R. c. Trudeau |
2016 QCCQ 925 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
500-01-103423-148 |
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DATE : |
Le 25 février 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DANIEL BÉDARD, J.C.Q. |
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Sa majesté la reine |
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Poursuivante |
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c. |
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Stéfanie Trudeau |
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Accusée |
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JUGEMENT |
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JB8273 |
[1] Le 27 octobre 2015 s’amorce le procès de madame Stéfanie Trudeau, qui fait face à l’accusation suivante :
 « 1. Le ou vers le 2 octobre 2012, à Montréal, district de Montréal, s’est livrée à des voies de fait contre Serge Lavoie, commettant ainsi l’acte punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévu à l’article 266b du Code criminel. »
[2] Il est à noter que l’accusation prise au départ par acte criminel est amendée le 12 décembre 2014. De plus, cette accusation est reliée à un incident dans lequel est impliquée madame Trudeau alors policière au SPVM.
[3] Cinq journées sont annoncées et utilisées pour le procès et la requête en arrêt des procédures, soit le 27 et 30 octobre de même que les 18, 19 et 20 novembre 2015.
[4] Afin de faciliter la compréhension, le Tribunal croit nécessaire de préciser la toile de fond de l’événement qui se déroule le 2 octobre 2012.
[5] Tout débute par une interpellation devant le 4381 Papineau : trois hommes sont devant l’immeuble près de la porte d’entrée, donc sur le trottoir, et l’un d’eux tient dans sa main une bouteille de bière.
[6] Celui qui est en possession d’une bière est Rudi Ochietti et les deux autres sont Simon Pagé et Serge Lavoie. Les deux policiers qui interpellent sont Stéfanie Trudeau, l’accusée, et son collègue Kevin Henry.
[7] L’événement qui débute à l’extérieur se poursuit à l’intérieur du 4381 Papineau d’où l’on fait sortir Simon Pagé et Serge Lavoie. Tout se termine par l’arrestation de Rudi Ochietti, Simon Pagé, Serge Lavoie et Karen Molina.
[8] Serge Lavoie et Simon Pagé sont amenés en cellule et y passent la nuit. Ils sont libérés le lendemain matin avec promesse de comparaître, alors que Rudi Ochietti et Karen Molina sont libérés sans être détenus en cellule, avec une citation à comparaître.
[9] Simon Pagé est accusé d’entrave et d’intimidation d’une personne associée au système de justice. Pour Serge Lavoie s’ajoute l’infraction de voies de fait sur un agent de la paix. Rudi Ochietti, en plus du constat remis en vertu du règlement municipal est, comme Karen Molina, accusé d’entrave. Serge Lavoie est aussi accusé de possession de marijuana, car lors de la procédure d’écrou on retrouve une petite quantité de marijuana dans sa poche de pantalon. Cette accusation est abandonnée le 16 octobre 2015.
[10] De tout ce qui précède ne découle qu’une seule et unique accusation, soit celle à laquelle fait face madame Trudeau, c’est-à -dire, une dénonciation faite sous serment le 21 mars 2014, soit près de dix-huit mois après l’événement. Aucune citation ou promesse remise aux quatre individus ne fut confirmée par une accusation avec la nuance pour l’accusation de possession de marijuana abandonnée le 16 octobre 2015, à l’égard de Serge Lavoie.
[11] Le dossier de madame Trudeau est traité par le DPCP alors que les dossiers des quatre individus sont traités par le procureur municipal.
[12] En lien avec l’accusation de voies de fait, la poursuite avance que le 2 octobre 2012 l’accusée n’a aucun motif pour arrêter Serge Lavoie et qu’elle commet alors des voies de fait.
[13] Si
le Tribunal conclut que Serge Lavoie entrave le travail de la policière et que
l’arrestation est légale, alors la force utilisée se situe au-delà de ce que
permet l’article
[14] La défense soutient qu’il y a entrave de la part de Serge Lavoie, que l’arrestation est justifiée et que la force utilisée, vu la résistance de Serge Lavoie, est nécessaire et proportionnée.
[15] En ce qui a trait à la requête en arrêt des procédures, la défense avance que le délai qui précède l’inculpation cause un préjudice injustifié à l’accusée mais surtout que ce délai s’explique et trouve son origine dans la conduite répréhensible et abusive de l’État, c’est-à -dire le ministère public.
[16] Plus précisément, le délai est dû aux tergiversations de l’État qui à compter du 2 octobre 2012 marchande l’obtention des déclarations de Serge Lavoie, Simon Pagé, Rudi Ochietti et Karen Molina en échange de l’abandon des poursuites à leur égard.
[17] Une deuxième requête en arrêt des procédures est déposée le 18 novembre 2015 vu le manquement de la poursuite relatif à la divulgation de la preuve. Le Tribunal y reviendra.
[18] La poursuite répond non seulement qu’il y a une absence complète de preuve quant à une conduite répréhensible de l’État, mais qu’en plus, si le Tribunal comprend bien, le seuil minimal pour procéder à l’examen d’une telle demande n’est pas atteint.
[19] D’autre part, pour ce qui est de la deuxième demande en arrêt des procédures, la poursuite concède une divulgation incomplète de la preuve et tel qu’explicité précédemment le Tribunal y reviendra.
A) Quant à l’accusation de voies de fait
[20] Pour décider si la preuve convainc hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusée, le Tribunal doit préalablement analyser les faits et gestes de l’accusée qui vont de l’interpellation de Rudi Ochietti jusqu’à l’arrestation de Serge Lavoie.
i) Est-ce que l’accusée agit dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’elle procède à l’interpellation et l’arrestation de Rudi Ochietti, interpellation qui débute par la séquence qui n’est pas filmée et qui se termine avec la séquence filmée lorsqu’il est arrêté;
ii) Si la réponse est positive, est-ce que Serge Lavoie entrave l’accusée lorsqu’elle interpelle et arrête Rudi Ochietti dans la séquence qui n’est pas filmée et par la suite lorsqu’il lui crie des grossièretés et tient des propos vulgaires à son égard, alors que l’accusée et son collègue sont au sol avec Rudi Ochietti et le menottent, tel qu’on le voit et entend dans la séquence filmée?
iii)
S’il y a entrave, est-ce que la force utilisée par l’accusée dépasse ce
qui est permis par l’article
iv) Si la réponse à la première question est négative et qu’il n’y a pas entrave ou voies de fait, est-il prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé commet des voies de fait?
[21] Pour les deux requêtes en arrêt des procédures, les questions sont les suivantes :
i) Considérant le contexte, notamment le délai de près de dix-huit mois pour porter une accusation, le Tribunal peut-il conclure qu’il y a suffisance minimale d’indices pour entreprendre un examen des circonstances desquelles origine le délai?
ii) Cet examen, le cas échant, fait-il ressortir de près ou de loin, une conduite répréhensible et abusive de l’État?
iii) Dans l’affirmative, le remède proposé par la défense, soit l’arrêt des procédures, est-il approprié?
[22] En début d’audition, l’accusée dépose une requête en arrêt des procédures et demande au Tribunal de traiter en premier lieu cette demande avant d’amorcer, le cas échéant, le procès. Ce que le Tribunal refuse pour les motifs qui suivent.
[23] L’arrêt des procédures est, selon les allégués de la requête, principalement justifié par la conduite abusive de l’État qui aurait marchandé l’abandon des accusations contre les quatre personnes en échange de leurs déclarations devant servir à accuser la policière Stefanie Trudeau.
[24] De plus, le délai préinculpatoire serait le résultat de tergiversations du Ministère public dont l’objectif était d’éviter tout recours en dommages de la part de l’accusée. Cette conduite abusive et répréhensible de l’État aurait eu pour effet de violer les droits constitutionnels de l’accusée garantis aux articles 7 et 11d) de la Charte.
[25] D’une
part, l’arrêt des procédures est le remède ultime et d’autre part lorsqu’il
repose, entre autres, sur la conduite abusive de l’État, il est prĂ©fĂ©rable, Ă
moins que l’abus soit manifeste et flagrant, de dĂ©buter le procès, quitte Ă
réévaluer la situation au fur et à mesure que se déroule le procès (voir
paragraphes 27 et 28 de R. c La
[26] Dans la présente affaire, le Tribunal est d’avis que le marchandage allégué est intimement lié aux faits survenus le 2 octobre 2012 entre l’accusée et les quatre personnes. Plus précisément, le Tribunal estime essentiel de déterminer si de près ou de loin, matière à marchandage existait, qu’il y en ait eu ou pas. Quand l’accusée avance que le Ministère public a abandonné ou n’a pas autorisé les plaintes contre les quatre personnes, c’est qu’elle croie que les faits démontrent qu’il y avait matière à porter plainte. D’où la prudence d’entendre le procès avant de procéder à l’audition de la requête en arrêt des procédures.
[27] Que l’État ait marchandé ou pas ou était-il justifié ou pas de le faire s’il l’a fait, n’est pas ce que recherche le Tribunal dans le procès. Ce que le Tribunal recherche dans la preuve c’est un air de vraisemblance, une assise factuelle à la prétention de l’accusée qu’il y avait matière à accuser les quatre individus, en lien avec le marchandage allégué dans la demande d’arrêt des procédures.
[28] Le Tribunal est d’avis qu’il est préférable d’entendre la totalité de la preuve avant de procéder sur la demande en arrêt des procédures, mais ajoute qu’il n’est pas impossible qu’il en soit autrement en fonction de ce que révèle la preuve en cours de route.
Revenons donc au procès pour le moment.
[29] La poursuite et la défense déposent en preuve le document P-1 signé par eux et intitulé « Admissions », document qui vaut tant pour le procès que pour la demande en arrêt des procédures.
[30] Essentiellement, ce document réfère aux faits que le Tribunal doit retenir pour avérer dans l’analyse de la preuve et qui se rapportent aux témoignages que livreraient les personnes suivantes si elles étaient présentes pour ce faire :
- Me Shachter, avocat de Serge Lavoie, Rudi Ochietti, Simon Pagé et Karen Molina à compter d’octobre 2012;
- Patrick Vilcéus, sergent-détective;
- Iad Hanna, agent enquĂŞteur;
- Me Francis Paradis, chef de la division du droit criminel de la Direction des poursuites pénales et criminelles de la Ville de Montréal;
- Ian Lafrenière, commandant responsable des communications et des relations avec les médias;
[31] Le Tribunal doit aussi considérer admissibles en preuve selon la pièce P-1, les vidéos suivants, tenant compte de leur authenticité et intégrité : vidéo et audio filmé par Yves Turgeon, vidéo et audio filmé par Serge Lavoie, vidéo et audio filmé par Karen Molina et les deux vidéos et audio filmés par Simon Pagé soit MOV0-1686 et MOV0-1687.
[32] Finalement, l’identification de l’accusée n’est pas contestée et c’est le 25 mars 2013 qu’est remis à la sergente-détective Michèle Beaudoin, par Radio Canada, le DVD, les vidéos et audio, incluant l’audio dont l’admissibilité est contestée.
[33] Demeurent donc selon les procureurs deux éléments contestés.
Premièrement, l’enregistrement vidéo et audio qui correspond au fichier 1688 qui apparaît sur la caméra de monsieur Simon Pagé.
Deuxièmement, la déclaration de l’accusée. Il n’est pas clair à ce stade s’il s’agit uniquement de son caractère libre et volontaire puisque l’accusée avance de plus, sans requête à l’appui, que ses droits garantis par l’article 11 de la Charte n’ont pas été respectés.
[34] Les parties s’entendent pour que la preuve à charge soit versée pour valoir dans la demande d’arrêt des procédures et que ce qui est mis en preuve dans le voir-dire de la requête soit versé dans le procès pour valoir en défense.
[35] Avant d’entendre le premier témoin, la défense et la poursuite s’entendent pour que le Tribunal regarde les enregistrements vidéo et audio.
[36] La vidéo et audio 1686 montre l’accusée qui neutralise Rudi Ochietti. Ce dernier est au sol, sur le trottoir près du muret situé entre les deux portes, face contre terre. L’accusée est en partie dessus et c’est à ce moment qu’avec l’aide de son collègue elle s’apprête à le menotter. C’est aussi à ce moment qu’elle se fait invectiver et traiter de « grosse vache et grosse niaiseuse ». Qu’on lui demande si c’est elle matricule 728. On la voit laisser monsieur Ochietti aux soins de son collègue et se diriger d’un pas rapide vers l’entrée, ouvrir la porte, monter les marches, arriver sur le palier à l’étage et tirer monsieur Lavoie par le bras.
[37] Dans la vidéo et audio 1687, toujours filmée par Simon Pagé, on a la scène dans l’escalier où l’accusée, après avoir agrippé Serge Lavoie, lui fait une encolure et l’emmène vers le bas de l’escalier, sur le palier du bas avec ce dernier. Elle crie qu’il est en état d’arrestation, que s’il continue elle va lui faire une autre encolure et qu’il va perdre conscience. On entend aussi l’accusée crier que tous seront accusés d’entrave.
[38] On l’entend dire qu’elle va l’étouffer, on conseille à monsieur Lavoie de se laisser faire. On crie à l’accusée d’arrêter de lui serrer le cou, qu’il va mourir. L’enregistrement se termine lorsqu’une personne dit d’aller ouvrir la porte sinon ils vont la défoncer. C’est dans cette séquence que Serge Lavoie lui demande de le laisser respirer. C’est aussi dans cette séquence que l’on voit l’accusée faire une deuxième encolure à Serge Lavoie.
[39] Dans l’enregistrement vidéo et audio 0.19 filmé par monsieur Turgeon, on voit l’accusée de dos, monter les marches pour aller chercher Serge Lavoie. Elle crie.
[40] Dans le vidéo MV183-63, on entend à 1 minute 09, Serge Lavoie dire « C’est-tu toé 728 » et « calme-toé la grosse »
[41] La vidéo de Karen Molina montre l’accusée avec Serge Lavoie au bas de l’escalier.
[42] Le Tribunal retient de ces vidéos et audio :
1- Tout l’événement est filmé à compter de la mise au sol de monsieur Rudi Ochietti, jusqu’au moment où on met les menottes à monsieur Serge Lavoie au bas de l’escalier, à l’entrée du local;
2- Il manque donc, si l’on peut s’exprimer ainsi, la première minute ou les premières secondes, c’est-à -dire, le début de l’interpellation de l’accusée auprès de Rudi Ochietti, alors qu’il est en compagnie de Serge Lavoie et Simon Pagé;
3- Tout ce qui est entendu, c’est-à -dire, les paroles, les cris et le ton, permettent de constater sans difficulté aucune, l’état d’esprit des uns et des autres. Aucune extrapolation n’est nécessaire, c’est manifestement évident.
[43] En ce qui a trait aux vidéos et audio, ce qui importe pour l’accusation c’est le moment à partir duquel l’accusée laisse Rudi Ochietti aux soins de son collègue et pénètre dans le local pour aller arrêter Serge Lavoie, jusqu’à sa sortie du local avec ce dernier. Ce que l’on voit et ce que l’on entend.
[44] Les parties s’entendent de plus pour que l’expert retenu par la défense assiste à toute l’audition.
[45] Le premier témoin de la poursuite est monsieur Rudi Ochietti. Âgé de 49 ans, il déclare être artiste et fréquenter le 4381 Papineau, local multidisciplinaire de rencontre pour une trentaine de personnes qui partagent leur art. Pour y être admis il faut connaître un membre. Il y a une trentaine de clefs en circulation. Ce local contient des espaces d’exposition. Au 2 octobre 2012 Simon Pagé y habite. On y retrouve toutes les commodités d’un logement.
[46] Donc, le 2 octobre 2012, suite à un souper chez son ex-conjointe où une bouteille de vin fut partagée entre quatre convives, monsieur Ochietti arrive au local entre 21:15 et 21:20 heures. Il ouvre une bouteille de bière et boit quelques gorgées. Il y a trois personnes sur place, dont monsieur Turgeon. Il se met au travail dans la partie du salon où se trouve la fenêtre qui donne sur la rue Papineau.
[47] Vers 21:30 ou 21:35 heures, il voit Simon Pagé qui s’amène sur le trottoir. Il ouvre la fenêtre, le salue et lui dit qu’il va venir lui ouvrir la porte. La porte principale du local, identifiée par le témoin, est munie d’une barre-panique.
[48]  Alors qu’il se tient dans l’ouverture, il constate que Simon Pagé regarde en direction de la rue Marianne et observe les manœuvres d’une remorqueuse. Il sort complètement pour voir et ce faisant il lâche la porte qui se referme. Simon Pagé possède une clef et peut donc ouvrir.
[49]  Mais à ce moment arrive en véhicule Serge Lavoie, qui baisse la vitre de la portière et Ochietti lui demande de venir ouvrir la porte.
[50] Serge Lavoie transporte son instrument, un petit amplificateur et un sac en bandoulière. Serge Lavoie entre ou s’apprête à entrer alors que Rudi Ochietti tient la porte.
[51] Il voit une policière arriver vers lui en criant. Elle arrive du côté nord. Il lâche la porte qui se referme à nouveau. Il est en possession de l’amplificateur, mais ne semble pas certain pour la bière. Il se rappelle ouvrir la porte et poser la bière sur une marche, comme il se rappelle regarder la remorqueuse alors qu’il a une bière dans la main.
[52] L’accusée lui demande son permis de conduire et ses autres papiers. Il lui demande pourquoi. Elle lui dit alors qu’il refuse de s’identifier. Alors, elle le prend par le collet, ce faisant déchire son vêtement et l’attire vers le trottoir. Elle lui demande s’il veut qu’elle le « crisse en dedans mon tabarnak ».
[53] Il a très peur et lui suggère de se rendre au poste de police. Elle lui dit alors qu’il résiste à son arrestation et il se retrouve au sol. Il se laisse faire et reçoit des coups de poing et de coude. On lui montre la vidéo et il se reconnaît. Selon lui, c’est Serge Lavoie qui demande à l’accusée si elle est matricule 728. Le soir du 2 octobre 2012, lui ne la reconnaît pas.
[54] Rudi Ochietti estime qu’il s’écoule approximativement une et deux minutes entre le moment où l’accusée l’interpelle et celui où il se retrouve au sol. À un moment donné l’accusée repart vers l’intérieur et lui demeure en présence de l’autre policier. Il se relève et dit à l’agent Kevin Henry qu’il doit bien se rendre compte que ce qui se passe n’est pas normal. L’agent lui dit de rester là , le pousse et il tombe assis sur le muret. À l’époque, tel que l’illustrent les photos, un muret se trouve entre les deux portes du local. Il est menotté, se lève et constate qu’il y a du grabuge dans l’escalier qui mène à l’étage du local. On peut le constater sur l’enregistrement vidéo et audio 1687 à 53 secondes.
[55] Il voit Serge Lavoie et l’accusée et il affirme que ce dernier ne se défend pas. Sur la vidéo il se reconnaît à quelques reprises dans l’embrasure de la porte au bas de l’escalier. À l’extérieur il y a Karen Molina, Fabienne Modika, conjointe de Lavoie et Kyle Morin.
[56] Plusieurs voitures de police arrivent et lui se retrouve dans un véhicule patrouille pendant 60 à 75 minutes. Éventuellement il quitte avec deux policiers à l’avant et s’informe de la procédure pour porter plainte. On lui répond qu’il y a des formulaires au poste. Il n’entre pas au poste de police. On lui remet un constat et ses effets personnels. Le constat est déposé sous la cote-P-6.
[57] Il affirme que le 2 octobre 2012, il prend peut-être quelques gorgées de sa bière. Il reconnaît la déclaration qui lui est montrée et ajoute qu’elle fut remise à son avocat. Il voulait se faire interroger, mais seulement en présence de son avocat, Me Schachter.
[58] Contre-interrogé, il confirme que le 2 octobre est un mardi. Il se rend au local de quatre à cinq fois par semaine. Le repas au cours duquel il consomme du vin a lieu chez son ex-épouse. Il ne peut expliquer ce que font les bouteilles de bière sur la table et qui apparaissent dans le vidéo ou qui les a bu. Il se rend à la porte avec sa bière.
[59] Lorsqu’il lâche la porte, Simon Pagé lui dit que ce n’est pas grave puisqu’il a une clef et c’est à ce moment que Serge Lavoie arrive.
[60] Il prend l’amplificateur et Serge Lavoie monte avec son instrument alors que Simon Pagé est toujours sur le trottoir. Il confirme qu’il n’y a aucune captation vidéo et audio pour la séquence qui va de son interpellation par l’accusée jusqu’au moment où il se retrouve au sol.
[61] Il ne se souvient pas que l’accusée l’avise qu’il lui est interdit d’avoir une bière ou de boire une bière sur le trottoir. Il ne sait pas qu’elle l’interpelle pour la bière. Selon lui, l’accusée lui crie après et saute sur lui.
[62]  Elle lui donne plusieurs coups de poing, de coude ou de pied. Son ami médecin prend des photos le lendemain de l’incident, mais il ne les a pas en sa possession. Elles sont dans son ordinateur.
[63] Il reconnaît sa déclaration écrite près de huit mois après l’incident. Elle est du 18 juin 2013 et il ne l’écrit pas d’un seul jet. Il confirme la réception du constat et d’une citation. Au sujet de sa déclaration, il a toujours été clair qu’il n’y aurait aucune déclaration à la police sans être en présence de leur avocat et ils ont toujours suivi les conseils de leur avocat.
[64] Six mois après l’incident, il a constaté l’absence d’accusations. Il est ramené à sa déclaration où il est écrit « après l’abandon des accusations ». À l’époque, il ne savait pas qu’il n’y avait pas d’accusations. Pour lui, l’avocat leur a toujours conseillé de ne pas faire de déclaration s’il y avait accusations. C’est son avocat qui leur apprend qu’il n’y aurait pas d’accusations. Plus précisément en mars 2013.
[65] Il y a confusion en ce qui a trait à une réunion avec l’avocat et ses amis. Au cours de cette réunion il n’est pas certain s’il y a contact avec l’enquêtrice Beaudoin. C’est à cette réunion qu’ils apprennent qu’ils peuvent faire une déclaration. Avant cette réunion l’enquêtrice tente, en se présentant à l’atelier, d’obtenir leurs déclarations et elle se fait répondre de transiger avec leur avocat. Il n’est pas certain si la réunion a lieu avant la décision prise de ne pas porter d’accusations. Il ne se souvient vraiment plus quand et comment il l’apprend. Sur les conseils de Me Schachter ils font tous leur déclaration séparément.
[66] Il n’y a à l’époque aucune discussion de stratégie entre eux en lien avec les déclarations.
[67] Le 2 octobre, il maintient ne pas savoir que l’accusée est matricule 728, mais oui il entend Serge Lavoie le demander alors qu’il est au sol. Suite à l’incident, son corps porte des marques, mais non, il ne saigne pas. Il maintient que l’accusée le malmène bien avant qu’il ne se retrouve au sol.
[68] Le deuxième témoin de la poursuite est Simon Pagé, musicien âgé de 32 ans. Le 2 octobre 2012 il habite le local 4381 et c’est encore le cas aujourd’hui. Il y a de vingt-cinq à trente personnes qui sont en possession d’une clef. C’est un local pour artistes multidisciplinaires.
[69] Le 2 octobre 2012 il revient du Théâtre de l’Esquisse. Il y donnait un cours de musique. Il est environ 21:30 heures quand il se pointe au local. Il est sobre, aucune drogue ou alcool. Il arrive avec sa contrebasse et son ami Rudi Ochietti l’avise par la fenêtre qu’il vient lui ouvrir la porte. Au coin de Marianne et Papineau il observe les manœuvres d’une remorqueuse ou fardier. Il ne sait pas si au moment où il dit à Rudi Ochietti de regarder si ce dernier est en possession d’une bière. Serge Lavoie arrive et c’est lui qui ouvre la porte et Rudi Ochiettiqui la tient.
[70] Il voit une policière arriver, il voit la voiture-patrouille au départ. Il entend « Eh! toé » d’un ton dirigiste. Il lui répond « Bonjour madame est-ce qu’on peut vous aider? Pour se faire répondre « Toé la ferme c’est pas à toé… ». Elle demande à Rudi Ochietti ses papiers, ce dernier lui demande pourquoi et elle lui répond qu’il refuse de collaborer.
[71] L’accusée prend Rudi Ochietti par la chemise et il tombe. Serge Lavoie intervient et l’accusée s’adresse à Lavoie. Simon Pagé attrape sa contrebasse, cours à l’étage et revient avec sa caméra et commence à filmer. Il évalue à environ une minute le temps qui s’écoule entre l’arrivée de l’accusée et le début de son film. Serge Lavoie apporte sa guitare à l’étage et revient lui aussi avec sa caméra.
[72] Pour la séquence qui n’est pas filmée, à aucun moment ne voit-il Serge Lavoie ou quelqu’un d’autre toucher la policière. Il revoit ses vidéos et audios et explique : le 2 octobre 2012 il ne sait pas que l’accusée est matricule 728. Pendant tout l’événement à l’extérieur il est à environ 3 mètres de l’accusée. C’est Serge Lavoie qui traite l’accusée de « grosse niaiseuse » pour se faire répondre par l’accusée « qu’il est mieux de s’effacer ».
[73] C’est lui qui dit à l’accusée qu’elle n’a pas le droit d’entrer et il affirme que Serge Lavoie ne résiste pas lorsque l’accusée l’agrippe à l’étage. C’est aussi lui qui dit à Serge Lavoie de se laisser faire. À un certain moment, lors de la séquence dans les marches, il filme, Serge Lavoie tombe sur lui et l’accusée est sur Lavoie. Il se dégage. Serge Lavoie demande à l’accusée de le laisser respirer.
[74] C’est lui qui dit d’aller ouvrir la porte principale et c’est par la suite qu’il se fait arrêter. Alors il lance sa caméra sur le plancher. Il demeure quinze minutes dans le véhicule patrouille, on lui dit pourquoi il est arrêté et il est transporté au centre opérationnel. On l’amène au comptoir puis on le met en cellule et c’est dans le corridor qu’il croise Serge Lavoie. Au cours de la nuit, alors qu’il est en cellule, il entend l’accusée parler et donner des instructions à Serge Lavoie. Le ton monte. Serge Lavoie ne veut pas et puis le ton redescend. Il est remis en liberté vers 9:30 heures le lendemain. On lui remet une promesse de comparaître.
[75]  A la sortie il retrouve son ami Serge Lavoie qui lui remet sa caméra. Il l’examine, constate que non seulement ce qu’il a filmé la veille s’y trouve toujours, mais qu’en plus, s’y trouve un autre fichier dont la durée est beaucoup plus longue. Il sait que ce n’est pas lui qui en est l’auteur.
[76] Il ne se souvient pas de sa déclaration comme telle et affirme n’avoir jamais parlé à un procureur de la Cour municipale. Il considère avoir été accusé pendant six mois.
[77] Contre-interrogé, on lui montre sa déclaration du 18 juin 2013, signée le 20 suivant. N’est-il pas exact qu’il a refusé de faire une déclaration tant que les accusations n’étaient pas abandonnées?
[78] A l’époque l’avocat leur conseille de ne donner aucune déclaration tant que leur situation demeurait la même. Il est seul lorsqu’il écrit sa déclaration et oui il a discuté des événements avec ses amis entre le 2 octobre 2012 et le 18 juin 2013.
[79] Presque quotidiennement, ajoute-t-il. Il ne se souvient pas avoir vu une bière dans la main de Rudi.
[80] Il se rappelle voir le véhicule patrouille et les deux policiers venir vers lui. Il est le plus près et il n’est pas certain à qui l’accusée s’adresse.
[81]  C’est alors qu’il lui demande s’il peut l’aider. Il maintient qu’elle demande à Rudi Ochietti ses papiers, qu’elle l’empoigne. Il la voit l’agripper par la chemise, le mettre au sol. Une partie du corps de l’accusée est sur son ami. C’est alors qu’il va chercher sa caméra. Il voit des coups par la bande.
[82] C’est Me Schachter qui leur explique le délai de six mois. Selon lui, lorsque la policière pénètre dans le local pour arrêter Serge Lavoie, cela se fait très vite et il est convaincu à ce moment qu’elle agit illégalement. Il entend, à deux reprises, la policière dire à Serge Lavoie de sortir à l’extérieur, mais Lavoie ne réagit pas, car selon lui, il n’a pas le temps.
[83] Serge Lavoie est à l’étage les bras en croix. Quand elle descend Lavoie, elle lui fait une encolure. Serge Lavoie est mauve selon le témoin. Il lui dit alors de se laisser faire, non parce qu’il se défend, mais parce qu’il est mauve et il pense que si Lavoie se laisse faire et que l’accusée l’entend, elle va arrêter. Serge Lavoie tombe sur lui et ce n’est pas parce qu’il s’interpose.
[84] Ce n’est pas la première fois qu’il filme les policiers. Il fait partie du mouvement "Copwatch“. Par exemple, lorsqu’il marche sur la rue et qu’il voit une intervention, il filme. Dans tous les cas, il ne constate aucune brutalité policière. Le 2 octobre 2012 il ne fait pas le lien entre l’accusée et matricule 728.
[85] Dans sa déclaration il affirme que dès qu’elle agrippe Ochietti, il monte à l’étage. Donc il n’est pas monté après l’avoir vu au sol. Il le voit tomber au sol, mais reconnaît que ce n’est pas écrit.
[86] Il reconnaît qu’il ne voit pas ce qui se passe entre le moment où il va chercher sa caméra et le moment où il revient. Il n’est pas terrorisé au point d’arrêter de filmer. Lors de l’arrestation de madame Molina, il est à l’étage. Lorsqu’il se fait arrêter, il se fait tordre le bras et on le prend par le fond de culotte, mais il ne se plaint pas!
[87] Il reconnaît que ce n’est pas l’accusée qui menotte son ami, malgré sa déclaration et reconnaît qu’il s’agit d’une contradiction. Il voit madame Molina se faire jeter au sol. On fait rejouer la vidéo et audio de monsieur Turgeon et le témoin constate que c’est l’autre agent qui menotte Serge Lavoie. Il se souvient de deux rencontres avec les enquêteurs du service interne et les procureurs.
[88] Durant l’incident, il affirme que lorsqu’on l’amène en prison il traverse une brève période de paranoïa et se voit mort.
[89] Le troisième témoin de la poursuite est monsieur Serge Lavoie. Âgé de 52 ans, il est musicien. Il ne se souvient pas de ses occupations le 2 octobre 2012. Il ne se souvient pas s’il consomme de l’alcool cette journée-là . Il arrive vers 21:40 heures, en provenance d’une répétition pendant laquelle aucun alcool ni aucune drogue ne sont consommés. Il arrive donc au local 4381 en véhicule. Il est membre, s’y retrouve souvent et y range ses instruments. Il voit alors Simon Pagé et Rudi Ochietti devant le local. Rudi lui demande la clef. Il sort son banjo, sa guitare, son amplificateur et son sac en bandoulière. Simon a sa contrebasse. Rudi a une bouteille de bière.
[90] Il ne monte pas à l’étage et il demande à Rudi de déposer sa bouteille de bière, car il entend crier et sait que c’est la police. Il fait le lien entre le cri et la bouteille de bière.
[91] Il est responsable du local, donc il sait pour l’interdiction de consommer de la bière sur le trottoir. Lorsqu’il entend le cri, il ne peut dire s’il s’agit d’une femme ou d’un homme. Il ne se souvient que des mots « Eh toé. ». Il remet son amplificateur à Rudi, ramasse la bière, monte à l’étage et pose la bouteille sur la table. Simon arrive en criant de prendre sa caméra. Il ne sait pas trop ce qui se passe. Il descend et commence immédiatement à filmer. Il voit son ami Rudi et son amplificateur sur le sol. On lui fait visionner la vidéo 8363 dans lequel il s’adresse à l’accusée et lui demande si c’est elle qui a « crissé » son amplificateur sur le sol et c’est par la suite qu’il l’invective, l’insulte et lui demande si elle est matricule 728. Il s’efface tel que demandé et se rend à l’étage avec son amplificateur.
[92] À l’extérieur ni lui ni Simon ne touchent à l’accusée et quant à Rudi, il ne résiste pas. Le témoin continue le visionnement. C’est son banjo qui est à l’étage près des marches. Lorsque la policière entre, la porte est fermée. Il sait qu’il va être arrêté, mais il ne pense pas qu’il va être sorti du local. Il tient la rampe, car il est en perte d’équilibre et il ajoute que les marches sont en pierre. Il est certain qu’il va mourir lorsqu’il se fait sortir du local. C’est lui qui demande à l’accusée de se calmer et qui lui dit qu’il étouffe. Il lui dit s’il vous plaît. Au bas de l’escalier, il se relève avec ses bras et affirme qu’ils ne sont pas « raides ». Une fois à l’extérieur il ne se souvient plus.
[93] Au moment où il demande à l’accusée si elle est matricule 728, il ne la reconnaît pas, c’est le lendemain, lorsqu’il quitte le centre opérationnel, qu’il apprend que c’est elle.
[94]  Alors qu’il est dans le véhicule patrouille sur place, l’accusée vient le voir et le tarabiscote et lui l’avise qu’il a peur d’elle. Il affirme qu’on tasse l’accusée et qu’on le place dans un autre véhicule patrouille avec deux policières qu’il décrit comme douces et calmes.
[95] Arrivé dans le garage au poste, il est accueilli par un policier qui lui dit « Encore des hosties de carrés rouges» et qui lui demande s’il s’est calmé. Il confirme que dans ses poches il y a ses pics de guitare et un peu de marijuana.
[96] Il lui semble qu’on le met en état d’arrestation. Au cours de la nuit, il parle à un avocat. L’accusée vient le voir alors qu’il est dans sa cellule, lui demande de se lever et signer un document qui atteste de sa possession de marijuana. Il lui dit qu’il veut parler à son avocat avant et elle se fâche.
[97] Il est remis en liberté le lendemain matin vers 09:30 heures. Il reconnaît la promesse de comparaître et les trois documents soit deux autres promesses et le document qu’il refuse de signer alors qu’il est en cellule. C’est à ce moment qu’on lui remet la caméra de Simon Pagé.
[98] Il ne se souvient pas d’avoir discuté avec un procureur de la poursuite et affirme que sa déclaration de juin 2013 est écrite alors qu’il est seul. Suite à l’incident, il ressent des douleurs au cou pendant quelques semaines, il a des bleus aux poignets et ses lunettes sont brisées.
[99] Comment a-t-il appris qu’il n’y avait pas d’accusations? Par l’enquêteur lui semble-t-il. Le 2 octobre 2012, il ne dort pas alors qu’il est transporté au poste, il se «répare» et profite de chaque instant.
[100] Contre-interrogé il affirme que le 2 octobre 2012 il ne consomme pas dans la journée et à la limite une ou deux bières s’il a travaillé en construction. Lors de sa répétition, il est certain qu’il ne consomme aucun alcool. Se souvient-il d’avoir cracher sur un policier alors qu’il est dans le véhicule patrouille? Jamais il ne crache sur un policier alors qu’il est dans le véhicule-patrouille.
[101] Il situe l’endroit sur les photos où il se stationne lors de son arrivée au local. Il affirme être responsable du bon fonctionnement de l’endroit. Il est courant pour l’interdiction de consommer de l’alcool dans un endroit public et il le tient de son père qui a fait carrière dans la police.
[102] Le 2 octobre 2012 sans voir la personne qui lui crie, il est certain que lorsqu’il entend « Eh toé », c’est la police et il presse Rudi de mettre sa bière à l’intérieur. Il ne voit pas les premières secondes de l’intervention. Alors que son ami Rudi est au sol avec la policière, il ne voit pas de coups de poing mais des coups de genou, oui.
[103] C’est leur avocat qui recommande de ne faire aucune déclaration. Il confirme que le 16 octobre 2015 la plainte pour possession de marijuana est retirée.
[104] Après le 2 octobre 2012, jamais les autorités ne promettent le retrait des plaintes.
[105]  L’amplificateur est muni d’une bandoulière et Rudi l’a sur l’épaule avant d’être mis au sol. On lui fait visionner le vidéo 8363 et le témoin affirme qu’il est à près de trois mètres de la policière et qu’il est près de la porte du local. Pourquoi crie-t-il alors qu’il est empoigné avec la policière? Pour tenter d’attirer son attention afin qu’elle cesse.
[106] Au cours de l’incident alors que l’accusée lui ordonne de sortir à l’extérieur, ce qu’il n’entend pas, il comprend qu’elle «disjoncte».
[107] Il préfère mettre son amplificateur à l’abri lorsqu’il monte les marches et que l’accusée le suit. Il ne se souvient pas s’être rendu au poste de police pour faire une déclaration. Il est certain d’avoir rencontrer les policiers et le procureur au moins une fois, peut-être deux. Pour une rencontre le 13 mars 2014, il ne se souvient pas. Il maintient que le 2 octobre 2012, il ne crache sur aucun policier. Dans sa cellule il ne dort pas, il médite.
[108] Avant de débuter le voir-dire quant à l’enregistrement vidéo et audio dont l’admissibilité est contestée, l’accusée annonce qu’elle ne conteste plus l’admissibilité de sa déclaration, c’est-à -dire son caractère libre et volontaire et le fait que ses droits constitutionnels sont respectés lorsqu’elle la fait. La poursuite déclare sa preuve à charge close.
[109] En ce qui a trait au voir-dire de l’enregistrement vidéo audio, il est déclaré admissible. (décision écrite au dossier)
[110] L’accusée demande alors de procéder sur la demande d’arrêt des procédures avant la défense, le cas échéant, d’autant plus qu’une nouvelle demande est déposée suite à ce qui suit :
- le 16 novembre 2015, l’avocat de la défense reçoit, suite à une communication téléphonique du 11 novembre 2015 avec la sergente/détective Beaudoin, 65 pages des notes personnelles (log d’enquête) qui sont à la base du précis, division des affaires internes et normes professionnelles, section des enquêtes spéciales;
- deux photos de monsieur Rudy Ochietti prisent le 3 octobre 2012 par son médecin et reçues par l’agente Beaudoin avant la fin 2012 mais qui ne sont pas remisent à la défense lors de la divulgation, c’est-à -dire avec les 11 volumes et 19 CD;
- la dernière version du rapport d’enquête, soit les cinq pages qui explicitent les démarches auprès de Radio Canada pour l’obtention d’une entrevue avec Madame Moreau et des enregistrements vidéo et audio.
[111] La poursuite concède l’absence de divulgation et reconnaît un manquement à ses obligations, mais ajoute du même souffle que monsieur Ochietti est disponible pour contre-interrogatoire d’une part et que d’autre part, les 65 pages sont des précisions techniques et des démarches administratives qui se retrouvent dans le précis remis à la défense. La poursuite ajoute qu’il y a absence de mauvaise foi et que le droit à une défense pleine et entière n’est pas en péril, considérant le contenu des 65 pages et des 5 autres pages.
[112] La défense renonce à interroger monsieur Ochietti et se dit prête à procéder sur sa demande d’arrêt des procédures.
[113] Tenant compte que la preuve à charge est complétée. Considérant que la défense le cas échéant n’est pas amorcée. Tenant compte de la renonciation à contre-interroger monsieur Ochietti et considérant que la sergente/détective Beaudoin est présente, le Tribunal décide de procéder à l’audition des deux demandes en arrêt des procédures.
[114] Le premier témoin entendu est la sergente/détective Michèle Beaudoin. Les rapports R-1 et R-2 sont déposés de même que les 65 pages sous R-3. Elle explique qu’elle est l’enquêtrice au dossier pour la plainte et responsable de la rédaction du précis alors que son collègue est responsable de la gestion de la preuve. Quant aux 65 pages, elles contiennent ses notes et constituent son log d’enquête. C’est purement administratif et cela sert de base à la confection du précis.
[115] Elle explique le caractère évolutif d’une enquête d’où la différence entre R-1 et R-2. Le rapport R-1 prend fin le 16 novembre 2012 et le rapport R-2 le 10 septembre 2013 par la transmission du dossier au MSP.
[116] Comme l’enquête fait suite entre autres à une allégation de madame Molina quant à un vol, des voies de fait et de la fabrication de preuve, lui a-t-on demandé de réorienter le dossier vers monsieur Lavoie? La réponse est négative.
[117] Parmi les innombrables questions posées au témoin, le Tribunal retient :
- jamais au cours de l’enquête ne communique-t-elle avec la poursuite;
- en tant que sergente/détective elle ne fait jamais de recommandations au DPCP;
- à plusieurs reprises elle et d’autres tentent d’obtenir les déclarations de Ochietti, Pagé, Lavoie et Molina;
- au cours de l’enquête elle ne communique jamais avec le procureur-chef municipal, Me Plouffe et elle n’a rien à voir avec la Cour municipale;
- jamais suite aux événements du 2 octobre 2012, une plainte n’est portée contre la policière Trudeau par les quatre individus.
[118] Le deuxième témoin est monsieur Kevin Henry, policier et collègue de travail de l’accusée le 2 octobre 2012. À cette date, il travaille comme policier depuis un peu plus de deux mois. Il est à bord du véhicule patrouille avec l’accusée et c’est lui qui conduit. Ce soir-là , priorité est donnée aux «opérations piétons» en relation avec le Code de la sécurité routière. Il débute son quart de travail vers 14:30 pour le terminer à 01:30 heure. Ils patrouillent le Plateau Mont-Royal au complet.
[119] Ils circulent sur Papineau direction nord et ils voient un homme avec une bière sur le trottoir. Monsieur Ochietti en l’occurrence. Il immobilise le véhicule, l’accusée sort avant lui et il la suit.
[120] L’accusée interpelle Ochietti et ce dernier refuse de s’identifier. Ils lui prennent chacun un bras et il se raidit après qu’il entend demander si l’accusée est matricule 728. Il se débat et son bras se lève vers le visage de l’accusée. Ils lui font une prise de contrôle articulaire. Il est mis au sol, on lui met un bras dans le dos et Ochietti garde l’autre bras sous lui. La policière avise monsieur Lavoie à plusieurs reprises de reculer. Des gens aux fenêtres crient.
[121] Étant demeuré sur le trottoir avec Ochietti, il décide de suivre sa collègue alors que Lavoie entre dans l’immeuble en courant. Arrivé à l’étage, il voit l’accusée tirer Lavoie par le bras.
[122] Lui il prend le bras droit pour faire un contrôle articulaire. Simon Pagé tire sur Lavoie pour le remonter à l’étage.
[123] C’est lui qui arrête madame Molina. À ce moment elle est au téléphone et ils la prennent par les bras, l’informe, elle résiste, ne veut pas mettre ses mains dans son dos. Elle est mise à genoux.
[124] Lorsqu’ils tirent Ochietti par les bras, il est « mou ». Quand Ochietti lève le bras, sa collègue risque de recevoir un coup de coude. Environ deux minutes sont nécessaires pour réussir à mettre les menottes à Ochietti.
[125] Il avance que les arguments et les invectives débutent avant que Rudi Ochietti ne soit mis au sol. C’est quand Ochietti réalise que l’accusée est matricule 728 qu’il commence à raidir. À l’étage, Lavoie résiste et tient la rampe et ses amis. Il crie, bégaye, dégage une odeur d’alcool et est agité. C’est lui qui demande de l’aide.
[126] Quand il demande de l’aide, il ne se sent pas en sécurité et perçoit qu’ils perdent le contrôle.
[127] Habituellement une interpellation de cette nature se termine par un avertissement après vérification de l’identité avec le CPRQ. Lavoie et Ochietti semblent avancés dans leur consommation d’alcool le 2 octobre 2012. Il a l’impression que Pagé prend Lavoie par le bras ou un vêtement.
[128] Contre-interrogé sur les notions apprises à l’école de police de Nicolet, il reconnaît l’importance d’un rapport précis, habituellement dans les heures qui suivent. Il sait qu’on doit s’inscrire au poste avant de quitter le véhicule patrouille, mais ils sortent si vite le 2 octobre 2012, qu’ils n’en ont pas le temps. Pourtant, il reconnaît que l’inscription est importante puisqu’elle permet de les localiser en tout temps lorsqu’ils quittent leur véhicule. Il s’agit d’une question de sécurité.
[129] Ils voient que les trois personnes se dirigent vers la porte alors ils font vite. L’accusée sort du véhicule d’un pas rapide. C’est à l’accusée que revenait la responsabilité de s’inscrire.
[130] Le ton de l’accusée lui semble normal et il ne se souvient pas des paroles exactes, mais elle ne crie pas car il s’en souviendrait.
[131] L’accusée demande à Ochietti de s’identifier et ce dernier lui demande pourquoi alors qu’elle vient de le faire. Lorsqu’elle sort du véhicule, elle marche vers Ochietti et ce dernier se sauve lorsqu’il les voit. Alors, ne tente-t-il pas de s’enfuir? Il s’apprête à entrer selon le témoin.
[132] Que se passe-t-il avant que lui et sa collègue ne le prennent par les bras. Il y a le premier commentaire fait à l’égard de sa collègue au sujet de matricule 728 et là Ochietti commence à se raidir.
[133] Dans son rapport il écrit que Rudi Ochietti fait un mouvement pour donner un coup de coude alors qu’aujourd’hui il parle d’un mouvement s’apparentant à un coup de coude. L’accusée fait des gestes pour éloigner les individus, mais le moment semble différer aujourd’hui.
[134] Si quelqu’un l’avait touché lui ou sa collègue, ce serait noté dans son rapport, lui demande-t-on? Oui, s’il l’avait vu.
[135] Le 2 octobre 2012, il ne voit pas Pagé s’interposer à l’arrestation de Lavoie à l’étage. Il ne voit pas les coups de pied donnés par Lavoie à l’accusée. À la deuxième tentative pour sortir pour appeler à l’aide, cela se fait facilement. Il affirme que Lavoie tente de s’enfuir lorsqu’ils le menottent au bas de l’escalier.
[136] Comment explique-t-il que lorsque Lavoie réussit à se lever à l’aide de sa main, au bas de l’escalier, une autre encolure lui est faite par l’accusée? Lui, il constate que Lavoie continue de résister.
[137] Il affirme que lorsqu’il a dit en interrogatoire que Pagé a tiré le bras de Lavoie, c’est son interprétation reconnaît-il.
[138] Le troisième témoin est Pierre Guèvremont, policier retraité, mais superviseur du poste 38 le 2 octobre 2012. Il arrive sur les lieux suite à l’appel de l’agent Henry, discute avec l’accusée et tel qu’annoncé sur les ondes, il prend le commandement de la scène et gère ce qui s’y passe. L’accusée l’informe qu’elle a été reconnue et lui avise le sergent détective. La décision est prise d’amener les individus au centre d’enquête nord, là ou il y a des cellules.
[139] Pour lui il est évident qu’une enquête s’impose, on a reconnu l’accusée. Les policiers qui arrêtent ne sont pas ceux qui transportent les individus au poste. C’est sa manière de faire.
[140] Il s’approche du véhicule patrouille de l’accusée, voit Lavoie qui a les yeux vitreux. Il donne l’ordre de le changer de véhicule et il perçoit une odeur d’alcool. Il demande à Lavoie s’il est correct et ce dernier ne répond pas. Il est avisé que la caméra est récupérée.
[141] Il communique avec son commandant car il sait dès lors que l’affaire sera médiatisée. Il retourne au poste et ne fait pas de rapport.
[142] Contre-interrogé, on lui montre sa déclaration et s’il reconnaît sa signature il ajoute immédiatement que ce n’est pas lui qui l’a écrit.
[143] Les enquêteurs des affaires internes ne sont pas ses amis, alors il répond aux questions et n’élabore aucunement.
[144] Aujourd’hui il affirme que Lavoie est en état d’ébriété le 2 octobre Il ne dit pas dans sa déclaration que Lavoie est accoté, a les yeux vitreux, la bouche ouverte. Encore une fois, il ne répond qu’aux questions de l’enquêteur, il n’élabore pas.
[145] Est-ce que l’accusée est une amie personnelle? La réponse vient difficilement. À l’époque il est plus proche d’elle car elle est agent senior. À deux ou trois reprises après le 2 octobre 2012, il soupe chez elle.
[146] Le quatrième témoin est le policier Alain Chauvette. Le 2 octobre 2012, lorsqu’il arrive sur les lieux, il y a déjà des véhicules patrouille sur place.
[147] Une dame sort de l’immeuble et se dirige vers un véhicule dans lequel se trouve Lavoie. Le détenu est à l’arrière, côté passager. Il lui semble calme. L’agent ouvre la porte et la furie totale s’empare de Lavoie. Il veut lui cracher dessus et l’engueule. Il dépose donc les lunettes de Serge Lavoie sur le tableau de bord. Le témoin n’est pas contre-interrogé.
[148] Le cinquième témoin est l’agente Joannie Deschênes. Le 2 octobre elle patrouille avec sa collègue Annie Mercier. Ce sont elles qui transportent Lavoie au poste. Lavoie est amené par deux policiers après la fouille. Avant qu’elles ne quittent les lieux avec le détenu, ce dernier est agité, agressif et gesticule.
[149] Pendant le transport, il dort, très intoxiqué selon elle et il dégage une forte odeur d’alcool. À trois reprises elle s’adresse à lui, car elle trouve cela inquiétant qu’il dorme. Elle n’obtient pas de réponse et conclut qu’il est très intoxiqué. Arrivé au poste il est immédiatement placé en cellule car il commence à s’agiter.
[150] Aucune blessure n’est notée dans son rapport, car il n’y en a pas selon ses constats.
[151] Contre-interrogée elle affirme qu’elle doit le toucher très fort pour qu’il réagisse, après ses trois tentatives infructueuses. Pour elle, il est très intoxiqué.
[152] Elle ne mentionne pas dans sa déclaration aux enquêteurs que Lavoie est agressif au début et lors de son arrivée au poste comme elle ne mentionne pas la question de la très forte intoxication. «C’est une omission et non de la mauvaise foi» répond-elle. Lors de sa déclaration elle débute sa carrière et est très stressée par les enquêteurs des affaires internes.
[153] Le sixième témoin est l’agente Annie Mercier, agente senior le 2 octobre 2012 au poste 38. Elle confirme le témoignage du témoin précédent. C’est elle qui conduit. Elle regarde Lavoie dans le rétroviseur et il est évaché et dégage une odeur d’alcool. Il ne bouge pas et émet un grognement lorsqu’elle s’adresse à lui.
[154] Pour elle, c’est évident : Lavoie est intoxiqué.
[155] Le septième témoin est le sergent détective Annie Destrempe. C’est elle qui détaille les infractions sur les citations à comparaître pour messieurs Pagé et Lavoie (P-6 et P-7) et c’est elle à qui on demande de les contacter pour les aviser de ne pas se présenter le 17 octobre 2012.
[156] Voilà pour l’essentiel des faits retenus par le Tribunal.
[157] Tous ces témoignages sont versés pour valoir en défense.
[158] Le Tribunal prend la requête en délibéré
[159] En défense l’accusée témoigne. Policière retraitée, elle n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions de policière, et ce après 18 ans de service.
[160] Sa carrière a pris une tournure négative après l’incident du 20 mai 2012, lors des manifestations étudiantes où elle fut filmée en train d’utiliser de poivre de Cayenne. À partir de ce jour elle est devenue matricule 728. Elle continue de travailler suite à l’incident et le 22 mai suivant, lors d’une intervention dans un appartement suite à une plainte de voisinage pour bruit, elle remet un constat.
[161] On la reconnaît et on l’associe au nom sur le constat. On lui dit alors qu’on va l’avoir à l’usure. Suite à cela, les médias sociaux se sont enflammés et la cyber intimidation débute. Des T-shirts, des tasses et des affiches lors des manifestations la ciblent. Elle arrête de travailler après le 22 mai jusqu’au début septembre.
[162] Le bureau médical confirme son retour au travail après cette période et elle rencontre les superviseurs Guèvremont et Bélanger.
[163] On la remet sur la patrouille et elle demande de travailler avec un collègue d’expérience afin de diminuer la pression, même si elle est agent senior et à ce titre assure la formation des débutants.
[164] Après un mois, on la reconnaît encore mais aucun problème ou incident ne survient.
[165] On la jumèle donc avec le policier Kevin Henry, avec lequel elle travaille le 2 octobre 2012 à «l’opération piétons».
[166]  Des avertissements en début de mois et des constats en fin de mois. Avant l’incident ils en sont à une trentaine de constats remis à des piétons. Sans incident, même si les piétons sont souvent récalcitrants ou arrogants lorsqu’interpellés dans ce genre de situation. Habituellement le piéton est interpellé et son identité est vérifiée avec le CRPQ.
[167] En tournant sur Papineau, direction nord, elle voit trois personnes sur le trottoir dont une avec une bière à la main. Elle dit à son collègue de se stationner car l’individu va être interpellé, avisé et enjoint de vider sa bouteille. Habituellement dit-elle, on les identifie, leur donne un avertissement et s’ils collaborent, on leur donne une chance.
[168] Donc elle sort du véhicule de manière normale et marche vers les trois personnes. Elle les voit qui se dirigent vers la porte ouverte et elle accélère le pas. Elle lui dit qu’il n’a pas le droit de consommer l’alcool sur le trottoir et lui demande de s’identifier. Pagé et Lavoie commencent alors à argumenter lui disant qu’elle n’a pas à les arrêter ou les interpeller.
[169] Elle leur répond de demeurer à l’écart sinon cela sera considéré comme une entrave. Lavoie et Pagé prennent Ochietti par les bras et l’accusée et son collègue font de même. Elle leur dit de le lâcher sinon il y a entrave et ils obtempèrent.
[170] Ils disent alors à Ochietti de ne pas s’identifier, car «c’est la grosse chienne». Alors Ochietti se raidit, fait un mouvement de bras et elle recule pour l’éviter. Elle avise alors son collègue qu’ils vont le mettre au sol ce sera plus facile.
[171] Au sol, elle n’est pas capable de lui passer les menottes, car Lavoie est dans son dos, face à la porte. Elle ne s’est jamais sentie aussi haïe qu’à ce moment. Elle est insultée, traitée de grosse vache et on lui crie après. Elle tente de repousser Lavoie, car il est trop proche.
[172] Elle doit alors le repousser et utilise ses deux mains pour lui pousser sur le ventre. À ce moment Ochietti met son bras sous son ventre et elle doit alors faire un levier. Elle veut que Lavoie dégage.
[173] Elle pense utiliser le poivre de Cayenne, mais ne le fait pas à cause de l’incident du 20 mai. Quand elle pousse Lavoie avec ses deux mains, il se dirige alors vers la porte. Deux à trois minutes sont nécessaires pour neutraliser Ochietti et il est évident, dit-elle, qu’elle va arrêter Lavoie pour entrave, lui qui à ce moment se sauve dans l’escalier.
[174] Quand elle arrive à l’étage, Lavoie est à gauche et il ne veut pas sortir comme elle lui demande. Elle réussit à lui prendre le bras et elle tire très fort. Ce dernier s’accroche à la rampe. À deux, elle et son collègue, ils réussissent à lui faire lâcher la rampe. Lavoie lui donne deux coups de pieds sur les tibias. Incapable de l’arrêter à l’étage, car c’est trop dangereux elle fait donc une encolure pour arriver à ses fins.
[175] Elle connaît les trois niveaux d’encolure et en 18 ans de carrière, elle en a fait plusieurs. Dans ce cas-ci, elle est mal placée lors de l’arrestation et c’est plus une prise de cou qu’une encolure. À chaque fois qu’elle relâche un peu son emprise, il recommence à résister.
[176] À aucun moment ne reste-t-il stable. Au bas de l’escalier, son collègue lui passe les menottes. Lavoie est fouillé, les menottes sont vérifiées et on le sort.
[177] Elle ne s’inscrit pas avant de sortir du véhicule, car la situation est très banale.
[178] Comme les trois tentent de se sauver, elle et son collègue n’ont guère le choix, ils accélèrent le pas. Elle est à bout suite à l’arrestation. Ils sont encerclés et elle est ciblée.
[179] C’est suite à une discussion avec ses supérieurs que la décision est prise d’arrêter Pagé et Lavoie et de ne pas procéder par voie de citation à comparaître comme c’est le cas habituellement.
[180] Quant à Ochietti, on lui remet un constat en vertu du règlement municipal. Madame Molina est celle qui traverse la rue, filme, crie et se retrouve au bas de l’escalier.
[181] Pour ce qui est de Pagé, dès le départ il essaie de faire entrer Ochietti dans l’immeuble. Il est dans son dos, dans sa bulle et trop près de ses armes. Il nuit à son travail d’où l’entrave.
[182] Contre-interrogée, elle confirme que l’incident du 20 mai 2012 l’affecte encore lorsqu’elle retourne au travail après une absence de trois mois. Elle ne veut pas revenir et craint les représailles. Se faire attaquer comme policier et se faire attaquer personnellement n’implique pas le même niveau de tolérance de sa part, si le Tribunal comprend bien le sens de la réponse.
[183] Lorsqu’ils sortent du véhicule c’est pour faire cesser l’infraction. Elle procède toujours à l’identification en utilisant le CRPQ.
[184] Pourquoi dans ce cas ne pas le laisser entrer puisque cela signifie la fin de l’infraction? Parce qu’il y a matière à interpellation et identification.
[185] Selon l’accusée, Ochietti est plus ou moins «dans les vaps» lorsqu’interpellé. Elle verbalise en marchant vers les trois individus et nie adopter un ton autoritaire. Elle ne travaille pas dans un CPE mais cela dit, elle nie interpeller en commençant par « Eh toé! ».
[186] Ce soir-là tout ce qu’elle appréhende depuis son retour au travail se produit et elle sait que sa carrière est terminée dix secondes tout au plus avant qu’ils ne commencent à l’invectiver.
[187] Dans son rapport elle écrit que Rudi Ochietti lui donne un coup de coude alors qu’aujourd’hui elle n’est pas certaine. Peut-elle expliquer? Elle ne sait pas si c’est intentionnel ou pas.
[188] Dans son rapport elle écrit qu’on l’appelle matricule 728 dans le film mais aujourd’hui elle affirme que les noms commencent avant la séquence. L’accusée répond que la séquence peut-être différente suite au « décantage » qui se produit par la suite. L’accusée ajoute que lorsqu’elle parle à sa conjointe au téléphone, on l’entend bien lui dire que les invectives arrivent même pas dix secondes après le début de l’interpellation.
[189] On lui montre la vidéo lorsqu’elle et son collègue neutralisent Ochietti au sol. Elle affirme devoir pousser Pagé. On ne voit pas.
[190] Lorsqu’Ochietti est au sol, elle se sent déplacée vers l’arrière. Alors que précédemment elle déclare qu’ils ont tiré sur sa veste. C’est son impression répond-elle. Pourtant lui fait remarquer le procureur en la référant à son livre, elle dit bien qu’ils ont tiré sur sa veste. De plus jamais n’a-t-elle écrit cela dans son rapport, lui fait remarquer le procureur.
[191] Elle affirme qu’elle voit quelqu’un tirer sur la veste de son collègue. Le procureur attire son attention sur les différences importantes entre son témoignage, son livre et son rapport.
[192] C’est exact que Lavoie obtempère lorsqu’elle lui dit de s’effacer, mais pas les fois avant, donc entrave. Pourquoi se lève-t-elle immédiatement pour laisser son collègue seul avec Ochietti? Ce n’est plus nécessaire d’être deux policiers, car Ochietti est maîtrisé.
[193] Pourquoi s’il y a des gens aux fenêtres et que le milieu est hostile, entre-t-elle dans le local? Parce qu’elle ne sait pas à ce moment qu’il s’agit du même local.
[194] Compte tenu du contexte, ne peut-on pas affirmer que le 2 octobre 2012, elle ne se maitrise plus? L’accusée répond par la négative.
[195] Ne lui a-t-on pas appris qu’on n’entre pas seule dans un milieu hostile? L’accusée n’est pas d’accord. Peut-être agirait-elle autrement aujourd'hui, mais à l’époque elle agit différemment.
[196] Pourquoi ne pas attendre les renforts avant de poursuivre à l’intérieur? « Trop tard »répond l’accusée.
[197] Elle reçoit des coups de pied de Lavoie alors qu’elle s’apprête ou commence la descente dans l’escalier. Est-ce intentionnel? « Le juge décidera répond-t-elle ».
[198]  On lui fait regarder la portion de la vidéo où rendue dans le bas de l’escalier Lavoie se lève en se servant de son bras qu’il pose sur la marche. Pourquoi lui refait-elle une encolure? Parce qu’il recommence à résister selon l’accusée.
[199] Il n’y pas de règlement municipal en ce qui a trait aux invectives, seulement pour les injures, les blasphèmes et les propos indécents, apprend-on.
[200] Le dernier témoin est monsieur Éric Leblanc, dont la spécialité est dans les techniques de l’emploi de la force, incluant on l’aura deviné, la technique de contrôle par l’encolure. Les parties reconnaissent la qualité d’expert du témoin, mais le Tribunal demande tout de même que le témoin soit interrogé sur ses compétences et qualifications malgré le dépôt de son curriculum vitae.
[201] Dans le présent dossier, le mandat qui lui est confié est d’analyser la technique d’encolure utilisée par l’accusée le 2 octobre 2012. Ceci dans un contexte où toutes les vidéo et audio sont à sa connaissance de même que toute la preuve divulguée à la défense soit les 11 volumes et 19 CD.
[202] Le Tribunal retient de ce témoignage que la technique de l’encolure correspond à un contrôle physique puissant. Le premier niveau vise à limiter la liberté de mouvement de l’individu alors que le deuxième niveau vise la soumission par la douleur. Le dernier niveau a pour objectif la dysfonction motrice par la perte de conscience.
[203] L’expert, si le Tribunal comprend bien, est d’avis avec sa vision globale de la situation, que l’accusée, alors qu’elle est au sol avec Rudi Ochietti, n’est pas dans une position sécuritaire, car elle doit surveiller ses arrières et donc n’est pas complètement concentrée sur ce qu’elle fait et par la suite ce qu’elle fait résulte de la résistance de Serge Lavoie.
[204] Le Tribunal tient à préciser que la deuxième requête en arrêt des procédures fait état du manquement de la poursuite à son obligation de divulgation de tous les faits pertinents. Cela ajoute si l’on peut s’exprimer ainsi et selon la défense, à la conduite répréhensible et abusive de l’État.
[205] Or d’une part la poursuite concède dès le début le manquement, mais ajoute l’absence de mauvaise foi. En ce qui a trait aux photos de Rudi Ochietti, elle rend disponible le témoin pour interrogatoire par la défense et cette dernière y renonce. Pour ce qui est des 65 pages qui constituent le log d’enquête à la base des précis et les 5 autres pages additionnelles du précis, madame Beaudoin qui en est l’auteure est disponible pour contre-interrogatoire, ce qui est accepté par la défense.
[206] L’analyse du Tribunal permet de conclure que cette divulgation tardive qui a lieu le 16 novembre 2015 suite à une communication téléphonique du 11 novembre précédent entre la sergente détective Michèle Beaudoin et Me Rancourt ne compromet nullement l’équité du procès de l’accusée, n’empêche nullement une défense pleine et entière et ne mine en rien l’intégrité du système pour les motifs qui suivent :
a)  Il y a renonciation à contre-interroger monsieur Ochietti alors qu’il est disponible et l’explication pour le retard fourni par la sergente détective Michèle Beaudoin, ne laisse poindre ni de près ni de loin, une conduite vexatoire ou intentionnelle;
b)  Quant au log d’enquête de 65 pages transmis en 2 temps, l’interrogatoire de l’enquêtrice Beaudoin démontre clairement et sans équivoque qu’il s’agit des notes de nature administrative qui relatent les démarches accomplies et qui constituent la base de ce que l’on retrouve dans les précis d’enquête, mis à part quelques informations qui sont soient absentes, sans conséquence ou colligées différemment;
c)  Le deuxième précis est une réplique du premier avec quelques pages additionnelles pour tenir compte des démarches effectuées après la dernière date pour laquelle il y a une entrée dans le premier précis transmis lui lors de la divulgation de la preuve, soit les 11 volumes et 19 CD.
[207] Ce qui précède explique pourquoi le Tribunal procède à l’audition des requêtes le 18 novembre 2015, avant d’amorcer la défense, plus spécifiquement le témoignage de l’accusée, le cas échéant.
[208] Le Tribunal doit s’assurer que le contenu de ce qui est divulgué le 16 novembre 2015 ne met pas en péril l’équité du procès de l’accusée ou l’intégrité du système.
[209] L’examen des documents déposés (R-1, R-2, R-3a et R-3b) et le contre-interrogatoire de l’enquêtrice sur ces documents ne font ressortir aucune conduite ou information qui met en péril l’équité du procès ou l’intégrité du système. Eut été le cas, un délai additionnel aurait été octroyé à l’accusée et non un arrêt des procédures, ne s’agissant pas d’un cas extrême, comme le requiert la doctrine et la jurisprudence.
[210]  Ce faisant, pour une saine administration de la justice, le Tribunal décide le 18 novembre 2015 de procéder sur la première requête en arrêt des procédures.
[211] Pour faciliter une meilleure compréhension, voici la chronologie des évènements:
- 2 octobre 2012: événement au 4381 Papineau;
- 15 octobre 2012: début de l’enquête de la division des affaires internes et      normes professionnelles du SPVM suite à des allégations de fabrication de      preuve, de vol et de voies de fait à l’encontre de l’accusée et son collègue Kevin          Henry;
- 16 novembre 2012: demande d’intenter des procédures;
- 22 novembre 2012: ordonnance de communication enjoignant à Radio-Canada        de remettre le matériel vidéo et audio en sa possession;
- 18 décembre 2012: contestation par Radio Canada de l’ordonnance;
- 10 septembre 2013: transmission du dossier au MSP;
- 20 mars 2013: ordonnance de la Cour supérieure enjoignant à Radio-Canada            la remise partielle de l’entrevue de madame Moreau et l’intégralité des autres      vidéos et audio;
- 27 mars 2013: Me Paradis, procureur à la Cour municipale, avise Me Schachter qu’aucune accusation ne sera portée contre ses clients Rudi Ochietti, Simon Pagé, Karen Molina et Serge Lavoie;
- 21 juin 2013: transmission des déclarations des quatre individus au SPVM;
- 21 mars 2014: dénonciation assermentée et sommation pour le 6 mai 2014;
- 12 décembre 2014: amendement de la dénonciation afin que l’accusation par           acte criminel soit traitée par voie sommaire.
[212] La majorité de ces informations proviennent de la Pièce P-1 déposée en début d’audition le 27 octobre 2015 et des allégués de la requête en arrêt des procédures.
[213] Selon la prétention de l’accusée, la conduite répréhensible et abusive du Ministère public s’explique comme suit aux allégués 34, 35 et 36 de la requête :
 «34- Désirant à tout prix porter des accusations à l’égard de votre requérante, le Ministère public a choisi d’accepter de répondre aux exigences de quatre individus, qui en attente de procédures judiciaires à leur égard, ont tenté de faire du chantage quant à toute déclaration qu’ils pourraient fournir en échange d’être blanchis de toutes les accusations possibles.»
«35- Nous vous soumettons respectueusement qu’en choisissant de formellement laisser tomber les accusations contre Serge Lavoie, Simon Pagé, Karen Molina et Rudi Ochietti en mars 2013, le Ministère public a choisi de faire du marchandage d’accusations criminelles.»
«36- Nous vous soumettons qu’on ne peut accepter que l’État participe à un tel stratagème douteux.»
[214] L’accusée avance que
la conduite répréhensible et abusive de l’État constitue un abus de procédure
qui fait partie de la deuxième catégorie, c’est-à -dire la catégorie où la
conduite représente un risque de miner l’intégrité du processus judiciaire, la
catégorie dite résiduelle (R. c. Babos
[215] Au paragraphe 35, la Cour suprême écrit :
«Par contre, lorsque la catégorie résiduelle est invoquée, il s’agit de savoir si l’État a adopté une conduite choquant le sens du franc-jeu et de la décence de la société et si la tenue d’un procès serait préjudiciable à l’intégrité du système de justice. Pour dire les choses plus simplement, il y a des limites au genre de conduite que la société tolère dans la poursuite des infractions. Parfois, la conduite de l’État est si troublante que la tenue d’un procès- même un procès équitable -donnera l’impression que le système de justice cautionne une conduite heurtant le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société, et cela porte préjudice à l’intégrité du système de justice. Dans ce genre d’affaires, la première étape du test est franchie »
[216] Il faut donc franchir cette première étape avant de penser à une réparation autre que l’arrêt des procédures et si l’arrêt apparaît comme la solution, alors doit s’opérer une mise en balance en utilisant différents paramètres.
[217] Or ici la défense doit donc avant tout faire la démonstration de la conduite de l’État, ce qui correspond à la première étape.
[218] Qu’en est-il?
[219] La démonstration du caractère répréhensible de la conduite de l’État doit se faire par la mise en preuve des circonstances, faits, gestes et décisions, qui permettent de caractériser et qualifier cette conduite. La défense avance le délai de dix-huit mois et relie ce délai à ceux qui exercent le pouvoir décisionnel, en l’occurrence le procureur municipal responsable des dossiers de Ochietti, Pagé, Lavoie et Molina et le DPCP, responsable du dossier de l’accusée.
[220] Pourquoi le procureur municipal attend-il pour décider? La même question se pose pour le DPCP? Est-ce en partie dû à la médiatisation? L’enquête en vertu de la Loi sur la police? Attend-on d’avoir tout le matériel de Radio-Canada? Pourquoi de si nombreuses tentatives pour obtenir les déclarations de Ochietti, Pagé, Molina et Lavoie? Quelle est la relation et l’interaction entre ces différentes questions? Le délai est-il lié à la médiatisation de l’incident? Soupçonne-t-on l’intervention politique?
[221] Ces questions servent d’exemple pour illustrer ce que la défense doit mettre en preuve. Elles ne sont certainement pas limitatives.
[222] Dès le début du procès, la poursuite et la défense déposent la pièce P-1. Cette pièce vaut témoignage pour toutes les personnes qui y sont énumérées.
[223] Rien dans ce document ne vient alimenter de près ou de loin un marchandage de l’État ou du Ministère public. Me Schachter affirme essentiellement que dès le départ il conseille à ses clients de ne faire aucune déclaration tant que leur statut, à savoir témoins ou accusés, n’est pas déterminé par le procureur municipal. Ce qui est cohérent et logique.
[224] Me Paradis, chef de la division du droit criminel de la Direction des poursuites pénales à la Ville de Montréal affirme qu’il avise Me Schachter le 27 mars 2013 et Me Rancourt le 12 avril de la même année qu’aucune accusation n’est portée contre Pagé, Lavoie, Molina et Ochietti. Il n’explique pas pourquoi un tel délai et il n’est pas assigné par la défense pour répondre aux questions sur les circonstances entourant ce délai.
[225] Le commandant Ian Lafrenière n’est pas assigné pour expliquer le sens de sa déclaration lors d’une entrevue à Radio-Canada.
[226] Si l’on comprend bien la thèse de la défense, elle prétend que le délai pris par le DPCP pour accuser Madame Trudeau, de même que celui pris par le poursuivant municipal pour ne pas accuser les quatre protagonistes n’est pas anodin et milite en faveur de tergiversations et marchandage, puisque la décision de l’un le 27 mars 2013 permet au DPCP d’obtenir les quatre déclarations et d’asseoir son accusation contre la policière.
[227] Dans l’affaire R.
c. Nixon
[228] Au paragraphe 60, la Cour suprême écrit :
«Avant de discuter du bien-fondé de la demande, je veux traiter d’une question préliminaire importante. Comme il a déjà été mentionné, le PGCB est intervenu dans le présent pourvoi pour insister sur l’importance que les cours de juridiction criminelle s’abstiennent de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite avant d’avoir d’abord pris la «décision préliminaire» que l’examen est justifié. Je suis d’accord que les tribunaux ne doivent pas examiner les motifs qui sous-tendent les actes résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites s’ils ne peuvent s’appuyer sur une preuve suffisante.»
[229] Dans cette affaire la Cour conclut que la répudiation par la poursuite d’une entente sur le plaidoyer satisfait le critère de la décision préliminaire et justifie l’examen des circonstances entourant la répudiation.
[230] Ici, c’est le délai de dix-huit mois, le fait que l’accusation est portée après l’obtention des déclarations et l’absence d’accusations à l’égard des quatre individus qui amène la thèse de la défense.
[231] Or, le délai
préinculpatoire n’est pas à lui seul générateur d’une justification menant à un
arrêt des procédures. Dans l’affaire Lepage c. R
 «21. Tout d’abord, le délai préinculpatoire, en lui-même, n’est pas suffisant pour justifier un arrêt des procédures, à moins que l’accusé n’établisse un préjudice réel dû à ce délai. Le seul écoulement du temps avant l’inculpation ne peut constituer une violation des droits de l’accusé puisque cela équivaudrait à imposer une prescription à l’égard des infractions criminelles. De plus, l’arrêt des procédures ne sera accordé que dans «les cas les plus manifestes» lorsqu’il serait impossible de remédier au préjudice causé au droit de l’accusé à une défense pleine et entière ou lorsque la continuation des procédures causerait un préjudice irréparable.»
[232] Pour le Tribunal et tel qu’explicité lors de l’audition, on peut se poser des questions sur un tel délai et l’attente des déclarations, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit non seulement d’une policière, mais d’un événement extrêmement médiatisé. Donc un dossier que l’on peut qualifier de délicat.
[233] Pour ce qui est de l’absence d’accusations à l’égard des quatre individus, rien ne peut être inféré de ce fait, sans autre élément factuel. Il s’agit du pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
[234] Dans Nixon au paragraphe 25, la Cour suprême écrit:
 «Pour prouver que l’exercice du pouvoir discrétionnaire essentiel en matière de poursuites a donné lieu à un abus de procédures, il faut démontrer que les représentants de la Couronne ont agi de mauvaise foi ou qu’ils ont eu une conduite répréhensible flagrante»
[235] L’existence de ces questions ne signifie nullement que le critère préliminaire est satisfait et que les questions ouvrent la porte au contrôle judiciaire, d’autant plus et c’est ce qui surprend le Tribunal, la défense s’est entendue avec la poursuite sur des admissions qui n’apportent aucune substance à sa thèse.
[236] Le Tribunal estime ne pouvoir s’appuyer sur une preuve suffisante pour procéder à un examen des circonstances ayant entraîné le délai, l’absence d’accusations et l’obtention des déclarations.
[237]  L’absence de médiatisation, l’absence d’enquête, l’absence du statut de policière de l’accusée, l’absence de contestation de Radio-Canada, l’absence de deux niveaux de poursuivants auraient peut-être amené une appréciation différente sans nécessairement amener une conclusion différente. D’ailleurs, le visionnement des vidéo et audio de même que l’analyse des témoignages ne militent pas en faveur d’une assise factuelle aux infractions énumérées sur les citations et promesses.
[238] Le Tribunal rejette la demande d’arrêt de procédures.
[239] L’analyse des faits comporte plus d’un volet en raison du déroulement de la trame factuelle. En relation directe avec l’accusation, il y a la séquence filmée qui va de la neutralisation de Rudi Ochietti alors que l’accusée le laisse entre les mains de son collègue Henry, jusqu’à l’arrestation de Serge Lavoie sur le palier de l’entrée du 4381 Papineau. Pour cette séquence il y a donc la vidéo et audio de même que les témoignages. Il y a de plus la séquence qui n’est pas filmée, qui va de l’interpellation de Ochietti jusqu’à sa mise au sol par l’accusée et son collègue. Pour cette séquence il y a les témoignages. La séquence qui n’est pas filmée est de très courte durée, mais peu importe, aucune inférence en faveur ou en défaveur de l’accusée ne peut être faite.
[240] Il y a de plus les témoignages des autres policiers quant au comportement postérieur ou l’état de Serge Lavoie, Simon Pagé et Rudi Ochietti, c’est-à -dire après l’arrestation.
[241]  Ces témoignages visent à attaquer la crédibilité de Lavoie, Ochietti et Pagé. Le Tribunal y reviendra.
[242] Finalement s’ajoute la conversation de l’accusée avec sa conjointe alors qu’elle se trouve dans le véhicule patrouille avec son collègue suite aux arrestations, de même que le témoignage de l’expert. Pour le Tribunal, la pertinence de cette conversation vient non pas du fait qu’elle révèle l’état d’esprit de l’accusée lors de l’incident, mais plutôt du fait qu’elle démontre ce qu’elle pense des personnes arrêtées, ce qui rend encore plus plausible l’approche qu’elle adopte lors de l’interpellation, telle que relatée par entre autres Simon Pagé.
[243] La crédibilité et la
fiabilité, paramètres incontournables dans l’analyse de la preuve, sont faut-il
le rappeler, sujets à variation dans l’analyse d’un témoignage, de sorte que le
Tribunal peut accorder, ne pas accorder, ou accorder partiellement crédibilité
ou fiabilité en fonction de son appréciation globale de la preuve. Cela dans le
cadre d’analyse mise de l’avant dans R c. W(D)
[244] Dans le cadre de la première étape, en ce qui a trait plus particulièrement à la séquence qui n’est pas filmée, c’est-à -dire de l’interpellation à la mise au sol de Rudi Ochietti, le Tribunal ne croit pas la version avancée par l’accusée et son collègue et celles-ci ne soulève pas de doute raisonnable pour les motifs qui suivent.
[245] L’accusée affirme qu’il s’agit d’une interpellation somme toute très banale et qu’advenant collaboration, un simple avertissement pourrait en résulter. Cette affirmation ne cadre pas avec sa réponse précédente à l’effet qu’ils font une opération piétons, qu’ils ont un quota, de sorte qu’ils en sont à approximativement trente constats depuis le début de leur quart de travail.
[246] Elle affirme ensuite sortir du véhicule patrouille de manière tout à fait normale pour ensuite accélérer le pas. Pourtant, la procédure standard explique que lorsque les policiers quittent le véhicule ils doivent s’inscrire pour qu’on puisse à tout moment les localiser. L’accusée, qui a la responsabilité de s’inscrire, ne le fait pas et pour elle cela est très banal. Ce que le Tribunal ne croit pas. Pour le Tribunal, dès que Rudi Ochietti est aperçu, la vitesse s’installe puisque ce dernier s’apprête à entrer dans le local, alors l’accusée sort rapidement de son véhicule, ne s’inscrit pas et presse le pas.
[247] Alors qu’elle affirme aviser Ochietti qu’il doit s’identifier, Pagé et Lavoie commencent à la narguer et chacun tire Ochietti par les bras pour le faire entrer dans l’immeuble. Elle conclut à entrave et les avise. Elle et son collègue prennent aussi Ochietti par les bras. Or son collègue ne mentionne jamais dans son témoignage que Pagé et Lavoie prennent Ochietti par les bras. Il s’agit d’un fait extrêmement important. De plus, il affirme qu’aucun des protagonistes ne le touche lui et sa collègue sinon ce fait serait dans son rapport écrit. Il est donc difficile d’accepter que les quatre prennent Ochietti par les bras et que personne ne touche ou ne pousse personne.
[248] De plus, le Tribunal ne la croit pas, puisque Serge Lavoie ne reste pas sur place lors de l’interpellation, mais monte plutôt son instrument à l’étage, probablement avec la bouteille de bière tenue auparavant par Ochietti.
[249] Dans son témoignage le policier Henry ne dit pas que lui et sa collègue marchent côte à côte, mais plutôt qu’il la suit. D’ailleurs, il affirme qu’ils sortent trop rapidement du véhicule pour s’inscrire tel que le requiert la procédure.
[250] Dans son rapport il écrit qu’Ochietti fait un mouvement avec son bras pour donner un coup de coude au visage de l’accusée alors qu’aujourd’hui, tout comme sa collègue, il module pour dire qu’il s’agit d’un mouvement pouvant s’apparenter à un coup de coude.
[251]  Selon l’agent Henry, le ton de l’accusée est normal et il ne se souvient pas des paroles. Pourtant, il s’agit d’une interpellation qui dégénère à la vitesse Grand V et qui se termine par plusieurs arrestations. D’autre part, le Tribunal doit se demander quel poids il accorde à la preuve de la poursuite et déterminer si cette preuve est suffisante pour conclure à la commission de l’infraction reprochée, hors de tout doute raisonnable Le Tribunal retient la version de Pagé, Ochietti et Lavoie sur la manière dont l’accusée s’adresse à eux. D’une part, dans le cas contraire, la situation qui dégénère ne s’explique pas et d’autre part, les trois individus n’ont ni le profil de provocateurs, ni un état d’esprit de confrontation ou d’hostilité.
[252] Le témoignage de Ochietti, Pagé et Lavoie permet de constater que tout se déroule très vite et correspond aux gestes de l’accusée et son collègue malgré qu’on veuille banaliser l’interpellation.
[253] Le Tribunal accorde crédibilité aux témoignages de Ochietti et Lavoie et particulièrement à celui de Simon Pagé, qui est le plus précis et donc le plus fiable malgré certaines failles.
[254]  Les trois individus s’apprêtent à entrer dans le local et les trois affirment que l’accusée lâche un « Eh toé », en marchant vers eux. Lui s’adresse à la policière et lui demande s’il peut l’aider, ce qui est cohérent avec le fait qu’il ne remarque pas la bière dans les mains de Ochietti. Il se fait répondre de se mêler de ses affaires et les trois affirment que l’accusée demande immédiatement à Ochietti de s’identifier avec son permis et autres documents et c’est alors qu’il demande pourquoi. Ce que l’accusée interprète comme un refus de collaborer. Il n’y a aucune incohérence ou invraisemblance dans leurs témoignages et ils corroborent ce que le témoin Henry affirme du bout des lèvres.
[255] C’est alors que l’accusée empoigne Ochietti par la chemise et que s’amorce la mise au sol. Pagé se dépêche de monter à l’étage chercher sa caméra et Lavoie qui s’y trouve parce qu’il vient de déposer son instrument redescend avec la sienne, suite au commentaire de Pagé. Lavoie ne peut donc voir la mise au sol de Rudi Ochietti.
[256] Il n’y a aucun élément de leurs témoignages qui permet d’inférer de près ou de loin qu’ils mentent.
[257] Pour le Tribunal la séquence est la suivante :
- les deux policiers immobilisent leur véhicule lorsqu’ils voient Ochietti avec une bière sur le trottoir, près de l’entrée du local;
- l’accusée sort rapidement du véhicule et ne prend pas le temps de s’inscrire;
- son collègue la suit;
- elle s’adresse à Ochietti alors qu’elle marche dans la direction des trois individus et pense qu’ils s’apprêtent à entrer, ce qui est le cas;
- elle crie « Eh toé » en marchant d’un pas rapide. Pagé qui n’a pas remarqué la bière, s’adresse à elle qui le rabroue;
- la situation se corse lorsqu’Ochietti demande pourquoi et dès lors Pagé se dépêche d’aller chercher sa caméra et avise Lavoie qui vient de déposer son instrument à l’étage et qui redescend aussitôt avec sa caméra;
- lorsqu’ils arrivent, Ochietti est déjà au sol et c’est alors que débute la séquence filmée.
[258] Simon Pagé arrive au local à la suite d’un cours de musique qu’il vient de terminer. Serge Lavoie arrive d’une pratique musicale et Ochietti d’un souper. Aucun des policiers ne mentionne qu’ils sont dans un état d’intoxication avancée, d’excitation ou d’hostilité.
[259] Pour le Tribunal l’interpellation qui a lieu d’une manière brusque et dépourvue de tout civisme est le prélude à l’arrestation illégale et brutale de Ochietti qui se fait en utilisant une force qui n’est pas nécessaire et de ce fait excessive et mal avenue. Le 2 octobre 2012 l’interpellation de Rudi Ochietti aurait pu et dû se terminer à la limite, par la simple remise d’un constat.
[260] À compter de l’arrestation illégale de Ochietti, les gestes illégaux et les abus de pouvoir de l’accusée ne font que s’accumuler.
[261] En ce qui a trait à la séquence filmée avec audio, on constate que Serge Lavoie adresse à l’accusée des propos vulgaires, grossiers et dénigrants. Il n’aime pas ce qu’il voit et reconnaît l’accusée comme matricule 728, en lien avec les événements du 20 mai 2012. Cela dit, il ne la touche pas. L’accusée affirme se sentir déplacée vers l’arrière alors qu’elle affirme auparavant qu’on tire sur sa veste, qu’on tire sur la veste de son collègue alors que ce dernier ne note aucun toucher. Sur la vidéo l’accusée avec son bras dit à Lavoie de reculer, mais on ne voit pas s’il est proche tout en sachant qu’il filme.
[262] L’accusée soutient qu’elle doit utiliser ses deux mains pour repousser Lavoie. Elle le pousse avec ses deux mains sur le ventre. Le Tribunal ne la croit pas. La vidéo montre qu’elle laisse Ochietti, une fois que ce dernier est menotté, et ils sont deux pour le menotter, car ils le mettent au sol. Avant qu’elle ne quitte Ochietti pour entrer dans le local, tout est filmé et jamais elle ne laisse Ochietti pour pousser Lavoie avec ses deux mains.
[263] Elle dit à Lavoie « qu’il est mieux de s’effacer », ce qu’il fait. C’est à ce moment qu’elle laisse Ochietti avec son collègue et part à la poursuite de Lavoie. Ce n’est pas la policière qui part à la poursuite d’une personne qui entrave, c’est Stéfanie Trudeau qui part corriger celui qui l’insulte. Encore une fois c’est l’illégalité qui se poursuit.
[264]  L’accusée monte à l’étage, ordonne à Lavoie de sortir et sans aucune explication ou verbalisation quelconque, le tire par le bras, lui fait une encolure alors que ce dernier tient la rampe lorsque s’amorce la descente dans les marches. Ils sont dans l’escalier, Lavoie est déstabilisé par l’encolure, ils sont mal placés et peuvent tomber à tout moment. Le Tribunal croit Lavoie lorsqu’il affirme être en perte d’équilibre.
[265] Pendant la descente, il demande à l’accusée de le laisser respirer. À un moment donné, l’accusée est sur lui. Rendu sur le palier de l’entrée alors qu’il peine à se relever, elle lui fait une encolure, car dit-elle, il recommence à résister en se raidissant alors que son collègue affirme qu’il tente de s’enfuir. Le Tribunal, malgré plusieurs visionnements, ne peut arriver au même constat et surtout pas celui à l’effet que Lavoie tente de s’enfuir.
[266] L’accusée écrit dans son rapport que Lavoie lui donne deux coups de pieds au tibia. Lavoie nie et le policier Henry ne voit rien alors qu’il est à l’étage à côté de l’accusée. Aujourd’hui elle affirme que c’est au juge de décider.
[267] Les visionnements de la vidéo et l’analyse des témoignages ne permettent pas de retenir la version de la défense. La crédibilité de l’accusée et de son collègue n’est pas au rendez-vous.
[268] Refuser de s’identifier lors d’une interpellation pour une infraction pénale constitue ou peut constituer une entrave (Voir R c. Vigneault REJB [2002] 41673, CAQ).
[269]  Cela dit, considérer que le piéton même s’il s’en doute, demande la raison de s’identifier ou de s’identifier avec son permis et autres documents, ne commet certainement pas une entrave ou un refus de collaborer. Non plus que cela puisse constituer un motif d’arrestation immédiat. Évidemment, il faut tenir compte de toutes les circonstances, mais à moins de circonstances particulières ou exceptionnelles il n’est pas interdit au citoyen interpellé d’interroger le policier.
[270]  Comme le Tribunal l’a explicité précédemment la version de l’accusée n’est pas retenue et c’est d’ailleurs sa réaction aussi intempestive que soudaine lorsqu’elle empoigne Ochietti par la chemise qui déclenche la réaction de Simon Pagé d’aller chercher au plus vite sa caméra.
[271] Dès ce moment le
Tribunal considère qu’il s’agit d’une arrestation sans motif et donc illégale
et que dans le cas contraire l’accusée agit hors du cadre balisé de l’article
[272]  Dans l’affaire Paul
c. R.
«50. C’est donc dire que les trois éléments sont nécessaires pour justifier l’utilisation de la force; premièrement, il faut que la personne soit autorisée à agir, deuxièmement, il faut qu’elle s’appuie sur des motifs raisonnables; et troisièmement, elle ne peut utiliser que la force nécessaire.»
«51. Quant au premier élément, l’agent de la paix doit exercer un pouvoir spécifique qui lui est expressément reconnu.»
52. Le deuxième élément est constitué des motifs raisonnables d’exercer ce pouvoir qui comporte une analyse en deux volets. Premièrement, il faut se demander si l’agent de la paix a subjectivement des motifs raisonnables d’agir en utilisant la force. Si la réponse est affirmative, il faut alors examiner ces motifs pour déterminer s’ils sont objectivement justifiables.»
[273] Dans Gamache c. R.
"23-
For paragraph
[274] Dans la présente affaire, tant l’arrestation que l’utilisation de la force ne peuvent être objectivés. Les motifs raisonnables de procéder à l’arrestation ne sont pas présents et l’utilisation de la force ne découle pas de la nécessité dans le cadre d’une arrestation légale.
[275] L’analyse de l’arrestation de Rudi Ochietti est importante car elle peut avoir une incidence sur l’entrave alléguée par l’accusée à son égard.
[276] C’est donc dans ce contexte qu’arrive Serge Lavoie avec sa caméra et qu’il commence à invectiver l’accusée. Commet-il une entrave lorsqu’il insulte l’accusée avec ses propos disgracieux et dégradants alors qu’elle procède illégalement à l’arrestation de Rudi Ochietti et qu’elle utilise une force qui n’est pas nécessaire?
[277] Il faut signaler que Serge Lavoie ne sait pas ce qui se passe entre le moment où il entre dans le local déposer son instrument et le moment où il arrive sur le trottoir avec sa caméra.
[278] Dans R. c. Gunn [1997] ABCA 35, La Cour d’appel de l’Alberta, au paragraphe 18 écrit:
“18. There is not, and likely cannot be, a precise legal definition of “obstructs” as the word is used in s. 129(a). That reality is both a strength and a weakness of the section. Furthermore, any interpretation of “obstruct” must respect the fact that there is in this country, a right to question a police officer. The cases demonstrate that courts have had difficulties measuring the interaction between individuals and peace officers and drawing the line between innocent and culpable conduct….”
[279] Au paragraphe 26:
 “26. This Court held in R. c. Houle (1985), 1985 ABCA 275 ( Canlii) 24 C.C.C. (3d) 57 that a police officer, to be in the execution of her duty, must have more than just a belief that she has the authority to carry out her duties; there must be a lawful basis, or a legal substratum, for her actions…”
[280] Dans la présente affaire, le Tribunal conclut que dès le départ si l’accusée est en fonction le 2 octobre 2012 elle n’est pas dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’elle empoigne Ochietti et le met au sol avec l’aide de son collègue, puisque l’arrestation est illégale.
[281] Par conséquent, les invectives et les insultes proférées par Serge Lavoie ne peuvent constituer une entrave, car les critères de l’article 129(a) ne sont pas rencontrés. D’autre part, même si l’on arrivait à la conclusion que l’accusée est dans l’exercice de ses fonctions et que l’arrestation de Ochietti est légale, alors les circonstances ne permettent pas de conclure que Serge Lavoie entrave l’accusée dans l’exercice de ses fonctions.
[282]  Lorsqu’il arrive sur le trottoir avec sa caméra, Ochietti est déjà au sol et on s’apprête à le menotter. Les insultes n’y changent rien et n’empêchent nullement l’accusée et son collègue d’arriver à leur fin. Le visionnement montre que l’accusée fait des gestes avec son bras pour signifier à Lavoie de s’effacer mais l’analyse de la preuve n’établit pas une proximité incommodante pour l’accusée.
[283] Le Tribunal ne dit pas que des insultes et des injures ne peuvent constituer une entrave, mais que dans ce cas-ci le contexte ne permet pas de conclure que les propos disgracieux et vulgaires constituent une entrave.Â
[284] Alors lorsque l’accusée laisse Ochietti et poursuit Lavoie qui s’est effacé comme elle le lui avait ordonné dans les secondes qui précèdent, c’est l’illégalité qui se poursuit. Son entrée, l’arrestation sur le palier de l’étage. Dès qu’elle le tire par le bras, il y a voies de fait, qui se poursuivent par la première et la deuxième encolure sur le palier d’entrée.
[285]  Dans le cas contraire, c'est-à -dire que Serge Lavoie commet une entrave alors que l’accusée agit légalement dans l’exercice de ses fonctions, que cette entrave débute lors de l’interpellation de Ochietti ou lors de sa mise au sol par l’accusée et son collègue, la question de déterminer si la force employée est nécessaire, proportionnée ou au contraire excessive et démesurée referait surface.
[286] Nous retournerions
donc aux balises de proportionnalité, nécessité et raisonnabilité imposées par
l’article
[287] Dans R.c.Nasogaluak [2010]1 R.C.S.206, la Cour suprême écrit aux paragraphes 34 et 35:
«34. Le paragraphe 25(1) indique essentiellement qu’un policier est fondé à utiliser la force pour effectuer une arrestation légale, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances. Mais l’examen de la question ne s’arrête pas là . Le paragraphe 25(3) précise qu’il est interdit au policier d’utiliser une trop grande force, c’est-à -dire une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne croit que cette force est nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre de telles conséquences…»
«35. Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile.»
[288] Serge Lavoie est à l’étage près de l’escalier. L’accusée et son collègue s’y retrouvent aussi. L’accusée lui dit « Sors » d’un ton extrêmement agressif, lui agrippe le bras et tire, alors qu’il est possible de procéder à son arrestation à cet endroit. L’arrestation est brutale et dangereuse. Dès qu’elle le tire elle lui fait une encolure et les deux se retrouvent dans l’escalier dont les marches sont en pierre.
[289] Lavoie et l’accusée doivent pratiquement se contorsionner pour descendre. Lavoie est en perte d’équilibre de même que l’accusée quelques marches plus loin. Lavoie affirme qu’il est en perte d’équilibre et l’accusée avance que dès qu’elle relâche il résiste. Le visionnement démontre plutôt que Lavoie tente de se redresser mais sans succès, à un point tel qu’il lui demande de le laisser respirer.
[290] Alors qu’il réussit à se lever rendu sur le palier de l’entrée, l’accusée lui fait une autre encolure. Son collègue affirme que Lavoie tente de s’enfuir et l’accusée qu’il recommence à résister. Encore une fois le Tribunal ne peut, avec le visionnement de la vidéo, que constater que tel n’est pas le cas.
[291] Dès la première encolure, la force utilisée est non seulement excessive et démesurée, mais sa nécessité n’est pas démontrée par les circonstances mises en preuve.
[292] Lorsque l’accusée tire Lavoie par le bras et lui fait immédiatement une encolure, lorsque dans l’escalier elle avise toutes les personnes à l’étage qu’ils vont être arrêtées pour entrave, lorsqu’elle fait une deuxième encolure, c’est la rage et non la nécessité qui guide l’accusée.
[293] Vu ce qui précède, le Tribunal ne partage pas l’avis de l’expert retenu par la défense pour les motifs qui suivent et ajoute qu’il n’est pas de nature à soulever un doute raisonnable.
[294] Premièrement, plusieurs des faits utilisés pour construire son opinion ne sont pas en preuve ou n’existent plus tel que rapportés.
[295] Deuxièmement, à la page 14 de son rapport il écrit que l’accusée sur le palier de l’étage applique la technique de contrôle par l’encolure pour se défendre et faire cesser les coups de pieds de Serge Lavoie. Or, il s’agit des coups de pieds niés par Lavoie, qui ne sont pas à la connaissance du policier Henry et que l’accusée n’est plus en mesure de qualifier d’intentionnels si le Tribunal conclut qu’ils existent.
[296] À la page 16, il écrit que la technique d’encolure est employée entre autres lorsque le policier doit immédiatement contrôler la personne violente. Or il n’y a pas de violence dans les faits et gestes de monsieur Lavoie lorsqu’il est pris en encolure. C’est l’accusée qui le tire vers elle pour lui faire une encolure. Les coups de pieds allégués viennent après, lorsque la descente commence et avant l’encolure.
[297] Toujours à la page 14, l’expert affirme que cette technique est appliquée lorsque le policier n’a aucune raison de croire que la personne subira des blessures. Pourtant à la page 18, il confirme les risques de blessures associés à la technique de contrôle par l’encolure dans les marches de l’escalier qui est étroit. D’ailleurs, toute personne raisonnable qui voit la descente de l’accusée et Lavoie pris par encolure, ne peut éviter de penser aux risques de blessures.
[298] À ce point dans le jugement, un éclaircissement s’impose.
[299] L’accusée et son collègue affirment que lors de l’intervention l’environnement est de plus en plus hostile et l’expert, à partir de ce constat, écrit que la solution idéale le 2 octobre 2012, n’est pas d’entrer dans l’immeuble comme le font l’accusée et son collègue qui laissent Ochietti seul dehors et menotté, pour entrer dans un immeuble dont ils ne connaissent rien.
[300] La preuve révèle qu’au départ Ochietti est sur place et qu’il y a trois autres personnes dans l’immeuble. À l’extérieur, lorsqu’il est mis au sol, il n’y a que Pagé et Lavoie en possession d’une caméra. On peut difficilement parler d’un encerclement ou d’un attroupement.
[301] À l’intérieur, lorsque Lavoie est malmené, celui qui parle est Simon Pagé, toujours muni de sa caméra. Aucune bataille, aucune arme n’est vue, aucun toucher n’est noté. Alors, il faut faire la distinction entre un milieu hostile et un milieu menaçant.
[302] L’expert écrit et affirme que, tenant compte des circonstances, l’utilisation de la technique de contrôle par l’encolure est une option valable (page 18) et que la dernière étape, soit la vérification de l’état de santé de Serge Lavoie, incluant la vérification des menottes pour éviter toute blessure aux poignets démontre que les agents sont en contrôle et que la force utilisée par ceux-ci était exempte de toute malice.
[303] Tel qu’explicité précédemment, le Tribunal est d’avis qu’il ressort de l’analyse de la preuve que la force utilisée est excessive, démesurée et qu’au départ elle n’est même pas nécessaire et mal avenue. L’expert opine. Absence de malice chez l’accusée lors de l’intervention. Ce commentaire surprend de part sa nature, d’autant plus qu’il réfère à l’intention, ce qui n’est pas de son ressort. Cela dit, et sans entrer plus en détail dans la sémantique, il peut y avoir absence de malice dans le cadre d’une intervention policière consciemment abusive et illégale.
[304] Vu ce qui précède la valeur probante de l’opinion de l’expert, n’est pas de l’avis du Tribunal, de nature à modifier l’analyse de la preuve.
[305] Avant de terminer, deux autres précisions doivent être apportées par le Tribunal.
[306] Le témoignage des autres policiers sur l’état de Serge Lavoie, c’est-à -dire son état postérieur suite à son arrestation est surprenant. L’effet souhaité par ces témoignages est de démonter qu’il est fortement intoxiqué donc qu’au moment de l’intervention il l’est davantage, à tout le moins autant. Pourtant, ni l’accusée ni son collègue n’en font grand état.
[307] Pas plus que Simon Pagé ou Ochietti. Serge Lavoie arrive en véhicule d’une pratique musicale. Qu’il dégage une odeur d’alcool et ne réagisse pas alors que la policière lui adresse la parole dans le véhicule ou qu’elle le touche par la suite pour le faire réagir, soit, mais cela ne permet pas d’inférer qu’il est intoxiqué ou très intoxiqué. Il vient d’être arrêté de la manière que l’on sait et lorsqu’il demande à la policière de le laisser respirer, il parle clairement. D’ailleurs si à ce point intoxiqué comme on essaie de le faire croire, il devient difficile de comprendre comment il réussit à descendre les marches alors qu’on lui fait une encolure.
[308] On le dit agité lorsqu’il arrive au poste, mais on omet de parler de l’accueil du policier. Il nie avoir craché ou tenté de cracher sur le policier et ce dernier n’est pas contre-interrogé à ce sujet. Crache-t-il simplement après deux encolures?
[309] On ne peut, mĂŞme si on
écarte toutes les illégalités qui précèdent la deuxième encolure sur le palier
d’entrée, conclure que l’accusée agit dans le cadre permis par l’article
[310] Dans l’une de ses réponses, l’accusée affirme qu’elle sait, le 2 octobre 2012, que sa carrière est terminée. Pour le Tribunal cette réponse constitue un indice sérieux à l’effet qu’elle est consciente de sortir du cadre de l’exercice de ses fonctions au cours de l’incident.
[311]  En terminant, le Tribunal tient à souligner que la décision porte non pas sur la police en tant qu’institution, mais sur des gestes commis par une policière, dont la carrière jusqu’au 2 octobre 2012 est sans tache. Une policière qui ne se sent pas prête pour un retour au travail et que l’on assigne dans le même quartier où surviennent les évènements qui menèrent à l’arrêt de travail de quelques mois.
[312] En résumé, l’analyse de la preuve convainc hors de tout doute raisonnable de ce qui suit :
1. l’interpellation maladroite et brusque faite par l’accusée le 2 octobre 2012 constitue l’élément déclencheur d’une situation qui dégénère en quelques minutes;
2. l’arrestation musclée de Rudi Ochietti pour refus de collaborer n’est pas objectivable et est donc illégale et constitue des voies de fait, considérant la force utilisée;
3. il n’y a pas d’entrave, de voies de fait ou d’intimidation faite ou commises par Ochietti et Lavoie;
4. à compter du moment où l’accusée empoigne Ochietti, jusqu’à l’arrestation de Lavoie sur le palier de l’entrée, elle agit illégalement et commet des voies de fait contre Serge Lavoie;
5. même si le Tribunal concluait à une arrestation légale, la force utilisée serait jugée objectivement excessive et démesurée d’où une conclusion de voies de fait contre Serge Lavoie referait surface.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL
DÉCLARE l’accusée coupable de voies de fait;
Â
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__________________________________ DANIEL BÉDARD, J.C.Q. |
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Me Jean-Simon Larouche |
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Procureur aux poursuites criminelles et pénales |
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Me Catherine Dumais |
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Procureure aux poursuites criminelle et pénales |
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Me Jean-Pierre Rancourt |
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Procureur de la défense |
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Me Céline St-François |
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Procureure de la défense |
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AVIS :
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appel; la consultation
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