Décision

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Iqbal c. Senou

2025 QCTAL 20074

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

853194 28 20250217 G

No demande :

4632808

 

 

Date :

04 juin 2025

Devant le juge administratif :

Philippe Morisset

 

Amina Iqbal

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Gaelle Senou

 

Locataire - Partie défenderesse

et

Alain Veilleux

 

Partie intéressée

 

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          La locatrice demande l’autorisation de reprendre le logement concerné pour s’y loger avec ses enfants à compter du 1er juillet 2025.

CONTEXTE

  1.          Au mois de mars 2019, la locataire conclue, avec l’ancien locateur un bail pour la période du 1er juin 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 1 180 $.[1]
  2.          La locatrice est propriétaire de l’immeuble depuis l’année 2020.[2]
  3.          L’immeuble comporte 2 logements répartis sur deux niveaux et est situé dans la ville de Blainville.
  4.          Le logement de la locataire est un 6 pièces et demie.
  5.          L’autre logement, situé au sous-sol, est un trois pièces et demi.
  6.          L’immeuble comporte une piscine.
  7.          Le 21 décembre 2024, un avis de reprise de logement est signifié à la locataire.[3] Cet avis mentionne que la locatrice veut reprendre le logement à l’expiration du bail, soit le 30 juin 2025 pour s’y loger avec ses deux enfants.

  1.          La preuve ne démontre pas que la locataire a répondu à cet avis. Elle est donc réputée avoir refusé de quitter.
  2.      Le 17 février 2025, la locatrice a introduit sa demande en reprise.[4]

Preuve de la locatrice

Témoignage de la locatrice

  1.      La locatrice explique qu’elle désire reprendre le logement de la locataire pour s’y loger avec ses deux enfants.
  2.      Elle habite actuellement dans un autre de ses logements situés dans la Ville de Laval.
  3.      Son logement actuel n’a que deux chambres. Elle désire donc un logement plus grand pour sa famille. De plus, le sous-sol de son logement n’est pas fini contrairement au logement de la locataire.
  4.      En habitant dans le logement de la locataire, ses enfants vont pouvoir avoir chacun leur chambre.
  5.      Elle veut également un quartier plus familial pour sa famille. Le logement de la locataire est près de plusieurs services, commerces et du transport en commun.
  6.      L’immeuble a d’ailleurs été acquis pour aller y vivre, mais le projet a été retardé en raison d’un grave accident de son fils.
  7.      Le logement sera également plus proche du travail de son fils et de l’établissement scolaire de sa fille.
  8.      Elle explique vouloir vendre l’immeuble qu’elle habite présentement et a donné un contrat de courtage à un courtier.[5]
  9.      À cela, elle ajoute que la piscine va être bénéfique pour son fils, celui-ci devant faire des exercices suivant son accident.
  10.      C’est donc dans ce contexte qu’elle a envoyé un avis de reprise à la locataire.

Témoignage de monsieur Musab Bin Umair

  1.      Monsieur Umair est le fils de la locatrice.
  2.      Il explique avoir un emploi dans la ville de Blainville. Il aimerait se rapprocher de son travail. Il aime également le quartier où se situe le logement de la locataire, car il est à proximité de plusieurs services, commerces et du transport en commun.
  3.      En habitant dans le logement de la locataire, il va être moins dépendant de sa mère, notamment pour ses déplacements.
  4.      Actuellement, il n’a pas de chambre dans le logement qu’ils habitent. Il est dans le sous-sol, lequel n’est pas vraiment aménagé.

Témoignage de madame Damil Fatima Umair

  1.      Madame Umair est la fille de la locatrice. Elle mentionne que le logement de la locataire est plus grand que leur logement actuel. De plus, le stationnement est plus grand, ce qui va être commode puisqu’elle veut acheter une voiture.
  2.      De plus, elle va se rapprocher de son établissement scolaire.

Preuve de la locataire

  1.      S’opposant à la demande de reprise du locateur, la locataire explique ne pas croire la locatrice dans sa démarche d’aller habiter son logement.
  2.      Elle mentionne être convaincue qu’il s’agit d’une reprise de mauvaise foi.

  1.      Elle mentionne que la locatrice a fait une demande de reprise l’année dernière et que le Tribunal l’a rejetée. Cependant, elle ne produit aucune décision à cet effet.
  2.      Elle mentionne que la piscine n’est pas fonctionnelle.
  3.      Elle demande le rejet de la demande de la locatrice.

QUESTION EN LITIGE

La locatrice a-t-elle démontré qu'elle avait réellement l'intention de reprendre le logement concerné pour s’y loger ?

DÉCISION

  1.      L'article 1963 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit ce qui suit : 

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. »

  1.      À cet égard, le Tribunal doit fonder son analyse sur la prépondérance de la preuve. Suivant l’article 2804 du Code civil du Québec :

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »[6]

  1.      Dans la décision Hajjali c. Tsikis et Régie du logement[7], le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec répertorie quelques décisions rendues sur le fardeau de preuve applicable dans un tel cas et conclut :

« [38] Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

  1.      Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault[8], le Tribunal s'exprimait de la façon suivante : 

« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement: cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »

  1.      Le législateur a choisi de préserver le droit au maintien dans les lieux du locataire et c'est pourquoi il impose l'obligation de démontrer l’intention réelle de reprendre le logement et l’absence de prétexte.
  2.      Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant à ses intentions de se loger réellement dans le logement qu'aux raisons qui l’amène à requérir le logement. L'intention de se loger dans le logement peut être bien réelle, mais s'il s'agit d'un subterfuge, un faux-fuyant ou une diversion pour obtenir le départ du locataire, l'autorisation à la reprise ne peut être accordée.
  3.      Dans cette évaluation, les tribunaux ont tendance à analyser le besoin réel et sérieux de reprendre le logement.[9]
  4.      Le Tribunal n’a pas à s'interroger sur l'opportunité pour le locateur de reprendre le logement du locataire plutôt qu’un autre[10]. En l’absence d’autres éléments probants, ce choix appartient au locateur.

  1.      Le contexte dans lequel s'inscrit la reprise du logement, la disponibilité d'autres logements convenables[11], l'état des relations[12] ou les raisons qui amènent un locateur à vouloir reprendre le logement spécifiquement[13] peuvent aider le Tribunal à apprécier l'intention véritable du locateur et l'existence d'un prétexte, mais le Tribunal n'a pas à substituer ses propres choix au sien.
  2.      En l’occurrence, la locatrice envisage de reprendre le logement pour s’y loger avec ses deux enfants.
  3.      L'analyse de la preuve démontre que les raisons invoquées pour requérir le logement sont raisonnables et appuient légitimement les intentions de la locatrice quant à l'exercice de la reprise du logement et l'intention réelle de s’y loger avec ses deux enfants.
  4.      Pour le Tribunal, le projet de la locatrice vise à répondre à ses besoins actuels et futurs. Le témoignage de la locatrice, tous comme ceux de ses enfants s’avèrent crédibles aux yeux du Tribunal.
  5.      La preuve révèle une intention légitime justifiant le choix du logement. Il y a, de l’avis du Tribunal, une preuve prépondérante à l’effet que la locatrice prendra possession du logement pour y habiter, et ce, pour une longue période.
  6.      Dans les circonstances, le Tribunal considère que la preuve répond ainsi aux exigences du droit applicable sur ce point.
  7.      La locataire soulève des doutes et des appréhensions qui sont, en soi, insuffisants pour conclure à la mauvaise foi de la locatrice.
  8.      Ce n’est d’ailleurs pas par ce qu’une demande de reprise a été rejeté une première fois, que cela entraine automatiquement le rejet de toutes autres demandes de reprises.
  9.      Par ailleurs, le Tribunal est allé lire la décision refusant la reprise l’année dernière.[14] Bien que le soussigné respecte sa collègue, il n’est pas en accord avec sa position quant à la définition de « logement comparable ou de même genre ». Les deux logements sont dans des villes différentes, n’ont pas le même nombre de chambres, la même finition, etc.
  10.      Rien dans la preuve ne permet au Tribunal de conclure à la mauvaise foi de la locatrice dans le cadre de sa démarche de reprise.
  11.      À partir du moment où la locatrice a rencontré le fardeau de preuve lui incombant dans ce type de recours, il n’appartient pas au Tribunal de considérer la balance des inconvénients subis dans le cadre de sa décision d'accorder ou non la reprise du logement.
  12.      Le Tribunal est conscient que l'exercice du droit à la reprise du logement ne fait pas toujours des heureux. La perspective d'un déménagement non prévu ou souhaité constitue une source importante d'inconvénients et de stress.
  13.      Le Tribunal n’a également pas à prendre en compte la possible difficulté de la locataire à se trouver un autre logement, et ce, même lorsque les taux d’inoccupation sont bas.
  14.      Après analyse, le Tribunal conclut donc que la locatrice a établi avoir l'intention de se loger dans le logement de la locataire que la locatrice a réellement l’intention d’habiter le logement et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
  15.      L'autorisation à la reprise du logement sera donc accordée.
  16.      Il importe de souligner que l'article 1968 du Code civil du Québec permet d'accorder des dommages-intérêts et même des dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.
  17.      De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.
  18.      Reste la question de l’opportunité de reporter la date de reprise après le 1er juillet 2025.


Le dernier alinéa de l’article 1961 du C.c.Q. énonce :

« 1961. (…)

La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »

  1.      Qu’en est-il ?
  2.      L’audience sur la demande de reprises a eu lieu le 20 mai 2025 alors que la reprise vise la date du 1er juillet 2025. Cela donne un délai de 40 jours, ce qui est peu de l’avis de Tribunal pour permettre à la locataire de se trouver un nouveau logement.
  3.      À cela s’ajoute le délai du Tribunal pour rendre jugement et la date du présent jugement.
  4.      Le Tribunal est donc d’avis qu’il y a lieu de reporter la date de la reprise d’autant plus que la locatrice a toujours son logement actuel, lequel n’est pas encore vendu et qu’elle peut encore occuper un certain moment.
  5.      À cet égard, le Tribunal reporte la date de la reprise au 1er septembre 2025 afin de tenir compte de la date du présent jugement et pour permettre à la locataire de se trouver un nouveau logement.
  6.      Jusqu’à cette date, le bail sera prolongé, aux mêmes conditions et chacune des parties devra respecter ses obligations, notamment quant au paiement du loyer.
  7.      Eu égard à l’objet du présent recours et aux faits de la présente affaire, le Tribunal considère que la locatrice doit assumer les frais.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      AUTORISE la locatrice à reprendre le logement pour s’y loger à compter du 1er septembre 2025;
  2.      ORDONNE à la locataire de quitter les lieux au plus tard le 1er septembre 2025;
  3.      ORDONNE l'expulsion de la locataire ainsi que de tout autre occupant du logement à compter du 1er septembre 2025;
  4.      RÉSERVE à la locataire ses droits quant à son indemnité pour frais de déménagement.
  5.      LE TOUT sans frais de justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Philippe Morisset

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Date de l’audience : 

20 mai 2025

 

 

 


 


[1] Pièce P-1.

[2] Voir notamment la Pièce P-2.

[3] Pièce P-3.

[4] Voir le dossier du Tribunal.

[5] Voir Pièce P-4.

[6] Goudreault c. Bassel, 1999 R.E.J.B. 15220 (C.Q.).

[8] J.L. 87-82 (R.L.), p. 40.

[9] Larouche et al. c. Alamy et al. 34-900201-003G, 24 mai 1990 (JUR 03395), Me Jocelyne Désilets référant la décision René Pilon c. William May, Cour du Québec, 500-02-01335-878, Juge Francois Wilhelmy, le 6 juin 1988 et Germain c. Lefebvre, Cour du Québec, 500-02-031616-886, Juge André Forget, le 2 février 1989. 

[10] L’article 1964 C.c.Q. n’a aucune application en l’instance.

[11] Arts c. Trinh Vo, [2004] J.L. 63 (C.Q.).

[12] Cescutti c. Tran 2016 QCRDL 4836 (Sylvie Lambert, j. a.), Dunlop c. Guerfi 2016 QCRDL 5060 (Louise Fortin, j. a.), Gaudiosi c. Verville 2011 QCRDL 11246, Assimakopoulos c. Nelson, R.L. Montréal, 31-040106-159G, 19 mai 2004; Maria Salerno c. Adel Toubia, (1995) J.L. 268 (R.L.).

[13] Larouche et al. c. Alamy et al. 34-900201-003G, 24 mai 1990 (JUR 03395), Me Jocelyne Désilets référant la décision René Pilon c. William May, Cour du Québec, 500-02-01335-878, Juge Francois Wilhelmy, le 6 juin 1988 et Germain c. Lefebvre, Cour du Québec, 500-02-031616-886, Juge André Forget, le 2 février 1989.

[14] Voir la décision : Iqbal c. Veilleux, 2024 QCTAL 16335 (CanLII)

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