Demers c. Rabah | 2024 QCTAL 981 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 692373 31 20230320 F | No demande : | 3851481 | |||
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Date : | 16 janvier 2024 | |||||
Devant la greffière spéciale : | Me Shuang Shuang | |||||
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Yanick Demers |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Benamara Rabah |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec ainsi qu’une demande de remboursement des frais.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 à un loyer mensuel de 748 $.
PÉREMPTION DE LA DEMANDE
Les faits
[3] Le locateur introduit une demande de fixation de loyer au Tribunal administratif du logement le 20 mars 2023. Le Tribunal lui transmet, le 31 mars 2023, un accusé-réception de la demande avec, en pièce jointe, le formulaire des renseignements nécessaires à la fixation (ci-après « formulaire RN »).
[4] À l’audience, en réponse à la question du Tribunal à savoir si le formulaire RN a été notifié au locataire, le locateur répond par la négative.
[5] Il fait une requête verbale d’être relevé des conséquences de son défaut.
[6] Comme motif justifiant son défaut, le locateur plaide l’ignorance de la loi.
Le droit
[7] L’obligation de notifier le formulaire RN au locataire et de déposer au dossier la preuve de la notification est codifiée à l’article 56.3 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1] (ci-après « la Loi »), entrée en vigueur le 31 août 2020, laquelle remplace la Loi sur la Régie du logement[2]. Ledit article se lit comme suit :
« 56.3. Lorsque le Tribunal est saisi d’une demande de fixation de loyer, le locateur doit, dans les 90 jours suivant la date de la transmission, par le Tribunal, du formulaire relatif aux renseignements nécessaires à la fixation, déposer au dossier ce formulaire dûment complété.
Il doit également, dans le même délai, notifier une copie de ce formulaire complété au locataire et produire au dossier du Tribunal la preuve de cette notification. Lorsque le demandeur est le locateur et qu’il fait défaut de produire au dossier du Tribunal cette preuve de notification dans le délai requis, la demande est alors périmée et le Tribunal ferme le dossier.
Malgré les articles 56.1 et 56.2, le demandeur n’a pas à notifier les pièces ni une liste des pièces au soutien de sa demande et il n’a pas à déposer une telle liste au dossier du Tribunal.
Le présent article ne s’applique pas à une demande de révision du loyer d’un logement à loyer modique au sens de l’article 1984 du Code civil. »
(Soulignements du Tribunal)
[8] Le locateur a donc un délai de 90 jours, à compter de la date de la transmission par le Tribunal, du formulaire RN, pour déposer au dossier ce formulaire dûment complété, pour en notifier copie au locataire et pour déposer au dossier la preuve de cette notification.
[9] Par ailleurs, l’article 59 de la Loi permet au Tribunal de relever une partie des conséquences de son défaut de respecter un délai prévu par la loi s’il existe un motif raisonnable et si l’autre partie n’en subit aucun préjudice grave :
« 59. Le Tribunal peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l’autre partie n’en subit aucun préjudice grave. »
[10] Tel qu’énoncé par cet article, deux conditions doivent être rencontrées pour que le Tribunal puisse accepter de relever une partie des conséquences de son défaut de respecter un délai prévu par la loi : 1) l’existence d’un motif raisonnable; 2) l’absence de préjudice de l’autre partie[3].
Analyse et décision
[11] La preuve révèle que le Tribunal a transmis le formulaire RN au locateur le 31 mars 2023. Le formulaire RN est joint à un accusé de réception de la demande. Le texte de cet accusé-réception indique clairement le délai de 90 jours dont il dispose pour notifier ledit formulaire au locataire et pour déposer la preuve de notification au dossier du Tribunal. Le texte indique également la conséquence du défaut de ce faire :
« De plus, vous devez, dans les 90 jours suivant la date de la transmission du Formulaire de renseignements nécessaires ci-joint, déposer au dossier du Tribunal ce formulaire dûment complété.
Vous devez également, dans le même délai, notifier une copie de ce formulaire rempli au locataire et produire au dossier du Tribunal la preuve de cette notification. Si vous êtes le locateur et que vous faites défaut de produire au dossier du Tribunal cette preuve de notification dans le délai requis, le Tribunal fermera le dossier. »
[12] Ainsi, le locateur avait jusqu’au 29 juin 2023 pour compléter le formulaire RN, pour en notifier copie au locataire et pour déposer la preuve de notification au dossier du Tribunal.
[13] Or, la preuve démontre que le locateur n’a pas rempli son obligation en vertu de la loi dans le délai requis.
[14] Faute de notification du formulaire RN au locataire dans le délai prescrit, la loi prévoit la péremption de la demande et le Tribunal ne dispose, à cet égard, d’aucune discrétion.
[15] En l’instance, le locateur invoque son ignorance de la loi comme motif pour justifier son défaut.
[16] Le Tribunal considère qu’il appartient au locateur de porter l’attention nécessaire aux informations que lui transmet le Tribunal, dont les documents qu’il doit notifier au locataire, ainsi que les délais à respecter.
[17] La jurisprudence du Tribunal a bien établi que le manque de diligence et l’ignorance de la loi ne constituent pas de motifs raisonnables au sens de l’article 59 pouvant justifier la levée des conséquences du défaut.
[18] Dans l’affaire Van c. Eddarissi, la juge administrative Francine Jodoin s’exprime ainsi :
L’omission de respecter une exigence légale dans la mise en œuvre d’un droit lorsqu’elle résulte de la négligence, d’une mauvaise compréhension ou ignorance de la loi n’est pas retenue comme motif raisonnable permettant de justifier la prolongation du délai.[4]
(Soulignements du Tribunal)
[19] La conséquence du non-respect de l’article 56.3 de la Loi est certes sévère. Toutefois, la sévérité de la conséquence pour le locateur ne saurait écarter l’application de cette règle de droit.
[20] À cet effet, la soussignée fait siens les propos du greffier spécial Yacine Hadjoudj qui s’exprime comme suit :
« [32] La conséquence est particulièrement sévère dans le cas d'une demande de fixation du loyer et de modification du bail puisque celle-ci ne peut être déposée que lors de la période de reconduction du bail. Le locateur dont la demande est périmée perd donc son droit d'obtenir la fixation du loyer ou la modification du bail jusqu'à sa prochaine période de reconduction.
[33] Cela étant dit, la sévérité de la loi ne saurait permettre au Tribunal d'y déroger ou de faire de son ignorance un argument valable pour une partie défaillante.
[34] En l'espèce, il incombait au locateur d'agir avec diligence de manière à se conformer à la loi et à protéger ses droits, ce qui n'a pas été fait. Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut faire droit à la requête du locateur pour prolonger le délai. »[5]
[21] Au regard de la preuve et de la jurisprudence en la matière, le Tribunal en arrive à la conclusion que la demande est périmée faute de la notification au locataire du formulaire RN. En l’instance, le locateur n’a invoqué aucun motif raisonnable au sens de l’article 59 de la Loi pouvant justifier le défaut constaté.
[22] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[23] CONSIDÉRANT le défaut de notifier le formulaire RN au locataire;
[24] CONSIDÉRANT l’absence de motif raisonnable au sens de l’article 59 de la Loi;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] REJETTE la demande du locateur d’être relevé des conséquences du défaut.
[26] DÉCLARE la demande périmée.
[27] Le locateur assume les frais de la demande.
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Me Shuang Shuang, greffière spéciale | ||
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Présence(s) : | le locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 23 novembre 2023 | ||
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[3] Société immobilière Parc Samuel Holland inc. c. St-Pierre, 200-02-004919-876, le 28 janvier 1988, C.Q.
[5] Rocver entreprises inc. c. Bourque, 514917-31-20200317 F, 21 janvier 2021 (Me Yacine Hadjoudj).
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