Décision

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Gabarit EDJ

Turcotte c. R.

2014 QCCS 4285

JV00B9

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-JÉRÔME

 

N° :

700-01-083996-093

 

 

DATE :

12 septembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ANDRÉ VINCENT, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

 

GUY TURCOTTE

 

Requérant-accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Intimée-poursuivante

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]         Monsieur Turcotte doit, de nouveau, répondre à deux accusations de meurtre au premier degré, suite à la décision de la Cour d’appel d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

[2]         Au terme d’un premier procès fort médiatisé, il avait été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux de ces mêmes accusations.

[3]         Les évènements remontent au mois de février 2009. Le premier procès se termine en juillet 2011. Aucune demande de mise en liberté n’avait, à l’époque, été présentée et suite au verdict prononcé, Monsieur Turcotte a été confié à l’administration de la  commission d’examen.

[4]         Il demeure détenu au centre hospitalier Philippe Pinel jusqu’en décembre 2012 avant d’être réincarcéré en novembre 2013, suite à la décision de la Cour d’appel d’ordonner un nouveau procès. Ce qui fait dire à son procureur que le requérant « a été privé de sa liberté depuis au-delà de 57 mois ».

[5]         Il s’agit d’une première demande de remise en liberté provisoire adressée au Tribunal selon les dispositions de l’article 522 du Code criminel.

LE CONTEXTE

[6]         Les faits qui ont mené aux accusations ainsi que la preuve entendue au premier procès sont amplement énoncés par la juge Duval Hesler aux paragraphes 5 à 51 de la décision de la Cour d’appel[1].

[7]         Il est inutile en conséquence de les reprendre, sinon pour indiquer que les accusations visent les deux enfants du requérant qui ont trouvé la mort de façon atroce et brutale dans leur sommeil.

LES PROCÉDURES

[8]         Le requérant est arrêté le 26 février 2009 à son domicile de Piedmont. Quelques minutes auparavant, les policiers avaient découvert les corps de ses deux jeunes enfants (âgés de trois (3) et cinq (5) ans) affreusement mutilés par de nombreux coups de couteau et comportant plusieurs plaies de défense.

[9]         Peu après son arrestation, il est transféré à l’Institut Philippe Pinel pour y subir des examens psychiatriques. Le dossier produit lors de la présente requête pour mise en liberté n’indique pas la durée de son séjour dans cette institution.

[10]      Toujours est-il qu’il est demeuré détenu puisqu’aucune demande pour remise en liberté n’a été adressée pendant les procédures.

[11]      Son procès débute le 12 avril 2011 et le jury prononce, le 5 juillet 2011, un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

[12]      Conformément à la partie XX.1 du Code criminel, le requérant est, à partir de ce moment, sous la juridiction de la commission d’examen qui a pour mandat d’évaluer sa condition mentale et le risque qu’il peut constituer pour la société. Elle a également la juridiction pour octroyer ou non une libération avec ou sans condition.

[13]      La commission d’examen rend une première décision le 4 juin 2012, ordonnant qu’il demeure détenu à l’Institut Philippe Pinel considérant le risque de rechute qui pourrait entraîner une désorganisation de son état mental et qu’il pourrait représenter un risque important pour la société.

[14]      Le 12 décembre 2012, la commission d’examen réévalue l’état du requérant et conclut que la sécurité du public ne commande plus qu’il soit gardé dans un établissement hospitalier. Elle permet en conséquence, qu’il ne soit plus détenu et qu’il puisse continuer à recevoir les soins que son état nécessite en externe sous certaines conditions.

[15]      Le 13 novembre 2013, la Cour d’appel rend sa décision ordonnant la tenue d’un nouveau procès sur les accusations de meurtre au premier degré.

[16]      Selon la preuve, le requérant se constitue prisonnier le jour même, dès qu’il prend connaissance de l’ordonnance de nouveau procès. Il est détenu depuis.

[17]      À la mi-août 2014, les procureurs du requérant déposent la présente requête afin d’obtenir sa remise en liberté. L’audition de la requête se déroule les 3 et 4 septembre derniers.

LA PREUVE PRÉSENTÉE LORS DE L’ENQUÊTE SUR REMISE EN LIBERTÉ

[18]      La psychiatre, Renée Roy, rattachée à l’Institut Philippe Pinel, témoigne. Elle assure le suivi psychiatrique du requérant depuis janvier 2013. D’abord en externe suite à la décision de la commission d’examen de le libérer avec conditions, puis à l’interne lors de sa réincarcération découlant de la décision d’ordonnance de nouveau procès de la Cour d’appel.

[19]      Elle explique que de janvier à octobre, Monsieur Turcotte n’a présenté aucun symptôme suggérant une décompensation aigüe sur le plan psychiatrique. À la fin du mois d’octobre 2013, elle note chez ce dernier un changement amenant un état dépressif découlant de l’anxiété devant l’imminence de la décision de la Cour d’appel qui pourrait ordonner la tenue d’un nouveau procès. Son diagnostic en est un de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive. Un antidépresseur est alors prescrit.

[20]      Le 20 novembre 2013, elle se rend au centre de détention Rivière des Prairies où se trouve alors le requérant, pour procéder à une nouvelle évaluation. Elle constate une détérioration telle de son état, qu’elle demande son transfert le jour même à l’Institut Philippe Pinel. De concert avec le docteur Rochette, psychiatre traitant de l’Institut Philippe Pinel, un traitement pharmacologique est entrepris puisque, selon l’opinion des psychiatres, le diagnostic retenu est alors un épisode dépressif majeur avec des symptômes psychotiques.

 

[21]      Le cocktail de médicaments administré pour stabiliser l’état de santé du requérant est impressionnant, tel que décrit à la page 3 de son rapport[2]

[22]      Au cours du mois de mai 2014, son état s’améliore et ne justifie plus une hospitalisation. Il est retourné au centre de détention Rivière des Prairies. Il est toujours sous médication, il reçoit la dose maximale d’antidépresseur.

[23]      Lors de sa dernière évaluation le 22 août 2014, la psychiatre constate que : « son contact avec la réalité est préservé. Son humeur est mobilisable, en lien avec le contenu de son discours. Il ne présente plus le ralentissement psychomoteur que je notais il y a quelques mois. Il ne présente pas d’idées suicidaires. Il n’a pas non plus d’idées de violence. Son jugement et son autocritique sont adéquats. »

[24]      Elle estime que même s’il est remis en liberté, son état de santé nécessite un étroit suivi qui peut se poursuivre en services externes de l’Institut Philippe Pinel de Montréal. Elle pourra assurer le même suivi au service de santé de l’Établissement de détention Rivière des Prairies, où il se trouve actuellement, si la remise en liberté lui est refusée.

[25]      La psychologue Tiziana Costi témoigne avoir commencé des séances de psychothérapie avec le requérant lors de son hospitalisation à l’Institut Philippe Pinel. Elle poursuit les séances de thérapie lorsqu’il obtient des sorties supervisées puis non supervisées. Elle confirme les propos tenus par la psychiatre Roy relativement à la dégradation de son état en automne 2013.

[26]      Monsieur Turcotte est toujours sous les soins psychothérapeutiques de la psychologue qui doivent, selon elle, se poursuivre.

[27]      Le psychiatre, Louis Morisette, a procédé à une évaluation du risque que pourrait causer à la société Monsieur Turcotte, s’il est remis en liberté. Pour ce faire, il utilise divers outils d’évaluations actuariels acceptés par la communauté scientifique qui ont démontré leur fiabilité. Il est à noter que ces outils ne peuvent être analysés qu’avec les observations et interprétations cliniques que fait le témoin.

[28]      La conclusion du docteur Morisette est, qu’il est : « à très faible risque de violence physique ou verbale contre toute personne de la communauté, incluant son ex-conjointe de qui il est divorcé depuis le printemps 2011. »

[29]      Il ajoute en produisant son rapport[3] : « actuellement, monsieur est en rémission d’un épisode dépressif majeur avec éléments psychotiques qui a débuté à la fin de l’année 2013 et qu’il a bien répondu à la médication psychotrope et aux interventions psychothérapeutiques. »

[30]      Monsieur Maher, responsable d’un organisme d’entraide, témoigne qu’avec l’accord de la fabrique paroissiale, le requérant a été embauché comme bénévole lors de sa libération conditionnelle par la commission d’examen. Il estime que les prestations de travail ainsi que les responsabilités qui lui ont été confiées se sont déroulées à la satisfaction de l’organisme et que son assiduité a été constante.

[31]      Le frère du requérant, Gilles, se porte caution afin de garantir le respect des conditions advenant sa remise en liberté par le Tribunal. Il est prêt à s’engager en offrant une hypothèque légale sur la propriété qu’il possède avec sa conjointe pour un montant de cent mille (100.000 $).

[32]      L’oncle du requérant se dit d’accord pour l’héberger. Dans son affidavit[4], il  explique qu’il a habité chez lui durant sa liberté conditionnelle accordée par la commission d’examen. Monsieur Turcotte a été un aidant naturel pour lui et son épouse.

[33]      Enfin, le requérant s’est fait entendre. Dans une réponse malhabile, en début de témoignage, il dit qu’il  estime être « en droit de demander sa liberté » et qu’il sera plus utile en agissant comme aidant naturel plutôt que de « perdre mon temps en prison. »

[34]      Ce commentaire qui a été relevé, avec raison, par le contre-interrogatoire du ministère public, mérite une remarque du Tribunal. L’exercice judiciaire de la remise ou non en liberté d’un détenu ne peut prendre uniquement en considération l’impact que cela pourrait avoir pour toute personne qui se voit refuser sa remise en liberté. Il est évident que quiconque se voit légalement privé de sa liberté en subit les inconvénients.

[35]      S’il est remis en liberté, il s’engage à devenir aidant naturel et à faire du bénévolat. Il promet de respecter toutes les conditions que le Tribunal pourrait lui imposer. Il n’a aucun antécédent judiciaire et s’est de lui-même constitué prisonnier à l’annonce de la décision de la Cour d’appel.

[36]      Avant son incarcération dans la présente affaire, il était médecin spécialiste et pratiquait dans la région de St-Jérôme. Bien qu’il profitait alors d’une excellente rémunération, il vivait modestement et devait rembourser ses emprunts pour études. Aujourd’hui, sans le sou, il bénéficie des prestations d’aide sociale de l’État.

[37]      La couronne n’a fait entendre aucun témoin.

POSITION DES PARTIES

[38]      Le requérant, par la voix de son procureur, estime avoir démontré que, malgré les circonstances horribles des crimes reprochés, il peut être remis en liberté et qu’il respectera les conditions que pourrait imposer le Tribunal.

[39]      Il souligne l’importance de la présomption d’innocence qui accompagne toujours le requérant ainsi que le droit constitutionnel consacré à l’article 11 e) de la Charte canadienne des droits et liberté à ne pas être privé, sans juste cause, d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable.

[40]      Il plaide que la preuve démontre qu’il n’y a aucun danger que l’accusé ne se présente pas à son procès non plus que sa détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public.

[41]      Relativement au troisième critère de l’article 515 paragraphe 10, la confiance du public envers l’administration de la justice, il souligne qu’un public bien informé, au fait des circonstances et du contexte de l’affaire ainsi que des principes de droit, ne serait pas choqué par une décision de remise en liberté. Il ajoute qu’un jury a déjà évalué la preuve présentée et que leur verdict indique que le moyen de défense basé sur les troubles mentaux n’est pas futile et permet d’attaquer sérieusement les accusations portées (meurtre au premier degré) et conclure à un verdict moindre et inclus si le moyen de défense n’est pas retenu.

[42]      Le ministère public pour sa part, estime que le fardeau qui appartient au requérant n’a pas été rempli.

[43]      Sur le premier motif de l’article 515 paragraphe 10, il craint que le requérant ne se présente pas à son procès soit à cause de la gravité des accusations portées et qu’il ne s’esquive soit parce que son état psychologique est tel qu’il constitue un risque contre lui-même en se suicidant.

[44]      Sur le deuxième motif, il souligne la décision du comité d’examen qui, dans ses décisions de juin et décembre 2012, concluait que le requérant constituait, en raison de son état mental, un risque important pour la sécurité du public.

[45]      Enfin, sur le troisième motif, il estime que la mise en liberté du requérant serait de nature à miner la confiance du public dans l’administration de la justice. Les circonstances  horribles et inexplicables des meurtres des deux très jeunes enfants ont conduit à la réprobation sociale comme en fait foi l’impact des médias dans le traitement de cette affaire.

[46]      Il ajoute que le requérant admet toujours être l’auteur des actes reprochés et ne peut espérer un verdict d’acquittement, tout au plus un verdict de non-responsabilité criminelle.

[47]      Une nombreuse jurisprudence a été déposée et discutée par les parties au cours des plaidoiries. Le Tribunal tient à les remercier de lui avoir transmis, avant la tenue de l’audience, les nombreuses décisions des tribunaux de toutes juridictions.

 

ANALYSE

[48]      De toutes les valeurs d’une société libre et démocratique, la liberté et la vie viennent probablement  au premier rang. La privation de la liberté d’un citoyen ne peut être justifiée que par une règle de droit.

L’article 11 e) de la Charte canadienne des droits et libertés indique :

 Tout inculpé a le droit :

e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable;

[50]      Ce droit est décrit en ces termes dans l’arrêt Hall[5]  par la juge en chef McLauchlin

« Le droit conféré est « un droit fondamental à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable sauf s’il existe une juste cause justifiant le refus de l’accorder »: Pearson, précité, p. 691.  Ce droit repose sur la présomption qu’un accusé est innocent jusqu’à ce que la preuve du contraire soit faite au procès.  Toutefois, l’al. 11e) reconnaît aussi qu’il peut exister, malgré la présomption d’innocence, une « juste cause » qui justifie le refus de mettre en liberté un accusé en attente de procès. »

[51]      Toujours dans la décision de la Cour suprême, dans l'affaire Hall, le juge Iacobucci, même s'il écrit pour les juges dissidents, exprime  les commentaires suivants relativement à l'importance de la liberté dans notre société ;

« La liberté du citoyen est au cœur d’une société libre et démocratique.  La liberté perdue est perdue à jamais et le préjudice qui résulte de cette perte ne peut jamais être entièrement réparé.  Par conséquent, dès qu’il existe un risque de perte de liberté, ne serait-ce que pour une seule journée, il nous incombe, en tant que membres d’une société libre et démocratique, de tout faire pour que notre système de justice réduise au minimum le risque de privation injustifiée de liberté.

En droit criminel, cette liberté fondamentale se traduit de manière générale par le droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire et, plus précisément, par le droit à la mise en liberté sous caution.  Le refus d’accorder la mise en liberté sous caution à une personne simplement accusée d’une infraction criminelle porte nécessairement atteinte à la présomption d’innocence.  Tel est le contexte du présent pourvoi, contexte où le « fil d’or » qui illumine la trame de notre droit criminel risque d’être rompu.  C’est dans ce contexte qu’il faut examiner les dispositions autorisant la détention avant le procès.

L’alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés incite particulièrement les tribunaux, en leur qualité de gardiens de la liberté, à veiller à ce que la mise en liberté avant le procès soit la règle et non l’exception et à n’ordonner la détention avant le procès que dans le cas où un intérêt sociétal urgent dont l’existence peut se démontrer justifie la suppression des droits et libertés fondamentaux de l’accusé.

L’obligation de protéger les droits individuels est au cœur du rôle du pouvoir judiciaire, lequel rôle revêt une importance encore plus grande en droit criminel où les ressources considérables de l’État et, très souvent, le poids de l’opinion publique jouent contre l’accusé.  Les tribunaux ne doivent donc pas prendre à la légère leur responsabilité constitutionnelle d’examiner attentivement la manière dont le législateur a autorisé la détention de l’accusé en l’absence d’une déclaration de culpabilité.

[52]      Les causes qui permettent à un tribunal compétent de refuser la mise en liberté d’un détenu en attente de son procès, se trouvent à l’article 515 du Code criminel qui édicte à son paragraphe 10 :

(10) Pour l’application du présent article, la détention d’un prévenu sous garde n’est justifiée que dans l’un des cas suivants :

a) sa détention est nécessaire pour assurer sa présence au tribunal afin qu’il soit traité selon la loi;

b) sa détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l’infraction ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s’il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l’administration de la justice;

c) sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les suivantes :

(i) le fait que l’accusation paraît fondée,

(ii) la gravité de l’infraction,

(iii) les circonstances entourant sa perpétration, y compris l’usage d’une arme à feu,

(iv) le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans

[53]      L’article 522 du Code criminel indique que le fardeau appartient au requérant, compte tenu de la nature de l’infraction, de démontrer que sa détention sous garde au sens du paragraphe 515 (10) n’est pas justifiée.

[54]      Les deux premiers motifs permettant de refuser la remise en liberté du prévenu ne me semblent pas poser de difficultés malgré les inquiétudes du ministère public.

[55]      Relativement au premier motif, rien n’indique que le requérant ne se présentera pas afin de subir son procès. Il s’est constitué prisonnier le jour même après avoir appris la décision de la Cour d’appel d’ordonner un nouveau procès pour le meurtre de ses deux enfants. Alors qu’il était sous surveillance de la commission d’examen et  bénéficiait d’une libération avec conditions, la preuve ne démontre pas un quelconque manquement ou omission aux conditions imposées.

[56]      Le Tribunal ne peut non plus accepter la position de la poursuite à l’effet qu’il y a risque qu’il ne se présente pas à son procès, car il risquerait de mettre fin à ses jours. La preuve présentée à l’audience est à l’effet contraire; selon les experts entendus, le risque n’existe pas et sa médication est suffisamment efficace pour presque neutraliser cette éventualité. De surplus, si un tel risque existait, ce serait beaucoup plus du ressort de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elle-même ou pour autrui[6] ou de la Cour supérieure pour une ordonnance de soins (articles 11 et ss. C.C.Q.) que de l’application du sous-paragraphe a) de l’article 515(10)  du Code criminel.

[57]      Relativement au deuxième motif, le Tribunal est satisfait du témoignage du psychiatre Morisette et de son rapport (R-4) à l’effet que les risques pour la société sont très faibles. Les témoignages des experts qui le suivent depuis un certain temps ainsi que ceux qui l’ont côtoyé alors qu’il bénéficiait de sorties avec ou sans escortes ou en liberté conditionnelle par ordonnance de la commission d’examen, confirment cette opinion.

[58]      Encore une fois, aucun manquement aux conditions imposées n’a été relevé durant la période où il était sous la surveillance de la commission d’examen.

[59]      Enfin, la caution proposée pour s’assurer du respect des conditions imposées si remis en liberté m’apparait sérieuse et rassurante.

[60]      Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le requérant s’est déchargé de son fardeau relativement aux deux premiers motifs que l’on retrouve à l’article 515 (10).

[61]      Reste donc, le troisième motif et déterminer si sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice.

[62]      Ayant à se prononcer sur la constitutionnalité de la disposition législative dans l’arrêt Hall précité, les juges majoritaires sous la plume de la juge en chef McLaughling mentionnent au paragraphe 31 :

« Je conclus qu’une disposition qui permet de refuser d’accorder la mise en liberté sous caution à un accusé pour le motif que sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice n’est ni superflue ni injustifiée.  Elle répond à la nécessité très réelle de permettre au juge appelé à se prononcer sur la demande de mise en liberté sous caution d’ordonner la détention d’un accusé en attente de procès, si une telle mesure est nécessaire pour maintenir la confiance du public et si les circonstances de l’affaire le justifient.  S’ils ne bénéficient pas de la confiance du public, le système de mise en liberté sous caution et le système de justice sont généralement compromis.  Bien que les circonstances dans lesquelles il est possible d’invoquer ce motif de refus d’accorder la mise en liberté sous caution puissent être rares, lorsqu’elles se présentent, il est essentiel de disposer d’un moyen de refuser cette mise en liberté. »

[63]      Les circonstances ayant menées aux accusations sont telles que le Tribunal doit évaluer, à la lumière des critères établis par le législateur, si, nonobstant l’application des sous paragraphes a) et b) de l’article 515 (10), il y a lieu ou non d’accorder la remise en liberté du prévenu.

[64]      Ces circonstances sont la mort affreuse de deux jeunes enfants dans un contexte familial difficile où les parents étaient en rupture. La forte médiatisation de l’affaire a conduit à des réactions souvent passionnées du public et a occupé une large place dans les discussions publiques au point où le législateur en est venu à présenter des modifications législatives à la partie XX.1 du Code criminel.

[65]              Un commentaire s’impose toutefois. La majorité des opinions sont survenues après le verdict de non-responsabilité criminelle prononcé par le jury lors du premier procès. Il faut rappeler que les jurés appelés à prononcer le verdict l’ont fait en leur âme et conscience après avoir évalué la preuve qu’ils ont pris soin d’entendre avec attention et pris en considération les directives en droit qu’ils avaient reçues. Les reproches qu’ils leur ont été adressés sont non seulement inappropriés, mais indiquent une méconnaissance de notre système de justice et un irrespect pour la fonction qu’ils ont occupée.

[66]      Il y donc lieu, maintenant, de considérer les différents critères prévus au sous paragraphe c) de l’article 515 (10).

[67]      C’est ce que nous enseigne la Cour suprême dans Hall :

40.  L’alinéa 515(10) c) énonce des facteurs particuliers qui décrivent certains cas bien précis dans lesquels la mise en liberté sous caution peut être refusée dans le but de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.  Comme nous l’avons vu, ces cas peuvent se présenter lorsque, en dépit du fait qu’il est improbable que l’accusé s’esquivera ou qu’il commettra d’autres infractions en attendant de subir son procès, sa présence dans la collectivité compromettra la confiance du public dans l’administration de la justice.  Pour décider si on est en présence d’une telle situation, il faut tenir compte de toutes les circonstances, mais particulièrement des quatre facteurs énoncés par le législateur à l’al. 515(10) c) — le fait que l’accusation paraît fondée, la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement.  Dans le cas où, comme en l’espèce, le crime commis est horrible, inexplicable et fortement lié à l’accusé, un système de justice qui ne permet pas d’ordonner la détention de l’accusé risque de perdre la confiance du public qui est à la base du système de mise en liberté sous caution et de l’ensemble du système de justice.

 41. Tel est donc l’objectif du législateur : maintenir la confiance du public dans le système de mise en liberté sous caution et l’ensemble du système de justice.  La question est de savoir si les moyens qu’il a choisis vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.  À mon avis, la réponse est non.  Le législateur a assorti d’importantes garanties la présente disposition en matière de mise en liberté sous caution.  Le juge doit être persuadé que la détention est non seulement souhaitable, mais encore nécessaire.  De plus, il doit être convaincu que cette mesure n’est pas seulement nécessaire pour atteindre un objectif quelconque, mais qu’elle s’impose pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice.  Qui plus est, le juge procède à cette évaluation objectivement à la lumière des quatre facteurs énoncés par le législateur.  Il ne peut pas évoquer ses propres raisons pour refuser d’accorder la mise en liberté sous caution.  Bien qu’il doive tenir compte de toutes les circonstances, le juge doit prêter une attention particulière aux facteurs énoncés par le législateur.  En définitive, le juge peut refuser d’accorder la mise en liberté sous caution uniquement s’il est persuadé, à la lumière de ces facteurs et des circonstances connexes, qu’un membre raisonnable de la collectivité serait convaincu que ce refus est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice.  En outre, comme l’a souligné le juge en chef McEachern de la Colombie - Britannique (en chambre) dans l’arrêt R. c. Nguyen (1997), 119 C.C.C. (3d) 269, la personne raisonnable qui procède à cette évaluation doit être bien informée [traduction] « de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte  et des circonstances réelles de l’affaire » (p. 274).  C’est pourquoi la disposition en cause ne laisse pas une « large place à l’arbitraire » et ne confère pas non plus aux juges un pouvoir discrétionnaire illimité.  Au contraire, elle établit un juste équilibre entre les droits de l’accusé et la nécessité de veiller à ce que la justice règne dans la collectivité. 

[68]      Le juge Doyon, dans J.V. c. R.[7] définit ansi le public dans cette notion de confiance dans l’administration de la justice :

« Le public dont il est question est celui qui connaît les règles de droit et qui est, comme l'écrit le juge Chamberland, « au fait de tous les tenants et aboutissants du dossier » : R. c. Do, REJB 1997-03809 (C.A.), et un public, comme le rappelait le juge Fish, alors à la Cour, « fully appreciative of the rules applicable under our system of justice » : Pearson c R., AZ-90011560. Il s'agit donc d'un public qui est en mesure de se former une opinion éclairée, ayant pleinement connaissance des faits de la cause et du droit applicable, et qui n'est pas mû par la passion, mais bien par la raison. »

[69]              Monsieur le juge Martin, dans St-Cloud c. R.[8]  abondait dans le même sens lorsqu’il disait :

[23]        Généralement, le test appliqué par le juge est celui-ci : Est-ce qu’un homme raisonnable, sans aucun intérêt dans la situation, mais bel et bien instruit dans le contenu de la Charte des droits, dans les dispositions du Code criminel et dans les enseignements de la Cour Suprême, est-ce que cette personne pourrait conclure que la confiance du public dans l’administration de la justice serait minée par la libération de la personne en question. Effectivement, c’est le juge qui est appelé à évaluer cette formule-là face aux faits mis en preuve devant lui.

[70]      L’évaluation se doit d’être objective en tenant compte des divers critères établis par le législateur et autres facteurs, notamment la jurisprudence et les garanties constitutionnelles de la Charte canadienne des droits et libertés qui pourraient être pertinents, sans pour autant tomber dans la vindicte populaire non plus pour satisfaire certains groupes de pression de la société.

Le fait que l’accusation parait fondée,  the apparent strenght of the prosecution’s case.

[71]      Il ne fait aucun doute que la preuve en possession du ministère public est accablante. Les deux jeunes victimes sont retrouvées dans leur chambre à coucher respective, atteintes de nombreux coups de couteau. Le requérant est le seul autre occupant des lieux et admet être l’auteur des coups fatals administrés aux enfants.

[72]      Lorsqu’arrêté par les policiers, il est fortement intoxiqué au méthanol après avoir ingurgité du liquide lave-vitre dans une vaine tentative de suicide.

[73]      Au premier procès, l’état mental du requérant était en litige et il a présenté un moyen de défense fondé sur l’article 16 du Code criminel. Ce moyen de défense lui est encore ouvert, le jury devra cependant examiner si les troubles mentaux sont la véritable source de l’état d’incapacité et si l’intoxication volontaire a eu un effet contributif : (par. 98 de la décision de la Cour d’appel).

 [98] Il y avait nécessité que le jury fasse la part des choses et réponde à la question : est-ce le trouble mental ou l’intoxication ou encore une combinaison des deux qui est la source de l’incapacité de l’intimé? Si c’est l’intoxication, il va de soi que la défense de troubles mentaux ne peut réussir. S’il y a combinaison des deux, le jury doit examiner le rôle contributif de chacun et en déterminer l’ampleur pour savoir si, par exemple, les effets de l’intoxication sont tels qu’elle est la véritable source de l’état d’incapacité de l’intimé ou au contraire si les troubles mentaux pouvaient, à eux seuls, causer cette incapacité. Rappelons que cette question se pose dans le contexte où la preuve indique que l'idée d'amener les enfants avec lui dans la mort survient après l'intoxication. On voit bien là un indice de l'importance de l'intoxication dans la conduite homicide de l'intimé.

[74]      Le Tribunal doit prendre en considération ce moyen de défense, et ce, malgré la force probante de la preuve que possède la couronne. Comme le mentionne la Cour d’appel dans R. c. Coates[9]  :

[45] C'est donc à bon droit que le juge s'est ici interrogé, non seulement sur la force apparente de la preuve de la poursuite, mais également sur les moyens de défense que pourraient faire valoir les intimés. Tel que mentionné précédemment, il serait injuste d'ignorer les arguments que la défense pourrait soulever pour ne retenir que la preuve que la poursuite affirme être en mesure de produire.

[75]      Même si le moyen de défense fondé sur l’article 16 du Code criminel n’était pas retenu par le jury, il devra poursuivre ses délibérations sur un moyen de défense fondé sur l’intoxication et ou sur les éléments de préméditation.

[76]              En conséquence, même si la preuve sur les éléments essentiels des infractions reprochées semble forte, les moyens de  défense proposés sont sérieux et mériteront la considération du jury.

La gravité des accusations.

[77]      Il s’agit, dans les circonstances, du crime le plus grave contenu au Code criminel canadien. Le meurtre au premier degré est punissable d’une peine minimale d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité d’une libération conditionnelle avant d’avoir purgé vingt-cinq (25 ans) d’emprisonnement.

 

Les circonstances entourant sa perpétration, y compris l’usage d’une arme à feu.

[78]      Les circonstances sont très bien décrites dans l’analyse qu’en fait la Cour d’appel. Le Tribunal ne peut que constater l’absurdité des gestes posés sans pour autant y trouver ses propres raisons pour décider de l’issue de l’affaire.

 

Le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement.

[79]      Il est inutile de reprendre les conséquences d’un verdict de culpabilité sur la peine imposée pour le meurtre au premier degré.

[80]      Le Tribunal doit pondérer chacun de ces éléments et décider si le requérant s’est déchargé de son fardeau de démontrer que sa détention n’est pas nécessaire et que sa mise en liberté n’aura pas pour effet de miner la confiance du public dans l’administration de la justice.

[81]      Le Tribunal retient également les propos du juge Beaudoin dans R. c. Lamothe[10]

« ….S'agissant tout d'abord de la perception du public, comme on le sait, face aux criminels ou aux criminels en puissance, une large partie du public canadien adopte souvent une attitude négative et parfois passionnée. Il veut se voir protéger, voir les criminels en prison et les voir châtier durement.  Se débarrasser du criminel, c'est se débarrasser du crime.  Il perçoit alors indûment le système judiciaire et celui de l'administration de la justice en général comme trop indulgent, trop mou, trop bon pour le criminel. Cette perception, presque viscérale face au crime, n'est sûrement pas celle sur laquelle le juge doit se fonder pour décider de la remise en liberté. Dans cette hypothèse en effet, les personnes accusées de certains types d'infraction ne seraient jamais remises en liberté parce que la perception du public est négative à l'égard du type de crime commis, alors que d'autres, au contraire, seraient presque automatiquement libérées vu la perception plus neutre ou plus indulgente du public. Le droit criminel et son exercice a aussi et doit avoir à l'égard du public une valeur éducative. Le public informé doit comprendre que l'existence de la présomption d'innocence à toutes les étapes du processus pénal n'est pas une notion purement théorique, mais une réalité concrète et que, malgré ce qui peut passer, dans sa perception, pour certains inconvénients quant à  l'efficacité  de  la répression criminel1e, elle est le prix à payer pour une vie dans une société libre et démocratique. C'est donc à un niveau plus élevé qu'il faut se placer, soit celui d'un public raisonnablement informé de notre système de droit pénal et capable de juger et de percevoir sans passion que l'application de la présomption d'innocence, même au niveau de la liberté provisoire, a pour effet qu'effectivement des gens qui, plus tard, seront trouvés coupables, même de crimes sérieux, auront cependant  retrouvé leur liberté entre le moment de leur arrestation et celui de leur procès.  En d'autres termes, le critère de la perception du public ne doit pas s'exercer à partir du plus petit commun dénominateur.  Un public informé comprend donc qu'il existe au Canada une présomption d'innocence garantie constitutionnellement (art. 11 d) de la Charte) et le droit de n'être pas privé sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable (art. 11 e) de la Charte).

   Pesant de la réaction du public, le juge doit ensuite se demander si la remise en liberté du prévenu en attendant son procès risque, dans le milieu d'un public raisonnablement informé, provoquer une réaction qui jetterait le discrédit ou l'opprobre sur l'administration de la justice pénale.  Il convient peut-être de rappeler à cet égard, bien qu'énoncés dans un tout autre contexte, les propos de M. le juge Antonio Lamer dans l'arrêt Collins c. R., (1987) 1 R.C.S. p. 281:

   La notion de déconsidération inclut nécessairement un certain élément d'opinion publique  et  la  détermination  de  la déconsidération exige donc que le juge se réfère à ce qu'il estime être l'opinion de la société en général. Ceci ne veut pas dire que la preuve de la perception du public à l'égard de la considération dont jouit l'administration de la justice, qui, de l'avis du professeur Gibson, pourrait être produite sous forme de sondages d'opinion (précité, aux pp. 236 à 247), sera déterminante sur cette question (voir Therens, précité, aux pp. 653 et 654). La position est différente en matière d'obscénité par exemple, où le tribunal doit évaluer le degré de tolérance de la société, son caractère raisonnable et peut considérer les sondages d'opinion (R. v. Prairie Schooner News Ltd. and Powers (1970) 1 C.C.C. (2d) 251 (C.A. Man.), à la p. 266, cité dans l'arrêt Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine, (1985) 1 R.C.S. 494 , à la p.  513). Il serait peu sage, à mon humble avis, d'adopter une attitude semblable à l'égard de la Charte. En règle générale, les membres du public ne deviennent conscients de l'importance de la protection des droits et libertés des accusés que lorsqu'ils sont eux-mêmes de quelque manière mis en contact plus intime avec le système, soit personnellement, soit par l'expérience de leurs proches ou d'amis.  Le professeur Gibson a reconnu le danger qui peut se présenter si l'on permet à des membres du public mal informés de décider de l'exclusion d'éléments de preuve, lorsqu'il dit, à la p. 246:

  [Traduction)] La  détermination finale doit relever des tribunaux, parce qu'ils constituent souvent la seule protection efficace des minorités impopulaires et des individus contre les revirements de la passion publique. »

[82]      Il ne faut pas confondre non plus les principes qui guident la mise en liberté provisoire avec l’issue du procès. À titre d’exemple, deux cas récents, les affaires Sorella (540-01-039473-098) et Gauthier (150-01-025052-094) où, respectivement, les juges Champagne et Grenier permettaient que les accusées retrouvent leur liberté. Ces dernières faisaient alors face à des accusations de meurtre avec préméditation de leurs enfants en bas âge. Dans l’affaire Sorella, la cause de la mort des deux enfants reposait sur une preuve circonstancielle et dans Gauthier, le moyen de défense reposait sur l’abandon du complot ourdi avec son époux de se suicider et d’emmener avec eux leurs trois enfants. Dans les deux cas, la présomption d’innocence qui les accompagnait jusque-là s’est terminée avec le verdict du jury les déclarants coupables des infractions reprochées.

[83]      Ceci n’est qu’une illustration que la règle de droit qui régit la mise en liberté pendant procès peut être fort différente que la règle qui gère le procès. Une mise en liberté provisoire ne signifie aucunement que le détenu est exonéré de la responsabilité criminelle qu’il encourt.

[84]      Le Tribunal n’est pas insensible à la très forte médiatisation qui a suivi les évènements tragiques qui ont conduit à la mort de deux jeunes et innocents enfants. Même après plus de cinq (5) ans, l’affaire est toujours d’actualité. Malgré l’indignation publique face à l’incompréhension des gestes posés, la règle de droit se doit de continuer à s’appliquer, telle est la garantie que nous donne une société libre et démocratique.

[85]      Après avoir considéré les divers critères du sous-paragraphe c) de l’article 515 (10), je considère que le requérant s’est également déchargé de son fardeau de démontrer que la confiance du public envers l’administration de la justice ne serait pas minée, et ce, pour les raisons suivantes.

[86]      L’état mental du requérant au moment de la commission des actes ayant mené au décès tragique de ses enfants sera au cœur de la décision qu’aura à rendre le jury. Il en sera de même de l’état d’intoxication dans lequel il se trouvait au moment des gestes posés.

[87]      Des verdicts moindres et inclus peuvent être rendus sur le moyen de défense basé sur l’intoxication. Si les troubles mentaux étaient tels qu’il était incapable de juger de la nature et de la qualité des actes posés ou de savoir que l’acte était mauvais, alors le jury pourrait en venir à un verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux. Une déclaration de culpabilité peut également être rendue sur les accusations telles que portées si aucun de ces moyens de défense n’est retenu et que la poursuite démontre hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels des infractions.

[88]      Les moyens de défense ne sont pas futiles, ils devront être pris en considération par le jury et peuvent être de nature à affaiblir la force apparente de la preuve de la poursuite. La Cour d’appel reconnaît d’ailleurs que l’état mental du requérant et l’impact de son intoxication sur cet état mental peuvent être soumis à un jury.

[89]      L’état psychologique actuel du requérant nécessite toujours une forte médication et un suivi constant des spécialistes. Ses conditions de détention sont telles qu’il est toujours en unité de soins et confiné dans sa cellule 20 heures sur 24. Il reçoit régulièrement les soins que son état requiert. La preuve révèle également qu’il a été l’objet d’harcèlements de codétenus  (peut-être dus à la notoriété des évènements).

[90]      Le procès, qui ne peut avoir lieu avant un (1) an (septembre 2015), est aussi un considérant. Les événements reprochés au requérant remontent à plus de cinq (5) ans et il a été détenu provisoirement, en attente de son procès ou par ordonnance de la commission d’examen depuis plus de cinquante-sept (57) mois.

[91]      Enfin, l’absence d’antécédent judiciaire et le respect des conditions de libération conditionnelle imposées par la commission d’examen sont de nature à favoriser la remise en liberté provisoire.

[92]      Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est confiant qu’un public bien informé des faits de la cause et du droit applicable en matière de remise en liberté provisoire ne considérerait pas que la décision de permettre au requérant de retrouver sa liberté assortie de conditions minerait sa confiance dans l’administration de la justice, tout au contraire.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[93]      ACCUEILLE  la requête

[94]      ORDONNE la mise en liberté provisoire de monsieur Guy Turcotte aux conditions suivantes :

a) Qu’il garde la paix et ait une bonne conduite,

b) Qu’il se présente à la Cour lorsque requis,

c) Qu’il habite au domicile de son oncle Léo Turcotte, au […], Brossard.

[95]      Il lui est interdit de changer d’adresse sans, au préalable, avoir obtenu la permission du Tribunal.

[96]      Interdiction lui est faite de communiquer directement ou indirectement par quelque moyen que ce soit avec son ex-conjointe  ou le conjoint de celle-ci, s’il en est.Il lui est également interdit de se trouver à moins de 100 mètres de leur résidence.

[97]      Interdiction lui est faite de quitter le territoire de la province de Québec.

[98]      Interdiction lui est faite de posséder ou faire une demande de passeport.

[99]      Interdiction de posséder, acquérir ou avoir en sa possession, armes à feu, munitions et autres objets mentionnés à l’article 109 du Code criminel

[100]   ORDONNE l’imposition d’un couvre-feu  de 18 heures à 6 heures  où il devra se trouver en tout temps à la résidence de la rue [...] à Brossard.

[101]   Obligation de se rapporter tous les deux mercredis du mois à un agent de la Sûreté du Québec.

[102]   Obligation lui est faite de continuer les traitements psychiatriques prodigués par le psychiatre Roy ainsi que les thérapies de la psychologue Costi et de respecter les rendez-vous fixés à l’Institut Philippe Pinel de Montréal.

[103]   Obligation de prendre la médication prescrite par ses médecins traitants.

[104]   Un acte d’hypothèque judiciaire sur la résidence de Gilles Turcotte, frère du requérant, au montant de 100.000 $ devra être fourni et déposé au greffe de la Cour supérieure avant qu’il ne puisse être remis en liberté.

[105]   Interdiction lui est faite de consommer des boissons alcooliques ainsi que tout médicament ou drogue qui ne sont pas prescrits par un médecin qualifié.

 

 

__________________________________

ANDRÉ VINCENT, J.C.S.

 

Me Pierre Poupart

Me Guy Poupart

Procureurs du requérant-accusé

 

Me René Verret

Me Maria Albanese

Procureurs de l’intimée-poursuivante

 

Dates d’audience :

3 et 4 septembre 2014

 



[1] 2013 QCCA 1916

[2] Pièce R-1

[3] Pièce R-4

[4] Pièce R-3 A

[5] [2012] 3 R.C.S. 309, par. 13

[6] L.Q. chapitre 38.001

[7] 2008 QCCA 2157

[8] 2013 QCCS 5021

[9] 2010 CQCA 919

[10] (1990) A.Q. no. 514

 

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