R. c. Blackburn | 2024 QCCQ 2516 | ||||
COUR DU QUÉBEC | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | ||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||
N°: | 200-01-243791-211(002) | ||||
| 200-01-243912-213 | ||||
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DATE : | 6 juin 2024 | ||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARIO TREMBLAY, J.C.Q. | |||
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LE ROI | |||||
Poursuivant | |||||
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c. | |||||
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JULIE BLACKBURN | |||||
Accusée | |||||
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JUGEMENT | |||||
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[1] Julie Blackburn ou Blackburn subit son procès sur un chef d’accusation porté en vertu de l’article 172.2 (1)b) du Code criminel, lui reprochant de s’être entendue par un moyen de télécommunication avec Guy Boutin, dans le but de perpétrer une accusation de nature sexuelle à l’égard de personnes âgées de moins de 16 ans.
[2] À l’ouverture du procès, elle a reconnu sa culpabilité à plusieurs chefs : production de pornographie juvénile, transmission de pornographie juvénile, possession de pornographie juvénile, ainsi que d’avoir commis un acte de bestialité. Elle n’a offert aucune défense sur un chef d’entente pour produire de la pornographie juvénile.
[3] Les parties ont collaboré pour la présentation de la preuve. Le procès s’est déroulé rondement, malgré l’abondance de preuve. Le débat portait uniquement sur l’intention qui l’animait lorsqu’elle échangeait avec Boutin concernant un projet d’agresser sexuellement une enfant qu’elle gardait.
[4] Pour l’essentiel, le procureur de Blackburn soumet qu’elle n’avait pas vraiment l’intention spécifique de s’entendre avec Boutin dans le but que l’enfant soit agressée, mais qu’elle avait ces nombreux échanges avec lui dans le but de soutenir son attention. C’est tout ce qui l’intéressait. En d’autres occasions, l’accusée suggère qu’elle était, dans une certaine mesure, obligée d’agir ainsi pour conserver son attention.
[5] Les questions en litige portent sur l’évaluation de la crédibilité à accorder au témoignage de l’accusée dans l’ensemble de la preuve et sur les conclusions à tirer selon les normes de preuve applicables aux différentes accusations.
[6] Une deuxième question porte sur la notion d’entente au sens de l’article 172.2 du Code criminel et plus particulièrement sur l’intention spécifique requise.
[7] Dans les faits, Blackburn et Boutin ont un projet commun de gardiennage. Blackburn a déjà gardé des enfants. On retrouve dans un ordinateur un plan pour une garderie créé à l’origine par Blackburn et modifié en 2015. Une annonce est créée en 2020.
[8] En octobre 2020, une dénonciation provenant d’un site de rencontre est transmise aux policiers. En février 2021, un agent crée un profil d’infiltration et entre en communication avec Boutin et l’accusée.
[9] Les conversations de l’agent d’infiltration avec Boutin permettent d’acquérir les motifs qui conduiront à une première perquisition au domicile de Boutin et Blackburn. Boutin est arrêté. Plusieurs objets sont saisis, dont un des cellulaires de Blackburn.
[10] Le 25 mai 2021, une deuxième perquisition permet de trouver un autre cellulaire appartenant à Blackburn contenant des photos de l’enfant qu’elle gardait, ainsi que des milliers de conversations entre elle et Boutin.
[11] Environ 3000 conversations ont été récupérées. Un bon nombre de celles-ci portent sur des agressions sexuelles de personnes mineures. De ce nombre, plusieurs portent sur le projet d’agresser sexuellement l’enfant que gardait Blackburn.
[12] La preuve a été présentée sous forme d’admission. Toutes les conversations ont été conservées et les plus pertinentes ont été déposées. Elles ont été utilisées et commentées tant en poursuite qu’en défense.
[13] En voici deux exemples :
- Le 23 novembre 2017 : Blackburn envoie deux photos de fillettes (mannequins) à Boutin. Les fillettes ont environ 12 ans. Boutin et Blackburn discutent des deux photos des jeunes filles. Ils discutent ensuite de relations sexuelles, en mentionnant des enfants. Blackburn dit qu’elle n’irait pas en bas de 13 ans, elle parle aussi d’une annonce.
- Le 1er mars 2018 : Pendant une querelle, Blackburn dit : « On va juste realiser notre fantasme ok... », « Tu toccupes de xxxxxx pis onnne parle pu ».
[14] En considérant, les termes crus et vulgaires utilisés dans plusieurs échanges, le Tribunal ne reproduira pas plus d’extraits. D’ailleurs, la preuve a été placée sous scellés.
[15] Ensuite, l’interrogatoire de l’accusée a été enregistré et présenté au Tribunal.
[16] Puisqu’il est question de l’état d’esprit ou l’intention spécifique de l’accusée, on comprendra que sa déclaration aux policiers et son témoignage sont importants. Le Tribunal les résume ainsi.
[17] L’interrogatoire se déroule en deux temps. Dans un premier temps, l’enquêtrice crée un climat de confiance et interroge plutôt ouvertement l’accusée.
[18] Blackburn répond qu’elle n’a rien à cacher, qu’elle trouve dégueulasse les adultes qui s’en prennent aux mineurs, que Boutin est bien correct et qu’il n’est pas contrôlant. Elle a des valeurs, telles que l’honnêteté et le respect, ajoutant que Boutin a les mêmes valeurs qu’elles. Elle aimerait avoir un enfant avec lui, mais comme cela ne fonctionne pas, elle envisage l’adoption.
[19] L’enquêtrice aborde ensuite le sujet du gardiennage. Blackburn parle avec aisance d’une expérience avec une petite fille de 7 ou 8 ans qui a duré un an ou deux.
- Est-ce qu’il lui est arrivé de prendre des photos? Elle répond une fois, une photo d’une fesse. Elle a gardé cette photo dans son cellulaire.
- Avait-elle des relations sexuelles avec le père de la plaignante? Elle répond non.
- A-t-elle pris des photos de l’enfant nue? Non.
- A-t-elle pris des photos dans le bain? Non.
- A-t-elle envoyé des photos à Boutin? Non.
[20] Elle n’a jamais parlé avec Boutin de fantasmes pédophiliques, elle trouve ça dégueulasse.
[21] Sans changer de ton, l’enquêtrice insiste sur les photos. Après un long silence, Blackburn se met à pleurer et raconte qu’elle avait un genre de fantasme. Elle ne mesurait pas les conséquences, elle regrette et va toujours le regretter.
[22] Elle dit : « …j’ai surtout peur des conséquences ».
[23] Elle reconnaît avoir pris plus d’une photo, mais nie encore les avoir partagées à Boutin.
[24] L’enquêtrice suggère que Boutin aurait mis de la pression pour les photos. Elle répond :« peut-être un peu ». Elle dit : « Il voulait, moi je voulais pas, mais je l’ai fait pareil ».
[25] Elle mentionne que l’idée des photos venait un peu des deux, mais que ça ne l’excitait pas tant que ça, que c’était un fantasme.
[26] Dans un deuxième temps, l’enquêtrice aborde les projets d’agression. Elle lui demande :
- Est-ce que Boutin est un pédophile? Elle répond non.
- Est-ce que Boutin lui a demandé de toucher à la petite? Elle ne répond pas.
- Est-ce qu’elle a une déviance ? Elle répond non, ajoutant qu’elle travaillait dans une garderie.
[27] L’enquêtrice revient sur les photos. Blackburn reconnaît qu’elle les a prises à la demande Boutin, qu’elle avait peur de le perdre.
[28] L’enquêtrice commence à la confronter avec la preuve. Elle lui suggère qu’elle aurait pris 11 photos de l’enfant. Blackburn dit : « impossible, jamais, jamais ».
[29] Au fur et à mesure que l’enquêtrice la confronte sur le projet d’agression, elle nie, prétend ne pas se souvenir et soudainement reconnaît que Boutin « voulait rien que y pogner les fesses », mais que finalement, il ne s’est rien passé, qu’elle ne voulait rien savoir.
[30] Elle confesse que le plan impliquait que Boutin vienne la rejoindre pour agresser l’enfant, mais que : « …ça ne s’est jamais passé ».
[31] Ensuite, l’enquêtrice lui relate une conversation où elle discute avec Boutin de la meilleure façon d’agresser l’enfant. Elle répond à Boutin et explique l’intérêt de procéder d’une manière plutôt qu’une autre. Elle dit à l’enquêtrice : « …on parlait pour parler, c’était des fantasmes, il était supposé de venir une fois, il est jamais venu ».
[32] Elle précise que ce dont Boutin parle ne l’intéresse pas. L’enquêtrice lui lit d’autres échanges avec Boutin où c’est elle qui suggère comment s’y prendre avec l’enfant. À un certain moment, elle écrit à Boutin qu’elle a peur « …qu’on se fasse pogner ». Elle suggère d’y aller « molo ».
[33] Après une autre séquence de messages scabreux, l’enquêtrice lui dit : « tu penses quoi ». Blackburn répond : « c’est des signes d’un pédo », « je m’en veux d’avoir joué dans son jeu ».
[34] Confrontée au fait qu’il y avait des traces d’accès à 811 fichiers d’enfants dans son propre cellulaire, elle répond que c’est impossible, que cela serait surprenant.
[35] Confrontée au message qui traite d’un acte de bestialité avec sa chienne, elle répond : « peut-être une fois ».
[36] L’enquêtrice lui tend une perche en demandant comment elle aurait réagi si Boutin avait été en mesure d’agresser la petite, elle répond : « …j’aurais probablement appelé la police ». L’enquêtrice lui rétorque qu’elle ne l’a jamais appelé. Blackburn répond : « Non, j’avais peur de le perdre ».
Le témoignage de l’accusée
[37] L’accusée fut le seul témoin entendu en défense.
[38] Elle raconte le début de sa relation avec Boutin en appartement à Québec. Boutin est camionneur. Le couple avait le projet d’acheter une maison et d’ouvrir une garderie, mais cela n’est jamais arrivé.
[39] Lorsqu’elle a commencé à garder des enfants, Boutin lui parlait des filles de 13 ans et 7 ans qu’elle gardait. Il voulait avoir des photos d’elles, nues.
[40] Vers 2017-2018, Boutin la laisse pour aller rencontrer une femme en Russie. Elle doit partir de l’appartement lorsqu’il revient avec cette femme. Après quelque temps, la femme quitte et Boutin demande à l’accusée de revenir.
[41] Blackburn mentionne que Boutin est très porté sur le sexe. Elle trouve des photos de mannequinat sur le Net, les lui transmet « pour qu’il s’occupe d’elle », dit-elle.
[42] Le procureur attire son attention sur plusieurs des conversations. Elle répond qu’elle devait toujours lui parler de sexe pour avoir une conversation sinon Boutin l’ignorait.
[43] Il lui reprochait de promettre des « choses », mais de ne pas les faire. Lorsqu’elle gardait, elle raconte qu’elle sortait de la maison de la plaignante avant qu’il arrive. Elle ne voulait pas qu’il entre. Elle lui répondait ce qu’il voulait entendre, pour avoir la paix.
[44] Il lui faisait des menaces, entre autres, pour obtenir les quatre premières photos de la plaignante. Il l’a menacé de ne plus pouvoir voir ses enfants à lui qu’elle considérait un peu comme les siens. Il lui a même mentionné qu’il connaissait des motards criminalisés.
[45] Elle dit qu’elle lui répondait ce qu’il voulait entendre pour avoir la paix. Elle lui aurait menti à propos des relations sexuelles avec le père de la plaignante et de l’acte de bestialité.
[46] Elle lui a envoyé les photos de la plaignante, 14 en tout parce qu’il l’ignorait depuis un moment. Il ne répondait plus à ses messages. Elle voulait son attention, elle croyait qu’il lui mentait sur les raisons de son silence. Elle a reçu une réponse immédiatement après l’envoi des photos.
[47] Elle dit qu’elle écrivait ce qu’il voulait entendre, mais ne le pensait pas. Quand elle a discuté avec lui du meilleur moyen d’agresser une jeune enfant sans laisser de traces, c’était pour le « calmer ».
[48] En contre-interrogatoire, elle admet qu’elle savait que Boutin voulait agresser des enfants et qu’elle n’a pas appelé les policiers. Elle répond que c’est parce qu’elle avait peur et qu’il la menaçait.
[49] Elle reconnaît que Boutin avait manifesté de l’intérêt sexuel pour les enfants depuis 2014 ou 2015, qu’il avait des plans très concrets. Elle est consciente qu’il était un pédophile. Par ailleurs, Boutin l’appelait « ...sa pédo préférée ».
[50] Elle accepte la suggestion du procureur que lorsqu’elle garde la plaignante, elle est toujours consciente que c’est un pédophile et elle continue de nourrir son fantasme envers l’enfant.
[51] Elle reconnaît qu’elle avait menti auparavant, notamment en disant que Boutin n’avait jamais été violent avec elle. Il n’y a d’ailleurs aucune allusion à cela dans les milliers de conversations déposées, qui s’étalent sur quatre ans. Elle répond que les menaces « c’était au téléphone ».
[52] Elle croit que Boutin avait réellement l’intention d’abuser des enfants, mais ne sait pas s’il l’aurait fait.
[53] Le procureur lui fait reconnaître qu’elle niait tout lors de l’interrogatoire policier avant que l’enquêtrice ne la confronte à la preuve. Elle dit qu’elle avait oublié complètement, qu’elle « ...ne voulait pas s’en rappeler ».
[54] Pour expliquer, elle ajoute qu’elle avait peur des conséquences légales et des conséquences de la part de Boutin. Toutefois, elle n’a parlé à l’enquêtrice que des conséquences légales.
[55] Il lui faut un moment pour reconnaître qu’elle a effectivement déclaré à l’enquêtrice « ...j’avais un fantasme » Elle ajoute que le fantasme n’a pas duré longtemps, peut-être « deux ou trois ans ».
[56] Le procureur lui demande s’il est vrai qu’il n’était pas dans son intention que l’agression survienne, pourquoi avait-elle peur que l’enfant la dénonce, « ...les stool » ou « qu’on se fasse pogner »? Elle ne répond pas.
[57] Elle déclare qu’elle a déjà frappé Boutin « …un coup de poing sur la gueule ».
[58] Confrontée à plusieurs passages où elle utilise des termes très évocateurs, elle maintient que les termes qu’elle utilisait ne reflétaient pas ce qu’elle pensait.
Le procureur de l’accusée
[59] Pour le procureur de l’accusée, Blackburn a entretenu chez Boutin l’idée d’agresser l’enfant qu’elle gardait pour conserver son affection ou son attention, mais que cela n’était pas son intention véritable. Elle a constamment agi de manière à retarder ou à éviter le passage à l’acte. Il soumet donc qu’il n’y avait pas de véritable entente.
[60] Elle a cependant donné suite à une partie de l’entente et cédé à son désir de produire des images pornographiques.
Le poursuivant
[61] Pour le poursuivant, la version de l’accusée n’est pas crédible. Il y a donc lieu d’écarter ses explications sur le fait qu’elle agissait uniquement dans le but d’attirer l’attention de Boutin ou parce qu’elle était sous son emprise.
[62] En considérant la preuve abondante, une entente ou un arrangement est établi. Il s’agissait de leur plan, d’un plan commun.
[63] Puisqu’il s’agit d’une infraction inchoative, le poursuivant soumet que l’actus reus peut être établi sans que le résultat ou le plan ne soit réalisé.
L’appréciation de la crédibilité
[64] Le traitement des questions de droit est étroitement lié à l’appréciation de la crédibilité des témoins dans l’ensemble de la preuve. Le Tribunal doit être équitable dans l’appréciation d’une preuve contradictoire et de l’ensemble des témoignages[1]. Il doit apprécier la crédibilité de tous les témoins selon le même standard.
[65] Toutefois, l’accusée bénéficie du doute raisonnable dès le début du procès et il incombe toujours au poursuivant d’établir sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette norme de preuve doit donc sous-tendre l’ensemble de la démarche[2].
[66] L’appréciation de la crédibilité n’est pas une science exacte, le juge des faits s’en remet à ses connaissances et son expérience pour tirer des déductions de faits conformes au bon sens[3].
[67] La crédibilité est souvent déclinée en deux composantes : la sincérité et la fiabilité, mais l’analyse distincte de ces composantes n’est pas obligatoire[4]. La description des faits étant avant tout une question de perception, un témoin peut être sincère et déposer honnêtement, mais se tromper. Un autre peut être malhonnête, mais livrer un témoignage sans faille.
[68] Le rôle du Tribunal n’est pas de départager qui dit vrai ou qui est le plus crédible. Il ne choisit pas une version parce qu’elle est plus crédible ou plausible[5]. La véritable question à se poser consiste toujours à se demander si, considérant l’ensemble de la preuve, incluant le témoignage du plaignant et celui de l’accusée[6], le poursuivant s’est ultimement déchargé de son fardeau[7].
Les éléments essentiels de l’accusation prévue à l’article 172.2 C.cr.
[69] Dans l’arrêt récent de Stordy[8], la Cour d’appel de l’Ontario rappelle que l’objectif législatif de l’article 172.2 C.cr. est de protéger les enfants contre les prédateurs sexuels.
[70] L’article vise des comportements qui n’incluent pas nécessairement de contacts directs avec des enfants :
Section 172.2 criminalizes defined conduct that does not involve direct contact with children; instead, it targets
[71] Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario examine à fond une question semblable à celle soulevée par le procureur de Blackburn. Elle conclut que la preuve de l’intention spécifique exige que les esprits de deux personnes se rencontrent véritablement, un peu comme dans un complot « a coming together of two minds ».
[72] Dans les faits, un agent du FBI se fait passer pour la mère de deux jeunes enfants dans un groupe de discussion privé. Pendant plusieurs semaines, Stordy a des échanges avec la mère sur les activités sexuelles qu’il veut avoir avec la mère et les enfants. Éventuellement, Stordy se désintéresse et ne donne pas suite aux discussions qui impliquaient un déplacement aux États-Unis.
[73] Au procès, Stordy a témoigné qu’il n’était pas authentique ou sincère dans ses discussions, qu’il était plutôt en train d’enquêter sur cette femme qui offrait ses enfants pour des activités sexuelles sur Internet. Il l’aurait dénoncé à la police s’il avait pu confirmer ses soupçons.
[74] Le juge du procès acquitte Stordy estimant qu’il n’avait pas fait plus que « engaged in a fantasy rôle-play » et que la poursuite n’avait pas prouvé qu’il avait l’intention de se déplacer pour donner suite à son projet.
[75] Il faut dire que la preuve révélait que peu de temps avant de rompre la discussion, Stordy s’était attaqué verbalement de façon violente à l’agent qui personnalisait la mère, menaçant de dénoncer ses coordonnées à la police.
[76] En appel, la Cour ordonne la tenue d’un nouveau procès. D’une part parce que le juge s’est mépris sur l’élément intentionnel et d’autre part, qu’il ne s’est pas prononcé clairement sur l’actus reus.
[77] Parlant de l’actus reus, la Cour revisite sa décision dans l’arrêt Wheeler[9] qui avait établi que l’intention des parties ne devait pas être considérée à cette étape. Au paragraphe 68, le juge Feldman écrivait alors :
At this stage, the subjective intention of either party is irrelevant – as a result, whether either party is feigning is also irrelevant.
[78] La Cour écrit qu’une interprétation de l’article 172.2 C.cr. qui criminaliserait la preuve de l’existence d’une entente sans égard à la sincérité de la personne accusée n’atteindrait pas le seuil de ce qui est généralement exigé pour engager la responsabilité criminelle au Canada.
[79] Quant à l’intention spécifique ou la mens rea, il s’agit de l’intention de s’entendre ou d’avoir un arrangement pour commettre une infraction énumérée. Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention de commettre une des infractions énumérées ni l’intention de donner suite à l’entente après qu’elle se soit cristallisée.
[80] La Cour se montre ensuite critique de la méthode traditionnelle (actus reus/mens rea) estimant, jurisprudence de la Cour suprême à l’appui, que cette approche pourrait ne pas être éclairante en ce qui a trait à de nouvelles infractions telles que celles prévues aux articles 172.1 et 172.2 du Code criminel.
[81] Pour illustrer son propos, elle précise qu’à l’article 172.2 C.cr., l’élément matériel de l’infraction est essentiellement une véritable entente, ce qui est en soi un processus mental.
[82] Elle ajoute au paragraphe 57, qu’une véritable entente sera toujours une question de fait basée sur l’entièreté de la preuve. Bien que la preuve de l’intention de mener à terme l’entente et d’éventuellement commettre une infraction énumérée n’est pas nécessaire pour prouver l’entente, toute la preuve relative à l’état d’esprit de l’accusé est pertinente pour évaluer s’il existe une véritable entente.
[83] Le poursuivant et le procureur de l’accusée ont fait des observations sur l’appréciation de la crédibilité de Blackburn. Pour le poursuivant, l’abondante preuve tirée des conversations, combinée à l’interrogatoire de l’accusée, établissent nettement qu’elle ne dit pas la vérité au procès.
[84] Le Tribunal a effectivement constaté un manque flagrant de sincérité.
[85] Il suggère donc de rejeter complètement le témoignage de l’accusée quant à son affirmation à l’effet qu’elle n’avait pas vraiment une entente ou un arrangement avec Boutin pour agresser un enfant et plus particulièrement l’enfant qu’elle gardait.
[86] Le procureur de l’accusée estime pour sa part que le poursuivant ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve. Bien que l’accusée utilise régulièrement des termes qui donnent à penser qu’il s’agit de son fantasme ou d’un projet qu’elle caresse avec Boutin, elle n’aurait pas réellement agressé l’enfant qu’elle gardait. Elle n’était pas authentique avec Boutin, elle agissait plutôt pour éviter qu’il agresse l’enfant.
[87] En considérant l’ensemble de la preuve, les explications récentes de l’accusée se heurtent aux termes employés dans ses écrits. D’ailleurs, son procureur a tenté habilement de démontrer que, malgré ses écrits très compromettants, le projet d’agresser la plaignante ne s’est jamais concrétisé.
[88] Le fait que l’enfant n’ait pas été agressé est pertinent, mais la preuve au procès tend à soutenir que cela est peut-être passé très proche.
[89] Pour preuve, le projet de produire de la pornographie juvénile en contravention de l’article 172.1 C.cr. qui connaissait une évolution parallèle est devenu rapidement une réalité lorsque l’accusée a souhaité regagner l’attention de Boutin.
[90] Dans l’esprit du Tribunal, les deux ententes ou projets cheminaient en parallèle et tous les éléments d’une véritable entente étaient cristallisés depuis un bon moment.
[91] Le Tribunal ne croit pas les explications de l’accusée et ne croit pas l’interprétation qu’elle donne à ses messages non plus, à la face des conversations déposées. Dans l’ensemble, aucun doute raisonnable ne subsiste dans l’esprit du Tribunal.
[92] L’accusée ne conteste pas que Boutin avait réellement l’intention d’agresser l’enfant qu’elle gardait. Si les messages de Boutin étaient représentatifs de ce projet et donc crédibles, les messages de Boutin qui lui reprochent de ne pas passer à l’acte sont autant de preuve qu’une entente ou un arrangement était convenu entre les parties.
[93] Pour ces raisons, le Tribunal croit, hors de tout doute raisonnable, qu’une véritable entente « meeting of two minds » s’est concrétisée entre Boutin et Blackburn pour agresser sexuellement l’enfant que l’accusée gardait.
[94] Dans ce type de procès, il est plus fréquent d’observer qu’un des deux participants à l’entente est un policier, un agent d’infiltration. On imagine facilement qu’un agent d’infiltration s’assurera habilement de couvrir tous les éléments juridiques requis avant de conclure qu’il est en présence d’un acte criminel. C’est d’ailleurs ainsi qu’a témoigné l’agent du FBI dans Stordy.
[95] Au paragraphe 27 de Stordy, la Cour souligne donc être particulièrement préoccupée lorsque deux citoyens commettent une infraction prévue à l’article 172.2 C.cr. puisqu’elle estime que le risque qu’un enfant soit abusé est augmenté.
[96] En l’espèce, il est heureux que le poursuivant ait pu disposer d’autant de messages sur une aussi longue période pour établir l’existence d’une véritable entente entre Boutin et Blackburn afin de produire de la pornographie juvénile et pour perpétrer une infraction prévue aux articles 271, 272 ou 273 C.cr.
6. LES DÉCISIONS
POUR CES RAISONS, LE TRIBUNAL :
Dans le dossier 200-01-243791-211(002)
[97] DÉCLARE l’accusée coupable sur les chefs 4 et 5.
[98] ACCEPTE les plaidoyers sur les chefs 1, 2, et 3
[99] DÉCLARE l’accusée coupable des chefs 1, 2 et 3.
Dans le dossier 200-01-243912-213.
[100] ACCEPTE le plaidoyer sur le chef 1.
[101] DÉCLARE l’accusée coupable du chef 1.
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| __________________________________ MARIO TREMBLAY, J.C.Q. |
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Me Louis-Philippe Desjardins | |
Procureur du poursuivant | |
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Me Louis Belliard | |
Procureur de l’accusée | |
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[1] Paradis c. R.,
[2] R. c. Lufchus,
[3] Cedras c. R., (1994) 31 CR (4e ed.), 305; R. c. Gagnon,
[4] J.L. c. R.,
[5] Pierre c. R.,
[6] R. c. L. (D.O),
[7] R. c. Vuradin,
[8] R. v. Stordy,
[9] R. v. Wheeler, 2022 ONCA 824.
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.