Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Sotirakos c. Ismael

2022 QCTAL 5858

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

600985 31 20211203 G

No demande :

3409388

 

 

Date :

03 mars 2022

Devant la juge administrative :

Karine Morin

 

Leonidas Sotirakos

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Fathiya Ismael

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 3 décembre 2021, le locateur demande la résiliation du bail et l'éviction des locataires et de tous les occupants. Il demande aussi l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel ainsi que les frais de justice.

[2]         Par un amendement verbal autorisé à l’audience, le locateur demande subsidiairement qu’il soit ordonné à la locataire de se départir de son chat. 

[3]         Au soutien de ses procédures, le locateur allègue que la locataire possède un chat contrairement à ce qui est prévu au bail.

LES FAITS

[4]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013, reconduit jusqu’au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 725 $. Il est spécifié au bail que la locataire ne peut garder d’animal.

[5]         La locataire habite un logement de cinq pièces et demie au sous-sol de l’immeuble qui comprend huit logements.

[6]         Le locateur témoigne avoir constaté fortuitement la présence d’un chat dans le logement de la locataire en décembre 2021.

[7]         Aucun autre locataire de l’immeuble ne possède d’animal.

[8]         En janvier 2022, le locateur constate la présence d’un sac lourd et déchiré aux abords des poubelles extérieures. De la litière s’en échappe. La même situation se reproduit à deux ou trois reprises après cette date. Il dépose en preuve une photo illustrant de la litière sur le sol à l’extérieur de l’immeuble.

[9]         À quelques reprises avant cette date, il trouve des sacs lourds sur le sol près des poubelles extérieures, mais ne peut confirmer ce qui s’y trouve.


[10]     Bien qu’il n’ait pas vu qui a déposé ces sacs, il en déduit qu’ils proviennent du logement de la locataire puisque c’est la seule à posséder un animal dans l’immeuble.

[11]     En décembre 2021, il se rend au logement de la locataire et constate que les cadrages des fenêtres sont usés. Selon lui, ils ont été endommagés par les griffes du chat de la locataire. Il dépose une photo afin de démontrer l’état d’un cadrage de fenêtre. Ces fenêtres furent changées en 1996.

[12]     En janvier 2022, il procède à la réparation des cadrages de fenêtres dans le logement de la locataire.

[13]     Le locateur dépose une copie de la mise en demeure, datée du 10 novembre 2021, remise à la locataire. Celle-ci rappelle à la locataire l’interdiction de posséder un animal dans le logement et la met en demeure de se départir de son animal dans un délai de dix jours de la présente.

[14]     En contrinterrogatoire, le locateur nie avoir consenti à la présence d’un chat dans le logement de la locataire.

[15]     Pour sa part, la locataire témoigne avoir fait des démarches auprès de la conjointe du locateur ainsi qu’auprès de lui-même, à la fin du mois de mars 2020, afin d’obtenir l’autorisation d’acquérir un chat pour permettre à son fils majeur, atteint de problématiques de santé, de trouver un support émotionnel.

[16]     Ainsi, en mars 2020, bien qu’elle sache que le bail interdise la présence d’animal dans le logement, sous le conseil de son médecin, elle discute avec la conjointe du locateur. Celle-ci la réfère au locateur pour obtenir l’autorisation. Ce qu’elle obtient verbalement du locateur en avril 2020.

[17]     Au soutien de ses prétentions, la locataire dépose en preuve une lettre qu’elle fait parvenir au locateur en avril 2020 afin de le remercier pour son autorisation de posséder un chat. La preuve de la livraison au locateur, par courrier recommandé, est faite par un enregistrement sonore d’un appel à une employée de Postes Canada qui confirme la livraison de celle-ci le 27 avril 2020.

[18]     La locataire adopte un chat le 29 mai 2020. Depuis ce temps, le locateur s’est rendu à plusieurs reprises à son logement. Il a donc pu constater sa présence et celle de sa litière dans le logement, soumet-elle.

[19]     Relativement aux sacs de litière retrouvés près des poubelles extérieures, la locataire soumet qu’ils ne proviennent pas de son logement. Deux autres chats sont présents dans un autre logement de l’immeuble, ajoute-t-elle.

[20]     Au soutien de sa prétention, elle dépose des photos de deux chats présents aux abords des fenêtres d’un autre logement situé au 3e étage de l’immeuble.

[21]     De l’avis de la locataire, le locateur tente d’obtenir la résiliation de son bail en raison des autres litiges qui opposent les parties, plus particulièrement celui relatif à une demande d’ordonnance de travaux déposée par la locataire.

[22]     Ainsi se résume l’essentiel de la preuve administrée à l’audience.

Questions en litige

[23]     La preuve d'un préjudice sérieux découlant de la présence d’un chat dans le logement et justifiant la résiliation du bail de la locataire a-t-elle été établie?

[24]     Le cas échéant, l'émission d’une ordonnance est-elle justifiée en l'instance?

Le fardeau de preuve

[25]     Comme le mentionne à juste titre la juge administrative Lucie Béliveau[1] :

« Le Tribunal tient à souligner qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.


Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.

Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.

Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée. »

[26]     En l’instance, le fardeau de preuve appartient au locateur.

La résiliation de bail

[27]     Pour réussir dans cette cause, le locateur doit établir que la locataire contrevient au bail et que ce défaut lui cause un préjudice sérieux.

[28]     En effet, l'article 1863 du Code civil du Québec prévoit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[29]     À ce sujet, la Cour du Québec, sous la plume du juge Gabriel de Pokomandy, mentionne ce qui suit dans l'affaire Office municipal d'habitation c. Luce[2] :

« [62] Devant le non-respect de la clause du bail interdisant la présence d'animaux dans le logement, il est maintenant bien établi que le locateur a le choix de demander la résiliation du bail et l'éviction du locataire, ou encore demander purement et simplement l'exécution en nature de l'obligation de son locataire et une ordonnance lui intimant de se débarrasser de son animal.

[63] Dans le premier cas, le locateur doit prouver non seulement qu'il y a inexécution de l'obligation, mais que cette inexécution cause un préjudice sérieux.

[64] Ce n'est donc que si la preuve permet de conclure que le locateur subit un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail, par le fait de son locataire de posséder un animal en contravention d'une clause de celui-ci, qu'il y a lieu d'accorder sa résiliation. »

[30]     Ainsi, en l'absence de preuve d'un préjudice sérieux, le Tribunal peut refuser la résiliation du bail, et ce, même si ce dernier contient une clause d'interdiction de posséder des animaux dans le logement.

[31]     Or, en l'instance, la preuve du locateur est nettement insuffisante pour conclure à l'existence d'un préjudice sérieux.

[32]     En effet, le locateur suppose que les sacs de litière proviennent du logement de la locataire parce que, conclut-il, aucun autre animal ne se trouve dans l’immeuble. Or, la locataire nie que ces sacs proviennent de son logement et elle démontre, par une preuve convaincante, la présence de deux autres chats dans un autre logement de l’immeuble.

[33]     Ainsi, le Tribunal ne peut conclure que les sacs remplis de litières, et déposés aux abords des poubelles extérieures, proviennent du logement de la locataire.

[34]     Par ailleurs, le Tribunal souligne que même si le locateur avait fait la preuve que ces sacs de litière provenaient du logement de la locataire, cette constatation n’aurait pas suffi, à elle seule, pour conclure à la démonstration d’un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail de la locataire.

[35]     Pour ce qui est de l’état du cadrage des fenêtres du logement, le Tribunal est d’avis que la photo déposée en preuve par le locateur démontre une condition telle, qu’elle rend invraisemblable être la résultante de griffures d’un chat. Aucune trace de griffes n’y est apparente, il y a plutôt absence complète de gypse et de plâtre au pourtour de la fenêtre.


[36]     Ainsi, le Tribunal ne retient pas cette situation comme reliée à la présence du chat dans le logement, la preuve du locateur étant peu détaillée, évasive et non convaincante.

[37]     Ainsi, en l'absence de preuve probante d'un préjudice sérieux relié à la présence d’un chat dans le logement de la locataire, la demande de résiliation de bail du locateur est rejetée.

Ordonnance de se départir de son chat

[38]     Subsidiairement, le locateur demande au Tribunal d'émettre une ordonnance afin que la locataire respecte les clauses du bail, notamment à l'égard des animaux.

[39]     Comme il s’agit d’une demande d’expulsion de l’animal, c’est-à-dire l’exécution en nature de l’obligation prévue à une clause du bail, le locateur n’a pas à faire la preuve d’un préjudice sérieux. Il lui suffit de démontrer la violation de cette clause du contrat.

[40]     En l’espèce, afin de considérer si une telle ordonnance est justifiée, il est nécessaire de déterminer si le locateur a renoncé, en avril 2020, à interdire la présence d’un animal dans le logement de la locataire.

[41]     Tout d’abord, un examen des règles de preuve permet de conclure qu’il est possible de contredire un écrit sous seing privé, en l’instance, le bail.

[42]     Les articles 2829 et 2863 du Code civil du Québec prévoient :

« 2829. L'acte sous seing privé fait preuve, à l'égard de ceux contre qui il est prouvé, de l'acte juridique qu'il renferme et des déclarations des parties qui s'y rapportent directement. »

« 2863. Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve. »

[43]     Ces dispositions laissent toutefois place à l'application d'une exception prévue aux articles de la Loi sur le Tribunal administratif du logement :

« 75. Sous réserve des articles 76 et 77, le Livre septième du Code civil s'applique à la preuve faite devant le Tribunal. »

« 77. Une partie peut administrer une preuve testimoniale :

1°même pour contredire ou changer les termes d'un écrit, lorsqu'elle veut prouver que la présente loi n'a pas été respectée;

2°si elle veut prouver que le loyer effectivement payé n'est pas celui qui apparaît au bail;

3°si elle veut interpréter ou compléter un écrit. »

[44]     En l'instance, le bail prévoit expressément une clause interdisant la possession d'animaux dans la résidence.

[45]     Peut-on déduire du comportement du locateur, postérieur à la signature du bail, qu'il a renoncé à l'application de cette clause d'interdiction par une réelle et autonome autorisation verbale?

[46]     Dans l’affaire Société d’habitation Chambrelle c. Kane[3], la juge administrative Dina Mercier analyse la question de la renonciation tacite. Elle explique ce qui suit :

« Pour que l'on puisse conclure à une renonciation tacite, il faut en premier lieu une intention claire à cet effet, qui puisse se déduire des circonstances. Dans d'Assylva, la Cour d'appel souligne que la renonciation à un droit est une abdication et qu'elle ne se présume pas. Pour qu'il y ait renonciation tacite, il faut que les faits dont on voudrait l'induire soient tels qu'ils fassent voir une volonté manifeste d'abandonner le droit, c'est-à-dire que ces faits soient contraires au droit dont il s'agit ou inconciliables avec lui.

Dans Gingras, la Cour suprême rappelle que la renonciation tacite s'induit des faits non équivoques. Dans Pacific Properties, la Cour d'appel réfère aux propos de l'honorable Turgeon, confirmés par la Cour suprême dans Gingras, où il rappelle que la remise ou la renonciation tacite s'induit de certains actes posés par le créancier. Ces actes doivent être de nature à impliquer nécessairement la volonté de renoncer à son droit. Ils doivent présenter un caractère non équivoque, de façon qu'il soit impossible de les interpréter dans un autre sens que celui d'une renonciation. Il faut rappeler que la renonciation ne se présume pas et qu'elle doit toujours être interprétée de façon étroite. »


[47]     En l’espèce, le Tribunal retient le témoignage crédible et sincère de la locataire qui soutient avoir obtenu, en avril 2020, l’autorisation verbale du locateur de pouvoir posséder un chat dans son logement. 

[48]     Elle dépose à cet effet, une lettre de remerciement qu’elle a fait parvenir au locateur par courrier recommandé. La locataire a pu faire entendre l’enregistrement d’un appel téléphonique avec une employée de Postes Canada qui confirme la livraison de cette lettre au locateur.

[49]     Le témoignage du locateur réfutant toute discussion avec la locataire ainsi que la réception de ladite lettre de la locataire ne convainc pas le Tribunal. Tel que mentionné précédemment, la crédibilité du témoignage du locateur est entachée par ses nombreuses contradictions et hésitations.

[50]     De toute évidence, dans les circonstances du présent dossier, la situation va bien au-delà d’une simple tolérance. Il y a démonstration d’une volonté expresse du locateur à accepter la présence d’un chat dans le logement.

[51]     Le Tribunal estime donc qu'il y a eu renonciation à ce que la clause d'interdiction du bail soit appliquée.

[52]     La conséquence d'une telle renonciation se traduit par la modification du bail de la locataire : la clause d'interdiction y a été soustraite. La condition de la locataire est donc la même que toute personne à qui on permet de posséder un chat.

[53]     Ainsi, la locataire ne contrevient pas au bail en gardant un chat chez elle.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[54]     REJETTE la demande du locateur qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Morin

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Me Yorrick Bouyela, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

7 février 2022

 

 

 


 


[1] Office municipal d'habitation de la Plaine de Bellechasse c. Therrien, R.D.L., 2019-06-11, 2019 QCRDL 19669, SOQUIJ AZ-51604719.

[2] 2012 QCCQ 15422.

[3] Société d’habitation Chambrelle c. Kane, (2007) J.L. 237 (RDL).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.