Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Tisseur | 2023 QCCQ 817 | ||||
COUR DU QUÉBEC | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
DISTRICT DE | JOLIETTE | ||||
LOCALITÉ DE | JOLIETTE | ||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||
N° : | 705-01-119815-225 | ||||
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DATE : | 21 février 2023 | ||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE NORMAND BONIN J.C.Q. | |||||
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Directeur des Poursuites criminelles et pénales | |||||
Poursuivant
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c. | |||||
TISSEUR ANDRÉ (1964-[...]) Accusé | |||||
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Jugement sur lA PEINE | |||||
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[1] L’accusé, André Tisseur a plaidé coupable aux accusations d’avoir, les 11 et 12 avril 2022, sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles aux premiers ministres du Québec et du Canada, François Legault et Justin Trudeau, ainsi qu’à d’autres membres du Gouvernement, d’avoir eu en sa possession une arme à feu chargée de calibre 22, trois armes à impulsion électrique (Tasers) fonctionnels et des munitions de calibre 22 pendant que cela lui était interdit par ordonnance de la Cour et d’avoir eu en sa possession une arme prohibée, les Tasers, sans être titulaire du permis requis, commettant ainsi les crimes respectivement prévus aux articles 264.1 (1) a) (2) a), 117.01(1) (3)a) et 91(2)(3) a) du Code criminel,[1] passibles de 5, 10 et 5 ans d’emprisonnement. Non seulement l’accusé avait-il une arme chargée en dessous de son lit, mais il a tenu des propos menaçants d’une violence inouïe, à répétition, et dans un contexte d’incitation à la violence. L’accusé a d’importants antécédents. Le Tribunal a refusé la première suggestion commune d’une sentence suspendue et de 100 heures de travaux communautaires et ne peut se rallier à la seconde, soit une suggestion équivalant au temps préventif de 68 jours équivalant à 102 jours. Le Tribunal est d’avis qu’une peine équivalente à neuf mois s’impose.
[2] Le 11 avril 2022, l’accusé diffuse sur un réseau social numérique des vidéos sur lesquels il apparaît et profère d’importantes menaces. Ces missives étaient précédées de 14 autres diffusées entre le 17 mars et le 10 avril 2022. Pour bien comprendre le contexte, il y a lieu de citer des passages de ceux-ci.
17 mars- 18h07
Bonsoir les amis (…)
Il y a qq chose qui s’en vient – pi vous ne croirez pas à ça je me (c…) de tout cet (O…) de monde sale là qui me dit de la marde, qui me bitch. Je leur dit juste de manger de l’amour parce qui vont en manger en (t…) de la moue.
Je me (c…) de n’importe quoi.(…) vous les dénigrants les (e…) de cave Legault Trudeau (autres noms omis par le soussigné) vous êtes tous complices. Vous allez payer en (…) vous autres (…)vous allez en enfer a perpétuité. Toute votre vie vous allez souffrir. (…)
Mais vous allez payer en (t…)
Moi je m’en (c…), je l’ai faite mon message, j’ai parlé au monde…
On m’a traité de fou, on m’a dit que j’avais de la boucane dans tête, jt’un coucou, qu’est-ce tu voudras, je men (c…)
17 mars 19h07 :
Je vous encule la CAQ, vous êtes une (o…) gang de crottés, de mangeux de marde, crossez-vous toutes, vous êtes toutes morts. Vous allez toute passer à la guillotine, gang de crottés.
18 mars 6h11- 23 sec :
Une petite question j’me pose : pourquoi eux ont eu le droit de tuer nos ainés? Nous on a pas le droit de les éliminer ce monde-là? Hein pourquoi ?Sortez vos armes et réveillez-vous le monde (O…!) OK?
22 mars 14h51 :
le message est pour (nom omis par le soussigné), c’est la guillotine que ça prend. Je veux vois sa tête rouler, sa tête à cet (o…) de gang de trous de cul sales là. Moi avec je suis en (t…)
23 mars 22h28 :
Vous allez me prendre pour un illuminé (…)
Les (o…) de bâtards de (t…), c’est toute une (o…) de manigance totale. Vous vous faites tous manipuler par les médias et ces pourris-là, des pourris! je vous défie de venir chez moi. Ça va péter en (t…) J’te jure man! (O…) que ça va péter. Je donne ma vie pour vous autre les amis. Je donne ma vie, je la donne!
23 mars 22h30 :
Eh les (f…) sales! Vous êtes une gang de (f…) vous voulez nous détruire toute (l’O…) de gang, mais vous avez pas fini avec nous autres, man, parce que moi chus pas vacciné. Pis que j’en vois un (t …) venir chez nous man. J’ai des (o…) de chiens sales qui vont vous manger tout rond. Si un (s…) qui s’approche d’icitte, ça va péter en (t…) J’te jure man, je veux rien savoir de vous, gang (D’o…) de trous de cul, de vendus par le cash. Vous êtes vendus par l’argent, gang de crottés, des (o…) de pourris qui vont me juger, me traiter de coucou. M’a aller te chercher mon (o…) de sale!
23 mars- 22h34
Hé! Les pourris! Vous êtes tous des (o…) de pourris! (o…) je parle de ceux qui nous font du mal, qui nous empoisonnent avec vaccin, dans l’eau, dans l’air, partout, dans le manger, dans les magasins, vous nous empoisonnez. Hey garde! Je vous défie mes (o…) de sales, venez chez nous. Je vous attends, moi là regarde je suis enragé come un (o…) pi ça va péter pas à peu près (e…) pi les (e…) de caves qui ont les (o…) de (c…) de commentaires de marde, j’vous encule. M’a te trouver mon crotté! Crois-moi, m’a te trouver (e…) de pourri, (c…) de pourri!
24 mars 1h30 :
Mangez toute de la marde, mes (o…) de pourris sales. Vous allez tous crevez! J’me mets sur votre compte! Watchez-moi ben aller !!! Regardez ben ma face, mon (O…) de pourri, mes (O…) de sales de (t…)
26 mars à minuit 15
On va s’en rappeler en (t…) d’la gang de trous du cul, trou gastro, Legaut, toute cette (o…) de trous, toute la gang (noms omis par le soussigné) et compagnie on vous attend toute! On a assez hâte de te voir sur la chaise électrique ou bedon guillotine. On veut voir ta tête tomber mon pourri sale, mon (e…) de gang de sale on t’en veut en (o…). Si tu savais combien de monde contre toi, mon pourri, (…) Le trou de cul, mon sale, tu vas y goûter! Mon (e…) de pourri sale, de gang de (c…) de gang de crasses.
26 mars minuits 19
Ben non ben non, il faut pas voter. (…) J’en ai mon (e…) de cul, ma gang (d’O…) de mangeux de marde, de (t…) Vous allé tous être jugés : chaise électrique, guillotine ou léthal. On va tous vous voir mourir comme vous avez fait mourir nos parents ok? Mon père est mort de ça, et j’vous en veux en (e…) vous autre. Mes (o…) d’enfants de chienne! Votre petit (c…) de covid sale là! (…), il faut les (c…) à terre les 5G, quelqu’un qui va se réveiller dans le monde! Moi, j’en ai déjà 2 de (c…_ à terre.
(…)
26 mars minuit 26
En tous les ca, vous l’avez ma photo, vous l’avez franchement! Faut toute se mettre la main ensemble, pour détruire cette gang de mondialistes là., gang là c’est tout des (e…) souffrir les enculés de mort, vous allez payer mes …
Mettre la main ensemble pour détruire cette gang de mondialistes, gang de cashdown , people de marde, (nomsomis) toute cette gang- des (e…) de sataniques malades mental fucké raide dans leur (c…) de cerveau. Hé! faut toute se réveiller les amis, ça s’en vient votre affaire (O…) que ça s’en vient, vous allez y goûter en (t…) man!, Vous vous en aller soit sur la chaise électrique, guillotine ou au léthal , on va vous injecter de quoi dans le corps, vous allez crever, comme vous avez fait à tout le monde! (…) Pi moi mon père est mort (o…), y est mort, de t’ca! Faque, garde vous allez payer mes (e…) d’enfants de chienne! Tu sais pas comment ce que y a de la rage en dedans de moi, de la rage saignante, pi vous allez tous y gouter : Legault, (autres noms omis) , et compagnie (…)
26 mars minuit 30
Moi je paye plus d’impôt depuis 2019.. Toi t’es un pourri un (o…) de marde, tu vas payer pour ça! (Il ne nomme pas de nom ici)
29 mars 11h22
Bonjour les amis (…)- saviez-vous que dans des pays les voleurs sont amputés et dans d’autres, ce sont des députés et voilà la vérité sort!
10 avril 21h48
Bonsoir a tous les amis. J’ai des p’tites nouvelles pour vous! Il faut arrêter de nourrir les gouvernements. (…) vous pouvez pas croire comment ils nous empoisonnent. (…) Réveillez-vous les amis, votre dernière chance! Moi je suis équipé, moi j’reste en campagne. Le premier qui arrive, le premier qui est mort! M’a donner ma vie. (…)
11 avril 7h31
Les amis, j’ai un sentiment de meurtrier. J’ai le goût de tuer le gouvernement au complet, ces (o…) de rapaces, des pourris. Les journalistes, y a rien que la mort qu’ils méritent, exécution! Faut se réveiller! C’est dangereux! Ils vont crever les (t…), qu’ils s’approchent pas de moi! Qu’ils s’approchent pas de moi parce que je vais donner tout ce que je peux, gang (d’e…) de moutons sales!
11 avril 17h 38
Un autre (o…) de cave qui va me dire des (o…) de remarques désobligeantes, m’a te l’arracher ta (c…) de tête mon (e…) de cave, m’a te l’arranger ton portrait sale. Mange de l’amour (c…) d’enfant de chienne!
Le 11 avril 17h40
Voulez-vous que je vous dise je me (c…) de (nom du réseau social numérique) une gang (D’O…) d’enfant de chienne!
11 avril 18h25
(E…) de gang d’innocents, réveillez- vous donc! (…)
11 avril- 19h54
Legros, t’es un (o…) de pourri! T’es bein mieux de te cacher, même si ta garde armée, un moment donné, une balle qui va te rencontrer mon pou…
11 avril 21h27
Eh les trous de culs, les enfants de chienne (…) Fa que, je vous défie a tous – je n’ai pas peur de mourir et faites bein attention. Il y a aura des obstacles, vous allez mourir! (…)
Trudeau Justin, Castro, mon (o…) de bâtard! T’es un bâtard! Tu peux m’envoyer l’armée, il vont avoir de la misère! J’aimerais donc ça q’tu sois le premier en avant du front parce que t’as pas de front pour te présenter icitte!
Toi aussi le gros, trou de cul de mangeux de marde d’enfant de chienne, (…) T’es un enfant de chienne (e…) de trou de cul sale de (c…). Je m’en (c…) de vous. J’ai aucune peur. Fais attention minque tu viennes icitte! Pas besoin de mon adresse, vous l’avez déjà, gang d’enculés de marde de trous de cul. Le premier à vue va avoir une balle entre les deux yeux. Me suis pratiqué en masse, m’a t’avoir du premier coup! Envoie qui tu voudras, l’armée secrète et ton armée secrète, (e…) de vendus de marde, je m’en (c…), je vais donner ma vie pour le peuple! (F… Y.. A!)
[3] La perquisition qui a suivi la dénonciation d’un citoyen a permis de trouver l’arme chargée en dessous du lit de l’accusé et des armes prohibées. Il a aussi été question que ce ne soit pas le lit, mais plutôt le sofa, ce qui ne change rien. Ainsi, non seulement l’accusé faisait des menaces que quiconque irait le trouver vivrait un mauvais quart d’heure, mais il avait des armes à portée de main laissant croire qu’il était véritablement prêt à tout.
[4] Il est fait état que l’accusé a collaboré avec les policiers lors de son arrestation et a mentionné aux policiers où étaient les armes. Il y a lieu de noter que c’est le Groupe d’intervention tactique, soit une dizaine de policiers qui étaient sur place à 5h30 du matin.
[5] Les procureurs ont présenté une suggestion commune de sursis de peine et 100 heures de travaux communautaires. Ils ont fait valoir que l’accusé, lorsqu’il adressait les menaces, était en état d’ébriété et qu’’il a, à la suite d’une ordonnance de la Cour, suivi une thérapie en toxicomanie de six mois.
[6] Il y a lieu de mentionner que la suggestion commune des parties a été faite alors que le procureur de la Défense n’avait pas lui-même écouté et visionné les vidéos publiées sur les réseaux numériques. Les parties n’avaient initialement présenté à la Cour qu’un résumé très succinct des faits. Le Tribunal a demandé à voir et entendre les vidéos. Non seulement dans les paroles, mais aussi dans le ton employé, il en ressortait un niveau de violence mettant en évidence un danger pour le public.
[7] Malgré la suggestion de 100 heures de travaux communautaires, les parties ne s’étaient pas assurées que l’accusé était admissible à effectuer des travaux communautaires. Ce n’était pas le point crucial puisque le Tribunal a fait remarquer aux parties le danger que représentait la violence de l’accusé dans la commission de ses crimes. Néanmoins, le rapport présentenciel nous a appris que l’accusé avait eu un accident de travail en 2006 et un accident de moto en 2019 qui l’empêchait d’être actif au travail. Enfin, il a énoncé aux agents de probation qu’il considérait difficile de se déplacer et qu’il vivait dans un endroit isolé. Somme toute, l’accusé n’aurait pas été admissible à des travaux communautaires, mais aucune des parties n’avait requis que soit faite l’évaluation requise par l’agent de probation avant de suggérer des travaux communautaires.
[8] Vu la violence inouïe exprimée, la possession d’une arme chargée, les antécédents de l’accusé en semblable matière, y compris l’existence d’une deuxième interdiction de posséder des armes à feu, le Tribunal a avisé les parties qu’il estimait considérablement inapproprié la suggestion commune, qu’il estimait que les agissements de l’accusé représentaient un danger pour la société, qu’il serait requis un rapport présentenciel et que l’accusé devrait demeurer détenu en attendant le prononcé de la peine considérant que le Tribunal ne pouvait se réconcilier avec l’idée que l’accusé demeure en liberté vu le danger que ses agissements démontraient.
[9] Le tribunal a donc ordonné que l’accusé soit détenu en attendant le prononcé de la peine et a ordonné la confection d’un rapport présentenciel.
[10] Des représentations additionnelles sur la peine ont été faite le 13 février dernier faisant suite à l’obtention du rapport présentenciel. La Défense a fait valoir que pendant sa détention, au cours des mois de janvier et février l’accusé a suivi sept ateliers pouvant aller jusqu’à six heures. Les thèmes suivants ont été abordés : l’alcool; le cannabis; les stimulants majeurs; l’intégration sociale, l’estime de soi, les habiletés personnelles et sociales; la gestion du stress; la connaissance de soi et la communication.
[11] L’accusé fait valoir les impacts financiers et administratifs d’une peine d’emprisonnement prolongée et il exprime des regrets. L’accusé fait valoir qu’il n’aurait jamais agi suivant les menaces qu’il a faites. Le Tribunal lui fait remarquer qu’après avoir répété à plusieurs reprises de façon intimidante qu’il était prêt à recevoir toute autorité qui viendrait le chercher chez lui, qu’il ait fait un appel aux armes, il avait chez lui des armes prohibées et une arme chargée dans un contexte où il était sous ordonnance d’interdiction d’arme à feu. Non seulement s’est-il procuré des armes qui ne sont normalement pas accessibles sans les permis d’acquisition requis, mais il avait une arme chargée.
[12] Suite au temps préventif purgé par l’accusé, qui est, à ce jour, de 68 jours, valant pour 92 jours en appliquant le facteur 1.5 et suite au rapport présentenciel, les parties se rallient à une seconde suggestion commune, soit une peine équivalant au temps purgé et une probation de deux ans.
[13] Vu la nécessité d’individualiser la peine, il est nécessaire de voir davantage sa situation personnelle, ses antécédents, le rapport de thérapie. Il est nécessaire d’examiner d’abord pourquoi la première suggestion commune discréditait l’administration de la justice, d’examiner la seconde suggestion suite au temps purgé préventivement dans l’attente du rapport présentenciel et appliquer ensuite les principes pénologiques.
[14] Le rapport présentenciel rapporte que l’accusé a évolué dans un environnement familial violent, instable, marqué par l’abus physique de son père ainsi que par son désinvestissement à son égard et par son accoutumance à l’alcool. L’accusé a décrit sa famille comme étant des colosses bagarreurs, et ce, depuis des générations. Selon lui, ces derniers faisaient la loi dans leur quartier. Leur entourage entretenait un mode de vie marginal, voire associé au milieu criminalisé. L’agent de probation est d’avis que des blessures non résolues demeurent chez l’accusé. La mère de l’accusé, qui a toujours été une figure aimante, a aujourd’hui 92 ans.
[15] L’accusé a commencé à consommer alcool et drogues y compris cannabis, méthamphétamines et cocaïne depuis l’âge de 13 ans. Il a maintenu un usage régulier de cannabis jusqu’à ses 43 ans alors qu’il a dû modérer en raison de ses problèmes de santé. À compter de 2007, il s’est mis à s’injecter de la cocaïne et à en développer une assuétude. L’accusé aurait fait trois surdoses, la dernière étant en 2015. Outre deux ans d’accalmie de 2009 à 2011 en regard de la consommation d’alcool, l’accusé a maintenu ses habitudes jusqu’à la réussite de la thérapie mentionnée plus haut. En 2017-2018, l’accusé se reconnaissait des conduites plus agressives et impulsives lorsqu’intoxiqué par l’alcool, mais se disait en contrôle. Malgré ses constatations en regard de son comportement, l’accusé a continué à consommer de l’alcool et sa consommation s’est même aggravée.
[16] L’accusé est âgé de 58 ans. Il a un fils et considère la fille de sa première conjointe comme la sienne. Il a vécu deux unions stables, mais sa dernière conjointe était liée au milieu criminalisé. Il a un secondaire III comme scolarité. Le rapport de thérapie faisait état que l’accusé est technicien machiniste en cinéma. Le rapport présentenciel précise qu’il a travaillé à ce titre de l’âge de 22 ans jusqu’à ses 40 ans. L’accusé a plusieurs problèmes de santé liés à un accident de travail en 2006. En 2019 il a fait un accident de moto et reçoit présentement des prestations de la Société d’assurance-auto du Québec. Depuis 2015, il effectuait de la mécanique automobile dans son garage résidentiel et autres petits travaux de manière non déclarée. En 2021, il a subi un autre accident de voiture. Au cours des dernières années, l’accusé a fait le choix de s’isoler géographiquement, mais il s’est retrouvé aussi isolé socialement.
[17] Ces crimes commis par l’accusé sont loin d’être banals dans un contexte où l’accusé a de nombreux antécédents. De 1982, alors qu’il n’avait que 18 ans, à avril 2022, soit pendant 40 ans, l’accusé n’a cessé de s’impliquer d’une manière ou d’une autre dans la criminalité. Vingt-sept antécédents apparaissent à son dossier, comprenant des menaces, des voies de fait et des infractions reliées aux armes à feu, soit :
_ 2 Bris d’engagement;
_2 Bris de probation;
_ 1 Introduction par effraction;
_ 1Complot de commettre un acte criminel;
_ 3 Recels;
_ 3 Vols de plus de 2000$;
_ 1 Entrave;
_ 2 Conduites avec facultés affaiblies;
_ 1Méfait;
_ 1Harcèlement;
_ 3 menaces;
_ 3 voies de fait dont deux contre des policiers;
_ 2 Possessions d’arme à autorisation restreinte non enregistrée.
_ 1 maniement d’arme à feu à autorisation restreinte;
_ 1 Possession d’arme prohibée avec des munitions.
[18] Les parties font valoir qu’il a suivi une thérapie. Il est indéniable que les parties ont accordé une grande importance à ce suivi. En effet, il a intégré le domaine Orford en avril 2022 et a terminé celle-ci le 30 septembre de la même année. Le rapport de thérapie explique que l’accusé a de la difficulté à contenir ses comportements violents lorsqu’il est en état d’intoxication. Il est expliqué qu’au cours de la thérapie, l’accusé ne s’ouvre pas beaucoup au groupe ni ne fait beaucoup d’introspection. Il ne démontre pas connaître ses comportements inadaptés. Progressivement il a fourni des efforts pour approfondir son introspection mais il lui demeure difficile de le faire. Il a tendance à parler des comportements des autres sans parler des siens. Il ne reconnait pas sa responsabilité dans ses comportements qui lui sont reprochés et considère être victime d’acharnement de la part des intervenants. Dans ses évaluations, il fait preuve de médisance à l’égard du centre de thérapie. En phase III de la thérapie, il lui est recommandé de travailler sa tolérance et sa patience. En phase IV, il est toujours noté que l’accusé peut aller plus loin dans son introspection. Il doit toujours travailler l’honnêteté et l’authenticité. Il serait cependant plus à même de lâcher prise sur les situations où il n’a pas de contrôle. L’accusé a toutefois réussi à maintenir sa sobriété, à compléter sa thérapie et il a un plan de sortie qui implique le support d’un ami qui a 11 ans de sobriété.
[19] Par ailleurs, travailler sur sa sobriété est une chose, travailler sur ses comportements violents en est une autre. L’assuétude à l’alcool ou aux stupéfiants ne rend pas une personne violente. Les antécédents de violence de l’accusé, le niveau de colère de l’accusé envers les premiers ministres, les menaces faites dans un cadre d’incitation à la violence, l’appel aux armes et la possession d’une arme chargée alors qu’il est sous interdiction de posséder une arme n’ont pu être abordées au cours de cette thérapie. Dans un contexte où même le rapport de thérapie dénombre de nombreux indices de difficultés d’introspection, les parties ne peuvent s’être convaincues d’une complète réhabilitation de l’accusé. L’agent de probation ayant confectionné le rapport présentenciel tire aussi comme conclusion du rapport de thérapie que : « son niveau d’introspection de même que sa capacité de remises en question demeuraient des éléments à parfaire ».
[20] Dans l’arrêt Cook[2] la Cour suprême rappelle :
Les recommandations conjointes relatives à la peine (…) en échange d’un plaidoyer de culpabilité de la part de l’accusé — font partie des discussions en vue d’un règlement. Elles constituent un moyen à la fois accepté et acceptable d’arriver à une entente sur le plaidoyer. On en voit tous les jours dans les salles d’audience partout au pays, et elles sont essentielles au bon fonctionnement du système de justice pénale. (…) ces recommandations conjointes contribuent non seulement à ce « que l’on règle la grande majorité des affaires pénales au Canada », mais « elles contribuent donc à rendre le système de justice pénale équitable et efficace ».
Toutefois, les recommandations conjointes relatives à la peine ne sont pas sacro‑saintes. Les juges du procès peuvent les écarter. [3]
[21] Pour écarter une suggestion commune, le Tribunal doit se demander si la peine proposée serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ou serait par ailleurs contraire à l’intérêt public.[4]
[22] Malgré la très haute importance accordée par les tribunaux de favoriser la certitude dans les discussions entre avocats en vue d’un règlement, dans le présent dossier, la recommandation des parties sur la peine est à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation de l’accusé que son acceptation par le Tribunal amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, à croire que le système de justice a cessé de bien fonctionner. La population pourrait porter en dérision le système de justice en croyant qu’une personne, même avec des antécédents en semblable matière de violence, de possession d’armes à feu et de non-respect des décisions des tribunaux peut ainsi menacer des premiers ministres dans un contexte d’incitation à la violence. La recommandation des parties correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables, instruites des circonstances de l’affaire et du fonctionnement des tribunaux que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale. Il faut éviter que le public renseigné et raisonnable perde confiance dans l’institution des tribunaux et le fonctionnement de la société en général.
[23] En regard des crimes posés, il n’y a rien de banal d’ainsi menacer des gens qui se dévouent pour le bien public. Il n’y a rien de banal d’inciter de nombreux auditeurs à prendre les armes et de dormir avec une arme chargée sous son lit et d’autres armes dont une arme prohibée.
[24] Notre société est généralement paisible. Pourtant l’exercice de fonctions de gouvernance est de plus en plus difficile. Les dirigeants de nos gouvernements sont largement exposés à la critique populaire. Nous vivons dans une démocratie. Toute personne peut exprimer ses opinions, qu’elles soient ou non bien informées. La dérision, la moquerie, les insultes fusent. Tant qu’il n’y a pas de diffamation, de propos discriminatoires, d’incitation à la haine de groupes particuliers, d’encouragement à la violence, de menaces ou d’usage de la violence, les gens de notre société peuvent librement s’exprimer. Les médias sociaux numériques permettent d’ailleurs de le faire et d’avoir un auditoire important. Tout citoyen a le droit de manifester publiquement, mais paisiblement. Il est aussi possible de contester une accusation, de faire valoir qu’une arrestation a été faite en violation de ses droits fondamentaux ou de contester la constitutionnalité d’une loi. Ces mécanismes de protection des droits individuels et collectifs n’existent pas dans toutes les sociétés.
[25] Ce haut niveau de respect de la primauté du droit accorde une liberté importante contre l’intrusion de l’État dans la vie privée et accorde de nombreux avantages aux citoyens dont la liberté d’expression. Même dans notre société si tolérante, ces droits ne sont pas absolus, ils doivent s’exercer de façon responsable et dans les limites du respect de la loi. Défier constamment les lois mène aussi à restreindre davantage l’exercice des droits fondamentaux, et ce, particulièrement lorsque la sécurité du public est en jeu.
[26] Il est clair pour le Tribunal que de telles menaces faites par l’accusé ne sont pas sans conséquence pour les individus qui les subissent ainsi que leur famille. De plus, il s’agit d’atteintes à la démocratie elle-même. Considérer ces crimes comme étant banals, ce serait oublier que, même dans notre société globalement paisible, une première ministre[5] a été victime d’un attentat. Bien sûr les gestes de l’accusé n’ont aucun lien avec cet attentat passé, mais il n’en demeure pas moins que la virulence des menaces de l’accusé était jumelée à un contexte d’incitation à la violence.
[27] Indépendamment de la dissuasion collective, en se centrant uniquement sur la situation de l’accusé, l’écoute des vidéos jumelée à ses antécédents et à la possession d’une arme chargée en dessous de son lit ainsi que d’une arme prohibée traduisent l’ampleur de la colère de l’accusé et de son potentiel de violence.
[28] Les tribunaux supérieurs font un constant rappel aux tribunaux de première instance de faire preuve de retenue et de déférence envers les parties qui lui soumettent une recommandation conjointe sur une peine, de respecter celle-ci et les critères de rigueur pour s’en écarter[6].Il en va d’une plus grande efficacité du système de justice.
[29] Lorsque, comme en l’occurrence, les circonstances du crime, la personnalité de l’accusé, ses antécédents mettent en péril la sécurité du public, le citoyen bien informé ne devrait pas être amené à penser qu’un Tribunal de première instance soit tellement tenu de suivre des suggestions communes sur la peine qu’il puisse être amené à ne pas mettre à l’écart de la société un individu dont les comportements représentent un danger. Dans de tels cas, les bénéfices bien reconnus d’accepter les suggestions communes sur la peine, tels la certitude entre les parties sur leurs pourparlers et l’efficacité du système judiciaire[7], perdent leur priorité dans l’analyse de la peine qu’un tribunal doit rendre sans quoi non seulement la sécurité du public est en cause, mais aussi la crédibilité du système judiciaire.
[30] Le Tribunal est d’avis qu’il se trouve précisément dans une des situations exceptionnelles et inusitées où il doit s’écarter de la première recommandation conjointe sur la peine. Le Tribunal est d’avis que celle-ci ne lui permet pas d’assumer son rôle de « protecteur ultime de l’intérêt public »[8].
[31] Outre les circonstances dans lesquelles ces crimes ont été commis, la situation de l’accusé fait en sorte qu’une population bien informée ne pourrait comprendre que le système de justice adhère à une recommandation de sursis de peine avec 100 heures de travaux communautaires pour un individu qui a de tels antécédents. L’accusé a été condamné à plusieurs peines en 1983, totalisant 7 mois d’emprisonnement. Il a été condamné à 30 jours d’emprisonnement en 1985. En juillet 1994, pour des menaces, il s’est vu imposer une amende de 200$. En 2017, à nouveau pour des menaces, il s’est vu imposer une probation de deux ans en considérant 15 jours de prison purgée préventivement. En 2020, il s’est vu imposer 60 jours de détention dont 30 jours en lien avec les infractions reliées aux armes.
[32] Une interdiction de possession d’arme à feu a été prononcée pour 5 ans en 1985. Une deuxième interdiction d’armes à feu suivant l’article
[33] Les critères d’examen d’une suggestion commune sur la peine s’appliquent aussi à l’égard de la deuxième suggestion faite par les procureurs à la suite de sa détention préventive et de l’obtention du rapport présentenciel.
[34] Dans l’examen de la situation personnelle de l’accusé, il y a lieu de considérer l’analyse de l’agent de probation devenue disponible. Il est utile aussi d’examiner la jurisprudence à l’égard de situations semblables et les rappels faits en regard des armes à feu.
[35] Le seul fait d’avoir dû suivre, à 58 ans, une ordonnance pour une thérapie en toxicomanie et d’y avoir activement participé n’efface pas toute la colère et la violence manifestée par ses propos. D’aucune façon, la situation de l’accusé ne correspond-elle à une situation où il serait complètement réhabilité. D’ailleurs, l’agent de probation rapporte combien nous sommes loin d’une véritable introspection :
Le contrevenant a offert une version qui minimisait sa responsabilité et la gravité des gestes. En ce qui concerne la profération de menaces, il admet avoir divulgué des propos «inadéquats» à l’endroit des acteurs du gouvernement, sous l’effet de l’intoxication et sans réelles intentions, dit-il. Il réfute toutefois avoir employé des menaces directes de mort ou de blesser les victimes ciblées, mais il reconnait que ses propos peuvent s’en rapprocher. Il a révélé qu’il était alimenté par la colère sous-jacente à l’omniprésence des sites qu’il consultait sur la Covid-19. Néanmoins, il indique regretter son agir et éprouver de la honte à cet effet. Quant aux armes trouvées à son domicile, sa version nous laisse perplexe sur le plan de la crédibilité. D’une part, il a nié que les « tasers » servaient à son usage et il a expliqué qu’ils allaient être donnés à sa mère et à l’entourage de celle-ci, en vue de leur offrir un moyen de défense et de protection au besoin. En ce qui concerne le calibre .22 chargé, il soutient que l’arme appartenait initialement à un voisin et qu’il l’a recueillie, tout comme d’autres biens, lorsque ce dernier est décédé. Il nuance le fait qu’il ne se l’est donc pas « procurée ». Il ajoute qu’il ne savait pas comment se débarrasser de l’arme par la suite, et qu’il l’a donc gardé. Quant au fait qu’il était pourtant soumis à une interdiction en ce sens, le précité a admis qu’il était conscient qu’il outrepassait l’interdit.
[36] L’agent de probation fait remarquer que l’accusé se dit conscientisé depuis 2017 sur les risques de l’usage de substances intoxicantes en lien avec ses comportements violents et pourtant il semble s’en être tenu à la pensée magique alors qu’il avait pourtant connu une période de sobriété bénéfique dans le passé.
[37] L’accusé est décrit comme un individu sensible, cherchant à dissimuler ses vulnérabilités derrière une carapace et à les pallier par des mécanismes mésadaptés, tels la consommation, le surmenage, l’accumulation des émotions et la rumination. Plus précisément, l’agent de probation le décrit comme suit :
monsieur Tisseur serait un individu ayant une tendance hyperactive et comportant des traits impulsifs. Cette impulsivité s’est exprimée sous différentes formes au cours de sa vie, par exemple avec la violence verbale, dans sa conduite de véhicule auto révélée (conduite avec les facultés affaiblies, infractions au code de la sécurité routière, excès de vitesse) et dans des agirs destructeurs (accidents de la route, surdose de substances). Cette propension impulsive peut alors le propulser à commettre des actions sans mesurer les risques et les conséquences, qu’il regrette après coup.
D’autre part, monsieur Tisseur parait avoir une faible tolérance aux frustrations. Il maintient notamment une certaine croyance préjudiciable des formes d’autorité, un sentiment d’injustice et il ne se cache pas d’exprimer son opposition face au gouvernement en abordant divers sujets à haute teneur émotive chez lui (corruption, fraude, impôt, abus de pouvoir, emprise sur la société, etc.). Il éprouve parallèlement des difficultés à s’ouvrir à d’autres perceptions, ce qui peut entraver sa capacité à faire des choix judicieux dans sa résolution de problème.
Dans un autre ordre d’idées, soulignons la présence d’accusations de nature similaire au cours des 5 dernières années, survenues envers une locataire (2016) et un voisin (2019). Ces événements s’inscrivent dans un contexte semblable aux présentes infractions, soit de consommation abusive, de difficultés personnelles et où il accumulait des frustrations à l’égard des victimes. Peu tolérant dans ces conjonctures, il a adopté des comportements menaçants envers eux.
Finalement, le contrevenant parait endosser certaines valeurs laxistes et il tend à adopter un mode de vie « indépendant du système ». De surcroît, la persistance de sa délinquance et le non-respect des conditions et/ou interdictions remettent en question l’effet dissuasif des restrictions légales et des sentences reçues sur lui jusqu’à présent.
Son discours, centré sur le fait qu’il s’agissait de « paroles et non d’actions », énonce d’ailleurs des erreurs de pensée et est évocateur de la banalisation qu’il fait toujours de la violence, surtout verbale. Bien qu’il admette que ses allégations sont allées « trop loin », il n’en demeure pas moins que le fond de sa pensée, soit son affront face au gouvernement, reste le même. Monsieur Tisseur ne parait donc pas réellement voir l’intérêt de s’amender à ce niveau pour le moment.
[38] En regard du risque de récidive chez l’accusé, l’agent de probation fait remarquer que les plans de l’accusé de s’occuper de sa santé et de maintenir sa sobriété apparaissent positifs. L’agent de probation est cependant d’avis qu’il faut considérer les facteurs criminogène. Il conclut que le risque de récidive demeure présent et exprime une préoccupation à l’égard du potentiel de violence chez l’accusé:
Alors que son abstinence depuis les 9 derniers mois se présente comme une belle amorce de reprise en main, le maintien de ses acquis à long terme demeure à démontrer et le risque de rechute n’est pas à écarter. Puisqu’il estime que la démarche thérapeutique récemment complétée a été bénéfique, il demeure ambivalent face à la pertinence de poursuivre avec un suivi externe. D’autre part, soulignons que son investissement au sein de sa mesure en communauté antérieure avait été globalement positive, à l’exception de sa finalité (bris de probation) pour des absences. Se montrant ouvert à l’opportunité si elle se présente à nouveau, il a cependant révélé ses réserves quant à sa capacité à pouvoir s’y conformer, disant « habiter trop loin et ne pas avoir de moyens pour se déplacer », ce qui peut paraitre comme un prétexte pour fuir un réel investissement. Il s’est d’ailleurs questionné à savoir s’il ne serait pas plus simple de « faire son temps ». De ce fait, bien qu’il pourrait présenter un bon potentiel de réinsertion sociale s’il met les efforts en ce sens, nous émettons des doutes quant à sa motivation intrinsèque à s’engager dans un processus de changement à long terme.
En l’occurrence, nous sommes d’avis que le risque de récidive demeure présent et que la persistance d'une trajectoire menaçante et incluant la présence d’armes est préoccupante.
[39] Dans l’affaire Dion[9] soumise par la Poursuite, mon collègue fait remarquer que les décisions comportant des sursis de peine ou des absolutions[10] pour des individus ayant commis des crimes semblables ne possédaient pas d’antécédents judiciaires. Dans cette affaire, le Tribunal suit la suggestion de la Poursuite d’une peine d’emprisonnement de 30 jours faite par la Poursuite. Il s’agissait de menaces violentes à l’encontre d’une personne élue faites sur un site web. L’accusé possédait plusieurs antécédents judiciaires dont de l’incitation publique à la haine diffusée en mode vidéo sur Internet en 2019, des menaces de mort en 1996 et en 1992. Mon collègue fait les commentaires suivants :
Ce type de comportement, que la pandémie a accentué, risque de devenir un fléau et par le fait même atteindre les fondements de notre démocratie. (…)
[40] En contrepartie, dans l’arrêt Zarubin[11] l’accusé, qui avait menacé un député par téléphone au cours d’une conversation de 7 minutes, a reçu une peine de 7 mois et 24 jours représentant le temps purgé en détention provisoire. L’accusé de 65 ans avait un important dossier judiciaire dont des menaces, du harcèlement et des voies de fait.
[41] Dans l’arrêt Wiles, la Cour suprême rappelle :
L’intérêt qu’a l’État à réduire l’utilisation abusive des armes est valable et important. Le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas accordé suffisamment d’importance au fait que la possession et l’utilisation d’armes à feu ne constitue pas un droit ou une liberté que garantit la Charte, mais un privilège. [12]
[42] Le préambule du projet de loi C-68 indiquait d’ailleurs prévoir « des mécanismes visant à interdire aux personnes ayant un comportement criminel d’avoir en leur possession des armes à feu.[13]
[43] L’arrêt Nur [14] de la Cour suprême rappelle que :
Par.1 Les crimes liés aux armes à feu exposent les Canadiennes et les Canadiens à de graves dangers. Le législateur a donc résolu d’interdire carrément la possession de certaines armes et de restreindre celle d’autres armes. Le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, prévoit de lourdes peines lorsqu’il y a infraction aux dispositions ainsi créées. (…)
Par.6 Les infractions liées aux armes à feu sont graves. Le législateur a voulu protéger la population contre les blessures par balle et décourager la perpétration de telles infractions au moyen d’un régime strict exigeant permis (…) (Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, c. 39) et prévoyant des interdictions (partie III du Code criminel) (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.),
[44] Dans un Renvoi [15] la Cour suprême rappelait les déclarations faites par le ministre de la Justice :
«Le gouvernement estime que la réglementation des armes à feu devrait viser principalement à faire que le Canada demeure un pays sûr, civilisé et paisible»
[45] Récemment, la Cour suprême dans rappelait :
les tribunaux ont insisté sur le besoin de dénonciation et de dissuasion, à la fois pour signifier l’aversion de notre société à l’égard de la violence liée aux armes à feu[16]
[46] En considérant les éléments ci-haut mentionnés, le Tribunal est d’avis que la deuxième suggestion commune, soit le temps purgé préventivement, équivalant à 92 jours de prison, est aussi une suggestion qui déconsidère l’administration de la justice.
[47] Nous sommes loin d’une situation où un individu sans antécédent a commis une erreur ou encore d’une personne ayant des retards de développement ou des problèmes de santé mentale. Accepter la suggestion du temps purgé revient à dire que le tribunal ne considère pas l’analyse de l’agent de probation suivant laquelle l’accusé représente un danger de récidive et a un potentiel violent. Il apparaît au tribunal que l’aspect dissuasif sur le plan personnel chez l’accusé doit être marquant. Il doit intégrer qu’il ne peut faire fi constamment de la loi, des ordonnances de la cour, et ce, particulièrement en regard des armes à feu et des crimes contre la personne.
[48] Il est donc nécessaire que le processus judicaire assume son rôle d’isoler les délinquants dont les agissements mettent en péril la sécurité des citoyens et pour cela, il apparaît nécessaire de s’écarter non seulement de la première suggestion commune de sursis de peine avec 100 heures de travaux communautaires, mais aussi de la seconde suggestion de considérer le temps purgé préventivement comme étant suffisant.
[49] Il y a donc lieu maintenant d’appliquer les principes pénologiques.
[50] Bien que, par le prononcé d’une peine, le Tribunal cherche à assurer un certain degré de réparation des torts causés aux victimes, à leur entourage et à la collectivité et que ce soit un des buts importants du processus de détermination de la peine, le Tribunal reconnaît d’emblée qu’il n’y a aucune peine qui puisse compenser l’atteinte à la dignité et à l’intégrité d’une personne. Cela est particulièrement exact en regard des crimes contre la personne qui affectent directement l’intégrité de la personne. Aucune peine ne peut être proportionnelle aux préjudices subis par les victimes. Les torts subis par les victimes ne peuvent s’effacer, et cela, faut-il en convenir, quelle que soit l’ampleur de la peine prononcée.
[51] Bien que la justice pénale, à elle seule, ne puisse enrayer le problème sociétal de la violence, le prononcé d’une peine se doit de marquer son caractère inacceptable. Il ne faut pas oublier que le processus pénal s’inscrit dans la réaffirmation des valeurs sociétales devant être protégées[17] .
[52] Néanmoins, le principe fondamental demeure que la peine doit être individualisée et proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé[18]. Ainsi doivent donc être aussi considérés les autres objectifs mentionnés par le législateur, soit de contribuer à la prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre, de favoriser la réinsertion sociale d’un accusé et susciter chez lui la conscience de ses responsabilités en visant la reconnaissance par le délinquant du tort qu’il a causé aux victimes ou à la collectivité[19]..
[53] Le Tribunal doit considérer, aux fins de déterminer la peine appropriée, les circonstances aggravantes comme celles atténuantes. Le Tribunal doit chercher l’harmonisation ou la parité des peines à l’égard de circonstances semblables, éviter l’excès, examiner avant d’envisager la privation de liberté, la possibilité de sanctions moins contraignantes et de toutes sanctions substitutives à l’incarcération lorsque les circonstances le justifient en tenant compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité[20].
[54] La gravité des infractions, les antécédents en semblable matière et le profil de l’accusé militent tous pour une peine d’incarcération qui soit suffisamment importante pour dissuader l’accusé. Il ne doit pas y avoir de tolérance pour des menaces dans un contexte de large incitation à la violence. En soi, les circonstances en elles-mêmes des crimes commis par l’accusé appellent aussi à la dissuasion collective. Il est peu fréquent que le facteur de dissuasion collective ait l’effet attendu par les Tribunaux. Nous sommes toutefois ici dans une situation qui doit y faire appel. Nous reconnaissons que les personnes qui s’en prennent à des élus contribuent à mettre en péril la démocratie. Il s’agit d’un facteur aggravant à considérer.
[55] Aussi, le Tribunal est-il d’avis qu’une peine globale de 12 à 15 mois aurait pu être prononcée pour tenter, au minimum, de protéger la société et de favoriser l’effet dissuasif chez l’accusé lui-même. Même si, en soi un Tribunal n’est pas tenu de réduire une peine en raison des thérapies suivies, le Tribunal est d’avis de la considérer et de reconnaître cet effort fait chez l’accusé, de même que celui d’avoir suivi 7 courtes sessions de formation sur les habiletés sociales et personnelles pendant sa détention. Ainsi, il y a lieu d’imposer à l’accusé une peine équivalente à neuf mois d’emprisonnement et d’en soustraire le facteur 1.5 du temps purgé préventivement depuis le 21 décembre dernier.
[56] Le Tribunal aurait normalement considéré du temps consécutif entre le 1er chef et les deux autres chefs d’accusation pour lesquels il y aurait eu du temps concurrent. Le Tribunal aurait ainsi marqué que l’accusé a aggravé la situation en ayant une arme à feu chargée et des armes prohibées dans un contexte d’interdiction de possession d’armes à feu. Cela dit, en raison de la considération de la thérapie effectuée, le Tribunal n’a plus cette marge de manœuvre. Chacune des accusations auxquelles l’accusé a plaidé coupable requiert une peine importante. L’accusé doit à la fois y voir un message de dissuasion personnelle et comprendre la nécessité de continuer à prendre soin de lui-même, en étant conscient des blessures qui l’affligent et que celles-ci sont un facteur important qui a sans doute contribué à sa colère et à consommation. Il doit aussi prendre conscience que le feu nourri de colère qu’il entretient est plus susceptible de l’empêcher de prendre soin de lui-même et de vivre pour les années à venir une vie plus paisible.
[57] En regard de l’ordonnance de probation, le Tribunal est d’avis d’interdire, pour la période de probation, de référer aux premiers ministres du Canada et du Québec et à toutes les personnes dont il a mentionné les noms dans ses vidéos de menaces, soit par leur nom ou par leur fonction puisqu’ils sont des victimes. Le Tribunal est aussi d’avis d’interdire, pour une période d’un an, toute référence à des ministres, députés, commentateurs politiques et journalistes par leur nom dans les médias sociaux. L’accusé s’en est effectivement pris à plusieurs de ces professionnels ayant une certaine notoriété. Il s’agit généralement d’un droit démocratique de critiquer la pensée et les orientations politiques énoncées sur la place publique. Celui-ci ayant été utilisé dans un contexte de colère non gérée, un problème non résolu, il vaut mieux que l’accusé soit privé de ce droit pour une partie de la période de la probation, en espérant qu’il saura tirer profit des suivis avec l’agent de probation.
[58] CONDAMNE l’accusé, sur les premier, troisième et quatrième chefs d’accusation à une peine équivalente à 9 mois dont il y a lieu de soustraire le temps purgé préventivement, soit 68 jours pour valoir pour 102 jours, soit un solde de 5 mois et 18 jours à purger concurremment entre eux.
[59] SOUMET l’accusé à une ordonnance de probation surveillée d’une durée de deux ans suivant sa libération aux conditions de :
[60] ORDONNE sur le premier chef, la confiscation et la destruction des vidéos;
[61] INTERDIT pendant son incarcération de communiquer de quelque façon que ce soit avec l’ensemble des victimes nommées dans les vidéos saisis.
[62] ORDONNE sur tous les chefs, la confiscation des armes et munitions aux fins de destruction;
[63] PRONONCE sur le chef quatre une nouvelle interdiction de posséder toutes armes à feu, munitions, explosifs, armes restreintes et prohibées à perpétuité suivant l’article 109 d) du Code criminel[21].
[64] DISPENSE, vu la période de détention et l’absence de revenu de l’accusé, du paiement de la suramende compensatoire.
[65] CONSIDÉRANT, que les victimes n’avaient pas été initialement informées que le dossier se règlerait par un plaidoyer de culpabilité;
- qu’il y a finalement eu une communication avec des représentants de certaines victimes;
-le droit à l’information des victimes;
- l’article
[66] ORDONNE, à la poursuite de fournir, dans les plus brefs délais, les coordonnées des victimes au greffe de la Cour;
[67] ORDONNE, au greffe de la Cour de notifier, dans les 10 jours, la présente décision aux victimes.
| __________________________________ NORMAND BONIN JCQ, J.C.Q. | |
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Dates d’audience : | 20 décembre 2022, 13 février 2023 et 17 février 2023. | |
[1] Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
[2] R. c. Anthony‑Cook,2016 CSC 43 citant R. c. Nixon,
[3] Cook, Ibid, par.2.et 3,25
[4] Cook, Ibid, par.5.
[5] Bain c. R.,
[6] Voir notamment Reyes c. R.
[7] R. c. Nahanee,
[8] Reyes, Ibid. par. 57.
[9] R. c. Dion
[10] Voir notamment les trois décisions citées de R.c. LeSeeleur ; R. c.Jean-Philippe Leblanc Paré et Daniel Brosseau, trois accusés ayant fait des menaces à l’égard de la Première ministre Pauline Marois et R. c. Duclos concernant les Premiers ministres Trudeau et Couillard. Dans le dernier cas, l’accusé avait d’importants retards de développement et des problèmes de santé mentale. Il avait reçu une peine de six mois en lien avec un crime de nature sexuelle.
[11] R.c. Zarubin 2004 SKCA 14
[12] R. c. Wiles,
[13] Projet de loi C-68, Loi sur les armes à feu, 35e lég., 1re sess., 1994-95, préambule du projet de loi.
[14] R. c. Nur,
[15] Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.),
[16] R. c. Hilbach,
17 R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 50, p. 558.
18 Article
[19] Article
[20] Article
[21] Code criminel, voir note 1 précitée.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.