Décision

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Levac c. R.

2023 QCCA 1090

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-10-003861-213

(635-01-017552-184)

 

DATE :

 30 août 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GUY GAGNON, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

YANNICK LEVAC

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Au moment de l’infraction qui lui est reprochée, l’appelant Yannick Levac était membre du corps de police régional Kativik basé dans la localité de Kangirsuk. Un juge de la Cour du Québec (l’honorable Paul Chevalier), siégeant dans la localité de Kuujjuak, l’a déclaré coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles (alinéa 267b) C.cr.) sur la personne de Kitty Kudluk (« K.K. »)[1]. L’appelant se pourvoit de plein droit contre ce verdict et demande aussi à la Cour l’autorisation d’appeler sur des questions de fait.

[2]                L’appelant propose plusieurs moyens d’appel qui reposent essentiellement sur sa prétention selon laquelle, lors de l’arrestation de K.K., il jouissait de l’immunité relative conférée par le paragraphe 25(1) C.cr. :

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

 

a) soit à titre de particulier;

 

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

 

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;

 

d) soit en raison de ses fonctions,

 

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

25 (1) Every one who is required or authorized by law to do anything in the administration or enforcement of the law

 

(a) as a private person,

 

(b) as a peace officer or public officer,

 

(c) in aid of a peace officer or public officer, or

 

(d) by virtue of his office,

 

is, if he acts on reasonable grounds, justified in doing what he is required or authorized to do and in using as much force as is necessary for that purpose.

Un bref retour sur les faits

[3]                L’appelant a subi son procès pour des événements survenus le 19 décembre 2016. Plusieurs années auparavant, K.K. agissait comme interprète auprès du CLSC de Kangirsuk. Cette dernière a perdu son emploi et fut remplacée par Elizabeth Haukai Kudluk (« E.H.K. »). Il semble que K.K. a conservé un souvenir amer de cette expérience.

[4]                Dans sa déclaration statutaire du 13 décembre 2016 faite à l’appelant, E.H.K. se plaint des appels de K.K.[2]. E.H.K. y affirme que la veille, K.K. l’a appelée à deux reprises à son travail. La première fois, E.H.K. a elle-même répondu alors que la seconde fois, sa collègue Mme Anne Beaudouin-Gagnon s’est chargée de prendre l’appel. Bien que l’idée de communications répétitives ne ressorte pas véritablement de sa déclaration, E.H.K. n'en a pas moins eu le sentiment d’être harcelée.

[5]                E.H.K. s’est aussi plainte des propos de K.K. tenus à la radio communautaire, l’ayant décrite comme une mauvaise personne.

[6]                Le 19 décembre 2016, durant la soirée, K.K. appelle au poste de police de Kangirsuk afin d’obtenir une assistance policière pour expulser de son domicile sa sœur Emaly Ooging, fortement intoxiquée. L’appelant reçoit l’appel. Il accepte d’aller rencontrer K.K. à son domicile et l’informe dès lors de son intention de discuter d’un autre dossier une fois rendu chez elle.

[7]                Avant de quitter le poste de police, il se munit d’une promesse de comparaître assortie de conditions de mise en liberté. Il prend ensuite la direction de la résidence de K.K. en compagnie de sa collègue de travail, l’agente Audrey Poulin. Arrivés sur les lieux, les deux policiers rencontrent, à l’extérieur de la résidence, Gloria Kokkinerk. Cette dernière les informe que la sœur de K.K. a quitté l’endroit et que « tout est correct »[3].

[8]                L’agente Poulin souhaite tout de même vérifier à l’intérieur « pour s’assurer que tout est correct pour bien fermer l’appel, qu’il n’y a pas eu d’acte de violence […] juste pour s’assurer que tout est beau à l’intérieur »[4]. L’appelant veut aussi se rendre compte de la situation de K.K., d’autant plus qu’elle est à l’origine de l’appel à la police.

[9]                L’agente Poulin crit ainsi la suite des événements : elle ouvre la porte du portique alors que l’appelant discute toujours avec Gloria Kakkinerk. Après avoir constaté que la porte d’entrée principale est fermée, elle cogne et s’annonce en criant « Police! ». Comme la porte est déverrouillée, elle entre dans les secondes suivant son annonce. Elle est immédiatement suivie de l’appelant.

[10]           L’agente Poulin témoigne en disant que l’appelant s’est approché de K.K. pour lui manifester son intention de procéder à son arrestation pour des communications harcelantes et pour l’informer de ses conditions de mise en liberté. Au même moment, K.K. aurait crié dans le téléphone « fucking interpreter ». L’appelant aurait alors saisi le téléphone et placé immédiatement K.K. en état d’arrestation.

[11]           La version de l’appelant ne s’accorde pas parfaitement avec celle de l’agente Poulin. Il déclare avoir suivi sa collègue lorsque cette dernière a pénétré dans la résidence, mais être demeuré un peu en retrait. Il se serait ensuite dirigé vers K.K. au moment de l’entendre crier au téléphone « fucking interpreter » à trois reprises. L’appelant affirme avoir alors fait le lien entre ces deux mots et la plainte pour communications harcelantes d’E.H.K. déposée sept jours plus tôt. Après avoir retiré le téléphone des mains de K.K., il a procédé à son arrestation pour communications harcelantes, étant d’avis qu’elle venait tout juste d’être prise en flagrant délit.

[12]           Après son arrestation, K.K. a suivi les policiers vers l’avant de la maison pour récupérer son manteau. Frustrée par cette intervention, elle a tiré des manteaux vers le sol. L’appelant a témoigné avoir vu dans ce geste une forme de résistance alors que l’agente Poulin a, quant à elle, mentionné dans son témoignage qu’il s’agissait plutôt d’une manifestation de frustration qui, de toute façon, ne les visait pas.

[13]           À la vue de ce geste, l’appelant est intervenu pour amener K.K. au sol. Tout en ayant un genou dans son dos, il l’a menottée et arrêtée pour avoir résisté à son arrestation. L’agente Poulin a témoigné que lorsqu’ils étaient en direction du poste de police, elle a dit à l’appelant qu’elle croyait que leur intervention auprès de K.K. était illégale.

[14]           Au terme de son arrestation, K.K. est placée en détention[5]. Elle dira qu’une blessure constatée à son bras a été causée par l’appelant lors de l’arrestation.

[15]           Il faut aussi préciser que les procédures criminelles intentées contre l’appelant sont le résultat d’une enquête policière instituée après que l’agente Poulin eut informé son supérieur des événements du 19 décembre 2016. Par ailleurs, aucune accusation n’a été portée contre K.K.

[16]           L’intervention malheureuse du 19 décembre a laissé des traces. K.K. a dû se rendre à la clinique du village pour y être traitée. Quant à l’appelant et l’agente Poulin, ils ne sont plus membres des forces de l’ordre.

Le jugement entrepris

[17]           Le juge cerne ainsi la première question à laquelle il estime devoir répondre :

[7] La première question que doit se poser le Tribunal a trait à la légalité de l’arrestation au domicile de K.K. Si cette arrestation est illégale, l’emploi de la force utilisée tout au long de la soirée contre elle ne peut être protégé en invoquant l’article 25(1) du C. cr. qui stipule […].

[18]           Il affirme qu’en l’absence d’une preuve de gestes répétitifs, les conditions n’étaient pas réunies pour constituer des motifs raisonnables de croire que l’infraction de communications harcelantes (paragraphe 372(3) C.cr.) avait été commise le 12 décembre 2016. En ce qui a trait aux événements du 19 décembre, les mots « fucking interpreter » entendus de la bouche de K.K. alors qu’elle parle au téléphone ne pouvaient à eux seuls constituer l’expression d’un crime commis en « flagrant délit » comme l’a soutenu l’appelant.

[19]           Pour ces raisons, le juge estime que l’arrestation de K.K. à son domicile était illégale et tout ce qui s’en est suivi l’était tout autant. La force utilisée par l’appelant à cette occasion n’était donc pas protégée par le paragraphe 25(1) C.cr. De plus, il ne faisait aucun doute que les lésions corporelles constatées sur le corps de K.K. découlaient de l’intervention de l’appelant. En conséquence, il ne pouvait pas échapper à un verdict de culpabilité pour l’accusation portée en vertu de l’alinéa 267b) C.cr.

Analyse

[20]           L’appelant demande à la Cour de répondre par l’affirmative à la question qu’il énonce en ces termes : « Le juge a-t-il erré en concluant que l’appelant ne pouvait pas bénéficier de la défense prévue à l’article 25 du Code criminel? ».

[21]           Le juge a retenu la responsabilité criminelle de l’appelant sur la base de l’absence de motifs raisonnables pour agir. De l’avis de la Cour, les déterminations du juge au soutien de cette conclusion ne donnent pas prise à une intervention en appel. Mais il y a plus.

[22]           La question posée par l’appelant ne peut êtresolue sans accorder une considération primordiale au droit à l’inviolabilité d’une maison d’habitation[6]. En effet, à moins qu’un agent de la paix agissant dans le cadre de ses fonctions soit dûment muni d’un mandat d’arrestation, d’un mandat d’entrée ou qu’il s’agisse d’une situation d’urgence, il ne peut pénétrer dans une résidence sans l’autorisation d’un occupant.

[23]           L’article 529.3 C.cr. est ainsi rédigé :

Pouvoir de pénétrer sans mandat

 

 

529.3 (1) L’agent de la paix peut, sans que soit restreint ou limité le pouvoir d’entrer qui lui est conféré en vertu de la présente loi ou d’une autre loi ou d’une règle de droit, pénétrer dans une maison d’habitation pour l’arrestation d’une personne sans être muni du mandat visé aux articles 529 ou 529.1 s’il a des motifs raisonnables de croire que la personne s’y trouve, si les conditions de délivrance du mandat prévu à l’article 529.1 sont réunies et si l’urgence de la situation rend difficilement réalisable son obtention.

 

 

 

Situation d’urgence

 

529.3 (2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a notamment urgence dans les cas où l’agent de la paix, selon le cas :

 

a) a des motifs raisonnables de soupçonner qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort;

 

b) a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans la maison d’habitation et qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminentes.

Authority to enter dwelling without warrant

 

529.3 (1) Without limiting or restricting any power a peace officer may have to enter a dwelling-house under this or any other Act or law, the peace officer may enter the dwelling-house for the purpose of arresting or apprehending a person, without a warrant referred to in section 529 or 529.1 authorizing the entry, if the peace officer has reasonable grounds to believe that the person is present in the dwelling-house, and the conditions for obtaining a warrant under section 529.1 exist but by reason of exigent circumstances it would be impracticable to obtain a warrant.

 

Exigent circumstances

 

(2) For the purposes of subsection (1), exigent circumstances include circumstances in which the peace officer

 

(a) has reasonable grounds to suspect that entry into the dwelling-house is necessary to prevent imminent bodily harm or death to any person; or

 

 

(b) has reasonable grounds to believe that evidence relating to the commission of an indictable offence is present in the dwelling-house and that entry into the dwelling-house is necessary to prevent the imminent loss or imminent destruction of the evidence.

[24]           Il est acquis que chacun a droit au respect de sa vie privée dans sa résidence[7]. À moins d’une justification prévue par la loi ou la common law, les arrestations sans mandat dans une maison d’habitation contreviennent à l’article 8 de la Charte[8].

[25]           De plus, lorsque la situation n’est pas urgente, les policiers ont l’obligation de frapper à la porte d’une maison et d’annoncer leur présence avant d’y pénétrer. Ils doivent aussi accorder à l’occupant le temps raisonnable pour réagir et venir répondre à la porte[9]. Finalement, et toujours si les conditions le permettent, ils doivent envisager des mesures alternatives permettant d’éviter de rentrer de force dans la maison d’habitation.

[26]           Il existe toutefois des « circonstances particulières permettant aux agents de la paix, dans l’exercice de leurs pouvoirs, d’en faire fi et de pénétrer de force dans une résidence »[10]. Ces situations d’exception, interprétées strictement, se retrouvent dans la législation[11] ou la common law. Cela dit, « [u]ne entrée sans mandat étant présumée abusive, c’est […] au ministère public qu’est imposé le fardeau de démontrer qu’elle était nécessaire et raisonnable »[12].

[27]           Dans l’arrêt Lacasse c. R., la Cour décrit ainsi le test applicable :

[35] Pour déterminer si une telle exception au principe de l’inviolabilité du domicile s’applique ici, il faut utiliser le test en deux étapes établi par l’arrêt R. v. Waterfield et repris depuis dans plusieurs arrêts de la Cour suprême. Celui-ci consiste à rechercher a) si la conduite des policiers entre dans le cadre d’un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que s’inscrivant dans le cadre d’un tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir relié à ce devoir.

[36] C’est au moment où les policiers pénètrent dans la résidence de l’appelant qu’il faut se placer pour répondre aux questions que pose ce test.[13]

[Renvois omis]

[28]           Dans l’arrêt R. c. Godoy[14], la Cour suprême, discute des pouvoirs des policiers issus de la common law, incluant celui d’entrer sans mandat dans une maison d’habitation lorsque la sécurité des occupants est en jeu[15]. Comme une intervention de cette nature est une atteinte à la liberté individuelle, « l’étude de sa légalité implique l’analyse des circonstances propres à chaque affaire »[16].

[29]           Il est possible de résumer les principaux enseignements de la jurisprudence sur cette question par ce passage tiré de l’arrêt de la Cour dans Poirier c. R :

[19] La conduite des policiers doit […] traduire un exercice nécessaire à l’accomplissement de ce devoir [de protéger la vie et la sécurité] et particulièrement, il faut évaluer l’importance du devoir pour l’intérêt public, la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir et l’ampleur de cette atteinte[17].

[Renvoi omis]

[30]           Dans le même arrêt, la Cour ajoute :

[22] Il est de première importance de souligner que, dans la présente affaire, l’intervention policière n’est pas motivée par une enquête criminelle, une arrestation ou l’idée de préserver des éléments de preuve. Dans ces cas, un mandat est l’outil habituel nécessaire, sous réserve d’exceptions. Lorsque l’objectif est la sécurité des personnes, des soupçons raisonnables peuvent être suffisants, et la preuve doit démontrer une assise objective à la croyance subjective du policier voulant que la sécurité des personnes ou du public soit en jeu. Cette double exigence n’est pas nouvelle.[18]

[31]           Dans la présente affaire, il ressort du témoignage de l’agente Poulin que l’appelant a demandé son assistance pour procéder à l’expulsion d’une personne en vertu d’un règlement municipal. Elle affirme que l’appel ne faisait pas mention d’une personne blessée ou de voies de fait. Il s’agissait plutôt d’un appel routinier qui ne nécessitait pas de plan d’intervention.

[32]           Il est vrai que le juge ne s’est pas véritablement livré à une évaluation de la crédibilité des témoins entendus durant le procès. Toutefois, la version de l’agente Poulin selon laquelle l’appelant l’avait informée de son intention d’arrêter K.K. à son domicile après avoir procédé à l’expulsion de sa sœur est corroborée à bien des égards.

[33]           La preuve révèle qu’avant de prendre la direction de la résidence de K.K., l’appelant s’était muni d’une promesse de comparaître et des conditions de mise en liberté auxquelles il souhaitait contraindre K.K. après son arrestation. De plus, l’appelant a informé un autre policier présent au poste de police de la possibilité qu’il effectuerait une arrestation en lien avec des communications harcelantes. Cet autre policier a toutefois compris que l’appelant a informé K.K. de son intention de l’arrêter[19].

[34]           Par ailleurs, il est permis d’inférer à partir du verdict de culpabilité que l’appelant n’a pas été cru par le juge.[20]

[35]           Cela dit, on peut convenir aisément de l’intérêt des policiers de prendre contact avec K.K. pour s’assurer de sa sécurité et de la fin des troubles occasionnés par la présence de sa sœur. Cependant, cette intervention ne pouvait pas servir de prétexte pour arrêter l’occupante d’une maison d’habitation pour un crime prétendument commis sept jours plus tôt.

[36]           De plus, dans la perspective de s’assurer de la sécurité de K.K., les policiers devaient à tout le moins tenir compte de méthodes alternatives[21], ce qu’ils n’ont manifestement pas fait. En ce sens, l’intervention est allée au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité que les deux policiers s’étaient fixés. Considérant l’ensemble des circonstances, on ne peut conclure que l’entrée dans la maison d’habitation était nécessaire à l’accomplissement du devoir de protéger la vie et la sécurité de son occupante.

[37]           Or, l’irruption des policiers dans la résidence de K.K. s’est faite sans mandat d’entrée. Il s’agit d’un fait incontestable. Ce qui l’est tout autant est l’absence de toute urgence alors qu’il n’existait aucun indice objectivement vérifiable d’instabilité et d’incertitude suggérant une situation de désordre susceptible de mettre en péril la sécurité ou l’intégrité de K.K. Bien plus, les policiers étaient même informés à leur arrivée sur les lieux que leur intervention n’était plus nécessaire compte tenu du départ de la sœur de K.K.

[38]           Les policiers ont tout de même décidé d’entrer dans la résidence de K.K. sans mandat dans le but de vérifier si « tout est correct ». En pareille circonstance, il est manifeste qu’ils n’agissaient plus en vertu du Code criminel ou d’un pouvoir tiré de la common law. L’appelant le reconnaît lui-même au moment de déclarer qu’il était « pour expulser une personne qui n’est plus désirée dans la maison […] lorsqu’on aide à faire une expulsion, c’est par rapport à… de nature civile »[22].

[39]           Au regard de ce qui précède, il convient donc de rejeter l’application de l’article 529.3 C.cr.[23] et toute prétention portant sur l’exercice d’un pouvoir de common law. Si la raison de l’entrée sans mandat dans la résidence de K.K., le 19 décembre 2016, visait le but non avoué de l’arrêter pour l’infraction de communications harcelantes liées à la plainte reçue le 13 décembre 2016, une telle initiative était manifestement illégale.

[40]           Si, par ailleurs, l’appelant a cru assister en direct à la commission d’une infraction criminelle le 19 décembre 2016, cette prétention se heurte à deux difficultés de taille.

[41]           Tout d’abord, en l’absence de toute urgence, l’appelant n’avait pas le droit de pénétrer dans le domicile de K.K. sans l’obtention préalable d’un mandat d’entrée. Comme l’entrée de l’appelant est illégale, l’arrestation de K.K. qui s’en est suivie l’est tout autant[24]. Pour cette raison, l’appelant est mal venu d’invoquer le secours du paragraphe 495(3) C.cr.

[42]           Ensuite, le simple fait d’entendre K.K. dire au téléphone « fucking interpreter » ne peut objectivement constituer un motif raisonnable de croire que l’auteure de ces paroles est en train de commettre le crime de communications harcelantes. De plus, au moment de l’arrestation, autrement que de spéculer, l’appelant ne sait pas à qui parle K.K.

[43]           Une simple possibilité de la commission d’une infraction criminelle est insuffisante pour justifier une arrestation sans mandat. L’intuition et les soupçons ne suffisent pas en cette matière[25]. Il doit plutôt s’agir d’une probabilité[26]. Comme le paragraphe 495(1) C.cr. le prévoit, il doit s’agir de motifs raisonnables, une question habituellement laissée à l’appréciation du juge du procès[27].

[44]           Il découle de ce qui précède que deux des conditions d’application de l’article 25 C.cr. sont manquantes en l’espèce. L’appelant n’était pas légalement autorisé à agir[28] et il ne détenait aucun motif raisonnable et probable pour procéder à l’arrestation de K.K.[29].

[45]           Finalement, et contrairement à ce que soutient l’appelant, le juge n’avait pas à distinguer les deux arrestations survenues dans le domicile de K.K. qui s’inscrivent dans un même continuum. Du moment que la première arrestation est illégale, il s’ensuit forcément que l’appelant n’était pas légalement autorisé à agir. Celui-ci ne peut donc se rabattre sur le caractère prétendument légal de la seconde arrestation pour justifier l’usage de la force. Au surplus, la jurisprudence reconnaît que l’infraction prévue à l’article 129 C.cr. ne peut découler d’une arrestation illégale[30].

[46]           La preuve fait voir que lors de l’intervention illégale de l’appelant sur la personne de K.K., ce dernier lui a causé des lésions corporelles. Cette preuve autorisait le juge à conclure hors de tout doute raisonnable à la commission de l’infraction prévue à l’alinéa 267b) C.cr.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[47]           ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel sur des questions de fait;

[48]           REJETTE l’appel.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

Me Hugo T. Marquis

Pour l’appelant

 

Me Gabriel Bervin

directeur des poursuites criminelles et pénales

Pour l’intimé

 

Dates d’audience :

 15 et 16 juin 2023

 


[1]  R. c. Levac, 2021 QCCQ 2141 [Jugement entrepris].

[2]  Pièce P-4, Déclaration statutaire de E.H.K.

[3]  Interrogatoire d’Audrey Poulin, 18 novembre 2020; Interrogatoire de Gloria Kakkinerk, 7 janvier 2021.

[4]  Interrogatoire d’Audrey Poulin, supra, note 3.

[5]  Témoignage de Yannick Levac, 7 janvier 2021; Témoignage d’Audrey Poulin, supra, note 3.

[6]  R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311, paragr. 19.

[7]  R. c. MacDonald, [2014] 1 R.C.S. 37, paragr. 26.

[8]  R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13.

[9]  R. c. Pan, 2012 ONCA 581.

[10]  Lacasse c. R., 2017 QCCA 808, paragr. 34.

[11]  Par exemple, l’entrée sans mandat dans une maison d’habitation pour une arrestation (art. 529.3 C.cr.).

[12]  Lacasse c. R., supra, note 10, paragr. 34; Martin Vauclair et Tristan Desjardins, BéliveauVauclair  Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e éd., Montréal, Yvon Blais, 2022, p. 227, n° 11.47.

[13]  Lacasse c. R., supra, note 10, paragr. 35-36. Voir : R. c. Godoy, supra, note 6, paragr. 12-13.

[14]  R. c. Godoy, supra, note 6, cité récemment dans Bertrand c. R., 2022 QCCA 1362, paragr. 15.

[15]  Pour illustration, voir : Poirier c. R., 2019 QCCA 131, paragr. 18; Lacasse c. R., supra, note 10, paragr. 45. Voir aussi : Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Béliveau-Vauclair — Traité général de preuve et de procédure pénales, supra, note 12, p. 226-227, n° 11.47; Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, art. 48.

[16]  Cases c. R., 2020 QCCA 1633, paragr. 11, citant Poirier c. R., supra, note 15, paragr. 30. Voir aussi : R. c. Godoy, supra, note 6, paragr. 22; Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Béliveau-Vauclair  Traité général de preuve et de procédure pénales, supra, note 12, p. 227, n° 11.47.

[17]  Poirier c. R., supra, note 15, paragr. 19, citant R. c. McDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, paragr. 36. Voir aussi : R. c. Godoy, supra, note 6, paragr. 18.

[18]  Poirier c. R., supra, note 15, paragr. 22. Voir aussi : Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Béliveau-Vauclair — Traité général de preuve et de procédure pénales, supra, note 12, n° 11.47.

[19]  Interrogatoire de Michaël Lemieux, 16 novembre 2020.

[20]  R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, paragr. 27; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, paragr. 66.

[21]  À ce sujet, voir le témoignage du sergent David Mercier qui mentionne les méthodes alternatives qui auraient pu être employées : Interrogatoire de David Mercier, 17 novembre 2020.

[22]  Témoignage de Yannick Levac, 8 janvier 2021.

[23]  La preuve exclut également l’application de l’alinéa 529.3(2)b) C.cr.

[24]  Hudson v. Brantford Police Services, [2001] O.J. No. 3779 (Q.L.), 150 O.A.C. 87 (C.A. Ont.).

[25]  Lévesque Madanici c. R., 2014 QCCA 1517, paragr. 51.

[26]  R. c. L. (C.), [2000] J.Q. no. 5126, J.E. 2000-1756, paragr. 28 (C.A.).

[27]  R. c. Burke, 2009 QCCA 85, paragr. 59, confirmée par R. c. Burke, 2009 CSC 57.

[28]  Crampton v. Walton, 2005 ABCA 81.

[29]  Ibid. Voir aussi : R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206.

[30]  Lacasse c. R., supra, note 10, paragr. 52-55; R. v. Plamondon, [1997] B.C.J. No. 2757 (Q.L.), 101 B.C.A.C. 1, paragr. 35 (C.A. B.C.).

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