Décision

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Dartt c. Girard

2025 QCTAL 10606

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

No dossier :

777574 36 20240325 T

No demande :

4574922

 

 

Date :

26 mars 2025

Devant la juge administrative :

Annie Guillemette

 

Darren Christopher Dartt

 

James Dartt

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Jennyfer Girard

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande déposée le 6 janvier 2025, les locataires requièrent la rétractation de la décision du 18 septembre 2024 de la soussignée.
  2.          Cette décision résilie le bail des locataires suite à une audience tenue 29 août 2024 à laquelle ils étaient absents.
  3.          Les locataires expliquent qu’ils travaillaient lors de l’audience du 29 août 2024 et qu’ils ont oublié qu’ils devaient se présenter au Tribunal. Ils ont eu connaissance de la décision en septembre 2024. Ils admettent qu’il y avait du loyer impayé à la fois lors de l’audience du 29 août 2024 et lorsqu’ils ont reçu la décision en septembre 2024.
  4.          Lors de l’audience de la demande en rétractation, tous les loyers avaient été acquittés.

Analyse et décision

  1.          La présente demande se fonde l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, lequel énonce ce qui suit[1]:

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.

La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »

  1.          À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec[2] :

« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »

  1.          L'absence d'une partie ne donne pas ouverture systématiquement à la rétractation de jugement.
  2.          Par ailleurs, l’article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement prévoit ce qui suit[3]:

« 44. La demande de rétractation d'une décision doit contenir non seulement les motifs qui la justifient, mais, si elle est produite par le défendeur à la demande originaire, elle doit également contenir les moyens sommaires de défense à la demande originaire. »

  1.          Ainsi, pour qu'une demande de rétractation soit accordée, trois conditions doivent être remplies :
  1. la demande doit comporter les motifs justifiant l’absence;
  2. la demande de rétractation doit être déposée dans un délai de dix jours de la connaissance de la décision;
  3. la demande doit alléguer les motifs de défense sur la demande originaire en vertu de l'article 44 du Règlement;
  1.      Il appert de la preuve soumise que les locataires ne rencontrent aucune des trois conditions. L’oubli n’est pas une cause jugée suffisante pour justifier l’absence des locataires lors de l’audience. La demande a été déposée beaucoup plus de 10 jours suivant la connaissance de la décision et la demande ne comporte aucun moyen de défense à l’égard de la demande en résiliation de bail pour non-paiement du loyer. 
  2.      Le Tribunal doit donc rejeter la demande en rétractation des locataires.

La demande de limitation procédurale

  1.      La locatrice demande qu'il soit interdit, sauf autorisation, aux locataires de déposer une nouvelle demande devant le Tribunal administratif du logement à l'encontre de la décision attaquée.
  2.      Ce type de demande est communément appelé demande forclusion et est prévu à l’article l’alinéa 2 de l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[4] qui se lit comme suit:

« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. » 


  1.      Dans le jugement Structures métropolitaines (SMI) inc. c. Cour du Québec du district judiciaire de Montréal[5], l'Honorable juge Yves Poirier, j.c.s., traitant de l'article 63.2 de la loi énonce :

« [20]        La limitation procédurale prévue à l’article 63.2 de la Loi sur la régie du logement[5]  LRL ») a comme objectif d’empêcher une partie d’utiliser un subterfuge visant à retarder indument l’exécution d’une décision rendue par l’un des juges administratifs de la Régie.

[21]        Suivant les procureurs de la Régie, cette limitation procédurale s’impose dans le cas type d’un locataire qui refuse, sans droit, de payer son loyer.  Une décision concluant à cet état de fait et ordonnant l’expulsion du locataire nécessite plusieurs mois d’attente avant que le jugement n’intervienne.  Dans l’hypothèse où la décision est rendue de façon ex-parte, il est loisible pour ce locataire de demander la rétractation de ce jugement, ce qui retarde, là encore, l’exécution du jugement en expulsion.  En l’absence du locataire lors de la présentation de la requête en rétractation, le juge administratif peut, suivant la nature du dossier, rejeter la demande en rétractation et pourra se prononcer sur la limitation procédurale de l’affaire se référant à l’article 63.2 LRL.

[22]        Notons que la Régie avise les parties de la date d’audition de sa demande en rétractation.  En l’absence du locataire, le juge administratif peut rejeter sa demande en rétraction.  De plus, le juge administratif qui constate un abus peut limiter la répétition de l’abus en imposant la limitation prévue à la loi à l’article 63.2 LRL.

[23]        Cette limitation n’est pas, à proprement parlé, une forclusion.  En effet, la forclusion met normalement fin aux droits d’une partie de poser un geste procédural.  Dans la limitation procédurale, déclarée par le juge administratif dans la décision du 19 octobre 2017, on comprend que le Président de la Régie peut autoriser la poursuite de la demande.  Le juge administratif en fait d’ailleurs état dans sa conclusion à son paragraphe 7 :

« [7] DÉCLARE les locataires forclos de produire toute autre demande de rétractation, sauf sur permission du président du Tribunal ou de toute autre personne qu’il désigne à cette fin. »

[24]        Cette limitation procédurale n’est donc pas fatale.  Son imposition force la partie visée à requérir une autorisation particulière afin d’exercer ce recours.  Le juge administratif devrait donc conclure à une limitation procédurale et non à une forclusion.  La terminologie retenue est déficiente.

[25]        L’abus peut être constaté d’office par le juge administratif ou requis par la partie adverse.

[26]        Il n’est donc pas nécessaire d’assujettir la démarche et la décision du juge administratif lorsqu’il applique la limitation procédurale prévue à la LRL (art. 63.2) au règlement de procédure et à un avis à l’encontre de l’abuseur.  La partie défaillante ayant déjà été convoquée pour disposer de la procédure (dans notre cas, la requête en rétractation).  La règle d’« audi alteram partem » quant à la requête en rétractation est, dès lors, respectée. »

  1.      La locatrice mentionne qu’elle ne veut pas être obligée de revenir. 
  2.      Le Tribunal fait siens les propos du juge Daniel Dortélus dans la décision Quarre c. Gestion MRC inc.[6] :

« Déclarer un justiciable forclos de présenter une demande devant un tribunal, est un remède extrême qui ne doit être utilisé qu’avec grande circonspection et rigueur, vu ses conséquences graves sur les droits du justiciable qui est tenu de ne pas les exercer de manière abusive. »

  1.      En l’espèce, la soussignée est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’imposer de limitation procédurale aux locataires. Il s’agit d’une première demande en rétractation d’une décision et s’il est vrai que la demande était mal fondée, la locatrice n’a pas démontré que la demande a été déposée en vue d’empêcher l’exécution de la décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      REJETTE la demande en rétractation;
  2.      MAINTIENT la décision du 18 septembre 2024;

  1.      REJETTE la demande de limitation procédurale demandée par la locatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Annie Guillemette

 

Présence(s) :

les locataires

la locatrice

Date de l’audience : 

20 février 2025

 

 

 


 


[1] RLRQ c. T-15.01.

[2] Entreprises Roger Pilon Inc. c. Atlantis Real Estate Co., [1980] C.A. 218.

[3] Chapitre T-15.01, r. 5.

[4] RLRQ c. T-15.01.

[5] 2019 QCCS 5368.

[6] 2010 QCCQ 10835 (CanLII).

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