Blanchard c. Ouellette Viaiu | 2024 QCTAL 19704 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Gatineau | ||||||
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No dossier : | 715245 22 20230608 G | No demande : | 3936947 | |||
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Date : | 12 juin 2024 | |||||
Devant le juge administratif : | Stéphane Sénécal | |||||
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Simon Blanchard |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
André Anne Ouellette Viau |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
et | ||||||
Office d'habitation de l'Outaouais |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande du locateur, déposée le 8 juin 2023 en résiliation de bail pour non-respect des obligations, en expulsion de la locataire, en exécution provisoire, ainsi que les frais.
[2] Le jour de l’audience, le locateur amende verbalement sa demande afin de requérir une ordonnance pour que la locataire se départisse de son chien, en vertu de l’article
[3] Les parties sont liées par un bail reconduit jusqu’au 31 août 2024, au loyer mensuel de 896 $. Il s’agit d’un logement subventionné.
FAITS :
[4] Le locateur indique qu’il est propriétaire depuis 2017. Il s’agit d’un immeuble de vingt-quatre (24) logements avec des espaces communs. Il allègue, de plus, que le bail interdit la possession de chien.
[5] Il a lui-même entendu le chien de la locataire japper pour la première fois, il y a environ un (1) an. Il signale qu’il n’a jamais eu de documents médicaux de la locataire pour la possession d’un chien. Il fait remarquer que ce dernier jappe quand quelqu’un passe dans le corridor.
[6] En témoignage, le Tribunal entend monsieur Jean-Luc Kouassi, gestionnaire de l’immeuble. Il mentionne qu’il occupe cet emploi depuis environ six (6) mois. Il dit être présent à l’immeuble, au moins trois (3) à quatre (4) fois par semaine.
[7] Il précise qu’il a vu le chien de la locataire et ce dernier est de taille moyenne. Il ajoute qu’il réagit et qu’il est bruyant quand quelqu’un passe dans le corridor.
[8] La locataire pour sa part confirme avoir un chien de type Chihuahua mélangé. Elle avance qu’elle habite l’immeuble depuis environ un (1) an. Elle est demeurée trois (3) mois dans un centre pour femmes victimes de violence conjugale.
[9] Elle ajoute qu’elle a été, jusqu’à tout récemment, dépendante à plusieurs substances, mais qu’elle est abstinente depuis quelques mois.
[10] Elle indique qu’elle a bien vu la clause concernant les chiens et qu’elle n’a pas demandé la permission au locateur avant d’acquérir le sien.
[11] Elle fait remarquer que le chien l’aide énormément et que ça lui fait du bien de s’en occuper. Elle fait des crises d’anxiété et il la soulage. Quand elle doit sortir, elle le fait garder et si elle n’a personne pour le faire, elle lui met une couche afin d’éviter les dégâts. De plus, il ne jappe que si quelqu’un frappe à la porte.
[12] Elle argue que si elle doit s’en départir, elle a peur de recommencer à consommer.
[13] Le Tribunal entend Farsha Amaninia, psychiatre de la locataire, qui indique traiter cette dernière depuis environ 2021. Une note médicale est soumise (L1) à l’effet que la locataire a besoin de son chien afin de la calmer et la rassurer. Il ajoute que si elle perd son chien, sa vie sera bouleversée.
ARGUMENTATION :
[14] Monsieur Alex Naud-Vincent, stagiaire en droit, fait remarquer que la note du psychiatre est confectionnée après l’achat du chien par la locataire.
[15] Il soumet au Tribunal les affaires suivantes : Réalisation Micha inc. c. Pepin[1] et Saudelli et Germano c. Senecal[2].
[16] Me Clhoé Vendette, représentante de la locataire, soulève que le rapport du psychiatre n’est pas un rapport de complaisance, et ce, même s’il a été confectionné après l’achat du chien et le dépôt de la demande.
[17] Elle rappelle l’état de santé de la locataire ainsi que tous les événements qu’elle a vécus et surtout les bienfaits du chien sur sa santé mentale.
[18] Elle soumet les affaires Office municipal d’habitation de Lévis c. Létourneau[3] et Immeuble MJ enr. c. Landry[4]
QUESTIONS EN LITIGE :
[19] Est-ce que la locataire contrevient aux obligations du bail ?
[20] Dans l’affirmative, est-ce que l’émission d’une ordonnance est justifiée ?
ANALYSE ET MOTIFS :
[21] Le Tribunal rappelle tout d’abord qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal.[5]
[22] Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable.[6] Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal, elle verra sa demande rejetée.
[23] Partant de cette prémisse, le Tribunal croit opportun de se rallier à l’analyse de notre collègue, Me Annie Hallée dans l’affaire Carriere c. Plouffe[7]. La juge Hallée s’exprime ainsi :
« [18] En matière d’animaux, le juge Richard Landry de la Cour du Québec dans la décision D. C. c. Berthierville (Office municipal d’habitation de)[3][D. C. c. Berthierville (Office municipal d’habitation de),
« [32] L’état du droit au Québec sur la question amène Me Gagnon à faire les constats suivants (pages 342 à 350):
- la clause d’interdiction de posséder un animal n’est pas en soi déraisonnable (article
- la « tolérance » du propriétaire de la présence d’animaux n’équivaut pas automatiquement à une renonciation à l’application de la clause d’interdiction, mais peut, dans certaines conditions, être invoquée avec succès par le locataire pour faire déclarer la clause sans effet (ex: tolérance constante et généralisée d’animaux dans l’immeuble);
- lorsque le propriétaire demande la résiliation du bail, il doit prouver un « préjudice sérieux » (article
- la « zoothérapie » a une influence grandissante au Québec faisant en sorte que la jurisprudence québécoise admet plus volontiers l’utilité thérapeutique de l’animal de compagnie; cela amène des décideurs à considérer la clause déraisonnable « lorsqu’une preuve médicale convaincante est versée en preuve », telle la preuve d’« un préjudice affectif et psychologique évident pour le locataire et sa famille. »
[Référence omise]
[19] En l’espèce, comme le locateur ne demande pas la résiliation du bail, mais une ordonnance demandant à la locataire de se débarrasser de son chien, le Tribunal n’a pas à évaluer la notion de préjudice sérieux. Il devra plutôt se pencher sur le caractère raisonnable d’une telle clause dans les circonstances.
[20] Ainsi, une jurisprudence majoritaire énonce qu’un locataire peut établir qu’une clause est déraisonnable en prouvant que la présence de son animal a une utilité thérapeutique et que l’application de la clause d’interdiction du bail lui causerait un préjudice affectif ou psychologique[4][Berniqué c. Office municipal d’habitation de Salaberry-de-Valleyfield,
[21] À ce sujet, l’article
« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.
Cette clause est nulle ou l’obligation qui en découle réductible. »
[24] Notre collègue, Me Philippe Morisset, reprend une analyse similaire dans l’affaire Office municipale d’habitation de Lévis c. Létourneau[8] déposé par Me Vendette. Il indique au paragraphes 40 et suivants qu’il est évident que l’animal joue un rôle important, positif et bénéfique dans la vie de la locataire.
[25] Pour le Tribunal, il est pertinent, d’appliquer ces analyses en l’espèce.
[26] Dès lors, la preuve soumise, notamment les témoignages et le document médical du psychiatre (L1), démontre sans aucun doute que la présence du chien a, pour la locataire, un effet considérable sur son état de santé mentale, émotionnelle et physique.
[27] Il appert de plus que le locateur n’en subit aucun préjudice puisqu’il n’a reçu aucune plainte d’autres locataires de la bâtisse et n’a démontré aucun dommage réel causé par le chien. Il est également indiqué de constater que la locataire s’occupe adéquatement de son chien et prend les mesures appropriées afin de ne pas troubler la jouissance paisible des autres locataires de l’immeuble.[9]
[28] En conséquence, il est plutôt juste et raisonnable d’appliquer l’article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais;
[30] AUTORISE la locataire à garder son chien actuel;
[31] DÉCLARE inopposable et déraisonnable à l’égard de la locataire la clause d’interdiction de posséder un animal dans son logement, soit son chien actuel.
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Stéphane Sénécal | ||
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Présence(s) : | le locateur Alex Naud-Vincent, stagiaire en droit pour le locateur la locataire Me Chloé Vendette, avocate de la locataire | ||
Date de l’audience : | 3 avril 2024 | ||
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[1]
[2] 2013 CanLII 126726 (QC TAL).
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[4]
[5] Articles
[6] Les jardins du roi société en commandite c. Jean-François Plante, RDL, 419462 18 20180921 No demande : 2590921, 4 février 2019.
[7]
[8] Supra note 3.
[9] Supra note 7.
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