class="MuiButtonBase-root MuiListItem-root MuiMenuItem-root SqMegaMenu-MenuItem MuiMenuItem-gutters MuiListItem-gutters MuiListItem-button" role="menuitem" aria-disabled="false">

{{formationColonne.titreColonne}}


{{item.texte}}

Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Gordyn c. R.

2023 QCCA 287

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007688-219

(450-01-113456-193)

 

DATE :

27 février 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

MARC GORDYN

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant porte en appel le jugement sur la peine prononcé contre lui le 23 août 2021 par la juge Julie Beauchesne de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Saint-François[1]. Par ailleurs, le ministère public demande à la Cour d’annuler le crédit accordé par la juge de première instance pour la détention provisoire.

LE CONTEXTE

[2]                La juge de première instance note que l’appelant fut reconnu coupable par le passé de plusieurs infractions, dont la culture de stupéfiant  pour laquelle il a écopé d’une peine de deux ans moins un jour de détention  et une série d’infractions de nature acquisitive, ainsi que la possession d’une arme, pour lesquelles il a été condamné à une peine de 42 mois d’emprisonnement[2].

[3]                Les infractions pour lesquelles l’appelant est détenu provisoirement sont liées à la violence conjugale et à des bris de conditions de mise en liberté[3]. Un mandat d’arrestation fut lancé contre lui en août 2018 en lien avec des accusations de harcèlement criminel et de voies de fait à l’égard de son ex-conjointe, ainsi que pour des introductions par effraction à la résidence de cette dernière. Peu après son arrestation, soit le 14 août 2018, il est remis en liberté sous conditions, dont celles de s’impliquer dans un suivi thérapeutique au Domaine Orford et d’y résider.

[4]                En février 2019, l’appelant quitte sans autorisation l’établissement de thérapie, pour ne plus y revenir. Un mandat d’arrestation est décerné contre lui le 14 février 2019 considérant qu’il a quitté le centre de thérapie dans lequel il devait résider. À cette même date, des accusations de bris de conditions de mise en liberté sont également portées contre lui. Il est en fuite jusqu’au 23 mai 2019, lorsqu’il est de nouveau arrêté. Il est par la suite inculpé de plusieurs infractions additionnelles commises depuis qu’il a quitté le centre de thérapie, notamment plusieurs chefs d’introduction par effraction, de harcèlement criminel et d’avoir volontairement intercepté des communications privées de son ex-conjointe. À la suite de cette nouvelle arrestation et de ces nouvelles accusations, le 10 juillet 2019, l’appelant renonce à son enquête pour mise en liberté[4].

[5]                Quelques jours plus tard, soit le 14 juillet 2019, l’appelant tente de s’évader avec un complice de la prison où il est détenu.  La juge de première instance retient les faits suivants quant à cette tentative d’évasion[5] : l’évasion s’accomplit de nuit lors d’une période d’absence de patrouille extérieure à l’établissement de détention; la fenêtre de la cellule de l’appelant a été fracassée; à 1 h 24, l’appelant est le premier à monter sur la clôture; il tient une corde et la donne à son complice; l’appelant écarte le fil barbelé et effectue plusieurs manipulations avec une corde; le complice franchit la première clôture; les deux évadés sont alors dans la zone en gravier entre deux clôtures; le complice réussit à grimper la deuxième clôture et se dirige vers la troisième qu’il réussit  facilement à franchir; à trois reprises, l’appelant tente d’escalader la deuxième clôture, sans succès;  il se dirige ailleurs pour tenter une quatrième fois de grimper lorsqu’on l’interpelle; l’appelant n’obtempère pas et un agent correctionnel a dû déclipser son arme à feu avant que celui-ci se rende; lorsqu’on tente de lui mettre les menottes, l’appelant résiste activement; on lui demande où est son complice, il mentionne qu’il est parti dans le bois; peu après, le complice est lui aussi arrêté. Lors de la fouille subséquente de sa cellule, on constate un amoncellement de papiers de toilette dans les deux lits afin de simuler deux personnes qui dorment.

[6]                L’appelant est accusé peu après selon le paragraphe 144(1)b) du Code criminel d’avoir, avec l’intention de s’évader, sorti par effraction d’une cellule. Il s’agit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. Le complice est aussi mis en accusation et se voit imposer une peine de deux ans d’emprisonnement à la suite d’une suggestion commune.

[7]                L’appelant plaide coupable à l’infraction de bris de prison en novembre 2020 devant le juge Conrad Chapdelaine. En juillet 2021, il réenregistre son plaidoyer de culpabilité devant la juge de première instance. Cette dernière rend son jugement sur la peine le 23 août 2021. Notons que l’appelant est toujours détenu en lien avec les autres infractions dont il est accusé et qu’il n’a subi aucun procès à l’égard de celles-ci.

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[8]                La juge de première instance retient plusieurs facteurs atténuants et aggravants[6]. À titre de facteurs atténuants, la juge retient le plaidoyer de culpabilité, bien que tardif; d’avoir informé les autorités pénitentiaires de l’endroit où son complice s’était dirigé et l’absence de violence. Quant aux facteurs aggravants, la juge relève la préparation de l’évasion et le moment de celle-ci qui en établit le caractère prémédité; le risque de récidive important; la banalisation par l’appelant de son implication dans l’évasion.

[9]                La juge souligne la fuite antérieure de l’appelant du centre thérapeutique pendant laquelle il s’en serait à nouveau pris à son ex-conjointe. Elle ajoute que l’évasion commise, alors que l’appelant attend son procès dans un dossier de violence conjugale, constitue une atteinte grave au système de justice[7].

[10]           Bien que l’appelant insiste sur l’harmonisation des peines puisque son complice a été condamné à une peine de deux ans d’incarcération, la juge de première instance n’en tient pas compte, disant ne pas connaître les circonstances ayant permis d’en arriver à la suggestion commune dans cet autre dossier[8].

[11]           La juge fait référence au jugement de la Cour supérieure dans R. c. Beaudoin[9] où il est fait état du cas de Dany Provençal, lequel fut condamné à sept ans d’emprisonnement à la suite d’une suggestion commune pour une évasion spectaculaire où sept individus ont réalisé le projet commun d’extraire deux détenus du Centre de détention de Saint-Jérôme en détournant un hélicoptère par la violence[10]. La juge traite aussi de l’arrêt de la Cour dans R. c. Hachey[11] où une peine totale de quatre ans d’emprisonnement en lien avec une infraction d’évasion fut réduite à une peine totale de deux ans d’emprisonnement[12].

[12]           Malgré l’arrêt R. c. Hachey, la juge de première instance décide de fixer la peine applicable à l’appelant à quatre ans d’emprisonnement[13]. Cela étant, sans fournir de motifs ou d’explications, la juge crédite la période de détention provisoire de l’appelant depuis la date de l’évasion le 14 juillet 2019, soit deux ans et 40 jours, majorés selon un facteur 1 : 1,5, pour finalement imposer une peine de neuf mois et deux semaines d’emprisonnement à compter du jugement[14].

LES QUESTIONS EN APPEL

[13]           L’appelant soumet à la Cour les trois questions suivantes :

(a)  La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle considère des faits liés à d’autres accusations pour lesquelles l’appelant était en attente de procès?

(b)  A-t-elle commis une erreur dans l’application du principe d’harmonisation des peines?

(c)   A-t-elle commis une erreur de principe en considérant erronément certains facteurs comme aggravants alors qu’ils n’en étaient pas? 

[14]           Quant au ministère public, il demande à la Cour d’annuler le crédit pour détention provisoire.

ANALYSE

[15]           Il n’est pas nécessaire de traiter de la première et de la dernière question soulevée par l’appelant puisque l’appel doit être accueilli selon le second moyen portant sur le principe de l’harmonisation des peines.

[16]           Le principe de l’harmonisation des peines vise à s’assurer que les accusés qui sont reconnus coupables de crimes semblables dans des circonstances semblables soient condamnés à des peines semblables[15]. Il s’agit d’une manifestation du principe de proportionnalité, en ce que les juges calibrent la peine à imposer en regard des peines imposées à d’autres délinquants[16]. En effet, le principe de proportionnalité nécessite à la fois que soit prise en compte la parité de la peine avec celles infligées dans un contexte semblable et que la peine soit individualisée afin de prendre en compte les caractéristiques individuelles de l’accusé[17].

[17]           L’arrêt pertinent de la Cour en l’espèce est R. c. Hachey[18], auquel s’ajoute l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Preddy[19] auquel nous reviendrons.  Dans l’arrêt Hachey, l’inculpé et ses deux complices se sont évadés du centre de détention situé au palais de Justice de Cowansville après une bousculade ayant entraîné la prise des clés de la gardienne du centre. Une fois l'évasion réussie, l'inculpé et ses complices ont pénétré dans une maison d'habitation et ont exigé de la personne qui y résidait la remise des clés de son véhicule automobile. Puis, les trois évadés ont pris la fuite dans le véhicule volé, mais ont été arrêtés peu de temps après. Aucune arme n'a été utilisée lors des infractions ni aucune violence outre celle inhérente à ces infractions. Considérant que toutes les infractions ont été commises dans le cadre d'une même séquence délictuelle de courte durée, l'implication de l'inculpé dans ces infractions, l'absence de violence outre celle inhérente à la commission des infractions, la toxicomanie de l'inculpé et l'espoir de réadaptation, la Cour a conclu que la peine totale d'emprisonnement de quatre années imposée en première instance – dont un an pour bris de prison et deux ans pour évasion d’une garde légale – était trop sévère et y a substitué une peine totale de deux ans d’emprisonnement. 

[18]           Or, les circonstances en l’espèce sont comparables à celles dans l’arrêt R. c. Hachey, ce qui se reflète d’ailleurs dans la peine de deux ans d’emprisonnement imposée au complice de l’appelant, dont l’implication dans l’infraction en cause est semblable. D’ailleurs, les peines imposées dans d’autres cas similaires où il y a absence de violence et d'usage d'armes oscillent autour des deux ans d’emprisonnement, c’est-à-dire entre 18 et 30 mois[20]. Dans les circonstances du présent dossier, il y a lieu de réduire la peine de l’appelant de quatre ans à 27 mois d’emprisonnement.

[19]           Compte tenu de l’arrêt R. c. Hachey que cite la juge de première instance, il est difficile de comprendre comment cette dernière a pu conclure qu’une peine de quatre ans d’emprisonnement s’imposait dans ce cas-ci. Cette peine manifestement non indiquée ne peut être justifiée. Bien qu’elle ne l’énonce pas, on pourrait croire que la juge cherchait à compenser le crédit pour la détention provisoire par une peine plus sévère.

[20]           Or, pour les motifs qui suivent, ce crédit n’est pas applicable en l’espèce. Il y a lieu d’examiner dans un premier temps le caractère généralement consécutif des peines liées à l’évasion de prison (comme celles liées aux bris de conditions de mise en liberté) pour ensuite traiter plus particulièrement du crédit pour détention provisoire lorsque l’évasion a lieu durant une période de détention provisoire.

[21]           Deux cas de figure peuvent se présenter lorsqu’un détenu s’évade ou tente de s’évader : soit il est détenu à la suite d’une condamnation pour une ou plusieurs autres infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable, soit il est détenu provisoirement en lien avec d’autres accusations en attente de son procès.

[22]           Dans le premier cas de figure, la peine infligée pour l’évasion doit généralement être purgée consécutivement à la peine imposée pour les autres infractions. Il serait en effet illogique et même choquant qu’un délinquant puisse purger la peine imposée à la suite d’une évasion de façon concurrente à la peine qui lui a été infligée pour les autres infractions qui ont mené en premier lieu à son incarcération. Permettre une peine concourante dans de tels cas serait ni plus ni moins qu’un encouragement à l’évasion, ce qui serait un non-sens. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre l’alinéa 718.3 (4)a) du Code criminel dans un tel contexte :

718.3 (4) Le tribunal envisage d’ordonner :

718.3 (4) The court that sentences an accused shall consider directing

a) que la période d’emprisonnement qu’il inflige à l’accusé soit purgée consécutivement à toute autre peine d’emprisonnement à laquelle celui-ci est assujetti;

(a) that the term of imprisonment that it imposes be served consecutively to a sentence of imprisonment to which the accused is subject at the time of sentencing;

[23]           Ainsi, sauf de rares exceptions, lorsque l’accusé est déjà emprisonné pour d’autres infractions, la peine qui lui est infligée pour une évasion et les infractions connexes à celle-ci doit généralement être purgée consécutivement à celle infligée pour ces autres infractions[21]. D’ailleurs, dans de tels cas, la question de la détention provisoire ne se pose généralement pas vu que celui qui est accusé d’évasion est déjà emprisonné afin de purger une autre peine.

[24]           Dans le second cas de figure, soit lorsque l’accusé s’évade pendant une période de détention provisoire imposée en regard d’autres infractions, deux types de situations peuvent survenir.

[25]           L’accusé peut d’abord être reconnu coupable de l’infraction d’évasion et des autres infractions qui ont mené à sa détention provisoire et recevoir au même moment une peine d’emprisonnement pour l’ensemble de ces infractions. Dans un tel cas, l’alinéa 718.3(4)b) du Code criminel prévoit que, sauf exception, la peine d’emprisonnement infligée pour l’évasion doit être purgée consécutivement à celle imposée pour les autres infractions :

718.3 (4) Le tribunal envisage d’ordonner :

718.3 (4) The court that sentences an accused shall consider directing

b) que les périodes d’emprisonnement qu’il inflige à l’accusé au même moment pour diverses infractions soient purgées consécutivement, notamment lorsque :

(b) that the terms of imprisonment that it imposes at the same time for more than one offence be served consecutively, including when

 

(i) les infractions ne découlent pas des mêmes faits,

(i) the offences do not arise out of the same event or series of events,

(ii) l’une des infractions a été commise alors que l’accusé était en liberté provisoire par voie judiciaire, notamment dans l’attente de l’issue d’un appel,

(ii) one of the offences was committed while the accused was on judicial interim release, including pending the determination of an appeal, or

 

(iii) l’une des infractions a été commise alors que l’accusé fuyait devant un agent de la paix.

(iii) one of the offences was committed while the accused was fleeing from a peace officer.

 

[26]           Ainsi, si l’appelant avait été reconnu coupable des infractions contre son ex-conjointe et condamné simultanément pour l’évasion, la peine applicable à cette dernière infraction aurait aussi été purgée consécutivement à celles infligées pour ces autres infractions puisque l’évasion ne découle pas des mêmes faits que les autres infractions et qu’elle a été commise alors que l'appelant fuyait devant un agent de la paix. Dans ces cas, la question du crédit pour la détention provisoire en regard de l’infraction d’évasion ne se pose pas, sauf en de rares circonstances, vu que ces crédits sont généralement appliqués aux peines d’emprisonnement pour les autres infractions, lesquelles sont généralement purgées en premier.

[27]           Par ailleurs, lorsque l’accusé est reconnu coupable de l’infraction d’évasion et reçoit sa peine avant que le procès pour les autres infractions qui ont mené à sa détention provisoire ait eu lieu et que la peine à leur égard ait été imposée – c’est le cas en l’espèce –, la question du crédit pour la détention provisoire peut se poser. Ce sont alors les paragraphes 719 (3) à (3.3) du Code criminel qui doivent être considérés :

719 (3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde.

719 (3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence but the court shall limit any credit for that time to a maximum of one day for each day spent in custody.

 

(3.1) Malgré le paragraphe (3), si les circonstances le justifient, le maximum est d’un jour et demi pour chaque jour passé sous garde.

(3.1) Despite subsection (3), if the circumstances justify it, the maximum is one and one-half days for each day spent in custody.

(3.2) Le tribunal motive toute décision d’allouer du temps pour la période passée sous garde et fait inscrire les motifs au dossier de l’instance.

(3.2) The court shall give reasons for any credit granted and shall cause those reasons to be stated in the record.

(3.3) Il fait inscrire au dossier de l’instance et sur le mandat de dépôt l’infraction en cause, le temps passé sous garde, la période d’emprisonnement qui aurait été infligée n’eût été tout temps alloué, le temps alloué, le cas échéant, et la peine infligée.

(3.3) The court shall cause to be stated in the record and on the warrant of committal the offence, the amount of time spent in custody, the term of imprisonment that would have been imposed before any credit was granted, the amount of time credited, if any, and the sentence imposed.

[Soulignement ajouté]

(Emphasis added)

[28]           À la lecture de ces paragraphes, une condition préalable essentielle doit être satisfaite avant qu’il soit possible d’envisager de créditer une période de garde provisoire : cette garde doit résulter de l’infraction pour laquelle l’accusé est condamné ou, à tout le moins, être liée en quelque sorte à l’infraction[22]. Ainsi, l’individu qui purge une peine d’emprisonnement à la suite d’une condamnation pour une infraction ne peut pas également purger une détention provisoire de façon concurrente pour une autre infraction qui est pendante. Toutefois, si le même individu devait normalement être mis en liberté, mais qu’il est maintenu sous garde en raison de l’infraction pendante, il s’agit d’une période de détention provisoire pour cette dernière[23].

[29]           En règle générale il y a des exceptions auxquelles nous reviendrons –, une infraction d’évasion pendant une période de garde provisoire ne peut satisfaire à cette exigence préalable puisque la raison pour laquelle l’accusé demeure en garde provisoire après l’évasion n’est pas normalement attribuable à l’infraction d’évasion, mais plutôt aux infractions antérieures qui ont mené à la garde provisoire d’origine de laquelle l’accusé s'est évadé. La garde provisoire imposée avant l'évasion se continue alors après l'arrestation de l'accusé à la suite de son évasion comme si l’évasion n’avait pas eu lieu. C’est la logique même de la garde provisoire et cette approche permet d’éviter d’encourager l’évasion pendant cette période de garde.

[30]           C’est d’ailleurs pourquoi, dans R. v. Preddy[24], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a refusé d’accorder le crédit pour la détention provisoire dans un cas d’évasion dont les faits sont quasi identiques au présent cas. Dans cette affaire, l’accusé était détenu provisoirement en lien avec d’autres infractions lorsqu’il s’est évadé. Il fut condamné à 30 mois d’emprisonnement en lien avec l’évasion avant d’être jugé pour les infractions pour lesquelles la détention provisoire fut imposée. Tant le juge de première instance que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique lui ont refusé le crédit pour la période de détention provisoire survenue après l’évasion, au motif que la condition préalable du paragraphe 719(3) du Code criminel n’était pas satisfaite, vu que la détention provisoire ne résultait pas de l’infraction d’évasion, mais plutôt des infractions antérieures à l’évasion. Le juge Frankel, s’exprimant pour une cour d’appel unanime, explique que la détention provisoire ne s’effectue pas « par suite de l’infraction » d’évasion, ce qui empêche de créditer le temps de la détention provisoire pour l’évasion[25] :


[26] It cannot be said, to use the language from Mills, that Mr. Preddy’s post-recapture custodial status “resulted from the [prison break] offence”.  At the time he escaped, Mr. Preddy was subject to a detention order made in respect of the original charges.  He defied that order by breaking out of prison.  When he was recaptured he was returned to a custodial status that should never have been interrupted.  His post-recapture custodial status was not the result of the prison break, but in spite of it.  That status was, and continues to be, solely attributable to the original charges.  Accordingly, what credit Mr. Preddy should receive for the time he has been in custody since his initial arrest is a matter for consideration when he is sentenced on the original charges for which he has been convicted.

[31]           Outre cette lecture du paragraphe 719(3) du Code criminel, le juge Frankel ajoute, en obiter, que même si la condition préalable de ce paragraphe avait pu s’appliquer en l’espèce, il n’aurait pas accordé le crédit pour la détention provisoire en lien avec l’infraction d’évasion pour des motifs d’intérêt public[26] :

To give Mr. Preddy credit for any time in custody prior to the disposition of the original charges would allow him to benefit from having escaped.  Further, it would diminish the deterrent effect of sentencing.  This is because it would send a signal to persons who are detained awaiting trial that they have nothing to lose by trying to escape because, if recaptured, the time then spent in custody will be counted as part of the sentence imposed for the escape.

[32]           Bien que la lecture du paragraphe 719(3) du Code criminel par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique soit tout à fait juste, il y lieu de tempérer l’obiter du juge Frankel voulant que le crédit pour le temps de détention provisoire doit être refusé dans tous les cas d’évasion. Cet obiter doit être compris dans le contexte particulier propre aux faits de l’affaire Preddy. Si dans plusieurs cas l’intérêt public justifie de refuser un tel crédit dans un cas d’évasion, la question du crédit pour la détention provisoire peut être décidée essentiellement en fonction du texte même du paragraphe 719(3) du Code criminel, et ce, même en matière d’évasion.

[33]           Ainsi, de façon générale, la période de détention provisoire qui suit l’évasion ne peut être rationnellement attribuée à l’infraction d’évasion, ce qui implique que le crédit ne pourra être appliqué à la peine en lien avec l’évasion puisque la condition préalable du paragraphe 719(3) qui exige que le temps passé sous garde soit « par suite de l’infraction » n’est pas remplie.  

[34]           Cependant, certaines circonstances peuvent faire exception à ce principe. Si la période de détention provisoire post-évasion résulte clairement de l’évasion plutôt que de l’infraction à l’origine de la période de garde, alors il serait possible d’envisager d’appliquer le crédit pour détention provisoire post-évasion à la peine imposée pour l’évasion, puisque cette garde résulterait de l’infraction d’évasion et non d’une autre infraction. C’était d’ailleurs le cas dans l’affaire R. c. Hudon-Barbeau[27].

[35]           Cette dernière affaire s’inscrit dans le cadre de multiples condamnations prononcées à la suite d’une évasion spectaculaire du centre de détention de Saint-Jérôme dans laquelle sept participants étaient impliqués. L'évasion comportait le détournement d’un hélicoptère par des menaces de sévices graves à l’égard du pilote afin de permettre l’évasion de deux détenus, Benjamin Hudon-Barbeau et Dany Provençal, suivi du vol d’un véhicule, de fusillades, d’entrée par effraction dans une maison d’habitation avec vol et méfait. Les complices furent accusés de multiples infractions outre l’évasion, dont le détournement d’aéronef, mais l’ensemble de ces infractions faisaient partie de la même trame criminelle, ce qui justifiait des peines concurrentes dans ces cas. Tous les accusés ont été condamnés à de lourdes peines totales, dont 20 ans pour Steve Marchisio et 10 ans pour Billi Beaudoin, deux des complices qui n’étaient pas des détenus lors de l’évasion.

[36]           Hudon-Barbeau, l’un des deux évadés, fut condamné à une peine totale de 18 ans d’emprisonnement. Cette peine fut réduite à 16 ans d’emprisonnement en raison des conditions difficiles subies par l’accusé à la suite de son arrestation pour l’évasion et son emprisonnement subséquent au cours duquel il fut malmené par les forces de l’ordre[28]. Hudon-Barbeau a pu bénéficier du crédit pour la détention provisoire, et ce, pour trois principaux motifs : 1) sa détention provisoire à la suite à l’évasion résultait de celle-ci et non pas des autres infractions à l’origine de la détention provisoire d’origine pour lesquelles il avait déjà purgé toute peine qu'il pourrait recevoir; 2) les infractions en cause, bien que liées à l’évasion, pouvaient en être distinguées, notamment le détournement d’aéronef; et  3) l’harmonisation des peines avec les autres coaccusés exigeait d’accorder le crédit vu que la plupart des coaccusés n’étaient pas sous le coup d’une détention provisoire lors de leur participation à l’évasion et étaient donc détenus provisoirement après l’évasion en seul lien avec cette évasion. C’est donc dans ces circonstances particulières que le crédit pour détention provisoire fut accordé à Hudon-Barbeau.

[37]           Ainsi, comme le souligne le juge David dans cette affaire[29] :

[69] Cependant, le Tribunal considère qu’il serait inéquitable de priver Hudon-Barbeau d’un crédit d’emprisonnement dans les circonstances particulières de cette affaire.

[70] Tel que mentionné précédemment, de l’avis du Tribunal, il est raisonnable de prétendre que s’il devait en être reconnu coupable, la peine pour l’infraction de possession d’arme prohibée [l’infraction pré-évasion] est déjà purgée. […]

[Soulignement ajouté]

[38]           Outre ces types de cas, il n’existe aucune raison valable pour s’écarter du principe voulant qu’une période de détention provisoire se poursuive à la suite d’une évasion, ce qui exclut l’application du crédit pour détention provisoire à l’égard de la peine pour évasion vu que la période de garde qui fait suite à l’évasion ne résulte pas de celle-ci, mais constitue plutôt la suite de la garde provisoire relative aux infractions antérieures. En décider autrement serait d’inciter à l’évasion en permettant que la peine pour cette infraction soit ainsi indirectement purgée concurremment aux peines pour les autres infractions, contrairement aux principes applicables à l’imposition des peines énoncés au Code criminel. En effet, le détenu qui s’évade ne devrait pas être en meilleure position qu’un détenu n’ayant pas tenté de le faire. Ainsi, sous réserve de circonstances exceptionnelles, telles celles de l’affaire Hudon-Barbeau, le libellé du paragraphe 719(3) du Code criminel et l’intérêt public exigent qu’une période de garde provisoire interrompue par une évasion ne puisse servir de crédit aux fins de cette dernière infraction.

[39]           Qu’en est-il en l’espèce?

[40]           Il n’existe aucun lien causal entre l’infraction de bris de prison et la détention provisoire de l’appelant à la suite de l’évasion. N’eût été son évasion, l’appelant aurait tout de même été détenu pendant la période pour laquelle il s’est vu accorder un crédit pour sa détention provisoire. Cela étant, si l’appelant est reconnu coupable des infractions à l’origine de sa détention provisoire, il pourra alors demander et obtenir le crédit pour sa détention provisoire en lien avec les peines prononcées à l’égard de ces infractions. Par ailleurs, s’il est acquitté de l’ensemble de ces autres infractions à l’origine de sa détention provisoire, il se trouverait alors dans la même position qu’un détenu n’ayant pas tenté de s’échapper.

CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[41]           ACCUEILLE l’appel;

[42]           ANNULE le jugement sur la peine prononcé à l’égard de l’appelant le 23 août 2021;

[43]           CONDAMNE l’appelant à une peine d’emprisonnement de 27 mois, calculée à compter du 23 août 2021.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

Me Maxime Hébert Lafontaine

LATOUR DORVAL

Pour l’appelant

 

Me Marie-Audrai Joset

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

16 septembre 2022

Mise en délibéré :

23 septembre 2022

 


[1]  R. c. Gordyn, 2021 QCCQ 13368 (le « jugement de première instance »).

[2]  Jugement de première instance, par. 26.

[3]  Id., par. 18.

[4]  Ibid.

[5]  Id., par. 13-17.

[6]  Jugement de première instance, par. 28-29.

[7]   Id., par. 31-37.

[8]  Id., par. 30 et 42.

[9]  R. c. Beaudoin, 2016 QCCS 6886, confirmée par R. c. Beaudoin, 2017 QCCA 1604.

[10]  Jugement de première instance, par. 40-41. Voir R. c. Beaudoin, 2016 QCCS 6886, par. 61-63.

[11]  R. c. Hachey, 1996 CanLII 6110 (QC CA).

[12]  Jugement de première instance, par. 43-44.

[13]  Id., par. 45.

[14]  Id., par. 46-49. Il faut noter que les calculs de la juge sont difficiles à comprendre, car deux ans et 40 jours totalisent 770 jours. Si on multiplie par 1,5, cela donne 1 155 jours de crédit. Puisque quatre ans d’incarcération équivalent à 1 460 jours, moins le crédit de 1 155 jours, il reste 305 jours à purger, soit 10 mois et cinq jours et non pas neuf mois et deux semaines.

[15]  718.2 b) du Code criminel; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 31.

[16]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 33.

[17]  R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 12.

[18]  R. c. Hachey, 1996 CanLII 6110 (QC CA).

[19]  R. v. Preddy, 2011 BCCA 324.

[20]  R. v. White, 1992 CanLII 1774 (C.A. B.C.); R. v. Beals, 2000 NSCA 43; R. v. Valois, 2000 BCCA 18; R. v. Addley, 2008 BCCA 460; R. v. Preddy, 2011 BCCA 324; R. c. Desrosiers, [1994] J.Q. no 1367 (C.Q.), requête pour permission d’appeler rejetée, 18 novembre 1995, no 500-10-000240-943.

[21]  R. v. Addley, 2008 BCCA 460, par. 26-27; R. v. White, 1992 CanLII 1774 (BC CA), par. 5; R. v. Paulin, 2005 BCSC 1829, par. 19.

[22]  R. c. Larrivée, 2020 QCCA 1774, par. 24-31; Dallaire c. R., 2022 QCCA 1422, par. 37-50; R. v. Wilson, 2008 ONCA 510, par. 42-45; R. v. Barnett, 2017 ONCA 897, par. 27-32.

[23]  Casseus c. R., 2021 QCCA 392, par. 31.

[24]  R. v. Preddy, 2011 BCCA 324.

[25]  Id., par. 26.

[26]  R. v. Preddy, 2011 BCCA 324, par. 29.

[27]  R. c. Hudon-Barbeau, 2017 QCCS 5977.

[28]  R. c. Hudon-Barbeau, 2017 QCCS 5977, par. 154.

[29]  Id., par. 69-70.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.