contraignante. Le respect de cette condition doit être considéré, mais le fait que M. Pak n’a pas respecté la condition d’aviser la Cour d’un changement d’adresse en tempère quelque peu la portée.
[46] Les facteurs aggravants sont:
[47] Selon le rapport de l’agente de probation, le potentiel d’employabilité de M. Pak s’avère faible puisqu’il n’est pas parvenu à s’insérer au marché du travail et n’a pas cumulé d’expérience significative au cours des deux dernières décennies. Cette conclusion est appuyée par la preuve. Selon cette agente, avoir vécu aux crochets de son entourage depuis une vingtaine d’années laisse entrevoir d’importantes lacunes à l’autonomie et à la maturité, en plus de constituer des entraves majeures au développement de son potentiel d’insertion sociale.
[48] Le rapport de l’agente de probation conclut que le risque de récidive est important:
Le potentiel de réinsertion de Rath Pak parait limité et assombri. Puisque le contexte demeure similaire à celui qui prévalait au moment des faits, en l’absence de cheminement durable et considérant un intérêt au changement des plus ambivalents, le risque de récidive demeure selon nous présent et important. À la lumière des informations colligées, nous sommes d’avis que le justiciable demeure fragile aux opportunités criminelles qui pourraient s’offrir à lui.
[49] La jurisprudence soumise par les parties est d’une pertinence limitée à l’analyse des peines à imposer. Dans les causes soumises, les crimes commis, le contexte de leur commission ou le profil des accusés se distinguent de la présente situation. Par ailleurs, certaines décisions sont instructives.
[50] Dans R. c. Khalladi[13], l’accusé a été trouvé coupable de cinq chefs d’accusation, à savoir deux chefs de possession non autorisée de données relatives à une carte de crédit, possession d’un instrument destiné à copier des données relatives à une carte de crédit et deux chefs d’omission de se conformer à un engagement. Ces accusations résultaient d'une vaste enquête de portée internationale sur un réseau de personnes qui s'adonnaient au clonage de cartes de crédit et de cartes de paiement. L'accusé et ses complices avaient fait fabriquer un dispositif destiné à être placé sur la devanture d'un guichet automatique pour copier les informations se trouvant sur la bande magnétique de la carte de guichet et pour prendre connaissance du numéro d'identification personnel du détenteur de la carte. M. Khalladi avait des antécédents en semblable matière et était sous le coup d’une probation pour une affaire de même nature. Il était âgé de vingt-deux ans et envisageait reprendre ses études. M. le juge Marchi a condamné M. Khalladi à une peine globale de 30 mois, de laquelle il a déduit une détention créditée de 16 mois et demi, pour imposer également une probation de 3 ans. Dans le cadre de son analyse, M. le juge Marchi a mentionné que les peines imposées pour ce type de crime se situent dans une fourchette allant de 14 mois à 2 ans.
[51] Dans R. v. Edugie[14], l’accusé a plaidé coupable le 11 juin 2019 à deux chefs de vol d’identité et d’avoir commis un faux entre septembre 2016 et février 2017. M. Edugie communiquait avec la tête dirigeante d’un groupe qui se servait d’identités dérobées pour frauder des institutions financières pour au moins 600 000 $, occasionnant des pertes d’au moins 300 000 $. Cette tête dirigeante s’est rendue chez M. Edugie à au moins deux occasions. Les policiers ont saisi à son domicile des photos de style passeport de six personnes, des documents contenant des informations personnelles relatives à neuf victimes de vol d’identité et du matériel pour fabriquer de faux documents. M. Edugie était âgé de cinquante-cinq ans, vivait avec sa conjointe et leurs deux enfants mineurs et n’avait aucuns antécédents judiciaires. Il occupait un emploi et poursuivait des études. Il présentait un faible risque de récidive à court terme. Après une revue de la jurisprudence, M. le juge Galiatsatos a imposé une peine d’emprisonnement ferme de 8 mois accompagné d’une probation de 2 ans, suivant ainsi la suggestion de la poursuite.
[52] Dans R. c. Matondo[15], l’accusé a été déclaré coupable de neuf chefs d’accusation, soit quatre chefs de fraude de même que des chefs de vol d’identité, fabrication de faux document, d’avoir tenté d’amener des institutions financières à se servir de documents contrefaits, de trafic de cartes de crédit falsifiées, de possession de pièces d’identité et de fraude à l’identité. Ont été saisis chez M. Matondo une quantité phénoménale de documents, dont des cartes de divers types comprenant des fausses cartes d'assurance sociale, des fausses cartes d'assurance maladie, des faux permis de conduire, des photos d'individus et des documents contenant des renseignements personnels de divers individus. Il avait fraudé quatre institutions financières pour un total de 31 023,48 $. M. Matondo était âgé de trente-trois ans. Il était père d’un jeune enfant. Il n’avait aucuns antécédents judiciaires. Il a exprimé des regrets et présenté des excuses. M. le juge Marchi a imposé une peine d’emprisonnement ferme de 12 mois, accompagné d’une ordonnance de probation d’une durée de 12 mois, d’ordonnances de dédommagement et d’une amende en remplacement d’une ordonnance de confiscation.
[53] Ainsi, la peine de 3 ans suggérée par la poursuite ne s’harmonise pas avec les peines imposées pour des infractions de nature semblable dans un contexte quelque peu semblable.
[54] Comme la défense suggère une peine d’emprisonnement avec sursis, le Tribunal doit tenir compte des principes établis par la Cour suprême du Canada dans R. c. Proulx dont:
4. L'exigence, à l'art. 742.1, que le juge inflige une peine d'emprisonnement de moins de deux ans ne signifie pas que celui-ci doit d'abord infliger un emprisonnement d'une durée déterminée avant d'envisager la possibilité que cette même peine soit purgée au sein de la collectivité. Bien que le texte de l'art. 742.1 suggère cette démarche, elle n'est pas réaliste et pourrait entraîner des peines inappropriées dans certains cas. Il faut plutôt donner une interprétation téléologique à l'art. 742.1. Dans un premier temps, le juge appelé à déterminer la peine doit avoir conclu que ni l'emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées. Après avoir déterminé que la peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans, le juge se demande s'il convient que le délinquant purge sa peine dans la collectivité.
5. Comme corollaire de l'interprétation téléologique de l'art. 742.1, il n'est pas nécessaire qu'il y ait équivalence entre la durée de l'ordonnance de sursis à l'emprisonnement et la durée de la peine d'emprisonnement qui aurait autrement été infligée. La seule exigence est que, par sa durée et les modalités dont elle est assortie, l'ordonnance de sursis soit une peine juste et appropriée.[16]
[55] Le Tribunal conclut que ni l'emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées. La peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans.
[56] Aucune autre infraction que celles spécifiquement prévues n'est exclue du champ d'application du régime d'octroi au sursis à l'emprisonnement à l'exception de celles pour lesquelles une peine minimale d'emprisonnement est prévue[17]. Aucune peine minimale n’est prévue pour les trois infractions pour lesquelles M. Pak a plaidé coupable, infractions qui ne sont pas spécifiquement exclues.
[57] Selon l’article
[58] Le critère du danger pour la sécurité de la collectivité doit être considéré comme un préalable à l'examen de la question de savoir si l’emprisonnement avec sursis est une sanction juste et appropriée dans les circonstances[18]. Les mots "ne met pas en danger la sécurité de la collectivité" visent les risques créés par toute activité criminelle et englobe les risques de préjudice pécuniaire[19].
[59] Tel que déjà mentionné, l’agente de probation a conclu que le risque de récidive est important. Le préjudice susceptible de découler d’une récidive est grave. Toutefois, le risque de récidive doit être apprécié à la lumière des conditions d’une ordonnance de sursis à l'emprisonnement qui pourraient réduire ce risque au minimum[20]. M. Pak a respecté les interdictions d’accès à un ordinateur prévues à l’ordonnance de mise en liberté. Une condition semblable réduirait au minimum le risque de récidive. Ce prérequis est rencontré.
[60] Par ailleurs, dans la présente affaire, les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être priorisés. Quant à la réinsertion sociale de M. Pak, bien qu’il mentionne vouloir entreprendre une thérapie relativement à son problème de consommation, M. Pak n’a jamais effectué de démarches en ce sens, même après son arrestation. En fait, il continue à consommer. Il n’a pas occupé d’emploi depuis deux décennies et n’a pas tenté d’en trouver un depuis son arrestation. Sa volonté de poursuivre sa scolarité est loin d’être établie. Ces éléments affectent négativement les possibilités d’une réinsertion sociale.
[61] Dans R. c. Proulx, la Cour suprême mentionne que l'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable. Toutefois, il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l'incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l'égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur[21].
CONCLUSION
[62] Il s’agit d’un de ces cas où la nécessité de dénoncer et de dissuader est si pressante que l’incarcération est la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur. Une telle conclusion a été tirée dans les décisions déjà citées de R. v. Edugie et R. c. Matondo.
[63] Une peine globale d’emprisonnement ferme de 20 mois est appropriée.
[64] De plus, puisque M. Pak a été trouvé en possession de documents qui prennent les formes de cartes de crédit ou de débit et de relevés de comptes bancaires ou financiers, une probation d’une durée d’une année lui interdisant la possession de tels biens est appropriée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
CONDAMNE M. Rath Pak à une peine d’emprisonnement de 20 mois sur le chef 1;
CONDAMNE M. Pak à une peine d’emprisonnement de 20 mois sur le chef 2 à être purgée concurremment à l’emprisonnement imposé sur le chef 1;
CONDAMNE M. Pak à une peine d’emprisonnement de 12 mois sur le chef 3 à être purgée concurremment à l’emprisonnement imposé sur les chefs 1 et 2.
ORDONNE à M. Pak de se conformer, à la fin de sa période d’emprisonnement, à une ordonnance de probation d’une durée d’un an aux conditions suivantes:
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| __________________________________ Yves Paradis, J.C.Q. | |
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Me Geneviève Bélanger et Me Sarah Audrey Daigneault | ||
Pour la poursuite
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Me Andrew Nader | ||
Pour M. Rath Pak | ||
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Date d’audience : | 22 juin 2023 | |
[1] PC-1.
[2] S-1.
[3] S-2.
[4] S-3.
[5] S-2.
[6] Article
[7] Article
[8] Alinéa 718.2a) C.cr.
[9] Alinéa 718.2b) C.cr.
[10] R. c. Cioffi,
[11] R. c. Barrett,
[12] R. c. Tremblay,
[13] R. c. Khalladi,
[14] R. v. Edugie,
[15] R. c. Matondo,
[16] R. c. Proulx,
[17] Id.
[18] Id., paragr. 65.
[19] Id., paragr. 76.
[20] Id., paragr. 72.
[21] Id., paragr. 127.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.