Décision

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Gabarit EDJ

Uber Canada inc. c. Agence du revenu du Québec

2015 QCCS 3453

 

JB4743

 

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre criminelle)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTREAL

 

N° :

 500-36-007636-155

(500-26-089374-155)

(500-26-089314-151)

(500-26-089313-153)

(500-26-089373-157)

(500-26-089315-158)

(500-26-089372-159)

 

 

 

DATE :

Le 17 juillet 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ALEXANDRE BOUCHER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

UBER CANADA INC

Requérant

c.

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

Intimée

et

CLAUDINE DUVAL, MAXIME ÉTIHIER, SYLVIE ROBICHAUD, SYLVAIN BRASSARD, RENÉ LÉVESQUE, ADIL CHENNAOUI, CONRAD CANIZALEZ, CLAUDE HÉBERT, ALEXANDRA-MAUDE VALADE ET MARC ANDRÉ PELLETIER

et

L’HONORABLE JEAN-PAUL BRAUN, J.C.Q.

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

A.            INTRODUCTION

[1]           La requérante Uber Canada inc. demande l’entiercement de choses, de documents et de renseignements saisis à ses bureaux de Montréal et auprès d’une banque par l’intimée Agence du revenu du Québec (ARQ). Ces saisies on été effectuées en vertu de mandats de perquisition et d’une ordonnance de communication émis par un juge de la Cour du Québec (l’honorable Jean-Paul Braun) en application des articles 40 et 40.1.3 de la Loi sur l'administration fiscale.

[2]           En d’autres termes, la requérante demande, à titre de mesure de sauvegarde, que les éléments de preuve recueillis soient mis sous scellé et confiés à un tiers afin que les enquêteurs de l’ARQ ne puissent en prendre connaissance. Ceci dans l’attente d’un jugement sur une requête en certiorari visant la cassation des autorisations judiciaires et le retour des éléments saisis, lesquels seraient essentiellement des ordinateurs, des téléphones cellulaires de même que des données informatiques et des documents papier de nature commerciale, administrative, comptable ou bancaire.

B.           Faits et procédures

[3]           Les autorisations judiciaires contestées ont été émises dans le contexte d’une enquête menée par l’ARQ à l’endroit de la requérante relativement à deux infractions pénales prévues à l’article 62 de la Loi sur l'administration fiscale. Soit, d’une part, l’infractions d’avoir participé, consenti ou acquiescé à la production de déclarations fausses ou trompeuses faites dans le cadre de l’application d’une loi fiscale et, d’autre part, l’infraction d’avoir, à titre de complice, volontairement éludé ou tenté d’éluder l’observation d’une loi fiscale.

[4]           Uber développe et exploite, sous diverses incarnations corporatives, des applications mobiles qui permettent, au moyen du système de géolocalisation des téléphones cellulaires, la mise en contact d’utilisateurs inscrits et de chauffeurs de véhicules automobiles préalablement approuvés. Uber prend en charge le paiement électronique des courses et la rétribution des chauffeurs moyennant une commission.

[5]           Sur la foi de renseignements exposés dans la dénonciation assermentée qui fut présentée au soutien des demandes de mandats de perquisition et d’ordonnance de communication, l’ARQ considère que la requérante est partie prenante au non-paiement généralisé de la taxe de vente du Québec (TVQ) et de la taxe sur les produits et services (TPS) qui seraient applicables aux services de transport rendus aux moyens de ses applications mobiles. L’ARQ soutient que des éléments de preuve à cet effet peuvent être trouvés dans les équipements informatiques de la requérante.

[6]           Le juge de la Cour du Québec a été convaincu de l’existence des motifs raisonnables requis. Les autorisations judiciaires ont été émises le 13 mai 2015. Initialement, les mandats de perquisitions étaient limités de manière à autoriser seulement la confection de « copies miroirs » des données informatiques sans permettre la saisie du matériel informatique. Cependant, le 14 mai, au cours de la perquisition, les ordinateurs et appareils mobiles ont semblé être redémarrés à distance. Les enquêteurs ont cru que l’on tentait ainsi d’effacer les données. Ils ont donc obtenu une deuxième série de mandats de perquisition, auprès du même juge, qui leur ont permis d’emporter les équipements informatiques. Il y a lieu de souligner que la requérante nie fermement avoir commis toute interférence.

[7]           À la demande de la requérante, la Cour supérieure a provisoirement ordonné la mise sous scellé des éléments saisis dans l’attente du présent jugement. Ceci d’abord au moyen d’une ordonnance d’injonction provisoire émise le 20 mai 2015 (par l’honorable David R. Collier) puis d’une ordonnance d’entiercement temporaire émise le 29 mai 2015 (par l’honorable Sophie Bourque).

[8]           Le 5 juin 2015, un juge de la Cour d’appel du Québec (l’honorable Robert M. Mainville) a rejeté une demande d’autorisation d’appel présentée par l’ARQ à l’encontre de l’ordonnance du 20 mai 2015. Ceci au motif que le moyen invoqué - soit que l’injonction de droit civile n’est pas un remède disponible pour contester un mandat de perquisition - est devenu théorique vu les procédures subséquentes (Agence du revenu du Québec c. Uber Canada inc., 2015 QCCA 994).

C.           Analyse

[9]           Selon l’arrêt 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec (Procureur général), [1994] 2 RCS 339 (Tabah), p. 376, l’ordonnance d’entiercement est discrétionnaire et dépend de la considération de trois critères : (1) le caractère sérieux de la question de droit à trancher au fond, (2) la possibilité que le refus de l'ordonnance interlocutoire cause au requérant un préjudice irréparable, et (3) la prépondérance des inconvénients causés aux parties par l'ordonnance (voir par exemple Construction Louisbourg ltée c. Labelle, 2011 QCCS 4264, par. 4 et 5, jugement confirmé à 2011 QCCA 1636; Construction De Castel inc. c. Paré, 2014 QCCS 5155, par. 38 à 40).

[10]        L’arrêt Tabah a été rendu dans le contexte particulier d’une contestation de la validité constitutionnelle de la législation québécoise qui autorise les perquisitions en matière fiscale. Les critères qui y sont énoncés doivent être appliqués avec prudence et ne doivent pas être interprétés de manière à rendre automatique l’entiercement en cas de contestation d’un mandat de perquisition (R. c. Stein, 2006 QCCS 4319, par. 26 à 36; Alexandre c. Lanctôt, 2009 QCCS 911, par 50).

[11]        Par ailleurs, il vaut de rappeler qu’une autorisation judiciaire est présumée valide (Québec (Procureur général) c. Laroche, [2002] 3 RCS 708, par. 67 à 73).

[12]        Le premier critère portant sur le sérieux de la question de droit soulevée est relativement peu exigeant. Il y a lieu de garder à l’esprit qu’il reviendra au juge saisi de la requête en certiorari de décider de la validité des autorisations judiciaires. Selon l’arrêt Tabah, à la p. 357, au stade de la requête en entiercement, il y a simplement lieu de procéder à un examen sommaire pour vérifier que la requérante a une apparence de droit suffisante et que sa démarche n’est ni futile ni vexatoire.

[13]        En l’espèce, la requérante entend contester les mandats de perquisition en faisant valoir que la dénonciation assermentée contenait des allégations fausses ou trompeuses.  Elle plaide notamment que les allégations de l’ARQ ne décrivent pas fidèlement ses activités qui se limiteraient à fournir des services de soutien et de marketing au Canada à sa compagnie mère Uber BV qui elle-même ne serait qu’un intermédiaire entre des utilisateurs et des chauffeurs indépendants. Ainsi, aucune des entités d’Uber ne serait impliquée dans les contrats de service de transport entre les utilisateurs et les chauffeurs. Elle avance aussi que l’ARQ est mal fondée de présumer que les chauffeurs utilisant les applications Uber ne sont pas des «petits fournisseurs» exemptés de l’obligation de percevoir la TVQ et la TPS. Elle reproche également à l’ARQ d’avoir invoqué une cotisation par l’Agence du Revenu du Canada sans préciser qu’il y avait opposition de sa part. Enfin, elle plaide que les renseignements colligés par l’ARQ quant au fonctionnement général d’Uber ne démontrent pas la commission des infractions alléguées ou que des preuves de ces infractions peuvent être trouvées en fouillant ses équipements informatiques.

[14]        Les arguments de la requérante sont indéniablement sérieux et intéressants.

[15]        Cependant, la réplique de l’intimée donne à réfléchir. Celle-ci prétend que les arguments de la requérante vont, pour l’essentiel, au-delà de la portée limitée du recours en certiorari et relèvent plutôt d’un éventuel procès au fond sur la culpabilité. En particulier, l’ARQ plaide que les arguments relatifs au modèle d’affaire de la requérante et aux exemptions fiscales possiblement applicables dépassent le cadre restreint du débat sur la validité des autorisations judiciaires.

[16]        Le recours en certiorari a effectivement une portée limitée. Il vise à vérifier si la juridiction inférieure a rendu une décision erronée sur sa compétence ou commis une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier (R. c. Cunningham, [2010] 1 RCS 331, par. 57).

[17]        Dans le contexte d’une contestation d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire, le rôle du juge réviseur consiste à vérifier la présence de motifs, fondés sur des renseignements suffisants et fiables, qui permettaient au premier juge de l’accorder (R. c. Araujo, [2000] 2 RCS 992, par. 51; R. c. Morelli, [2010] 1 RCS 253, par. 40 et 41). Il ne s’agit donc pas d’examiner la véracité des prétentions de la poursuite quant aux éléments essentiels des infractions alléguées (R. c. Pires; R. c. Lising, [2005] 3 RCS 343, par. 30). De même, l’exécution du mandat n’est pas en cause (Cohen c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 122, par. 7; St-Pierre c. Sûreté du Québec, 2014 QCCA 2378, par. 24 à 27).

[18]        Il reste que les arguments avancés par la requérante sont sérieux et touchent, au moins en partie, à la compétence du juge émetteur. Cela est suffisant au stade de la présente requête.

[19]        En vertu du deuxième critère, il y a lieu de déterminer si le refus d’ordonner l’entiercement est susceptible de causer un préjudice irréparable à la partie requérante. Le degré d’intrusion dans la vie privée qui est invoqué et la possibilité d’obtenir une réparation telle que l’exclusion de la preuve au procès sont des considérations pertinentes à l’analyse (Alexandre c. Lanctôt, précité, par. 64 à 69).

[20]        L’expectative de vie privée est faible relativement à une activité commerciale réglementée de même qu’en matière d’application du régime fiscal (R. c. Jarvis, [2002] 3 RCS 757, par. 72; Constructions Louisbourg ltée c. Agence du revenu du Québec, précité, par. 10 et 11; R. c. Stein, précité, par. 50).

[21]        Dans la présente affaire, la requérante ne démontre aucun préjudice spécifique autre que la prise de connaissance par l’ARQ du contenu des données et des documents saisis. Cela ne peut être suffisant pour satisfaire au critère du préjudice irréparable. À cet effet, la Cour d’appel dans Constructions Louisbourg ltée c. Agence du revenu du Québec, précité, affirmait ceci aux par. 12 et 13 :

[12]   De plus, la seule preuve d'un préjudice que pourrait causer le refus d'entiercement se retrouve au paragr. 8 de la déclaration assermentée du 2 août 2011 jointe à la demande d'entiercement amendée, qui est ainsi libellé :

Si l'entiercement n'est pas accordé, les requérants subiront un préjudice sérieux et irréparable en ce que l'Agence du revenu du Québec continuera d'avoir accès aux documents saisis.

[13] Il n'y a donc pas de preuve d'un préjudice particulier, de sorte qu'il faut conclure que, selon les appelants, une demande de certiorari, fondée sur des motifs sérieux, devrait toujours entraîner une ordonnance d'entiercement. Cela ne peut être la règle, d'autant que d'autres mesures de réparation pourront être envisagées dans l'hypothèse où les mandats étaient annulés par la Cour supérieure.

[22]        Le troisième critère portant sur la prépondérance des inconvénients requière la pondération des intérêts divergents en jeu.

[23]        Compte tenu de ce qui précède, les propos suivants de la Cour d’appel dans Centre de traitement en imagerie virtuelle inc. c. Le Ministre du Revenu du Québec, C.A.Q., no. 500-09-015500-051, décision du 7 juillet 2005 (cités dans R. c. Stein, précité, au par. 51 et dans Toitures et profilés métalliques Nobel-St-Laurent inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2007 QCCS 5355, au par. 23) s’appliquent en l’espèce :

Après avoir étudié le dossier et entendu les parties, [la Cour] conclut que dans les circonstances de l’espèce, notamment en tenant compte de la prescription édictée à la Loi sur le ministère du Revenu du Québec de même que la possibilité de l’exclusion d’une preuve à une autre étape, les requérants n’ont pas établi qu’ils subiront un préjudice irréparable si les autorités fiscales prenaient connaissance du contenu des documents saisis, non plus que la prépondérance des inconvénients commandent à ce stade-ci une intervention de la Cour.

[24]        En somme, pour paraphraser la Cour d’appel dans Aviscar Inc. c. Québec (Revenu), 2004 CanLII 45554 (CAQ), au par. 4, la pondération du droit de la requérante à une protection réduite de la vie privée et de celui des contribuables au respect des lois fiscales milite en faveur de la position de l’ARQ.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]        REJETTE la requête en entiercement.

[26]        Frais à suivre.

 

 

__________________________________

ALEXANDRE BOUCHER, J.C.S.

 

Me Nicolas Cloutier et Me Marc Alexandre Hudon

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Procureurs du Requérant

 

Me Eric Bernatchez et  Me Valérie Ouellet

Revenu Québec

Procureurs de l’Intimée

 

Date d’audience :

Le 23 juin 2015

 

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