Shah c. Lancelot- Dupuis |
2016 QCRDL 31735 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
231510 31 20150811 G |
No demande : |
1811552 |
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Date : |
19 septembre 2016 |
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Régisseure : |
Luce De Palma, juge administrative |
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Arshad Shah
SYLVIE PILON |
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Locateurs - Partie demanderesse |
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c. |
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ÉRIC LANCELOT-DUPUIS |
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Locataire - Partie défenderesse |
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et |
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PHILIPPE DUPUIS |
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Caution - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 11 août 2015, les locateurs demandaient des dommages-intérêts au montant de 4 088,47 $, avec intérêts et frais.
[2] Il appert de la preuve que les parties étaient liées par un bail du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, pour un loyer mensuel de 745 $.
[3] La preuve révèle également que le locataire et la caution étaient solidairement responsables des obligations de ce bail.
[4] Le logement concerné est l’un des trois logements de trois pièces situés au second étage de cet immeuble de trois étages. L’étage du dessus compte un grand logement de sept pièces, alors que le rez-de-chaussée ne compte aussi qu’un grand logis de sept pièces.
[5] Au soutien de la présente demande, la locatrice présente, Mme Pilon, témoigne que le locataire, M. Lancelot-Dupuis, a quitté ce logement prématurément et sans droit, le 31 janvier 2015.
[6] Ce faisant, il la laissait avec un manque à gagner de l’ordre de cinq mois de loyer, alors qu’elle ne parvenait à relouer ce logement que le 1er juin 2015, tout en octroyant une somme équivalente à un mois de loyer au nouveau locataire des lieux dans un but incitatif, soumet-elle.
[7] Elle ajoute avoir fait des efforts de relocation en vue de minimiser ses pertes, publiant sans relâche des annonces sur le site Kijiji, et encourant des frais publicitaires de l’ordre de 239,80 $.
[8] Qui plus est, elle déboursait la somme de 123,67 $ à titre de frais d’énergie, et ce, au lieu et place du locataire.
[9] Elle reconnaît qu’avant son départ, soit le 7 janvier 2015, le locataire lui expédiait une lettre, lettre intitulée « mise en demeure » et par laquelle il l’enjoignait de mettre fin à son bail en date du 1er avril 2015, déplorant le vacarme fait par les locataires logeant dans le logement de l’étage supérieur. Il ajoutait que pour des raisons psychologiques, la psychiatre de sa conjointe recommandait fortement leur départ des lieux.
[10] Elle refusait toute résiliation du bail et lui indiquait qu’elle allait considérer comme illégal un départ en cours de bail, tout en entreprenant dès lors des démarches de relocation, souhaitant dès lors réduire ses pertes.
[11] Elle recevait ensuite un avis d’abandon de la part du locataire, lequel jugeait ce logement impropre à l’habitation et indiquait que sa conjointe devait quitter les lieux en raison de problèmes médicaux attestés par une psychiatre.
[12] Il la référait également à une « annexe », laquelle faisait mention d’une série de problèmes reliés à l’état physique du logement, mais dont elle prenait connaissance pour la première fois, déclare-t-elle.
[13] Bien qu’il lui communiquait sa nouvelle adresse, elle n’a pas jugé indiqué d’entrer de nouveau en communication avec lui, par la suite, jugeant que ce logement n’avait jamais été impropre à l’habitation. Elle avance que le locataire souhaitait simplement le quitter parce qu’il ne lui convenait pas, sans plus.
[14] De son côté, le locataire soutient avoir quitté ce logement à bon droit et ne rien devoir à la locatrice.
[15] Il explique que le principal problème vécu dans ce logis avait trait au bruit.
[16] D’abord, explique-t-il, sa conjointe et lui n’ont pu placer leur lit dans la chambre à coucher, étant donné que le mur de briques de cette pièce s’effritait. Une poussière désagréable s’en suivait et tombait sur leur lit, de sorte qu’il plaçait celui-là dans le salon.
[17] Cela étant, ils entendaient constamment la musique placée à fort volume par les occupants du dernier étage et le son de la « base ».
[18] Le locataire affirme que ces bruits étaient fréquents et qu’il lui était difficile de dialoguer avec les occupants du haut, lesquels n’étaient jamais les mêmes.
[19] Aussi se plaignait-il aux policiers et à la locatrice.
[20] Il précise avoir fait cinq appels aux policiers entre les mois de juillet 2014 et janvier 2015, surtout entre le jeudi et le dimanche.
[21] Ces derniers ne furent toutefois d’aucun secours, car lorsqu’ils arrivaient au logement, le bruit avait cessé.
[22] Lorsqu’il avisait la locatrice des bruits perçus, elle lui rétorquait d’appeler les policiers de nouveau.
[23] Il appelait la locatrice une dernière fois pour se plaindre du bruit, le 1er janvier 2015.
[24] À cette date, précise-t-il, un « party » donné par les locataires du haut se terminait à cinq heures du matin.
[25] La locatrice lui répondait simplement qu’elle quittait pour un voyage et qu’il devait « l’aider un peu ».
[26] Entre-temps, sa conjointe entrait à l’hôpital d’urgence, soit à la mi-décembre 2014, souffrant, appert-il, de troubles anxieux, bien que le Tribunal n’ait pas eu le bénéfice de prendre connaissance de son dossier hospitalier.
[27] Témoignant à l’audience, cette dernière relie essentiellement ses troubles psychologiques au bruit qui régnait dans cet immeuble, lequel l’empêchait de jouir du logement concerné et d’y étudier. Elle y faisait également beaucoup d’insomnie, toujours à cause du bruit, de sorte qu’elle a mis de longs mois à récupérer, ajoutant qu’elle garde encore des séquelles des problèmes de santé contractés à cette époque.
[28] Pour elle, il est clair que ce logement était invivable, vu la façon inacceptable de vivre des locataires du haut, lesquels restaient éveillés très tard le soir.
[29] Sur ce, le locataire dépose une attestation de la psychiatre Dr Suzanne Leclair, laquelle se lit ainsi :
« Pour des raisons psychologiques, il serait souhaitable que madame Claudia Dubé puisse quitter son logement actuel. »
[30] Outre le bruit fait par les locataires du logement du troisième étage, le locataire se plaint également que les occupants du logement du premier étage étaient eux aussi bruyants, alors que leurs voisins du second étage étaient, quant à eux, enclins aux fortes disputes.
[31] Par ailleurs, continue-t-il, le logement lui-même présentait des lacunes, alors que les locateurs tardaient à y faire les travaux qui s’imposaient.
[32] Ainsi, peu après son emménagement, il notait qu’un écoulement d’eau provenait du plafond de la salle de bain.
[33] Il en avertissait rapidement le concierge, lequel tentait de le réparer à plusieurs reprises, mais sans succès, et laissait ce plafond ouvert en janvier 2015, cherchant la source de l’écoulement.
[34] Cette situation était hautement incommodante et une odeur malodorante régnait dans la salle de bain, au surplus.
[35] Par ailleurs, le locataire soumet que les visites du concierge ou du plombier étaient trop fréquentes et trop matinales, l’empêchant également de dormir et de trouver la paix dans son logement.
[36] Il se plaint également d’autres défauts plus mineurs, lesquels dénotent, encore là, que ce logement était mal entretenu par les locateurs, soutient-il.
[37] Aussi, conclut le locataire, preuve est faite que les locateurs ont manqué à leurs obligations de façon grave et importante, alors que ce logement était à toutes fins pratiques impropre à l’habitation, voire dangereux pour la santé de sa conjointe, de sorte qu’ils se devaient de le quitter.
[38] Sur ce, la locatrice rétorque que devant les plaintes de bruit du locataire, elle avertissait les locataires du logement du troisième d’adopter un comportement paisible.
[39] Ces derniers l’assuraient qu’ils ne faisaient rien d’autre que de se comporter de façon normale, ne faisant que les bruits nécessaires à la vie quotidienne.
[40] Elle ne savait qui croire, de sorte qu’elle conseillait effectivement au locataire plaignant de se tourner vers les policiers, afin qu’ils constatent la véracité de leurs plaintes et le caractère excessif du bruit entendu, s’il en était.
[41] Elle souligne que ce logement est situé dans un quartier peuplé d’étudiants, rue St Denis, de sorte qu’il se peut que certains adoptent un rythme de vie peut être un peu plus mouvementé que dans d’autres quartiers, mais elle doute que la situation ait été à ce point préjudiciable, qu’elle justifiait le déguerpissement du locataire, ou qu’elle ait pu entraîner les problèmes d’ordre psychologique de sa conjointe.
[42] Elle ne se rappelle pas particulièrement avoir reçu un appel le 1er janvier 2015 de la part du locataire pour une récidive de bruit, mais elle souligne qu’il s’agissait d’un jour férié appelant souvent à fêter de façon exceptionnelle.
[43] Elle ajoute ne jamais avoir reçu de plainte de la part d’autres locataires de l’immeuble, alors que si le bruit perçu était si intense, les locataires des autres logements s’en seraient sûrement plaints.
[44] Par ailleurs, les locataires du logement du troisième étage y demeurent depuis plusieurs années, et y sont toujours, alors que le nouveau locataire des lieux n’a formulé aucune plainte à leur égard depuis son emménagement, souligne-t-elle aussi. Elle en conclut que le locataire et sa conjointe avaient sans doute une sensibilité particulière au bruit relevant des activités normales des voisins, alors que les bruits excessifs, s’il en fut, étaient sans doute ponctuels.
[45] Ainsi se résume l’essentiel de la preuve.
[46] Après analyse de celle-là, le Tribunal estime d’abord qu’il n’y a pas lieu de conclure, en l’espèce, que le locataire était justifié de quitter son logement en cours de bail, donc de se faire ni plus ni moins justice lui-même, au motif que celui-ci était « impropre à l’habitation ».
[47] En effet, la
jurisprudence de la Régie du logement nous en enseigne que le caractère
impropre d’un logement, au sens de l’article
[48] En un tel cas, ce sont
plutôt les articles
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
« 1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.
Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi. »
[49] En l’espèce, le locataire a quitté purement et simplement ce logement en janvier 2015, appert-il, omettant de prendre quelque recours légal et attendant simplement d’être poursuivi par les locateurs, le cas échéant.
[50] Cela dit, même si le Tribunal peut croire que le locataire et sa conjointe ont pu entendre du bruit fait par d’autres locataires de cet immeuble, et même croire que les locateurs ont adopté une conduite sans doute attentiste devant leurs plaintes, la soussignée ne peut pour autant conclure, de la preuve, qu’une menace grave planait sur la santé du locataire ou sur celle de sa conjointe et appelait un départ rapide, du fait de cette situation.
[51] D’abord, bien que la conjointe du locataire ait été hospitalisée pendant quelques jours en décembre 2014, la simple attestation médicale déposée en ce sens ne permet pas de conclure à un lien clairement objectivé entre la pathologie dont elle souffrait et la conduite d’autres occupants de cet immeuble, sa maladie fut-elle d’ordre psychologique.
[52] Le court document médical rédigé par un médecin psychiatre en janvier 2014 et indiquant qu’il serait « souhaitable » que la conjointe du locataire quitte ce logement pour des raisons psychologiques relève davantage d’un écrit rédigé à la demande de cette dernière que d’une véritable opinion médicale basée sur des éléments objectifs permettant de relier sa pathologie à des troubles de voisinage objectivement graves, encore là.
[53] Par ailleurs, il est clair que le locataire qui habite un logement dans un immeuble à logements multiples s’expose à entendre certains bruits émanant d’autres locataires, à moins de s’assurer de louer un logis dans un immeuble hautement insonorisé.
[54] De toute évidence tel n’était pas le cas en l’instance, alors que le locataire témoigne en fait avoir entendu du bruit de la part d’à peu près tous les occupants de cet immeuble, bien que de façon plus importante en provenance des occupants du logement du troisième étage.
[55] Il va sans dire que le caractère excessif du bruit est souvent une question de perception et de tolérance, alors que le Tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives.[2]
[56] La preuve apportée par le locataire, eu égard au caractère objectivement excessif du bruit, est ici bien mince et ne permet pas même de conclure à un préjudice ou une atteinte si grave qu’il y est permis de conclure qu’il a eu raison de quitter.
[57] En effet, le locataire et sa conjointe n’ont fourni qu’un témoignage décrivant une situation généralement incommodante, mais sans détail journalier permettant au Tribunal d’apprécier l’intensité de celle-là et son caractère véritablement et objectivement excessif.
[58] Il appert que les policiers ne sont pas intervenus, alors que le locataire et sa conjointe, tout en se disant grandement incommodés depuis le début du bail, n’ont pas jugé utile de mettre les locateurs en demeure d’exécuter leur obligation eu égard à leur pleine jouissance des lieux, jugeant leurs actions insuffisantes, avant de leur annoncer leur départ des lieux, en janvier 2015.
[59] Qui plus est, le Tribunal ne peut passer sous silence non plus le fait que la locatrice affirme ne jamais avoir reçu d’autres plaintes que celles du locataire et de sa conjointe, eu égard au bruit déploré, alors qu’aucun autre locataire de cet immeuble n’est venu corroborer leur témoignage quant à l’intensité du bruit.
[60] Le locataire et sa conjointe ont également reproché aux locateurs le bruit fait par le concierge et son plombier, lesquels cherchaient à régler un problème au niveau du plafond de la salle de bain, au motif que ces derniers se présentaient au logement trop tôt le matin. Sans doute ces visites fréquentes étaient-elles ennuyeuses, mais, encore là, la preuve ne permet pas de conclure à des abus justifiant un départ en cours de bail.
[61] Il en est de même des autres problèmes dénoncés dans l’avis d’abandon du mois de janvier 2014 et relevant, quant à eux, de l’état du logement, dont les écoulements d’eau émanant du plafond de la salle de bain.
[62] Sans doute que tels problèmes auraient pu entraîner quelque recours civil, advenant le défaut des locateurs d’y remédier bien que dûment mis en demeure, mais ils ne justifiaient certes pas un départ rapide des lieux, encore là.
[63] Cela dit, les locateurs ont le droit de se voir indemniser pour le manque à gagner et les dommages qu’a entraînés le départ prématuré du locataire.
[64] À cet égard, le Tribunal est satisfait des efforts raisonnables de relocation de ces derniers, lesquels ont cherché à minimiser leurs pertes dès l’envoi de l’avis d’abandon du locataire, plaçant des annonces de façon régulière sur le site Kijiji.
[65] Il appert que les locateurs relouaient ce logement le 1er juin 2015, de sorte qu’ils ont droit à une somme équivalente à quatre mois de loyer, soit 2 980 $.
[66] Quant à la réclamation équivalente au loyer du mois de juin 2015, la locatrice explique qu’elle relève d’une gratuité accordée au nouveau locataire, ce mois-là.
[67] Elle explique avoir jugé qu’il s’agissait d’un bon locataire potentiel, de sorte qu’elle lui offrait telle gratuité dans le but de l’inciter à s’engager avec elle.
[68] Étant donné que ce logement n’était pas offert à tous avec l’annonce d’une telle gratuité, le Tribunal juge qu’en l’espèce, l’octroi de celle-ci relevait d’un choix personnel des locateurs, choix qu’ils doivent assumer, alors qu’ils s’engageaient avec ce nouveau locataire dès le 30 avril 2015 et mettaient ainsi fin à toute autre recherche de candidat pour une date plus rapprochée.
[69] Les locateurs ont par ailleurs droit aux frais de publicité déboursés pour relouer ce logement, soit 239,80 $, de même qu’aux frais d’électricité de 123,67 $ déboursés au lieu et place du locataire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[70] CONDAMNE le
locataire et la caution solidairement à payer aux locateurs la somme de
3 343,47 $, avec intérêts au taux
légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
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Luce De Palma |
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Présence(s) : |
la locatrice, Sylvie Pilon la mandataire de Arshad Shah le locataire la caution |
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Date de l’audience : |
22 août 2016 |
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[1] Meunier c. Trottier,
[2] Sanchez c. Isamène, Régie du logement,
Montréal,