Décision

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Gabarit EDJ

R. c. Trudeau

2016 QCCQ 925

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pĂ©nale Â»

N° :

500-01-103423-148

 

 

 

DATE :

Le 25 février 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL BÉDARD, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

Sa majesté la reine

Poursuivante

c.

Stéfanie Trudeau

Accusée

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

JB8273

[1]   Le 27 octobre 2015 s’amorce le procès de madame StĂ©fanie Trudeau, qui fait face Ă  l’accusation suivante :

 « 1. Le ou vers le 2 octobre 2012, Ă  MontrĂ©al, district de MontrĂ©al, s’est livrĂ©e Ă  des voies de fait contre Serge Lavoie, commettant ainsi l’acte punissable sur dĂ©claration sommaire de culpabilitĂ© prĂ©vu Ă  l’article 266b du Code criminel. Â»

[2]   Il est Ă  noter que l’accusation prise au dĂ©part par acte criminel est amendĂ©e le 12 dĂ©cembre 2014. De plus, cette accusation est reliĂ©e Ă  un incident dans lequel est impliquĂ©e madame Trudeau alors policière au SPVM.

[3]   Cinq journĂ©es sont annoncĂ©es et utilisĂ©es pour le procès et la requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures, soit le 27 et 30 octobre de mĂŞme que les 18, 19 et 20 novembre 2015.

MISE EN CONTEXTE

[4]   Afin de faciliter la comprĂ©hension, le Tribunal croit nĂ©cessaire de prĂ©ciser la toile de fond de l’évĂ©nement qui se dĂ©roule le 2 octobre 2012.

[5]   Tout dĂ©bute par une interpellation devant le 4381 Papineau : trois hommes sont devant l’immeuble près de la porte d’entrĂ©e, donc sur le trottoir, et l’un d’eux tient dans sa main une bouteille de bière.

[6]   Celui qui est en possession d’une bière est Rudi Ochietti et les deux autres sont Simon PagĂ© et Serge Lavoie. Les deux policiers qui interpellent sont StĂ©fanie Trudeau, l’accusĂ©e, et son collègue Kevin Henry.

[7]   L’évĂ©nement qui dĂ©bute Ă  l’extĂ©rieur se poursuit Ă  l’intĂ©rieur du 4381 Papineau d’oĂą l’on fait sortir Simon PagĂ© et Serge Lavoie. Tout se termine par l’arrestation de Rudi Ochietti, Simon PagĂ©, Serge Lavoie et Karen Molina.

[8]   Serge Lavoie et Simon PagĂ© sont amenĂ©s en cellule et y passent la nuit. Ils sont libĂ©rĂ©s le lendemain matin avec promesse de comparaĂ®tre, alors que Rudi Ochietti et Karen Molina sont libĂ©rĂ©s sans ĂŞtre dĂ©tenus en cellule, avec une citation Ă  comparaĂ®tre.

[9]   Simon PagĂ© est accusĂ© d’entrave et d’intimidation d’une personne associĂ©e au système de justice. Pour Serge Lavoie s’ajoute l’infraction de voies de fait sur un agent de la paix. Rudi Ochietti, en plus du constat remis en vertu du règlement municipal est, comme Karen Molina, accusĂ© d’entrave. Serge Lavoie est aussi accusĂ© de possession de marijuana, car lors de la procĂ©dure d’écrou on retrouve une petite quantitĂ© de marijuana dans sa poche de pantalon. Cette accusation est abandonnĂ©e le 16 octobre 2015.

[10]      De tout ce qui prĂ©cède ne dĂ©coule qu’une seule et unique accusation, soit celle Ă  laquelle fait face madame Trudeau, c’est-Ă -dire, une dĂ©nonciation faite sous serment le 21 mars 2014, soit près de dix-huit mois après l’évĂ©nement. Aucune citation ou promesse remise aux quatre individus ne fut confirmĂ©e par une accusation avec la nuance pour l’accusation de possession de marijuana abandonnĂ©e le 16 octobre 2015, Ă  l’égard de Serge Lavoie.

[11]      Le dossier de madame Trudeau est traitĂ© par le DPCP alors que les dossiers des quatre individus sont traitĂ©s par le procureur municipal.

POSITION DES PARTIES

[12]      En lien avec l’accusation de voies de fait, la poursuite avance que le 2 octobre 2012 l’accusĂ©e n’a aucun motif pour arrĂŞter Serge Lavoie et qu’elle commet alors des voies de fait.

[13]      Si le Tribunal conclut que Serge Lavoie entrave le travail de la policière et que l’arrestation est lĂ©gale, alors la force utilisĂ©e se situe au-delĂ  de ce que permet l’article 25(1) du Code criminel.

[14]      La dĂ©fense soutient qu’il y a entrave de la part de Serge Lavoie, que l’arrestation est justifiĂ©e et que la force utilisĂ©e, vu la rĂ©sistance de Serge Lavoie, est nĂ©cessaire et proportionnĂ©e.

[15]      En ce qui a trait Ă  la requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures, la dĂ©fense avance que le dĂ©lai qui prĂ©cède l’inculpation cause un prĂ©judice injustifiĂ© Ă  l’accusĂ©e mais surtout que ce dĂ©lai s’explique et trouve son origine dans la conduite rĂ©prĂ©hensible et abusive de l’État, c’est-Ă -dire le ministère public.

[16]      Plus prĂ©cisĂ©ment, le dĂ©lai est dĂ» aux tergiversations de l’État qui Ă  compter du 2 octobre 2012 marchande l’obtention des dĂ©clarations de Serge Lavoie, Simon PagĂ©, Rudi Ochietti et Karen Molina en Ă©change de l’abandon des poursuites Ă  leur Ă©gard.

[17]      Une deuxième requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures est dĂ©posĂ©e le 18 novembre 2015 vu le manquement de la poursuite relatif Ă  la divulgation de la preuve. Le Tribunal y reviendra.

[18]      La poursuite rĂ©pond non seulement qu’il y a une absence complète de preuve quant Ă  une conduite rĂ©prĂ©hensible de l’État, mais qu’en plus, si le Tribunal comprend bien, le seuil minimal pour procĂ©der Ă  l’examen d’une telle demande n’est pas atteint.

[19]      D’autre part, pour ce qui est de la deuxième demande en arrĂŞt des procĂ©dures, la poursuite concède une divulgation incomplète de la preuve et tel qu’explicitĂ© prĂ©cĂ©demment le Tribunal y reviendra.

QUESTIONS EN LITIGE

 

A)    Quant Ă  l’accusation de voies de fait

[20]      Pour dĂ©cider si la preuve convainc hors de tout doute raisonnable de la culpabilitĂ© de l’accusĂ©e, le Tribunal doit prĂ©alablement analyser les faits et gestes de l’accusĂ©e qui vont de l’interpellation de Rudi Ochietti jusqu’à l’arrestation de Serge Lavoie.

i)             Est-ce que l’accusĂ©e agit dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’elle procède Ă  l’interpellation et l’arrestation de Rudi Ochietti, interpellation qui dĂ©bute par la sĂ©quence qui n’est pas filmĂ©e et qui se termine avec la sĂ©quence filmĂ©e lorsqu’il est arrĂŞtĂ©;

 

ii)            Si la rĂ©ponse est positive, est-ce que Serge Lavoie entrave l’accusĂ©e lorsqu’elle interpelle et arrĂŞte Rudi Ochietti dans la sĂ©quence qui n’est pas filmĂ©e et par la suite lorsqu’il lui crie des grossièretĂ©s et tient des propos vulgaires Ă  son Ă©gard, alors que l’accusĂ©e et son collègue sont au sol avec Rudi Ochietti et le menottent, tel qu’on le voit et entend dans la sĂ©quence filmĂ©e?

 

iii)           S’il y a entrave, est-ce que la force utilisĂ©e par l’accusĂ©e dĂ©passe ce qui est permis par l’article 25(1) du Code criminel?

 

iv)           Si la rĂ©ponse Ă  la première question est nĂ©gative et qu’il n’y a pas entrave ou voies de fait, est-il prouvĂ© hors de tout doute raisonnable que l’accusĂ© commet des voies de fait?

[21]      Pour les deux requĂŞtes en arrĂŞt des procĂ©dures, les questions sont les suivantes :

i)             ConsidĂ©rant le contexte, notamment le dĂ©lai de près de dix-huit mois pour porter une accusation, le Tribunal peut-il conclure qu’il y a suffisance minimale d’indices pour entreprendre un examen des circonstances desquelles origine le dĂ©lai?

 

ii)            Cet examen, le cas Ă©chant, fait-il ressortir de près ou de loin, une conduite rĂ©prĂ©hensible et abusive de l’État?

 

iii)           Dans l’affirmative, le remède proposĂ© par la dĂ©fense, soit l’arrĂŞt des procĂ©dures, est-il appropriĂ©?

Le 27 octobre 2012

[22]      En dĂ©but d’audition, l’accusĂ©e dĂ©pose une requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures et demande au Tribunal de traiter en premier lieu cette demande avant d’amorcer, le cas Ă©chĂ©ant, le procès. Ce que le Tribunal refuse pour les motifs qui suivent.

[23]      L’arrĂŞt des procĂ©dures est, selon les allĂ©guĂ©s de la requĂŞte, principalement justifiĂ© par la conduite abusive de l’État qui aurait marchandĂ© l’abandon des accusations contre les quatre personnes en Ă©change de leurs dĂ©clarations devant servir Ă  accuser la policière Stefanie Trudeau.

[24]      De plus, le dĂ©lai prĂ©inculpatoire serait le rĂ©sultat de tergiversations du Ministère public dont l’objectif Ă©tait d’éviter tout recours en dommages de la part de l’accusĂ©e. Cette conduite abusive et rĂ©prĂ©hensible de l’État aurait eu pour effet de violer les droits constitutionnels de l’accusĂ©e garantis aux articles 7 et 11d) de la Charte.

[25]      D’une part, l’arrĂŞt des procĂ©dures est le remède ultime et d’autre part lorsqu’il repose, entre autres, sur la conduite abusive de l’État, il est prĂ©fĂ©rable, Ă  moins que l’abus soit manifeste et flagrant, de dĂ©buter le procès, quitte Ă  réévaluer la situation au fur et Ă  mesure que se dĂ©roule le procès (voir paragraphes 27 et 28 de R. c La [1997] 2 R.C.S. 680).

[26]      Dans la prĂ©sente affaire, le Tribunal est d’avis que le marchandage allĂ©guĂ© est intimement liĂ© aux faits survenus le 2 octobre 2012 entre l’accusĂ©e et les quatre personnes. Plus prĂ©cisĂ©ment, le Tribunal estime essentiel de dĂ©terminer si de près ou de loin, matière Ă  marchandage existait, qu’il y en ait eu ou pas. Quand l’accusĂ©e avance que le Ministère public a abandonnĂ© ou n’a pas autorisĂ© les plaintes contre les quatre personnes, c’est qu’elle croie que les faits dĂ©montrent qu’il y avait matière Ă  porter plainte. D’oĂą la prudence d’entendre le procès avant de procĂ©der Ă  l’audition de la requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures.

[27]      Que l’État ait marchandĂ© ou pas ou Ă©tait-il justifiĂ© ou pas de le faire s’il l’a fait, n’est pas ce que recherche le Tribunal dans le procès. Ce que le Tribunal recherche dans la preuve c’est un air de vraisemblance, une assise factuelle Ă  la prĂ©tention de l’accusĂ©e qu’il y avait matière Ă  accuser les quatre individus, en lien avec le marchandage allĂ©guĂ© dans la demande d’arrĂŞt des procĂ©dures.

[28]      Le Tribunal est d’avis qu’il est prĂ©fĂ©rable d’entendre la totalitĂ© de la preuve avant de procĂ©der sur la demande en arrĂŞt des procĂ©dures, mais ajoute qu’il n’est pas impossible qu’il en soit autrement en fonction de ce que rĂ©vèle la preuve en cours de route.

Revenons donc au procès pour le moment.

[29]      La poursuite et la dĂ©fense dĂ©posent en preuve le document P-1 signĂ© par eux et intitulĂ© « Admissions Â», document qui vaut tant pour le procès que pour la demande en arrĂŞt des procĂ©dures.

[30]      Essentiellement, ce document rĂ©fère aux faits que le Tribunal doit retenir pour avĂ©rer dans l’analyse de la preuve et qui se rapportent aux tĂ©moignages que livreraient les personnes suivantes si elles Ă©taient prĂ©sentes pour ce faire :

-         Me Shachter, avocat de Serge Lavoie, Rudi Ochietti, Simon PagĂ© et Karen Molina Ă  compter d’octobre 2012;

-         Patrick VilcĂ©us, sergent-dĂ©tective;

-         Iad Hanna, agent enquĂŞteur;

-         Me Francis Paradis, chef de la division du droit criminel de la Direction des poursuites pĂ©nales et criminelles de la Ville de MontrĂ©al;

-         Ian Lafrenière, commandant responsable des communications et des relations avec les mĂ©dias;

[31]      Le Tribunal doit aussi considĂ©rer admissibles en preuve selon la pièce P-1, les vidĂ©os suivants, tenant compte de leur authenticitĂ© et intĂ©gritĂ© : vidĂ©o et audio filmĂ© par Yves Turgeon, vidĂ©o et audio filmĂ© par Serge Lavoie, vidĂ©o et audio filmĂ© par Karen Molina et les deux vidĂ©os et audio filmĂ©s par Simon PagĂ© soit MOV0-1686 et MOV0-1687.

[32]      Finalement, l’identification de l’accusĂ©e n’est pas contestĂ©e et c’est le 25 mars 2013 qu’est remis Ă  la sergente-dĂ©tective Michèle Beaudoin, par Radio Canada, le DVD, les vidĂ©os et audio, incluant l’audio dont l’admissibilitĂ© est contestĂ©e.

[33]      Demeurent donc selon les procureurs deux Ă©lĂ©ments contestĂ©s.

Premièrement, l’enregistrement vidéo et audio qui correspond au fichier 1688 qui apparaît sur la caméra de monsieur Simon Pagé.

Deuxièmement, la déclaration de l’accusée. Il n’est pas clair à ce stade s’il s’agit uniquement de son caractère libre et volontaire puisque l’accusée avance de plus, sans requête à l’appui, que ses droits garantis par l’article 11 de la Charte n’ont pas été respectés.

[34]      Les parties s’entendent pour que la preuve Ă  charge soit versĂ©e pour valoir dans la demande d’arrĂŞt des procĂ©dures et que ce qui est mis en preuve dans le voir-dire de la requĂŞte soit versĂ© dans le procès pour valoir en dĂ©fense.

[35]      Avant d’entendre le premier tĂ©moin, la dĂ©fense et la poursuite s’entendent pour que le Tribunal regarde les enregistrements vidĂ©o et audio.

[36]      La vidĂ©o et audio 1686 montre l’accusĂ©e qui neutralise Rudi Ochietti. Ce dernier est au sol, sur le trottoir près du muret situĂ© entre les deux portes, face contre terre. L’accusĂ©e est en partie dessus et c’est Ă  ce moment qu’avec l’aide de son collègue elle s’apprĂŞte Ă  le menotter. C’est aussi Ă  ce moment qu’elle se fait invectiver et traiter de « grosse vache et grosse niaiseuse Â». Qu’on lui demande si c’est elle matricule 728. On la voit laisser monsieur Ochietti aux soins de son collègue et se diriger d’un pas rapide vers l’entrĂ©e, ouvrir la porte, monter les marches, arriver sur le palier Ă  l’étage et tirer monsieur Lavoie par le bras.

[37]      Dans la vidĂ©o et audio 1687, toujours filmĂ©e par Simon PagĂ©, on a la scène dans l’escalier oĂą l’accusĂ©e, après avoir agrippĂ© Serge Lavoie, lui fait une encolure et l’emmène vers le bas de l’escalier, sur le palier du bas avec ce dernier. Elle crie qu’il est en Ă©tat d’arrestation, que s’il continue elle va lui faire une autre encolure et qu’il va perdre conscience. On entend aussi l’accusĂ©e crier que tous seront accusĂ©s d’entrave.

[38]      On l’entend dire qu’elle va l’étouffer, on conseille Ă  monsieur Lavoie de se laisser faire. On crie Ă  l’accusĂ©e d’arrĂŞter de lui serrer le cou, qu’il va mourir. L’enregistrement se termine lorsqu’une personne dit d’aller ouvrir la porte sinon ils vont la dĂ©foncer. C’est dans cette sĂ©quence que Serge Lavoie lui demande de le laisser respirer. C’est aussi dans cette sĂ©quence que l’on voit l’accusĂ©e faire une deuxième encolure Ă  Serge Lavoie.

[39]      Dans l’enregistrement vidĂ©o et audio 0.19 filmĂ© par monsieur Turgeon, on voit l’accusĂ©e de dos, monter les marches pour aller chercher Serge Lavoie. Elle crie.

[40]      Dans le vidĂ©o MV183-63, on entend Ă  1 minute 09, Serge Lavoie dire «  C’est-tu toĂ© 728 Â» et « calme-toĂ© la grosse Â»

[41]      La vidĂ©o de Karen Molina montre l’accusĂ©e avec Serge Lavoie au bas de l’escalier.

[42]      Le Tribunal retient de ces vidĂ©os et audio :

1-    Tout l’évĂ©nement est filmĂ© Ă  compter de la mise au sol de monsieur Rudi Ochietti, jusqu’au moment oĂą on met les menottes Ă  monsieur Serge Lavoie au bas de l’escalier, Ă  l’entrĂ©e du local;

2-    Il manque donc, si l’on peut s’exprimer ainsi, la première minute ou les premières secondes, c’est-Ă -dire, le dĂ©but de l’interpellation de l’accusĂ©e auprès de Rudi Ochietti, alors qu’il est en compagnie de Serge Lavoie et Simon PagĂ©;

3-    Tout ce qui est entendu, c’est-Ă -dire, les paroles, les cris et le ton, permettent de constater sans difficultĂ© aucune, l’état d’esprit des uns et des autres. Aucune extrapolation n’est nĂ©cessaire, c’est manifestement Ă©vident.

[43]      En ce qui a trait aux vidĂ©os et audio, ce qui importe pour l’accusation c’est le moment Ă  partir duquel l’accusĂ©e laisse Rudi Ochietti aux soins de son collègue et pĂ©nètre dans le local pour aller arrĂŞter Serge Lavoie, jusqu’à sa sortie du local avec ce dernier. Ce que l’on voit et ce que l’on entend.

[44]      Les parties s’entendent de plus pour que l’expert retenu par la dĂ©fense assiste Ă  toute l’audition.

[45]      Le premier tĂ©moin de la poursuite est monsieur Rudi Ochietti. Ă‚gĂ© de 49 ans, il dĂ©clare ĂŞtre artiste et frĂ©quenter le 4381 Papineau, local multidisciplinaire de rencontre pour une trentaine de personnes qui partagent leur art. Pour y ĂŞtre admis il faut connaĂ®tre un membre. Il y a une trentaine de clefs en circulation. Ce local contient des espaces d’exposition. Au 2 octobre 2012 Simon PagĂ© y habite. On y retrouve toutes les commoditĂ©s d’un logement.

[46]      Donc, le 2 octobre 2012, suite Ă  un souper chez son ex-conjointe oĂą une bouteille de vin fut partagĂ©e entre quatre convives, monsieur Ochietti arrive au local entre 21:15 et 21:20 heures. Il ouvre une bouteille de bière et boit quelques gorgĂ©es. Il y a trois personnes sur place, dont monsieur Turgeon. Il se met au travail dans la partie du salon oĂą se trouve la fenĂŞtre qui donne sur la rue Papineau.

[47]      Vers 21:30 ou 21:35 heures, il voit Simon PagĂ© qui s’amène sur le trottoir. Il ouvre la fenĂŞtre, le salue et lui dit qu’il va venir lui ouvrir la porte. La porte principale du local, identifiĂ©e par le tĂ©moin, est munie d’une barre-panique.

[48]       Alors qu’il se tient dans l’ouverture, il constate que Simon PagĂ© regarde en direction de la rue Marianne et observe les manĹ“uvres d’une remorqueuse. Il sort complètement pour voir et ce faisant il lâche la porte qui se referme. Simon PagĂ© possède une clef et peut donc ouvrir.

[49]       Mais Ă  ce moment arrive en vĂ©hicule Serge Lavoie, qui baisse la vitre de la portière et Ochietti lui demande de venir ouvrir la porte.

[50]      Serge Lavoie transporte son instrument, un petit amplificateur et un sac en bandoulière. Serge Lavoie entre ou s’apprĂŞte Ă  entrer alors que Rudi Ochietti tient la porte.

[51]      Il voit une policière arriver vers lui en criant. Elle arrive du cĂ´tĂ© nord. Il lâche la porte qui se referme Ă  nouveau. Il est en possession de l’amplificateur, mais ne semble pas certain pour la bière. Il se rappelle ouvrir la porte et poser la bière sur une marche, comme il se rappelle regarder la remorqueuse alors qu’il a une bière dans la main.

[52]      L’accusĂ©e lui demande son permis de conduire et ses autres papiers. Il lui demande pourquoi. Elle lui dit alors qu’il refuse de s’identifier. Alors, elle le prend par le collet, ce faisant dĂ©chire son vĂŞtement et l’attire vers le trottoir. Elle lui demande s’il veut qu’elle le « crisse en dedans mon tabarnak Â».

[53]      Il a très peur et lui suggère de se rendre au poste de police. Elle lui dit alors qu’il rĂ©siste Ă  son arrestation et il se retrouve au sol. Il se laisse faire et reçoit des coups de poing et de coude. On lui montre la vidĂ©o et il se reconnaĂ®t. Selon lui, c’est Serge Lavoie qui demande Ă  l’accusĂ©e si elle est matricule 728. Le soir du 2 octobre 2012, lui ne la reconnaĂ®t pas.

[54]      Rudi Ochietti estime qu’il s’écoule approximativement une et deux minutes entre le moment oĂą l’accusĂ©e l’interpelle et celui oĂą il se retrouve au sol. Ă€ un moment donnĂ© l’accusĂ©e repart vers l’intĂ©rieur et lui demeure en prĂ©sence de l’autre policier. Il se relève et dit Ă  l’agent Kevin Henry qu’il doit bien se rendre compte que ce qui se passe n’est pas normal. L’agent lui dit de rester lĂ , le pousse et il tombe assis sur le muret. Ă€ l’époque, tel que l’illustrent les photos, un muret se trouve entre les deux portes du local. Il est menottĂ©, se lève et constate qu’il y a du grabuge dans l’escalier qui mène Ă  l’étage du local. On peut le constater sur l’enregistrement vidĂ©o et audio 1687 Ă  53 secondes.

[55]      Il voit Serge Lavoie et l’accusĂ©e et il affirme que ce dernier ne se dĂ©fend pas. Sur la vidĂ©o il se reconnaĂ®t Ă  quelques reprises dans l’embrasure de la porte au bas de l’escalier. Ă€ l’extĂ©rieur il y a Karen Molina, Fabienne Modika, conjointe de Lavoie et Kyle Morin.

[56]      Plusieurs voitures de police arrivent et lui se retrouve dans un vĂ©hicule patrouille pendant 60 Ă  75 minutes. Éventuellement il quitte avec deux policiers Ă  l’avant et s’informe de la procĂ©dure pour porter plainte. On lui rĂ©pond qu’il y a des formulaires au poste. Il n’entre pas au poste de police. On lui remet un constat et ses effets personnels. Le constat est dĂ©posĂ© sous la cote-P-6.

[57]      Il affirme que le 2 octobre 2012, il prend peut-ĂŞtre quelques gorgĂ©es de sa bière. Il reconnaĂ®t la dĂ©claration qui lui est montrĂ©e et ajoute qu’elle fut remise Ă  son avocat. Il voulait se faire interroger, mais seulement en prĂ©sence de son avocat, Me Schachter.

[58]      Contre-interrogĂ©, il confirme que le 2 octobre est un mardi. Il se rend au local de quatre Ă  cinq fois par semaine. Le repas au cours duquel il consomme du vin a lieu chez son ex-Ă©pouse. Il ne peut expliquer ce que font les bouteilles de bière sur la table et qui apparaissent dans le vidĂ©o ou qui les a bu. Il se rend Ă  la porte avec sa bière.

[59]      Lorsqu’il lâche la porte, Simon PagĂ© lui dit que ce n’est pas grave puisqu’il a une clef et c’est Ă  ce moment que Serge Lavoie arrive.

[60]      Il prend l’amplificateur et Serge Lavoie monte avec son instrument alors que Simon PagĂ© est toujours sur le trottoir. Il confirme qu’il n’y a aucune captation vidĂ©o et audio pour la sĂ©quence qui va de son interpellation par l’accusĂ©e jusqu’au moment oĂą il se retrouve au sol.

[61]      Il ne se souvient pas que l’accusĂ©e l’avise qu’il lui est interdit d’avoir une bière ou de boire une bière sur le trottoir. Il ne sait pas qu’elle l’interpelle pour la bière. Selon lui, l’accusĂ©e lui crie après et saute sur lui.

[62]       Elle lui donne plusieurs coups de poing, de coude ou de pied. Son ami mĂ©decin prend des photos le lendemain de l’incident, mais il ne les a pas en sa possession. Elles sont dans son ordinateur.

[63]      Il reconnaĂ®t sa dĂ©claration Ă©crite près de huit mois après l’incident. Elle est du 18 juin 2013 et il ne l’écrit pas d’un seul jet. Il confirme la rĂ©ception du constat et d’une citation. Au sujet de sa dĂ©claration, il a toujours Ă©tĂ© clair qu’il n’y aurait aucune dĂ©claration Ă  la police sans ĂŞtre en prĂ©sence de leur avocat et ils ont toujours suivi les conseils de leur avocat.

[64]      Six mois après l’incident, il a constatĂ© l’absence d’accusations. Il est ramenĂ© Ă  sa dĂ©claration oĂą il est Ă©crit « après l’abandon des accusations Â». Ă€ l’époque, il ne savait pas qu’il n’y avait pas d’accusations. Pour lui, l’avocat leur a toujours conseillĂ© de ne pas faire de dĂ©claration s’il y avait accusations. C’est son avocat qui leur apprend qu’il n’y aurait pas d’accusations. Plus prĂ©cisĂ©ment en mars 2013.

[65]      Il y a confusion en ce qui a trait Ă  une rĂ©union avec l’avocat et ses amis. Au cours de cette rĂ©union il n’est pas certain s’il y a contact avec l’enquĂŞtrice Beaudoin. C’est Ă  cette rĂ©union qu’ils apprennent qu’ils peuvent faire une dĂ©claration. Avant cette rĂ©union l’enquĂŞtrice tente, en se prĂ©sentant Ă  l’atelier, d’obtenir leurs dĂ©clarations et elle se fait rĂ©pondre de transiger avec leur avocat. Il n’est pas certain si la rĂ©union a lieu avant la dĂ©cision prise de ne pas porter d’accusations. Il ne se souvient vraiment plus quand et comment il l’apprend. Sur les conseils de Me Schachter ils font tous leur dĂ©claration sĂ©parĂ©ment.

[66]      Il n’y a Ă  l’époque aucune discussion de stratĂ©gie entre eux en lien avec les dĂ©clarations.

[67]      Le 2 octobre, il maintient ne pas savoir que l’accusĂ©e est matricule 728, mais oui il entend Serge Lavoie le demander alors qu’il est au sol. Suite Ă  l’incident, son corps porte des marques, mais non, il ne saigne pas. Il maintient que l’accusĂ©e le malmène bien avant qu’il ne se retrouve au sol.

[68]      Le deuxième tĂ©moin de la poursuite est Simon PagĂ©, musicien âgĂ© de 32 ans. Le 2 octobre 2012 il habite le local 4381 et c’est encore le cas aujourd’hui. Il y a de vingt-cinq Ă  trente personnes qui sont en possession d’une clef. C’est un local pour artistes multidisciplinaires.

[69]      Le 2 octobre 2012 il revient du Théâtre de l’Esquisse. Il y donnait un cours de musique. Il est environ 21:30 heures quand il se pointe au local. Il est sobre, aucune drogue ou alcool. Il arrive avec sa contrebasse et son ami Rudi Ochietti l’avise par la fenĂŞtre qu’il vient lui ouvrir la porte. Au coin de Marianne et Papineau il observe les manĹ“uvres d’une remorqueuse ou fardier. Il ne sait pas si au moment oĂą il dit Ă  Rudi Ochietti de regarder si ce dernier est en possession d’une bière. Serge Lavoie arrive et c’est lui qui ouvre la porte et Rudi Ochiettiqui la tient.

[70]      Il voit une policière arriver, il voit la voiture-patrouille au dĂ©part. Il entend « Eh! toĂ© Â» d’un ton dirigiste. Il lui rĂ©pond « Bonjour madame est-ce qu’on peut vous aider? Pour se faire rĂ©pondre « ToĂ© la ferme c’est pas Ă  to酠». Elle demande Ă  Rudi Ochietti ses papiers, ce dernier lui demande pourquoi et elle lui rĂ©pond qu’il refuse de collaborer.

[71]      L’accusĂ©e prend Rudi Ochietti par la chemise et il tombe. Serge Lavoie intervient et l’accusĂ©e s’adresse Ă  Lavoie. Simon PagĂ© attrape sa contrebasse, cours Ă  l’étage et revient avec sa camĂ©ra et commence Ă  filmer. Il Ă©value Ă  environ une minute le temps qui s’écoule entre l’arrivĂ©e de l’accusĂ©e et le dĂ©but de son film. Serge Lavoie apporte sa guitare Ă  l’étage et revient lui aussi avec sa camĂ©ra.

[72]      Pour la sĂ©quence qui n’est pas filmĂ©e, Ă  aucun moment ne voit-il Serge Lavoie ou quelqu’un d’autre toucher la policière. Il revoit ses vidĂ©os et audios et explique : le 2 octobre 2012 il ne sait pas que l’accusĂ©e est matricule 728. Pendant tout l’évĂ©nement Ă  l’extĂ©rieur il est Ă  environ 3 mètres de l’accusĂ©e. C’est Serge Lavoie qui traite l’accusĂ©e de « grosse niaiseuse Â» pour se faire rĂ©pondre par l’accusĂ©e « qu’il est mieux de s’effacer Â».

[73]      C’est lui qui dit Ă  l’accusĂ©e qu’elle n’a pas le droit d’entrer et il affirme que Serge Lavoie ne rĂ©siste pas lorsque l’accusĂ©e l’agrippe Ă  l’étage. C’est aussi lui qui dit Ă  Serge Lavoie de se laisser faire. Ă€ un certain moment, lors de la sĂ©quence dans les marches, il filme, Serge Lavoie tombe sur lui et l’accusĂ©e est sur Lavoie. Il se dĂ©gage. Serge Lavoie demande Ă  l’accusĂ©e de le laisser respirer.

[74]      C’est lui qui dit d’aller ouvrir la porte principale et c’est par la suite qu’il se fait arrĂŞter. Alors il lance sa camĂ©ra sur le plancher. Il demeure quinze minutes dans le vĂ©hicule patrouille, on lui dit pourquoi il est arrĂŞtĂ© et il est transportĂ© au centre opĂ©rationnel. On l’amène au comptoir puis on le met en cellule et c’est dans le corridor qu’il croise Serge Lavoie. Au cours de la nuit, alors qu’il est en cellule, il entend l’accusĂ©e parler et donner des instructions Ă  Serge Lavoie. Le ton monte. Serge Lavoie ne veut pas et puis le ton redescend. Il est remis en libertĂ© vers 9:30 heures le lendemain. On lui remet une promesse de comparaĂ®tre.

[75]       A la sortie il retrouve son ami Serge Lavoie qui lui remet sa camĂ©ra. Il l’examine, constate que non seulement ce qu’il a filmĂ© la veille s’y trouve toujours, mais qu’en plus, s’y trouve un autre fichier dont la durĂ©e est beaucoup plus longue. Il sait que ce n’est pas lui qui en est l’auteur.

[76]      Il ne se souvient pas de sa dĂ©claration comme telle et affirme n’avoir jamais parlĂ© Ă  un procureur de la Cour municipale. Il considère avoir Ă©tĂ© accusĂ© pendant six mois.

Le 30 octobre 2015

[77]      Contre-interrogĂ©, on lui montre sa dĂ©claration du 18 juin 2013, signĂ©e le 20 suivant. N’est-il pas exact qu’il a refusĂ© de faire une dĂ©claration tant que les accusations n’étaient pas abandonnĂ©es?

[78]      A l’époque l’avocat leur conseille de ne donner aucune dĂ©claration tant que leur situation demeurait la mĂŞme. Il est seul lorsqu’il Ă©crit sa dĂ©claration et oui il a discutĂ© des Ă©vĂ©nements avec ses amis entre le 2 octobre 2012 et le 18 juin 2013.

[79]      Presque quotidiennement, ajoute-t-il. Il ne se souvient pas avoir vu une bière dans la main de Rudi.

[80]      Il se rappelle voir le vĂ©hicule patrouille et les deux policiers venir vers lui. Il est le plus près et il n’est pas certain Ă  qui l’accusĂ©e s’adresse.

[81]       C’est alors qu’il lui demande s’il peut l’aider. Il maintient qu’elle demande Ă  Rudi Ochietti ses papiers, qu’elle l’empoigne. Il la voit l’agripper par la chemise, le mettre au sol. Une partie du corps de l’accusĂ©e est sur son ami. C’est alors qu’il va chercher sa camĂ©ra. Il voit des coups par la bande.

[82]      C’est Me Schachter qui leur explique le dĂ©lai de six mois. Selon lui, lorsque la policière pĂ©nètre dans le local pour arrĂŞter Serge Lavoie, cela se fait très vite et il est convaincu Ă  ce moment qu’elle agit illĂ©galement. Il entend, Ă  deux reprises, la policière dire Ă  Serge Lavoie de sortir Ă  l’extĂ©rieur, mais Lavoie ne rĂ©agit pas, car selon lui, il n’a pas le temps.

[83]      Serge Lavoie est Ă  l’étage les bras en croix. Quand elle descend Lavoie, elle lui fait une encolure. Serge Lavoie est mauve selon le tĂ©moin. Il lui dit alors de se laisser faire, non parce qu’il se dĂ©fend, mais parce qu’il est mauve et il pense que si Lavoie se laisse faire et que l’accusĂ©e l’entend, elle va arrĂŞter. Serge Lavoie tombe sur lui et ce n’est pas parce qu’il s’interpose.

[84]      Ce n’est pas la première fois qu’il filme les policiers. Il fait partie du mouvement "Copwatch“. Par exemple, lorsqu’il marche sur la rue et qu’il voit une intervention, il filme. Dans tous les cas, il ne constate aucune brutalitĂ© policière. Le 2 octobre 2012 il ne fait pas le lien entre l’accusĂ©e et matricule 728.

[85]      Dans sa dĂ©claration il affirme que dès qu’elle agrippe Ochietti, il monte Ă  l’étage. Donc il n’est pas montĂ© après l’avoir vu au sol. Il le voit tomber au sol, mais reconnaĂ®t que ce n’est pas Ă©crit.

[86]      Il reconnaĂ®t qu’il ne voit pas ce qui se passe entre le moment oĂą il va chercher sa camĂ©ra et le moment oĂą il revient. Il n’est pas terrorisĂ© au point d’arrĂŞter de filmer. Lors de l’arrestation de madame Molina, il est Ă  l’étage. Lorsqu’il se fait arrĂŞter, il se fait tordre le bras et on le prend par le fond de culotte, mais il ne se plaint pas!

[87]      Il reconnaĂ®t que ce n’est pas l’accusĂ©e qui menotte son ami, malgrĂ© sa dĂ©claration et reconnaĂ®t qu’il s’agit d’une contradiction. Il voit madame Molina se faire jeter au sol. On fait rejouer la vidĂ©o et audio de monsieur Turgeon et le tĂ©moin constate que c’est l’autre agent qui menotte Serge Lavoie. Il se souvient de deux rencontres avec les enquĂŞteurs du service interne et les procureurs.

[88]      Durant l’incident, il affirme que lorsqu’on l’amène en prison il traverse une brève pĂ©riode de paranoĂŻa et se voit mort.

[89]      Le troisième tĂ©moin de la poursuite est monsieur Serge Lavoie. Ă‚gĂ© de 52 ans, il est musicien. Il ne se souvient pas de ses occupations le 2 octobre 2012. Il ne se souvient pas s’il consomme de l’alcool cette journĂ©e-lĂ . Il arrive vers 21:40 heures, en provenance d’une rĂ©pĂ©tition pendant laquelle aucun alcool ni aucune drogue ne sont consommĂ©s. Il arrive donc au local 4381 en vĂ©hicule. Il est membre, s’y retrouve souvent et y range ses instruments. Il voit alors Simon PagĂ© et Rudi Ochietti devant le local. Rudi lui demande la clef. Il sort son banjo, sa guitare, son amplificateur et son sac en bandoulière. Simon a sa contrebasse. Rudi a une bouteille de bière.

[90]      Il ne monte pas Ă  l’étage et il demande Ă  Rudi de dĂ©poser sa bouteille de bière, car il entend crier et sait que c’est la police. Il fait le lien entre le cri et la bouteille de bière.

[91]      Il est responsable du local, donc il sait pour l’interdiction de consommer de la bière sur le trottoir. Lorsqu’il entend le cri, il ne peut dire s’il s’agit d’une femme ou d’un homme. Il ne se souvient que des mots «  Eh toĂ©. Â». Il remet son amplificateur Ă  Rudi, ramasse la bière, monte Ă  l’étage et pose la bouteille sur la table. Simon arrive en criant de prendre sa camĂ©ra. Il ne sait pas trop ce qui se passe. Il descend et commence immĂ©diatement Ă  filmer. Il voit son ami Rudi et son amplificateur sur le sol. On lui fait visionner la vidĂ©o 8363 dans lequel il s’adresse Ă  l’accusĂ©e et lui demande si c’est elle qui a « crissĂ© Â» son amplificateur sur le sol et c’est par la suite qu’il l’invective, l’insulte et lui demande si elle est matricule 728. Il s’efface tel que demandĂ© et se rend Ă  l’étage avec son amplificateur.

[92]      Ă€ l’extĂ©rieur ni lui ni Simon ne touchent Ă  l’accusĂ©e et quant Ă  Rudi, il ne rĂ©siste pas. Le tĂ©moin continue le visionnement. C’est son banjo qui est Ă  l’étage près des marches. Lorsque la policière entre, la porte est fermĂ©e. Il sait qu’il va ĂŞtre arrĂŞtĂ©, mais il ne pense pas qu’il va ĂŞtre sorti du local. Il tient la rampe, car il est en perte d’équilibre et il ajoute que les marches sont en pierre. Il est certain qu’il va mourir lorsqu’il se fait sortir du local. C’est lui qui demande Ă  l’accusĂ©e de se calmer et qui lui dit qu’il Ă©touffe. Il lui dit s’il vous plaĂ®t. Au bas de l’escalier, il se relève avec ses bras et affirme qu’ils ne sont pas « raides Â». Une fois Ă  l’extĂ©rieur il ne se souvient plus.

[93]      Au moment oĂą il demande Ă  l’accusĂ©e si elle est matricule 728, il ne la reconnaĂ®t pas, c’est le lendemain, lorsqu’il quitte le centre opĂ©rationnel, qu’il apprend que c’est elle.

[94]       Alors qu’il est dans le vĂ©hicule patrouille sur place, l’accusĂ©e vient le voir et le tarabiscote et lui l’avise qu’il a peur d’elle. Il affirme qu’on tasse l’accusĂ©e et qu’on le place dans un autre vĂ©hicule patrouille avec deux policières qu’il dĂ©crit comme douces et calmes.

[95]      ArrivĂ© dans le garage au poste, il est accueilli par un policier qui lui dit « Encore des hosties de carrĂ©s rouges» et qui lui demande s’il s’est calmĂ©. Il confirme que dans ses poches il y a ses pics de guitare et un peu de marijuana.

[96]      Il lui semble qu’on le met en Ă©tat d’arrestation. Au cours de la nuit, il parle Ă  un avocat. L’accusĂ©e vient le voir alors qu’il est dans sa cellule, lui demande de se lever et signer un document qui atteste de sa possession de marijuana. Il lui dit qu’il veut parler Ă  son avocat avant et elle se fâche.

[97]      Il est remis en libertĂ© le lendemain matin vers 09:30 heures. Il reconnaĂ®t la promesse de comparaĂ®tre et les trois documents soit deux autres promesses et le document qu’il refuse de signer alors qu’il est en cellule. C’est Ă  ce moment qu’on lui remet la camĂ©ra de Simon PagĂ©.

[98]      Il ne se souvient pas d’avoir discutĂ© avec un procureur de la poursuite et affirme que sa dĂ©claration de juin 2013 est Ă©crite alors qu’il est seul. Suite Ă  l’incident, il ressent des douleurs au cou pendant quelques semaines, il a des bleus aux poignets et ses lunettes sont brisĂ©es.

[99]      Comment a-t-il appris qu’il n’y avait pas d’accusations? Par l’enquĂŞteur lui semble-t-il.  Le 2 octobre 2012, il ne dort pas alors qu’il est transportĂ© au poste, il se «rĂ©pare» et profite de chaque instant.

[100]   Contre-interrogĂ© il affirme que le 2 octobre 2012 il ne consomme pas dans la journĂ©e et Ă  la limite une ou deux bières s’il a travaillĂ© en construction. Lors de sa rĂ©pĂ©tition, il est certain qu’il ne consomme aucun alcool. Se souvient-il d’avoir cracher sur un policier alors qu’il est dans le vĂ©hicule patrouille? Jamais il ne crache sur un policier alors qu’il est dans le vĂ©hicule-patrouille.

[101]   Il situe l’endroit sur les photos oĂą il se stationne lors de son arrivĂ©e au local. Il affirme ĂŞtre responsable du bon fonctionnement de l’endroit. Il est courant pour l’interdiction de consommer de l’alcool dans un endroit public et il le tient de son père qui a fait carrière dans la police.

[102]   Le 2 octobre 2012 sans voir la personne qui lui crie, il est certain que lorsqu’il entend « Eh toĂ© Â», c’est la police et il presse Rudi de mettre sa bière Ă  l’intĂ©rieur. Il ne voit pas les premières secondes de l’intervention. Alors que son ami Rudi est au sol avec la policière, il ne voit pas de coups de poing mais des coups de genou, oui.

[103]   C’est leur avocat qui recommande de ne faire aucune dĂ©claration. Il confirme que le 16 octobre 2015 la plainte pour possession de marijuana est retirĂ©e.

[104]   Après le 2 octobre 2012, jamais les autoritĂ©s ne promettent le retrait des plaintes.

[105]    L’amplificateur est muni d’une bandoulière et Rudi l’a sur l’épaule avant d’être mis au sol. On lui fait visionner le vidĂ©o 8363 et le tĂ©moin affirme qu’il est Ă  près de trois mètres de la policière et qu’il est près de la porte du local. Pourquoi crie-t-il alors qu’il est empoignĂ© avec la policière? Pour tenter d’attirer son attention afin qu’elle cesse.

[106]   Au cours de l’incident alors que l’accusĂ©e lui ordonne de sortir Ă  l’extĂ©rieur, ce qu’il n’entend pas, il comprend qu’elle «disjoncte».

[107]   Il prĂ©fère mettre son amplificateur Ă  l’abri lorsqu’il monte les marches et que l’accusĂ©e le suit. Il ne se souvient pas s’être rendu au poste de police pour faire une dĂ©claration. Il est certain d’avoir rencontrer les policiers et le procureur au moins une fois, peut-ĂŞtre deux. Pour une rencontre le 13 mars 2014, il ne se souvient pas. Il maintient que le 2 octobre 2012, il ne crache sur aucun policier. Dans sa cellule il ne dort pas, il mĂ©dite.

[108]   Avant de dĂ©buter le voir-dire quant Ă  l’enregistrement vidĂ©o et audio dont l’admissibilitĂ© est contestĂ©e, l’accusĂ©e annonce qu’elle ne conteste plus l’admissibilitĂ© de sa dĂ©claration, c’est-Ă -dire son caractère libre et volontaire et le fait que ses droits constitutionnels sont respectĂ©s lorsqu’elle la fait. La poursuite dĂ©clare sa preuve Ă  charge close.

[109]   En ce qui a trait au voir-dire de l’enregistrement vidĂ©o audio, il est dĂ©clarĂ© admissible. (dĂ©cision Ă©crite au dossier)

Le 18 novembre 2015

[110]   L’accusĂ©e demande alors de procĂ©der sur la demande d’arrĂŞt des procĂ©dures avant la dĂ©fense, le cas Ă©chĂ©ant, d’autant plus qu’une nouvelle demande est dĂ©posĂ©e suite Ă  ce qui suit :

-         le 16 novembre 2015, l’avocat de la dĂ©fense reçoit, suite Ă  une communication tĂ©lĂ©phonique du 11 novembre 2015 avec la sergente/dĂ©tective Beaudoin, 65 pages des notes personnelles (log d’enquĂŞte) qui sont Ă  la base du prĂ©cis, division des affaires internes et normes professionnelles, section des enquĂŞtes spĂ©ciales;

-         deux photos de monsieur Rudy Ochietti prisent le 3 octobre 2012 par son mĂ©decin et reçues par l’agente Beaudoin avant la fin 2012 mais qui ne sont pas remisent Ă  la dĂ©fense lors de la divulgation, c’est-Ă -dire avec les 11 volumes et 19 CD;

-         la dernière version du rapport d’enquĂŞte, soit les cinq pages qui explicitent les dĂ©marches auprès de Radio Canada pour l’obtention d’une entrevue avec Madame Moreau et des enregistrements vidĂ©o et audio.

[111]   La poursuite concède l’absence de divulgation et reconnaĂ®t un manquement Ă  ses obligations, mais ajoute du mĂŞme souffle que monsieur Ochietti est disponible pour contre-interrogatoire d’une part et que d’autre part, les 65 pages sont des prĂ©cisions techniques et des dĂ©marches administratives qui se retrouvent dans le prĂ©cis remis Ă  la dĂ©fense. La poursuite ajoute qu’il y a absence de mauvaise foi et que le droit Ă  une dĂ©fense pleine et entière n’est pas en pĂ©ril, considĂ©rant le contenu des 65 pages et des 5 autres pages.

[112]   La dĂ©fense renonce Ă  interroger monsieur Ochietti et se dit prĂŞte Ă  procĂ©der sur sa demande d’arrĂŞt des procĂ©dures.

[113]   Tenant compte que la preuve Ă  charge est complĂ©tĂ©e. ConsidĂ©rant que la dĂ©fense le cas Ă©chĂ©ant n’est pas amorcĂ©e. Tenant compte de la renonciation Ă  contre-interroger monsieur Ochietti et considĂ©rant que la sergente/dĂ©tective Beaudoin est prĂ©sente, le Tribunal dĂ©cide de procĂ©der Ă  l’audition des deux demandes en arrĂŞt des procĂ©dures.

[114]   Le premier tĂ©moin entendu est la sergente/dĂ©tective Michèle Beaudoin. Les rapports R-1 et R-2 sont dĂ©posĂ©s de mĂŞme que les 65 pages sous R-3. Elle explique qu’elle est l’enquĂŞtrice au dossier pour la plainte et responsable de la rĂ©daction du prĂ©cis alors que son collègue est responsable de la gestion de la preuve. Quant aux 65 pages, elles contiennent ses notes et constituent son log d’enquĂŞte. C’est purement administratif et cela sert de base Ă  la confection du prĂ©cis.

[115]   Elle explique le caractère Ă©volutif d’une enquĂŞte d’oĂą la diffĂ©rence entre R-1 et R-2. Le rapport R-1 prend fin le 16 novembre 2012 et le rapport R-2 le 10 septembre 2013 par la transmission du dossier au MSP.

[116]   Comme l’enquĂŞte fait suite entre autres Ă  une allĂ©gation de madame Molina quant Ă  un vol, des voies de fait et de la fabrication de preuve, lui a-t-on demandĂ© de rĂ©orienter le dossier vers monsieur Lavoie? La rĂ©ponse est nĂ©gative.

[117]   Parmi les innombrables questions posĂ©es au tĂ©moin, le Tribunal retient :

-         jamais au cours de l’enquĂŞte ne communique-t-elle avec la poursuite;

-         en tant que sergente/dĂ©tective elle ne fait jamais de recommandations au DPCP;

-         Ă  plusieurs reprises elle et d’autres tentent d’obtenir les dĂ©clarations de Ochietti, PagĂ©, Lavoie et Molina;

-         au cours de l’enquĂŞte elle ne communique jamais avec le procureur-chef municipal, Me Plouffe et elle n’a rien Ă  voir avec la Cour municipale;

-         jamais suite aux Ă©vĂ©nements du 2 octobre 2012, une plainte n’est portĂ©e contre la policière Trudeau par les quatre individus.

Le 19 novembre 2015

[118]   Le deuxième tĂ©moin est monsieur Kevin Henry, policier et collègue de travail de l’accusĂ©e le 2 octobre 2012. Ă€ cette date, il travaille comme policier depuis un peu plus de deux mois. Il est Ă  bord du vĂ©hicule patrouille avec l’accusĂ©e et c’est lui qui conduit. Ce soir-lĂ , prioritĂ© est donnĂ©e aux «opĂ©rations piĂ©tons» en relation avec le Code de la sĂ©curitĂ© routière. Il dĂ©bute son quart de travail vers 14:30 pour le terminer Ă  01:30 heure. Ils patrouillent le Plateau Mont-Royal au complet.

[119]   Ils circulent sur Papineau direction nord et ils voient un homme avec une bière sur le trottoir. Monsieur Ochietti en l’occurrence. Il immobilise le vĂ©hicule, l’accusĂ©e sort avant lui et il la suit.

[120]   L’accusĂ©e interpelle Ochietti et ce dernier refuse de s’identifier. Ils lui prennent chacun un bras et il se raidit après qu’il entend demander si l’accusĂ©e est matricule 728. Il se dĂ©bat et son bras se lève vers le visage de l’accusĂ©e. Ils lui font une prise de contrĂ´le articulaire. Il est mis au sol, on lui met un bras dans le dos et Ochietti garde l’autre bras sous lui. La policière avise monsieur Lavoie Ă  plusieurs reprises de reculer. Des gens aux fenĂŞtres crient.

[121]   Étant demeurĂ© sur le trottoir avec Ochietti, il dĂ©cide de suivre sa collègue alors que Lavoie entre dans l’immeuble en courant. ArrivĂ© Ă  l’étage, il voit l’accusĂ©e tirer Lavoie par le bras.

[122]   Lui il prend le bras droit pour faire un contrĂ´le articulaire. Simon PagĂ© tire sur Lavoie pour le remonter Ă  l’étage.

[123]   C’est lui qui arrĂŞte madame Molina. Ă€ ce moment elle est au tĂ©lĂ©phone et ils la prennent par les bras, l’informe, elle rĂ©siste, ne veut pas mettre ses mains dans son dos. Elle est mise Ă  genoux.

[124]   Lorsqu’ils tirent Ochietti par les bras, il est « mou Â». Quand Ochietti lève le bras, sa collègue risque de recevoir un coup de coude. Environ deux minutes sont nĂ©cessaires pour rĂ©ussir Ă  mettre les menottes Ă  Ochietti.

[125]   Il avance que les arguments et les invectives dĂ©butent avant que Rudi Ochietti ne soit mis au sol. C’est quand Ochietti rĂ©alise que l’accusĂ©e est matricule 728 qu’il commence Ă  raidir. Ă€ l’étage, Lavoie rĂ©siste et tient la rampe et ses amis. Il crie, bĂ©gaye, dĂ©gage une odeur d’alcool et est agitĂ©. C’est lui qui demande de l’aide.

[126]   Quand il demande de l’aide, il ne se sent pas en sĂ©curitĂ© et perçoit qu’ils perdent le contrĂ´le.

[127]   Habituellement une interpellation de cette nature se termine par un avertissement après vĂ©rification de l’identitĂ© avec le CPRQ. Lavoie et Ochietti semblent avancĂ©s dans leur consommation d’alcool le 2 octobre 2012. Il a l’impression que PagĂ© prend Lavoie par le bras ou un vĂŞtement.

[128]   Contre-interrogĂ© sur les notions apprises Ă  l’école de police de Nicolet, il reconnaĂ®t l’importance d’un rapport prĂ©cis, habituellement dans les heures qui suivent. Il sait qu’on doit s’inscrire au poste avant de quitter le vĂ©hicule patrouille, mais ils sortent si vite le 2 octobre 2012, qu’ils n’en ont pas le temps. Pourtant, il reconnaĂ®t que l’inscription est importante puisqu’elle permet de les localiser en tout temps lorsqu’ils quittent leur vĂ©hicule. Il s’agit d’une question de sĂ©curitĂ©.

[129]   Ils voient que les trois personnes se dirigent vers la porte alors ils font vite. L’accusĂ©e sort du vĂ©hicule d’un pas rapide. C’est Ă  l’accusĂ©e que revenait la responsabilitĂ© de s’inscrire.

[130]   Le ton de l’accusĂ©e lui semble normal et il ne se souvient pas des paroles exactes, mais elle ne crie pas car il s’en souviendrait.

[131]   L’accusĂ©e demande Ă  Ochietti de s’identifier et ce dernier lui demande pourquoi alors qu’elle vient de le faire. Lorsqu’elle sort du vĂ©hicule, elle marche vers Ochietti et ce dernier se sauve lorsqu’il les voit. Alors, ne tente-t-il pas de s’enfuir? Il s’apprĂŞte Ă  entrer selon le tĂ©moin.

[132]   Que se passe-t-il avant que lui et sa collègue ne le prennent par les bras. Il y a le premier commentaire fait Ă  l’égard de sa collègue au sujet de matricule 728 et lĂ  Ochietti commence Ă  se raidir.

[133]   Dans son rapport il Ă©crit que Rudi Ochietti fait un mouvement pour donner un coup de coude alors qu’aujourd’hui il parle d’un mouvement s’apparentant Ă  un coup de coude. L’accusĂ©e fait des gestes pour Ă©loigner les individus, mais le moment semble diffĂ©rer aujourd’hui.

[134]   Si quelqu’un l’avait touchĂ© lui ou sa collègue, ce serait notĂ© dans son rapport, lui demande-t-on? Oui, s’il l’avait vu.

[135]   Le 2 octobre 2012, il ne voit pas PagĂ© s’interposer Ă  l’arrestation de Lavoie Ă  l’étage. Il ne voit pas les coups de pied donnĂ©s par Lavoie Ă  l’accusĂ©e. Ă€ la deuxième tentative pour sortir pour appeler Ă  l’aide, cela se fait facilement. Il affirme que Lavoie tente de s’enfuir lorsqu’ils le menottent au bas de l’escalier.

[136]   Comment explique-t-il que lorsque Lavoie rĂ©ussit Ă  se lever Ă  l’aide de sa main, au bas de l’escalier, une autre encolure lui est faite par l’accusĂ©e? Lui, il constate que Lavoie continue de rĂ©sister.

[137]   Il affirme que lorsqu’il a dit en interrogatoire que PagĂ© a tirĂ© le bras de Lavoie, c’est son interprĂ©tation reconnaĂ®t-il.

[138]   Le troisième tĂ©moin est Pierre Guèvremont, policier retraitĂ©, mais superviseur du poste 38 le 2 octobre 2012. Il arrive sur les lieux suite Ă  l’appel de l’agent Henry, discute avec l’accusĂ©e et tel qu’annoncĂ© sur les ondes, il prend le commandement de la scène et gère ce qui s’y passe. L’accusĂ©e l’informe qu’elle a Ă©tĂ© reconnue et lui avise le sergent dĂ©tective. La dĂ©cision est prise d’amener les individus au centre d’enquĂŞte nord, lĂ  ou il y a des cellules.

[139]   Pour lui il est Ă©vident qu’une enquĂŞte s’impose, on a reconnu l’accusĂ©e. Les policiers qui arrĂŞtent ne sont pas ceux qui transportent les individus au poste. C’est sa manière de faire.

[140]   Il s’approche du vĂ©hicule patrouille de l’accusĂ©e, voit Lavoie qui a les yeux vitreux. Il donne l’ordre de le changer de vĂ©hicule et il perçoit une odeur d’alcool. Il demande Ă  Lavoie s’il est correct et ce dernier ne rĂ©pond pas. Il est avisĂ© que la camĂ©ra est rĂ©cupĂ©rĂ©e.

[141]   Il communique avec son commandant car il sait dès lors que l’affaire sera mĂ©diatisĂ©e. Il retourne au poste et ne fait pas de rapport.

[142]   Contre-interrogĂ©, on lui montre sa dĂ©claration et s’il reconnaĂ®t sa signature il ajoute immĂ©diatement que ce n’est pas lui qui l’a Ă©crit.

[143]   Les enquĂŞteurs des affaires internes ne sont pas ses amis, alors il rĂ©pond aux questions et n’élabore aucunement.

[144]   Aujourd’hui il affirme que Lavoie est en Ă©tat d’ébriĂ©tĂ© le 2 octobre Il ne dit pas dans sa dĂ©claration que Lavoie est accotĂ©, a les yeux vitreux, la bouche ouverte. Encore une fois, il ne rĂ©pond qu’aux questions de l’enquĂŞteur, il n’élabore pas.

[145]   Est-ce que l’accusĂ©e est une amie personnelle? La rĂ©ponse vient difficilement. Ă€ l’époque il est plus proche d’elle car elle est agent senior. Ă€ deux ou trois reprises après le 2 octobre 2012, il soupe chez elle.

[146]   Le quatrième tĂ©moin est le policier Alain Chauvette. Le 2 octobre 2012, lorsqu’il arrive sur les lieux, il y a dĂ©jĂ  des vĂ©hicules patrouille sur place.

[147]   Une dame sort de l’immeuble et se dirige vers un vĂ©hicule dans lequel se trouve Lavoie. Le dĂ©tenu est Ă  l’arrière, cĂ´tĂ© passager. Il lui semble calme. L’agent ouvre la porte et la furie totale s’empare de Lavoie. Il veut lui cracher dessus et l’engueule. Il dĂ©pose donc les lunettes de Serge Lavoie sur le tableau de bord. Le tĂ©moin n’est pas contre-interrogĂ©.

[148]   Le cinquième tĂ©moin est l’agente Joannie DeschĂŞnes. Le 2 octobre elle patrouille avec sa collègue Annie Mercier. Ce sont elles qui transportent Lavoie au poste. Lavoie est amenĂ© par deux policiers après la fouille. Avant qu’elles ne quittent les lieux avec le dĂ©tenu, ce dernier est agitĂ©, agressif et gesticule.

[149]   Pendant le transport, il dort, très intoxiquĂ© selon elle et il dĂ©gage une forte odeur d’alcool. Ă€ trois reprises elle s’adresse Ă  lui, car elle trouve cela inquiĂ©tant qu’il dorme. Elle n’obtient pas de rĂ©ponse et conclut qu’il est très intoxiquĂ©. ArrivĂ© au poste il est immĂ©diatement placĂ© en cellule car il commence Ă  s’agiter.

[150]   Aucune blessure n’est notĂ©e dans son rapport, car il n’y en a pas selon ses constats.

[151]   Contre-interrogĂ©e elle affirme qu’elle doit le toucher très fort pour qu’il rĂ©agisse, après ses trois tentatives infructueuses. Pour elle, il est très intoxiquĂ©.

[152]   Elle ne mentionne pas dans sa dĂ©claration aux enquĂŞteurs que Lavoie est agressif au dĂ©but et lors de son arrivĂ©e au poste comme elle ne mentionne pas la question de la très forte intoxication. «C’est une omission et non de la mauvaise foi» rĂ©pond-elle. Lors de sa dĂ©claration elle dĂ©bute sa carrière et est très stressĂ©e par les enquĂŞteurs des affaires internes.

[153]   Le sixième tĂ©moin est l’agente Annie Mercier, agente senior le 2 octobre 2012 au poste 38. Elle confirme le tĂ©moignage du tĂ©moin prĂ©cĂ©dent. C’est elle qui conduit. Elle regarde Lavoie dans le rĂ©troviseur et il est Ă©vachĂ© et dĂ©gage une odeur d’alcool. Il ne bouge pas et Ă©met un grognement lorsqu’elle s’adresse Ă  lui.

[154]   Pour elle, c’est Ă©vident : Lavoie est intoxiquĂ©.

[155]   Le septième tĂ©moin est le sergent dĂ©tective Annie Destrempe. C’est elle qui dĂ©taille les infractions sur les citations Ă  comparaĂ®tre pour messieurs PagĂ© et Lavoie (P-6 et P-7) et c’est elle Ă  qui on demande de les contacter pour les aviser de ne pas se prĂ©senter le 17 octobre 2012.

[156]   VoilĂ  pour l’essentiel des faits retenus par le Tribunal.

[157]   Tous ces tĂ©moignages sont versĂ©s pour valoir en dĂ©fense.

[158]   Le Tribunal prend la requĂŞte en dĂ©libĂ©rĂ©

Le 20 novembre 2015

[159]   En dĂ©fense l’accusĂ©e tĂ©moigne. Policière retraitĂ©e, elle n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions de policière, et ce après 18 ans de service.

[160]   Sa carrière a pris une tournure nĂ©gative après l’incident du 20 mai 2012, lors des manifestations Ă©tudiantes oĂą elle fut filmĂ©e en train d’utiliser de poivre de Cayenne. Ă€ partir de ce jour elle est devenue matricule 728. Elle continue de travailler suite Ă  l’incident et le 22 mai suivant, lors d’une intervention dans un appartement suite Ă  une plainte de voisinage pour bruit, elle remet un constat.

[161]   On la reconnaĂ®t et on l’associe au nom sur le constat. On lui dit alors qu’on va l’avoir Ă  l’usure. Suite Ă  cela, les mĂ©dias sociaux se sont enflammĂ©s et la cyber intimidation dĂ©bute. Des T-shirts, des tasses et des affiches lors des manifestations la ciblent. Elle arrĂŞte de travailler après le 22 mai jusqu’au dĂ©but septembre.

[162]   Le bureau mĂ©dical confirme son retour au travail après cette pĂ©riode et elle rencontre les superviseurs Guèvremont et BĂ©langer.

[163]   On la remet sur la patrouille et elle demande de travailler avec un collègue d’expĂ©rience afin de diminuer la pression, mĂŞme si elle est agent senior et Ă  ce titre assure la formation des dĂ©butants.

[164]   Après un mois, on la reconnaĂ®t encore mais aucun problème ou incident ne survient.

[165]   On la jumèle donc avec le policier Kevin Henry, avec lequel elle travaille le 2 octobre 2012 Ă  «l’opĂ©ration piĂ©tons».

[166]    Des avertissements en dĂ©but de mois et des constats en fin de mois. Avant l’incident ils en sont Ă  une trentaine de constats remis Ă  des piĂ©tons. Sans incident, mĂŞme si les piĂ©tons sont souvent rĂ©calcitrants ou arrogants lorsqu’interpellĂ©s dans ce genre de situation. Habituellement le piĂ©ton est interpellĂ© et son identitĂ© est vĂ©rifiĂ©e avec le CRPQ.

[167]   En tournant sur Papineau, direction nord, elle voit trois personnes sur le trottoir dont une avec une bière Ă  la main. Elle dit Ă  son collègue de se stationner car l’individu va ĂŞtre interpellĂ©, avisĂ© et enjoint de vider sa bouteille. Habituellement dit-elle, on les identifie, leur donne un avertissement et s’ils collaborent, on leur donne une chance.

[168]   Donc elle sort du vĂ©hicule de manière normale et marche vers les trois personnes. Elle les voit qui se dirigent vers la porte ouverte et elle accĂ©lère le pas. Elle lui dit qu’il n’a pas le droit de consommer l’alcool sur le trottoir et lui demande de s’identifier. PagĂ© et Lavoie commencent alors Ă  argumenter lui disant qu’elle n’a pas Ă  les arrĂŞter ou les interpeller.

[169]   Elle leur rĂ©pond de demeurer Ă  l’écart sinon cela sera considĂ©rĂ© comme une entrave. Lavoie et PagĂ© prennent Ochietti par les bras et l’accusĂ©e et son collègue font de mĂŞme. Elle leur dit de le lâcher sinon il y a entrave et ils obtempèrent.

[170]   Ils disent alors Ă  Ochietti de ne pas s’identifier, car «c’est la grosse chienne». Alors Ochietti se raidit, fait un mouvement de bras et elle recule pour l’éviter. Elle avise alors son collègue qu’ils vont le mettre au sol ce sera plus facile.

[171]   Au sol, elle n’est pas capable de lui passer les menottes, car Lavoie est dans son dos, face Ă  la porte. Elle ne s’est jamais sentie aussi haĂŻe qu’à ce moment. Elle est insultĂ©e, traitĂ©e de grosse vache et on lui crie après. Elle tente de repousser Lavoie, car il est trop proche.

[172]   Elle doit alors le repousser et utilise ses deux mains pour lui pousser sur le ventre. Ă€ ce moment Ochietti met son bras sous son ventre et elle doit alors faire un levier. Elle veut que Lavoie dĂ©gage.

[173]   Elle pense utiliser le poivre de Cayenne, mais ne le fait pas Ă  cause de l’incident du 20 mai. Quand elle pousse Lavoie avec ses deux mains, il se dirige alors vers la porte. Deux Ă  trois minutes sont nĂ©cessaires pour neutraliser Ochietti et il est Ă©vident, dit-elle, qu’elle va arrĂŞter Lavoie pour entrave, lui qui Ă  ce moment se sauve dans l’escalier.

[174]   Quand elle arrive Ă  l’étage, Lavoie est Ă  gauche et il ne veut pas sortir comme elle lui demande. Elle rĂ©ussit Ă  lui prendre le bras et elle tire très fort. Ce dernier s’accroche Ă  la rampe. Ă€ deux, elle et son collègue, ils rĂ©ussissent Ă  lui faire lâcher la rampe. Lavoie lui donne deux coups de pieds sur les tibias. Incapable de l’arrĂŞter Ă  l’étage, car c’est trop dangereux elle fait donc une encolure pour arriver Ă  ses fins.

[175]   Elle connaĂ®t les trois niveaux d’encolure et en 18 ans de carrière, elle en a fait plusieurs. Dans ce cas-ci, elle est mal placĂ©e lors de l’arrestation et c’est plus une prise de cou qu’une encolure. Ă€ chaque fois qu’elle relâche un peu son emprise, il recommence Ă  rĂ©sister.

[176]   Ă€ aucun moment ne reste-t-il stable. Au bas de l’escalier, son collègue lui passe les menottes. Lavoie est fouillĂ©, les menottes sont vĂ©rifiĂ©es et on le sort.

[177]   Elle ne s’inscrit pas avant de sortir du vĂ©hicule, car la situation est très banale.

[178]   Comme les trois tentent de se sauver, elle et son collègue n’ont guère le choix, ils accĂ©lèrent le pas. Elle est Ă  bout suite Ă  l’arrestation. Ils sont encerclĂ©s et elle est ciblĂ©e.

[179]   C’est suite Ă  une discussion avec ses supĂ©rieurs que la dĂ©cision est prise d’arrĂŞter PagĂ© et Lavoie et de ne pas procĂ©der par voie de citation Ă  comparaĂ®tre comme c’est le cas habituellement.

[180]   Quant Ă  Ochietti, on lui remet un constat en vertu du règlement municipal. Madame Molina est celle qui traverse la rue, filme, crie et se retrouve au bas de l’escalier.

[181]   Pour ce qui est de PagĂ©, dès le dĂ©part il essaie de faire entrer Ochietti dans l’immeuble. Il est dans son dos, dans sa bulle et trop près de ses armes. Il nuit Ă  son travail d’oĂą l’entrave.

[182]   Contre-interrogĂ©e, elle confirme que l’incident du 20 mai 2012 l’affecte encore lorsqu’elle retourne au travail après une absence de trois mois. Elle ne veut pas revenir et craint les reprĂ©sailles. Se faire attaquer comme policier et se faire attaquer personnellement n’implique pas le mĂŞme niveau de tolĂ©rance de sa part, si le Tribunal comprend bien le sens de la rĂ©ponse.

[183]   Lorsqu’ils sortent du vĂ©hicule c’est pour faire cesser l’infraction. Elle procède toujours Ă  l’identification en utilisant le CRPQ.

[184]   Pourquoi dans ce cas ne pas le laisser entrer puisque cela signifie la fin de l’infraction? Parce qu’il y a matière Ă  interpellation et identification.

[185]   Selon l’accusĂ©e, Ochietti est plus ou moins «dans les vaps» lorsqu’interpellĂ©. Elle verbalise en marchant vers les trois individus et nie adopter un ton autoritaire. Elle ne travaille pas dans un CPE mais cela dit, elle nie interpeller en commençant par « Eh toĂ©! Â».

[186]   Ce soir-lĂ  tout ce qu’elle apprĂ©hende depuis son retour au travail se produit et elle sait que sa carrière est terminĂ©e dix secondes tout au plus avant qu’ils ne commencent Ă  l’invectiver.

[187]   Dans son rapport elle Ă©crit que Rudi Ochietti lui donne un coup de coude alors qu’aujourd’hui elle n’est pas certaine. Peut-elle expliquer? Elle ne sait pas si c’est intentionnel ou pas.

[188]   Dans son rapport elle Ă©crit qu’on l’appelle matricule 728 dans le film mais aujourd’hui elle affirme que les noms commencent avant la sĂ©quence. L’accusĂ©e rĂ©pond que la sĂ©quence peut-ĂŞtre diffĂ©rente suite au « dĂ©cantage Â» qui se produit par la suite. L’accusĂ©e ajoute que lorsqu’elle parle Ă  sa conjointe au tĂ©lĂ©phone, on l’entend bien lui dire que les invectives arrivent mĂŞme pas dix secondes après le dĂ©but de l’interpellation.

[189]   On lui montre la vidĂ©o lorsqu’elle et son collègue neutralisent Ochietti au sol. Elle affirme devoir pousser PagĂ©. On ne voit pas.

[190]   Lorsqu’Ochietti est au sol, elle se sent dĂ©placĂ©e vers l’arrière. Alors que prĂ©cĂ©demment elle dĂ©clare qu’ils ont tirĂ© sur sa veste. C’est son impression rĂ©pond-elle. Pourtant lui fait remarquer le procureur en la rĂ©fĂ©rant Ă  son livre, elle dit bien qu’ils ont tirĂ© sur sa veste. De plus jamais n’a-t-elle Ă©crit cela dans son rapport, lui fait remarquer le procureur.

[191]   Elle affirme qu’elle voit quelqu’un tirer sur la veste de son collègue. Le procureur attire son attention sur les diffĂ©rences importantes entre son tĂ©moignage, son livre et son rapport.

[192]   C’est exact que Lavoie obtempère lorsqu’elle lui dit de s’effacer, mais pas les fois avant, donc entrave. Pourquoi se lève-t-elle immĂ©diatement pour laisser son collègue seul avec Ochietti? Ce n’est plus nĂ©cessaire d’être deux policiers, car Ochietti est maĂ®trisĂ©.

[193]   Pourquoi s’il y a des gens aux fenĂŞtres et que le milieu est hostile, entre-t-elle dans le local? Parce qu’elle ne sait pas Ă  ce moment qu’il s’agit du mĂŞme local.

[194]   Compte tenu du contexte, ne peut-on pas affirmer que le 2 octobre 2012, elle ne se maitrise plus? L’accusĂ©e rĂ©pond par la nĂ©gative.

[195]   Ne lui a-t-on pas appris qu’on n’entre pas seule dans un milieu hostile? L’accusĂ©e n’est pas d’accord. Peut-ĂŞtre agirait-elle autrement aujourd'hui, mais Ă  l’époque elle agit diffĂ©remment.

[196]   Pourquoi ne pas attendre les renforts avant de poursuivre Ă  l’intĂ©rieur? « Trop tard Â»rĂ©pond l’accusĂ©e.

[197]   Elle reçoit des coups de pied de Lavoie alors qu’elle s’apprĂŞte ou commence la descente dans l’escalier. Est-ce intentionnel? « Le juge dĂ©cidera rĂ©pond-t-elle Â».

[198]    On lui fait regarder la portion de la vidĂ©o oĂą rendue dans le bas de l’escalier Lavoie se lève en se servant de son bras qu’il pose sur la marche. Pourquoi lui refait-elle une encolure? Parce qu’il recommence Ă  rĂ©sister selon l’accusĂ©e.

[199]   Il n’y pas de règlement municipal en ce qui a trait aux invectives, seulement pour les injures, les blasphèmes et les propos indĂ©cents, apprend-on.

[200]   Le dernier tĂ©moin est monsieur Éric Leblanc, dont la spĂ©cialitĂ© est dans les techniques de l’emploi de la force, incluant on l’aura devinĂ©, la technique de contrĂ´le par l’encolure. Les parties reconnaissent la qualitĂ© d’expert du tĂ©moin, mais le Tribunal demande tout de mĂŞme que le tĂ©moin soit interrogĂ© sur ses compĂ©tences et qualifications malgrĂ© le dĂ©pĂ´t de son curriculum vitae.

[201]   Dans le prĂ©sent dossier, le mandat qui lui est confiĂ© est d’analyser la technique d’encolure utilisĂ©e par l’accusĂ©e le 2 octobre 2012. Ceci dans un contexte oĂą toutes les vidĂ©o et audio sont Ă  sa connaissance de mĂŞme que toute la preuve divulguĂ©e Ă  la dĂ©fense soit les 11 volumes et 19 CD.

[202]   Le Tribunal retient de ce tĂ©moignage que la technique de l’encolure correspond Ă  un contrĂ´le physique puissant. Le premier niveau vise Ă  limiter la libertĂ© de mouvement de l’individu alors que le deuxième niveau vise la soumission par la douleur. Le dernier niveau a pour objectif la dysfonction motrice par la perte de conscience.

[203]   L’expert, si le Tribunal comprend bien, est d’avis avec sa vision globale de la situation, que l’accusĂ©e, alors qu’elle est au sol avec Rudi Ochietti, n’est pas dans une position sĂ©curitaire, car elle doit surveiller ses arrières et donc n’est pas complètement concentrĂ©e sur ce qu’elle fait et par la suite ce qu’elle fait rĂ©sulte de la rĂ©sistance de Serge Lavoie.

DÉCISION SUR LES DEUX REQUÊTES EN ARRÊT DES PROCÉDURES

[204]   Le Tribunal tient Ă  prĂ©ciser que la deuxième requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures fait Ă©tat du manquement de la poursuite Ă  son obligation de divulgation de tous les faits pertinents. Cela ajoute si l’on peut s’exprimer ainsi et selon la dĂ©fense, Ă  la conduite rĂ©prĂ©hensible et abusive de l’État.

[205]   Or d’une part la poursuite concède dès le dĂ©but le manquement, mais ajoute l’absence de mauvaise foi. En ce qui a trait aux photos de Rudi Ochietti, elle rend disponible le tĂ©moin pour interrogatoire par la dĂ©fense et cette dernière y renonce. Pour ce qui est des 65 pages qui constituent le log d’enquĂŞte Ă  la base des prĂ©cis et les 5 autres pages additionnelles du prĂ©cis, madame Beaudoin qui en est l’auteure est disponible pour contre-interrogatoire, ce qui est acceptĂ© par la dĂ©fense.

[206]   L’analyse du Tribunal permet de conclure que cette divulgation tardive qui a lieu le 16 novembre 2015 suite Ă  une communication tĂ©lĂ©phonique du 11 novembre prĂ©cĂ©dent entre la sergente dĂ©tective Michèle Beaudoin et Me Rancourt ne compromet nullement l’équitĂ© du procès de l’accusĂ©e, n’empĂŞche nullement une dĂ©fense pleine et entière et ne mine en rien l’intĂ©gritĂ© du système pour les motifs qui suivent :

a)    Il y a renonciation Ă  contre-interroger monsieur Ochietti alors qu’il est disponible et l’explication pour le retard fourni par la sergente dĂ©tective Michèle Beaudoin, ne laisse poindre ni de près ni de loin, une conduite vexatoire ou intentionnelle;

b)    Quant au log d’enquĂŞte de 65 pages transmis en 2 temps, l’interrogatoire de l’enquĂŞtrice Beaudoin dĂ©montre clairement et sans Ă©quivoque qu’il s’agit des notes de nature administrative qui relatent les dĂ©marches accomplies et qui constituent la base de ce que l’on retrouve dans les prĂ©cis d’enquĂŞte, mis Ă  part quelques informations qui sont soient absentes, sans consĂ©quence ou colligĂ©es diffĂ©remment;

c)    Le deuxième prĂ©cis est une rĂ©plique du premier avec quelques pages additionnelles pour tenir compte des dĂ©marches effectuĂ©es après la dernière date pour laquelle il y a une entrĂ©e dans le premier prĂ©cis transmis lui lors de la divulgation de la preuve, soit les 11 volumes et 19 CD.

[207]   Ce qui prĂ©cède explique pourquoi le Tribunal procède Ă  l’audition des requĂŞtes le 18 novembre 2015, avant d’amorcer la dĂ©fense, plus spĂ©cifiquement le tĂ©moignage de l’accusĂ©e, le cas Ă©chĂ©ant.

[208]   Le Tribunal doit s’assurer que le contenu de ce qui est divulguĂ© le 16 novembre 2015 ne met pas en pĂ©ril l’équitĂ© du procès de l’accusĂ©e ou l’intĂ©gritĂ© du système.

[209]   L’examen des documents dĂ©posĂ©s (R-1, R-2, R-3a et R-3b) et le contre-interrogatoire de l’enquĂŞtrice sur ces documents ne font ressortir aucune conduite ou information qui met en pĂ©ril l’équitĂ© du procès ou l’intĂ©gritĂ© du système. Eut Ă©tĂ© le cas, un dĂ©lai additionnel aurait Ă©tĂ© octroyĂ© Ă  l’accusĂ©e et non un arrĂŞt des procĂ©dures, ne s’agissant pas d’un cas extrĂŞme, comme le requiert la doctrine et la jurisprudence.

[210]    Ce faisant, pour une saine administration de la justice, le Tribunal dĂ©cide le 18 novembre 2015 de procĂ©der sur la première requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures.

[211]   Pour faciliter une meilleure comprĂ©hension, voici la chronologie des Ă©vènements:

-        2 octobre 2012: Ă©vĂ©nement au 4381 Papineau;

-        15 octobre 2012: dĂ©but de l’enquĂŞte de la division des affaires internes et       normes professionnelles du SPVM suite Ă  des allĂ©gations de fabrication de       preuve, de vol et de voies de fait Ă  l’encontre de l’accusĂ©e et son collègue Kevin           Henry;

-        16 novembre 2012: demande d’intenter des procĂ©dures;

-        22 novembre 2012: ordonnance de communication enjoignant Ă  Radio-Canada         de remettre le matĂ©riel vidĂ©o et audio en sa possession;

-        18 dĂ©cembre 2012: contestation par Radio Canada de l’ordonnance;

-        10 septembre 2013: transmission du dossier au MSP;

-        20 mars 2013: ordonnance de la Cour supĂ©rieure enjoignant Ă  Radio-Canada             la remise partielle de l’entrevue de madame Moreau et l’intĂ©gralitĂ© des autres       vidĂ©os et audio;

-        27 mars 2013: Me Paradis, procureur Ă  la Cour municipale, avise Me Schachter qu’aucune accusation ne sera portĂ©e contre ses clients Rudi Ochietti, Simon PagĂ©, Karen Molina et Serge Lavoie;

-        21 juin 2013: transmission des dĂ©clarations des quatre individus au SPVM;

-        21 mars 2014: dĂ©nonciation assermentĂ©e et sommation pour le 6 mai 2014;

-        12 dĂ©cembre 2014: amendement de la dĂ©nonciation afin que l’accusation par            acte criminel soit traitĂ©e par voie sommaire.

[212]   La majoritĂ© de ces informations proviennent de la Pièce P-1 dĂ©posĂ©e en dĂ©but d’audition le 27 octobre 2015 et des allĂ©guĂ©s de la requĂŞte en arrĂŞt des procĂ©dures.

[213]   Selon la prĂ©tention de l’accusĂ©e, la conduite rĂ©prĂ©hensible et abusive du Ministère public s’explique comme suit aux allĂ©guĂ©s 34, 35 et 36 de la requĂŞte :

 «34- Désirant à tout prix porter des accusations à l’égard de votre requérante, le Ministère public a choisi d’accepter de répondre aux exigences de quatre individus, qui en attente de procédures judiciaires à leur égard, ont tenté de faire du chantage quant à toute déclaration qu’ils pourraient fournir en échange d’être blanchis de toutes les accusations possibles.»

«35- Nous vous soumettons respectueusement qu’en choisissant de formellement laisser tomber les accusations contre Serge Lavoie, Simon Pagé, Karen Molina et Rudi Ochietti en mars 2013, le Ministère public a choisi de faire du marchandage d’accusations criminelles.»

«36- Nous vous soumettons qu’on ne peut accepter que l’État participe à un tel stratagème douteux.»

[214]   L’accusĂ©e avance que la conduite rĂ©prĂ©hensible et abusive de l’État constitue un abus de procĂ©dure qui fait partie de la deuxième catĂ©gorie, c’est-Ă -dire la catĂ©gorie oĂą la conduite reprĂ©sente un risque de miner l’intĂ©gritĂ© du processus judiciaire, la catĂ©gorie dite rĂ©siduelle (R. c. Babos [2014] 1 R.C.S 309 par. 31).

[215]   Au paragraphe 35, la Cour suprĂŞme Ă©crit :

«Par contre, lorsque la catĂ©gorie rĂ©siduelle est invoquĂ©e, il s’agit de savoir si l’État a adoptĂ© une conduite choquant le sens du franc-jeu et de la dĂ©cence de la sociĂ©tĂ© et si la tenue d’un procès serait prĂ©judiciable Ă  l’intĂ©gritĂ© du système de justice. Pour dire les choses plus simplement, il y a des limites au genre de conduite que la sociĂ©tĂ© tolère dans la poursuite des infractions. Parfois, la conduite de l’État est si troublante que la tenue d’un procès- mĂŞme un procès Ă©quitable -donnera l’impression que le système de justice cautionne une conduite heurtant le sens du franc-jeu et de la dĂ©cence qu’a la sociĂ©tĂ©, et cela porte prĂ©judice Ă  l’intĂ©gritĂ© du système de justice. Dans ce genre d’affaires, la première Ă©tape du test est franchie Â»

[216]   Il faut donc franchir cette première Ă©tape avant de penser Ă  une rĂ©paration autre que l’arrĂŞt des procĂ©dures et si l’arrĂŞt apparaĂ®t comme la solution, alors doit s’opĂ©rer une mise en balance en utilisant diffĂ©rents paramètres.

[217]   Or ici la dĂ©fense doit donc avant tout faire la dĂ©monstration de la conduite de l’État, ce qui correspond Ă  la première Ă©tape.

[218]   Qu’en est-il?

[219]   La dĂ©monstration du caractère rĂ©prĂ©hensible de la conduite de l’État doit se faire par la mise en preuve des circonstances, faits, gestes et dĂ©cisions, qui permettent de caractĂ©riser et qualifier cette conduite. La dĂ©fense avance le dĂ©lai de dix-huit mois et relie ce dĂ©lai Ă  ceux qui exercent le pouvoir dĂ©cisionnel, en l’occurrence le procureur municipal responsable des dossiers de Ochietti, PagĂ©, Lavoie et Molina et le DPCP, responsable du dossier de l’accusĂ©e.

[220]   Pourquoi le procureur municipal attend-il pour dĂ©cider? La mĂŞme question se pose pour le DPCP? Est-ce en partie dĂ» Ă  la mĂ©diatisation? L’enquĂŞte en vertu de la Loi sur la police? Attend-on d’avoir tout le matĂ©riel de Radio-Canada? Pourquoi de si nombreuses tentatives pour obtenir les dĂ©clarations de Ochietti, PagĂ©, Molina et Lavoie? Quelle est la relation et l’interaction entre ces diffĂ©rentes questions? Le dĂ©lai est-il liĂ© Ă  la mĂ©diatisation de l’incident? Soupçonne-t-on l’intervention politique?

[221]   Ces questions servent d’exemple pour illustrer ce que la dĂ©fense doit mettre en preuve. Elles ne sont certainement pas limitatives.

[222]   Dès le dĂ©but du procès, la poursuite et la dĂ©fense dĂ©posent la pièce P-1. Cette pièce vaut tĂ©moignage pour toutes les personnes qui y sont Ă©numĂ©rĂ©es.

[223]   Rien dans ce document ne vient alimenter de près ou de loin un marchandage de l’État ou du Ministère public. Me Schachter affirme essentiellement que dès le dĂ©part il conseille Ă  ses clients de ne faire aucune dĂ©claration tant que leur statut, Ă  savoir tĂ©moins ou accusĂ©s, n’est pas dĂ©terminĂ© par le procureur municipal. Ce qui est cohĂ©rent et logique.

[224]   Me Paradis, chef de la division du droit criminel de la Direction des poursuites pĂ©nales Ă  la Ville de MontrĂ©al affirme qu’il avise Me Schachter le 27 mars 2013 et Me Rancourt le 12 avril de la mĂŞme annĂ©e qu’aucune accusation n’est portĂ©e contre PagĂ©, Lavoie, Molina et Ochietti. Il n’explique pas pourquoi un tel dĂ©lai et il n’est pas assignĂ© par la dĂ©fense pour rĂ©pondre aux questions sur les circonstances entourant ce dĂ©lai.

[225]   Le commandant Ian Lafrenière n’est pas assignĂ© pour expliquer le sens de sa dĂ©claration lors d’une entrevue Ă  Radio-Canada.

[226]   Si l’on comprend bien la thèse de la dĂ©fense, elle prĂ©tend que le dĂ©lai pris par le DPCP pour accuser Madame Trudeau, de mĂŞme que celui pris par le poursuivant municipal pour ne pas accuser les quatre protagonistes n’est pas anodin et milite en faveur de tergiversations et marchandage, puisque la dĂ©cision de l’un le 27 mars 2013 permet au DPCP d’obtenir les quatre dĂ©clarations et d’asseoir son accusation contre la policière.

[227]   Dans l’affaire R. c. Nixon [2011] 2 R.C.S. 566, les limites du pouvoir discrĂ©tionnaire du poursuivant sont bien Ă©tablies de mĂŞme que celles du Tribunal tentĂ© d’examiner ou de s’immiscer dans cette sphère.

[228]   Au paragraphe 60, la Cour suprĂŞme Ă©crit :

«Avant de discuter du bien-fondé de la demande, je veux traiter d’une question préliminaire importante. Comme il a déjà été mentionné, le PGCB est intervenu dans le présent pourvoi pour insister sur l’importance que les cours de juridiction criminelle s’abstiennent de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite avant d’avoir d’abord pris la «décision préliminaire» que l’examen est justifié. Je suis d’accord que les tribunaux ne doivent pas examiner les motifs qui sous-tendent les actes résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites s’ils ne peuvent s’appuyer sur une preuve suffisante.»

[229]   Dans cette affaire la Cour conclut que la rĂ©pudiation par la poursuite d’une entente sur le plaidoyer satisfait le critère de la dĂ©cision prĂ©liminaire et justifie l’examen des circonstances entourant la rĂ©pudiation.

[230]   Ici, c’est le dĂ©lai de dix-huit mois, le fait que l’accusation est portĂ©e après l’obtention des dĂ©clarations et l’absence d’accusations Ă  l’égard des quatre individus qui amène la thèse de la dĂ©fense.

[231]   Or, le dĂ©lai prĂ©inculpatoire n’est pas Ă  lui seul gĂ©nĂ©rateur d’une justification menant Ă  un arrĂŞt des procĂ©dures. Dans l’affaire Lepage c. R [2008] J.Q. no 248, la Cour d’appel du QuĂ©bec Ă©crit au paragraphe 21 :

 «21. Tout d’abord, le délai préinculpatoire, en lui-même, n’est pas suffisant pour justifier un arrêt des procédures, à moins que l’accusé n’établisse un préjudice réel dû à ce délai. Le seul écoulement du temps avant l’inculpation ne peut constituer une violation des droits de l’accusé puisque cela équivaudrait à imposer une prescription à l’égard des infractions criminelles. De plus, l’arrêt des procédures ne sera accordé que dans «les cas les plus manifestes» lorsqu’il serait impossible de remédier au préjudice causé au droit de l’accusé à une défense pleine et entière ou lorsque la continuation des procédures causerait un préjudice irréparable.»

[232]   Pour le Tribunal et tel qu’explicitĂ© lors de l’audition, on peut se poser des questions sur un tel dĂ©lai et l’attente des dĂ©clarations, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit non seulement d’une policière, mais d’un Ă©vĂ©nement extrĂŞmement mĂ©diatisĂ©. Donc un dossier que l’on peut qualifier de dĂ©licat.

[233]   Pour ce qui est de l’absence d’accusations Ă  l’égard des quatre individus, rien ne peut ĂŞtre infĂ©rĂ© de ce fait, sans autre Ă©lĂ©ment factuel. Il s’agit du pouvoir discrĂ©tionnaire de la poursuite.

[234]   Dans Nixon au paragraphe 25, la Cour suprĂŞme Ă©crit:

 «Pour prouver que l’exercice du pouvoir discrétionnaire essentiel en matière de poursuites a donné lieu à un abus de procédures, il faut démontrer que les représentants de la Couronne ont agi de mauvaise foi ou qu’ils ont eu une conduite répréhensible flagrante»

[235]   L’existence de ces questions ne signifie nullement que le critère prĂ©liminaire est satisfait et que les questions ouvrent la porte au contrĂ´le judiciaire, d’autant plus et c’est ce qui surprend le Tribunal, la dĂ©fense s’est entendue avec la poursuite sur des admissions qui n’apportent aucune substance Ă  sa thèse.

[236]   Le Tribunal estime ne pouvoir s’appuyer sur une preuve suffisante pour procĂ©der Ă  un examen des circonstances ayant entraĂ®nĂ© le dĂ©lai, l’absence d’accusations et l’obtention des dĂ©clarations.

[237]    L’absence de mĂ©diatisation, l’absence d’enquĂŞte, l’absence du statut de policière de l’accusĂ©e, l’absence de contestation de Radio-Canada, l’absence de deux niveaux de poursuivants auraient peut-ĂŞtre amenĂ© une apprĂ©ciation diffĂ©rente sans nĂ©cessairement amener une conclusion diffĂ©rente. D’ailleurs, le visionnement des vidĂ©o et audio de mĂŞme que l’analyse des tĂ©moignages ne militent pas en faveur d’une assise factuelle aux infractions Ă©numĂ©rĂ©es sur les citations et promesses.

[238]   Le Tribunal rejette la demande d’arrĂŞt de procĂ©dures.

ANALYSE DES FAITS

[239]   L’analyse des faits comporte plus d’un volet en raison du dĂ©roulement de la trame factuelle. En relation directe avec l’accusation, il y a la sĂ©quence filmĂ©e qui va de la neutralisation de Rudi Ochietti alors que l’accusĂ©e le laisse entre les mains de son collègue Henry, jusqu’à l’arrestation de Serge Lavoie sur le palier de l’entrĂ©e du 4381 Papineau. Pour cette sĂ©quence il y a donc la vidĂ©o et audio de mĂŞme que les tĂ©moignages. Il y a de plus la sĂ©quence qui n’est pas filmĂ©e, qui va de l’interpellation de Ochietti jusqu’à sa mise au sol par l’accusĂ©e et son collègue. Pour cette sĂ©quence il y a les tĂ©moignages. La sĂ©quence qui n’est pas filmĂ©e est de très courte durĂ©e, mais peu importe, aucune infĂ©rence en faveur ou en dĂ©faveur de l’accusĂ©e ne peut ĂŞtre faite.

[240]   Il y a de plus les tĂ©moignages des autres policiers quant au comportement postĂ©rieur ou l’état de Serge Lavoie, Simon PagĂ© et Rudi Ochietti, c’est-Ă -dire après l’arrestation.

[241]    Ces tĂ©moignages visent Ă  attaquer la crĂ©dibilitĂ© de Lavoie, Ochietti et PagĂ©. Le Tribunal y reviendra.

[242]   Finalement s’ajoute la conversation de l’accusĂ©e avec sa conjointe alors qu’elle se trouve dans le vĂ©hicule patrouille avec son collègue suite aux arrestations, de mĂŞme que le tĂ©moignage de l’expert. Pour le Tribunal, la pertinence de cette conversation vient non pas du fait qu’elle rĂ©vèle l’état d’esprit de l’accusĂ©e lors de l’incident, mais plutĂ´t du fait qu’elle dĂ©montre ce qu’elle pense des personnes arrĂŞtĂ©es, ce qui rend encore plus plausible l’approche qu’elle adopte lors de l’interpellation, telle que relatĂ©e par entre autres Simon PagĂ©.

[243]   La crĂ©dibilitĂ© et la fiabilitĂ©, paramètres incontournables dans l’analyse de la preuve, sont faut-il le rappeler, sujets Ă  variation dans l’analyse d’un tĂ©moignage, de sorte que le Tribunal peut accorder, ne pas accorder, ou accorder partiellement crĂ©dibilitĂ© ou fiabilitĂ© en fonction de son apprĂ©ciation globale de la preuve. Cela dans le cadre d’analyse mise de l’avant dans R c. W(D) [1991] 1 R.C.S. 742 et maintes fois explicitĂ© par la suite dans la doctrine et jurisprudence.

[244]   Dans le cadre de la première Ă©tape, en ce qui a trait plus particulièrement Ă  la sĂ©quence qui n’est pas filmĂ©e, c’est-Ă -dire de l’interpellation Ă  la mise au sol de Rudi Ochietti, le Tribunal ne croit pas la version avancĂ©e par l’accusĂ©e et son collègue et celles-ci ne soulève pas de doute raisonnable pour les motifs qui suivent.

[245]   L’accusĂ©e affirme qu’il s’agit d’une interpellation somme toute très banale et qu’advenant collaboration, un simple avertissement pourrait en rĂ©sulter. Cette affirmation ne cadre pas avec sa rĂ©ponse prĂ©cĂ©dente Ă  l’effet qu’ils font une opĂ©ration piĂ©tons, qu’ils ont un quota, de sorte qu’ils en sont Ă  approximativement trente constats depuis le dĂ©but de leur quart de travail.

[246]   Elle affirme ensuite sortir du vĂ©hicule patrouille de manière tout Ă  fait normale pour ensuite accĂ©lĂ©rer le pas. Pourtant, la procĂ©dure standard explique que lorsque les policiers quittent le vĂ©hicule ils doivent s’inscrire pour qu’on puisse Ă  tout moment les localiser. L’accusĂ©e, qui a la responsabilitĂ© de s’inscrire, ne le fait pas et pour elle cela est très banal. Ce que le Tribunal ne croit pas. Pour le Tribunal, dès que Rudi Ochietti est aperçu, la vitesse s’installe puisque ce dernier s’apprĂŞte Ă  entrer dans le local, alors l’accusĂ©e sort rapidement de son vĂ©hicule, ne s’inscrit pas et presse le pas.

[247]   Alors qu’elle affirme aviser Ochietti qu’il doit s’identifier, PagĂ© et Lavoie commencent Ă  la narguer et chacun tire Ochietti par les bras pour le faire entrer dans l’immeuble. Elle conclut Ă  entrave et les avise. Elle et son collègue prennent aussi Ochietti par les bras. Or son collègue ne mentionne jamais dans son tĂ©moignage que PagĂ© et Lavoie prennent Ochietti par les bras. Il s’agit d’un fait extrĂŞmement important. De plus, il affirme qu’aucun des protagonistes ne le touche lui et sa collègue sinon ce fait serait dans son rapport Ă©crit. Il est donc difficile d’accepter que les quatre prennent Ochietti par les bras et que personne ne touche ou ne pousse personne.

[248]   De plus, le Tribunal ne la croit pas, puisque Serge Lavoie ne reste pas sur place lors de l’interpellation, mais monte plutĂ´t son instrument Ă  l’étage, probablement avec la bouteille de bière tenue auparavant par Ochietti.

[249]   Dans son tĂ©moignage le policier Henry ne dit pas que lui et sa collègue marchent cĂ´te Ă  cĂ´te, mais plutĂ´t qu’il la suit. D’ailleurs, il affirme qu’ils sortent trop rapidement du vĂ©hicule pour s’inscrire tel que le requiert la procĂ©dure.

[250]   Dans son rapport il Ă©crit qu’Ochietti fait un mouvement avec son bras pour donner un coup de coude au visage de l’accusĂ©e alors qu’aujourd’hui, tout comme sa collègue, il module pour dire qu’il s’agit d’un mouvement pouvant s’apparenter Ă  un coup de coude.

[251]    Selon l’agent Henry, le ton de l’accusĂ©e est normal et il ne se souvient pas des paroles. Pourtant, il s’agit d’une interpellation qui dĂ©gĂ©nère Ă  la vitesse Grand V et qui se termine par plusieurs arrestations. D’autre part, le Tribunal doit se demander quel poids il accorde Ă  la preuve de la poursuite et dĂ©terminer si cette preuve est suffisante pour conclure Ă  la commission de l’infraction reprochĂ©e, hors de tout doute raisonnable Le Tribunal retient la version de PagĂ©, Ochietti et Lavoie sur la manière dont l’accusĂ©e s’adresse Ă  eux. D’une part, dans le cas contraire, la situation qui dĂ©gĂ©nère ne s’explique pas et d’autre part, les trois individus n’ont ni le profil de provocateurs, ni un Ă©tat d’esprit de confrontation ou d’hostilitĂ©.

[252]   Le tĂ©moignage de Ochietti, PagĂ© et Lavoie permet de constater que tout se dĂ©roule très vite et correspond aux gestes de l’accusĂ©e et son collègue malgrĂ© qu’on veuille banaliser l’interpellation.

[253]   Le Tribunal accorde crĂ©dibilitĂ© aux tĂ©moignages de Ochietti et Lavoie et particulièrement Ă  celui de Simon PagĂ©, qui est le plus prĂ©cis et donc le plus fiable malgrĂ© certaines failles.

[254]    Les trois individus s’apprĂŞtent Ă  entrer dans le local et les trois affirment que l’accusĂ©e lâche un « Eh toĂ© Â», en marchant vers eux. Lui s’adresse Ă  la policière et lui demande s’il peut l’aider, ce qui est cohĂ©rent avec le fait qu’il ne remarque pas la bière dans les mains de Ochietti. Il se fait rĂ©pondre de se mĂŞler de ses affaires et les trois affirment que l’accusĂ©e demande immĂ©diatement Ă  Ochietti de s’identifier avec son permis et autres documents et c’est alors qu’il demande pourquoi. Ce que l’accusĂ©e interprète comme un refus de collaborer. Il n’y a aucune incohĂ©rence ou invraisemblance dans leurs tĂ©moignages et ils corroborent ce que le tĂ©moin Henry affirme du bout des lèvres.

[255]   C’est alors que l’accusĂ©e empoigne Ochietti par la chemise et que s’amorce la mise au sol. PagĂ© se dĂ©pĂŞche de monter Ă  l’étage chercher sa camĂ©ra et Lavoie qui s’y trouve parce qu’il vient de dĂ©poser son instrument redescend avec la sienne, suite au commentaire de PagĂ©. Lavoie ne peut donc voir la mise au sol de Rudi Ochietti.

[256]   Il n’y a aucun Ă©lĂ©ment de leurs tĂ©moignages qui permet d’infĂ©rer de près ou de loin qu’ils mentent.

[257]   Pour le Tribunal la sĂ©quence est la suivante :

-        les deux policiers immobilisent leur vĂ©hicule lorsqu’ils voient Ochietti avec une bière sur le trottoir, près de l’entrĂ©e du local;

-        l’accusĂ©e sort rapidement du vĂ©hicule et ne prend pas le temps de s’inscrire;

-        son collègue la suit;

-        elle s’adresse Ă  Ochietti alors qu’elle marche dans la direction des trois individus et pense qu’ils s’apprĂŞtent Ă  entrer, ce qui est le cas;

-        elle crie « Eh toĂ© Â» en marchant d’un pas rapide. PagĂ© qui n’a pas remarquĂ© la bière, s’adresse Ă  elle qui le rabroue;

-        la situation se corse lorsqu’Ochietti demande pourquoi et dès lors PagĂ© se dĂ©pĂŞche d’aller chercher sa camĂ©ra et avise Lavoie qui vient de dĂ©poser son instrument Ă  l’étage et qui redescend aussitĂ´t avec sa camĂ©ra;

-        lorsqu’ils arrivent, Ochietti est dĂ©jĂ  au sol et c’est alors que dĂ©bute la sĂ©quence filmĂ©e.

[258]   Simon PagĂ© arrive au local Ă  la suite d’un cours de musique qu’il vient de terminer. Serge Lavoie arrive d’une pratique musicale et Ochietti d’un souper. Aucun des policiers ne mentionne qu’ils sont dans un Ă©tat d’intoxication avancĂ©e, d’excitation ou d’hostilitĂ©.

[259]   Pour le Tribunal l’interpellation qui a lieu d’une manière brusque et dĂ©pourvue de tout civisme est le prĂ©lude Ă  l’arrestation illĂ©gale et brutale de Ochietti qui se fait en utilisant une force qui n’est pas nĂ©cessaire et de ce fait excessive et mal avenue. Le 2 octobre 2012 l’interpellation de  Rudi Ochietti aurait pu et dĂ» se terminer Ă  la limite, par la simple remise d’un constat.

[260]   Ă€ compter de l’arrestation illĂ©gale de Ochietti, les gestes illĂ©gaux et les abus de pouvoir de l’accusĂ©e ne font que s’accumuler.

[261]   En ce qui a trait Ă  la sĂ©quence filmĂ©e avec audio, on constate que Serge Lavoie adresse Ă  l’accusĂ©e des propos vulgaires, grossiers et dĂ©nigrants. Il n’aime pas ce qu’il voit et reconnaĂ®t l’accusĂ©e comme matricule 728, en lien avec les Ă©vĂ©nements du 20 mai 2012. Cela dit, il ne la touche pas. L’accusĂ©e affirme se sentir dĂ©placĂ©e vers l’arrière alors qu’elle affirme auparavant qu’on tire sur sa veste, qu’on tire sur la veste de son collègue alors que ce dernier ne note aucun toucher. Sur la vidĂ©o l’accusĂ©e avec son bras dit Ă  Lavoie de reculer, mais on ne voit pas s’il est proche tout en sachant qu’il filme.

[262]   L’accusĂ©e soutient qu’elle doit utiliser ses deux mains pour repousser Lavoie. Elle le pousse avec ses deux mains sur le ventre. Le Tribunal ne la croit pas. La vidĂ©o montre qu’elle laisse Ochietti, une fois que ce dernier est menottĂ©, et ils sont deux pour le menotter, car ils le mettent au sol. Avant qu’elle ne quitte Ochietti pour entrer dans le local, tout est filmĂ© et jamais elle ne laisse Ochietti pour pousser Lavoie avec ses deux mains.

[263]   Elle dit Ă  Lavoie « qu’il est mieux de s’effacer Â», ce qu’il fait. C’est Ă  ce moment qu’elle laisse Ochietti avec son collègue et part Ă  la poursuite de Lavoie. Ce n’est pas la policière qui part Ă  la poursuite d’une personne qui entrave, c’est StĂ©fanie Trudeau qui part corriger celui qui l’insulte. Encore une fois c’est l’illĂ©galitĂ© qui se poursuit.

[264]    L’accusĂ©e monte Ă  l’étage, ordonne Ă  Lavoie de sortir et sans aucune explication ou verbalisation quelconque, le tire par le bras, lui fait une encolure alors que ce dernier tient la rampe lorsque s’amorce la descente dans les marches. Ils sont dans l’escalier, Lavoie est dĂ©stabilisĂ© par l’encolure, ils sont mal placĂ©s et peuvent tomber Ă  tout moment. Le Tribunal croit Lavoie lorsqu’il affirme ĂŞtre en perte d’équilibre.

[265]   Pendant la descente, il demande Ă  l’accusĂ©e de le laisser respirer. Ă€ un moment donnĂ©, l’accusĂ©e est sur lui. Rendu sur le palier de l’entrĂ©e alors qu’il peine Ă  se relever, elle lui fait une encolure, car dit-elle, il recommence Ă  rĂ©sister en se raidissant alors que son collègue affirme qu’il tente de s’enfuir. Le Tribunal, malgrĂ© plusieurs visionnements, ne peut arriver au mĂŞme constat et surtout pas celui Ă  l’effet que Lavoie tente de s’enfuir.

[266]   L’accusĂ©e Ă©crit dans son rapport que Lavoie lui donne deux coups de pieds au tibia. Lavoie nie et le policier Henry ne voit rien alors qu’il est Ă  l’étage Ă  cĂ´tĂ© de l’accusĂ©e. Aujourd’hui elle affirme que c’est au juge de dĂ©cider.

[267]   Les visionnements de la vidĂ©o et l’analyse des tĂ©moignages ne permettent pas de retenir la version de la dĂ©fense. La crĂ©dibilitĂ© de l’accusĂ©e et de son collègue n’est pas au rendez-vous.

DÉCISION

[268]   Refuser de s’identifier lors d’une interpellation pour une infraction pĂ©nale constitue ou peut constituer une entrave  (Voir R c. Vigneault REJB [2002] 41673, CAQ).

[269]    Cela dit, considĂ©rer que le piĂ©ton mĂŞme s’il s’en doute, demande la raison de s’identifier ou de s’identifier avec son permis et autres documents, ne commet certainement pas une entrave ou un refus de collaborer. Non plus que cela puisse constituer un motif d’arrestation immĂ©diat. Évidemment, il faut tenir compte de toutes les circonstances, mais Ă  moins de circonstances particulières ou exceptionnelles il n’est pas interdit au citoyen interpellĂ© d’interroger le policier.

[270]    Comme le Tribunal l’a explicitĂ© prĂ©cĂ©demment la version de l’accusĂ©e n’est pas retenue et c’est d’ailleurs sa rĂ©action aussi intempestive que soudaine lorsqu’elle empoigne Ochietti par la chemise qui dĂ©clenche la rĂ©action de Simon PagĂ© d’aller chercher au plus vite sa camĂ©ra.

[271]   Dès ce moment le Tribunal considère qu’il s’agit d’une arrestation sans motif et donc illĂ©gale et que dans le cas contraire l’accusĂ©e agit hors du cadre balisĂ© de l’article 25(1) du Code criminel, lorsqu’elle procède sans motif objectivable Ă  l’utilisation de la force pour arrĂŞter Ochietti.

[272]    Dans l’affaire Paul c. R. [ 2015] QCCS 4950, monsieur le juge Louis Dionne Ă©crit aux paragraphes 50,51 et 52 :

«50. C’est donc dire que les trois éléments sont nécessaires pour justifier l’utilisation de la force; premièrement, il faut que la personne soit autorisée à agir, deuxièmement, il faut qu’elle s’appuie sur des motifs raisonnables; et troisièmement, elle ne peut utiliser que la force nécessaire.»

«51. Quant au premier élément, l’agent de la paix doit exercer un pouvoir spécifique qui lui est expressément reconnu.»

52. Le deuxième élément est constitué des motifs raisonnables d’exercer ce pouvoir qui comporte une analyse en deux volets. Premièrement, il faut se demander si l’agent de la paix a subjectivement des motifs raisonnables d’agir en utilisant la force. Si la réponse est affirmative, il faut alors examiner ces motifs pour déterminer s’ils sont objectivement justifiables.»

[273]   Dans Gamache c. R. [2015] QCCS 5175, monsieur le juge Simon Ruel Ă©crit au paragraphe 23 :

"23- For paragraph 25(1) of the Criminal Code to apply in relation to the use of force in the course of an arrest, three requirements must be satisfied: (1) the peace officer is authorized by law to carry the arrest; (2) the officer acted on reasonable grounds in using force; (3) he did not use unnecessary force, in the circumstances." (nos soulignements)

[274]   Dans la prĂ©sente affaire, tant l’arrestation que l’utilisation de la force ne peuvent ĂŞtre objectivĂ©s. Les motifs raisonnables de procĂ©der Ă  l’arrestation ne sont pas prĂ©sents et l’utilisation de la force ne dĂ©coule pas de la nĂ©cessitĂ© dans le cadre d’une arrestation lĂ©gale.

[275]   L’analyse de l’arrestation de Rudi Ochietti est importante car elle peut avoir une incidence sur l’entrave allĂ©guĂ©e par l’accusĂ©e Ă  son Ă©gard.

[276]   C’est donc dans ce contexte qu’arrive Serge Lavoie avec sa camĂ©ra et qu’il commence Ă  invectiver l’accusĂ©e. Commet-il une entrave lorsqu’il insulte l’accusĂ©e avec ses propos disgracieux et dĂ©gradants alors qu’elle procède illĂ©galement Ă  l’arrestation de Rudi Ochietti et qu’elle utilise une force qui n’est pas nĂ©cessaire?

[277]   Il faut signaler que Serge Lavoie ne sait pas ce qui se passe entre le moment oĂą il entre dans le local dĂ©poser son instrument et le moment oĂą il arrive sur le trottoir avec sa camĂ©ra.

[278]   Dans R. c. Gunn [1997] ABCA 35, La Cour d’appel de l’Alberta, au paragraphe 18 Ă©crit:

“18. There is not, and likely cannot be, a precise legal definition of “obstructs” as the word is used in s. 129(a). That reality is both a strength and a weakness of the section. Furthermore, any interpretation of “obstruct” must respect the fact that there is in this country, a right to question a police officer. The cases demonstrate that courts have had difficulties measuring the interaction between individuals and peace officers and drawing the line between innocent and culpable conduct….”

[279]   Au paragraphe 26:

 “26. This Court held in R. c. Houle (1985), 1985 ABCA 275 ( Canlii) 24 C.C.C. (3d) 57 that a police officer, to be in the execution of her duty, must have more than just a belief that she has the authority to carry out her duties; there must be a lawful basis, or a legal substratum, for her actions…”

[280]   Dans la prĂ©sente affaire, le Tribunal conclut que dès le dĂ©part si l’accusĂ©e est en fonction le 2 octobre 2012 elle n’est pas dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’elle empoigne Ochietti et le met au sol avec l’aide de son collègue, puisque l’arrestation est illĂ©gale.

[281]   Par consĂ©quent, les invectives et les insultes profĂ©rĂ©es par Serge Lavoie ne peuvent constituer une entrave, car les critères de l’article 129(a) ne sont pas rencontrĂ©s. D’autre part, mĂŞme si l’on arrivait Ă  la conclusion que l’accusĂ©e est dans l’exercice de ses fonctions et que l’arrestation de Ochietti est lĂ©gale, alors les circonstances ne permettent pas de conclure que Serge Lavoie entrave l’accusĂ©e dans l’exercice de ses fonctions.

[282]    Lorsqu’il arrive sur le trottoir avec sa camĂ©ra, Ochietti est dĂ©jĂ  au sol et on s’apprĂŞte Ă  le menotter. Les insultes n’y changent rien et n’empĂŞchent nullement l’accusĂ©e et son collègue d’arriver Ă  leur fin. Le visionnement montre que l’accusĂ©e fait des gestes avec son bras pour signifier Ă  Lavoie de s’effacer mais l’analyse de la preuve n’établit pas une proximitĂ© incommodante pour l’accusĂ©e.

[283]   Le Tribunal ne dit pas que des insultes et des injures ne peuvent constituer une entrave, mais que dans ce cas-ci le contexte ne permet pas de conclure que les propos disgracieux et vulgaires constituent une entrave. 

[284]   Alors lorsque l’accusĂ©e laisse Ochietti et poursuit Lavoie qui s’est effacĂ© comme elle le lui avait ordonnĂ© dans les secondes qui prĂ©cèdent, c’est l’illĂ©galitĂ© qui se poursuit. Son entrĂ©e, l’arrestation sur le palier de l’étage. Dès qu’elle le tire par le bras, il y a voies de fait, qui se poursuivent par la première et la deuxième encolure sur le palier d’entrĂ©e.

[285]    Dans le cas contraire, c'est-Ă -dire que Serge Lavoie commet une entrave alors que l’accusĂ©e agit lĂ©galement dans l’exercice de ses fonctions, que cette entrave dĂ©bute lors de l’interpellation de Ochietti ou lors de sa mise au sol par l’accusĂ©e et son collègue, la question de dĂ©terminer si la force employĂ©e est nĂ©cessaire, proportionnĂ©e ou au contraire excessive et dĂ©mesurĂ©e referait surface.

[286]   Nous retournerions donc aux balises de proportionnalitĂ©, nĂ©cessitĂ© et raisonnabilitĂ© imposĂ©es par l’article 25(1) du Code criminel.

[287]   Dans R.c.Nasogaluak [2010]1 R.C.S.206, la Cour suprĂŞme Ă©crit aux paragraphes 34 et 35:

 

«34. Le paragraphe 25(1) indique essentiellement qu’un policier est fondé à utiliser la force pour effectuer une arrestation légale, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances. Mais l’examen de la question ne s’arrête pas là. Le paragraphe 25(3) précise qu’il est interdit au policier d’utiliser une trop grande force, c’est-à-dire une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne croit que cette force est nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre de telles conséquences…»

 

«35. Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile.»

[288]   Serge Lavoie est Ă  l’étage près de l’escalier. L’accusĂ©e et son collègue s’y retrouvent aussi. L’accusĂ©e lui dit « Sors Â» d’un ton extrĂŞmement agressif, lui agrippe le bras et tire, alors qu’il est possible de procĂ©der Ă  son arrestation Ă  cet endroit. L’arrestation est brutale et dangereuse. Dès qu’elle le tire elle lui fait une encolure et les deux se retrouvent dans l’escalier dont les marches sont en pierre.

[289]   Lavoie et l’accusĂ©e doivent pratiquement se contorsionner pour descendre. Lavoie est en perte d’équilibre de mĂŞme que l’accusĂ©e quelques marches plus loin. Lavoie affirme qu’il est en perte d’équilibre et l’accusĂ©e avance que dès qu’elle relâche il rĂ©siste. Le visionnement dĂ©montre plutĂ´t que Lavoie tente de se redresser mais sans succès, Ă  un point tel qu’il lui demande de le laisser respirer.

[290]   Alors qu’il rĂ©ussit Ă  se lever rendu sur le palier de l’entrĂ©e, l’accusĂ©e lui fait une autre encolure. Son collègue affirme que Lavoie tente de s’enfuir et l’accusĂ©e qu’il recommence Ă  rĂ©sister. Encore une fois le Tribunal ne peut, avec le visionnement de la vidĂ©o, que constater que tel n’est pas le cas.

[291]   Dès la première encolure, la force utilisĂ©e est non seulement excessive et dĂ©mesurĂ©e, mais sa nĂ©cessitĂ© n’est pas dĂ©montrĂ©e par les circonstances mises en preuve.

[292]   Lorsque l’accusĂ©e tire Lavoie par le bras et lui fait immĂ©diatement une encolure, lorsque dans l’escalier elle avise toutes les personnes Ă  l’étage qu’ils vont ĂŞtre arrĂŞtĂ©es pour entrave, lorsqu’elle fait une deuxième encolure, c’est la rage et non la nĂ©cessitĂ© qui guide l’accusĂ©e.

[293]   Vu ce qui prĂ©cède, le Tribunal ne partage pas l’avis de l’expert retenu par la dĂ©fense pour les motifs qui suivent et ajoute qu’il n’est pas de nature Ă  soulever un doute raisonnable.

[294]   Premièrement, plusieurs des faits utilisĂ©s pour construire son opinion ne sont pas en preuve ou n’existent plus tel que rapportĂ©s.

[295]   Deuxièmement, Ă  la page 14 de son rapport il Ă©crit que l’accusĂ©e sur le palier de l’étage applique la technique de contrĂ´le par l’encolure pour se dĂ©fendre et faire cesser les coups de pieds de Serge Lavoie. Or, il s’agit des coups de pieds niĂ©s par Lavoie, qui ne sont pas Ă  la connaissance du policier Henry et que l’accusĂ©e n’est plus en mesure de qualifier d’intentionnels si le Tribunal conclut qu’ils existent.

[296]   Ă€ la page 16, il Ă©crit que la technique d’encolure est employĂ©e entre autres lorsque le policier doit immĂ©diatement contrĂ´ler la personne violente. Or il n’y a pas de violence dans les faits et gestes de monsieur Lavoie lorsqu’il est pris en encolure. C’est l’accusĂ©e qui le tire vers elle pour lui faire une encolure. Les coups de pieds allĂ©guĂ©s viennent après, lorsque la descente commence et avant l’encolure.

[297]   Toujours Ă  la page 14, l’expert affirme que cette technique est appliquĂ©e lorsque le policier n’a aucune raison de croire que la personne subira des blessures. Pourtant Ă  la page 18, il confirme les risques de blessures associĂ©s Ă  la technique de contrĂ´le par l’encolure dans les marches de l’escalier qui est Ă©troit. D’ailleurs, toute personne raisonnable qui voit la descente de l’accusĂ©e et Lavoie pris par encolure, ne peut Ă©viter de penser aux risques de blessures.

[298]   Ă€ ce point dans le jugement, un Ă©claircissement s’impose.

[299]   L’accusĂ©e et son collègue affirment que lors de l’intervention l’environnement est de plus en plus hostile et l’expert, Ă  partir de ce constat, Ă©crit que la solution idĂ©ale le 2 octobre 2012, n’est pas d’entrer dans l’immeuble comme le font l’accusĂ©e et son collègue qui laissent Ochietti seul dehors et menottĂ©, pour entrer dans un immeuble dont ils ne connaissent rien.

[300]   La preuve rĂ©vèle qu’au dĂ©part Ochietti est sur place et qu’il y a trois autres personnes dans l’immeuble. Ă€ l’extĂ©rieur, lorsqu’il est mis au sol, il n’y a que PagĂ© et Lavoie en possession d’une camĂ©ra. On peut difficilement parler d’un encerclement ou d’un attroupement.

[301]   Ă€ l’intĂ©rieur, lorsque Lavoie est malmenĂ©, celui qui parle est Simon PagĂ©, toujours muni de sa camĂ©ra. Aucune bataille, aucune arme n’est vue, aucun toucher n’est notĂ©. Alors, il faut faire la distinction entre un milieu hostile et un milieu menaçant.

[302]   L’expert Ă©crit et affirme que, tenant compte des circonstances, l’utilisation de la technique de contrĂ´le par l’encolure est une option valable (page 18) et que la dernière Ă©tape, soit la vĂ©rification de l’état de santĂ© de Serge Lavoie, incluant la vĂ©rification des menottes pour Ă©viter toute blessure aux poignets dĂ©montre que les agents sont en contrĂ´le et que la force utilisĂ©e par ceux-ci Ă©tait exempte de toute malice.

[303]   Tel qu’explicitĂ© prĂ©cĂ©demment, le Tribunal est d’avis qu’il ressort de l’analyse de la preuve que la force utilisĂ©e est excessive, dĂ©mesurĂ©e et qu’au dĂ©part elle n’est mĂŞme pas nĂ©cessaire et mal avenue. L’expert opine. Absence de malice chez l’accusĂ©e lors de l’intervention. Ce commentaire surprend de part sa nature, d’autant plus qu’il rĂ©fère Ă  l’intention, ce qui n’est pas de son ressort. Cela dit, et sans entrer plus en dĂ©tail dans la sĂ©mantique, il peut y avoir absence de malice dans le cadre d’une intervention policière consciemment abusive et illĂ©gale.

[304]   Vu ce qui prĂ©cède la valeur probante de l’opinion de l’expert, n’est pas de l’avis du Tribunal, de nature Ă  modifier l’analyse de la preuve.

[305]   Avant de terminer, deux autres prĂ©cisions doivent ĂŞtre apportĂ©es par le Tribunal.

[306]   Le tĂ©moignage des autres policiers sur l’état de Serge Lavoie, c’est-Ă -dire son Ă©tat postĂ©rieur suite Ă  son arrestation est surprenant. L’effet souhaitĂ© par ces tĂ©moignages est de dĂ©monter qu’il est fortement intoxiquĂ© donc qu’au moment de l’intervention il l’est davantage, Ă  tout le moins autant. Pourtant, ni l’accusĂ©e ni son collègue n’en font grand Ă©tat.

[307]   Pas plus que Simon PagĂ© ou Ochietti. Serge Lavoie arrive en vĂ©hicule d’une pratique musicale. Qu’il dĂ©gage une odeur d’alcool et ne rĂ©agisse pas alors que la policière lui adresse la parole dans le vĂ©hicule ou qu’elle le touche par la suite pour le faire rĂ©agir, soit, mais cela ne permet pas d’infĂ©rer qu’il est intoxiquĂ© ou très intoxiquĂ©. Il vient d’être arrĂŞtĂ© de la manière que l’on sait et lorsqu’il demande Ă  la policière de le laisser respirer, il parle clairement. D’ailleurs si Ă  ce point intoxiquĂ© comme on essaie de le faire croire, il devient difficile de comprendre comment il rĂ©ussit Ă  descendre les marches alors qu’on lui fait une encolure.

[308]   On le dit agitĂ© lorsqu’il arrive au poste, mais on omet de parler de l’accueil du policier. Il nie avoir crachĂ© ou tentĂ© de cracher sur le policier et ce dernier n’est pas contre-interrogĂ© Ă  ce sujet. Crache-t-il simplement après deux encolures?

[309]   On ne peut, mĂŞme si on Ă©carte toutes les illĂ©galitĂ©s qui prĂ©cèdent la deuxième encolure sur le palier d’entrĂ©e, conclure que l’accusĂ©e agit dans le cadre permis par l’article 25(1) du Code criminel lorsqu’elle fait cette deuxième encolure. Serge Lavoie tente de se lever avec son bras et rĂ©ussit. Il ne se dĂ©bat pas, il ne rĂ©siste pas et il ne tente certainement pas de s’enfuir: il tente de se lever. Pour le Tribunal, l’accusĂ©e commet aussi Ă  ce moment-lĂ  des voies de fait.

[310]   Dans l’une de ses rĂ©ponses, l’accusĂ©e affirme qu’elle sait, le 2 octobre 2012, que sa carrière est terminĂ©e. Pour le Tribunal cette rĂ©ponse constitue un indice sĂ©rieux Ă  l’effet qu’elle est consciente de sortir du cadre de l’exercice de ses fonctions au cours de l’incident.

[311]    En terminant, le Tribunal tient Ă  souligner que la dĂ©cision porte non pas sur la police en tant qu’institution, mais sur des gestes commis par une policière, dont la carrière jusqu’au 2 octobre 2012 est sans tache. Une policière qui ne se sent pas prĂŞte pour un retour au travail et que l’on assigne dans le mĂŞme quartier oĂą surviennent les Ă©vènements qui menèrent Ă  l’arrĂŞt de travail de quelques mois.

[312]   En rĂ©sumĂ©, l’analyse de la preuve convainc hors de tout doute raisonnable de ce qui suit :

1.    l’interpellation maladroite et brusque faite par l’accusĂ©e le 2 octobre 2012 constitue l’élĂ©ment dĂ©clencheur d’une situation qui dĂ©gĂ©nère en quelques minutes;

2.    l’arrestation musclĂ©e de Rudi Ochietti pour refus de collaborer n’est pas objectivable et est donc illĂ©gale et constitue des voies de fait, considĂ©rant la force utilisĂ©e;

3.    il n’y a pas d’entrave, de voies de fait ou d’intimidation faite ou commises par Ochietti et Lavoie;

4.    Ă  compter du moment oĂą l’accusĂ©e empoigne Ochietti, jusqu’à l’arrestation de Lavoie sur le palier de l’entrĂ©e, elle agit illĂ©galement et commet des voies de fait contre Serge Lavoie;

5.    mĂŞme si le Tribunal concluait Ă  une arrestation lĂ©gale, la force utilisĂ©e serait jugĂ©e objectivement excessive et dĂ©mesurĂ©e d’oĂą une conclusion de voies de fait contre Serge Lavoie referait surface.

 

POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL

 

 

DÉCLARE l’accusée coupable de voies de fait;

 

 

 

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DANIEL BÉDARD, J.C.Q.

 

 

 

Me Jean-Simon Larouche

Procureur aux poursuites criminelles et pénales

 

Me Catherine Dumais

Procureure aux poursuites criminelle et pénales

 

Me Jean-Pierre Rancourt

Procureur de la défense

 

Me Céline St-François

Procureure de la défense

 

 

 

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