Décision

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Dyckow c. R.

2014 QCCA 1812

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-10-005169-121

 

(505-01-084055-090)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 3 octobre  2014

 

CORAM :  LES HONORABLES

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

maRTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

PARTIE APPELANTE

AVOCAT

 

DEAN DYCKOW

 

 

Me YVES TÉTREAULT (absent)

(Me Yves Tétreault avocat)

 

PARTIE INTIMÉE

AVOCAT

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

Me DANIEL ROYER (absent)

(Directeur des poursuites criminelles et pénales)

 

 

En appel d'une déclaration de culpabilité prononcée le 27 mars 2012 par l’honorable Ann-Mary Beauchemin, de la Cour du Québec, district de Longueuil.

 

 

NATURE DE L'APPEL :

 
Culpabilité - 266 a) et 267 a) C.cr.

 

Greffière d’audience :  Linda Côté

Salle : Antonio-Lamer

 


 

 

AUDITION

 

 

9 h 17

Début de l'audience.

Audition continuée du 29 septembre 2014.

Arrêt unanime déposé ce jour - voir page suivante.

Fin de l'audience.

 

(s) Linda Côté

Greffière d’audience

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Une altercation physique implique l’appelant et la plaignante, ex-conjoints. Il dit avoir agi en légitime défense. Elle dit avoir été agressée.

[2]           Dans un jugement rendu le 27 mars 2012, l’honorable Ann-Mary Beauchemin de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Longueuil, déclare l'appelant coupable d’avoir commis des voies de fait simple (art. 266 a) C. cr.) et armées avec une chaise (art. 267 a) C.cr.) contre Mme Rachida Sabky (« la plaignante »).

[3]           Au procès, l'appelant admet avoir physiquement maîtrisé la plaignante pour la calmer et prévenir les coups. Ils sont tombés au sol. Il admet avoir utilisé une chaise, mais comme bouclier, et non comme une arme. La juge d'instance évalue les témoignages contradictoires de l'appelant et de la plaignante. La crédibilité est au cœur du procès.

[4]           Un bref survol des faits est nécessaire. Le couple est séparé depuis 2005. À cette époque, l'appelant et la plaignante étaient de proches voisins. Ils ont un fils de trois ans. Le 20 mai 2009, l’appelant se rend à la résidence de la plaignante à sa demande afin de réparer sa ligne téléphonique. Pendant qu'il s'y affaire, il trouve un fusil en plastique appartenant à son fils. Il désapprouve ce choix de jouet et il en fait part à la plaignante qui réplique. L’appelant se met en colère et jette le fusil en plastique au bac de recyclage. À ce moment, les événements se succèdent rapidement et mènent à la confrontation physique.

[5]           Selon la version de la plaignante, ils se poussent mutuellement, mais l’appelant la projette rapidement au sol. Il s’arme ensuite d’une chaise qu’il pose sur son torse en s’assoyant dessus, sans y mettre tout son poids, mais en la menaçant de le faire et cela, dans le but de l’humilier. Selon l’appelant, la plaignante a violemment jeté au sol des pots d’épices se trouvant à proximité de la cuisinière et elle s’amène rapidement vers lui. Il tente de la contenir en l’encerclant de ses bras durant une vingtaine de secondes. Ils perdent l’équilibre et se retrouvent au sol. Il se relève et la plaignante tente de l’atteindre avec des coups de pieds. Il prend une chaise afin de se protéger et la place non pas sur elle, mais au-dessus de ses jambes. La suite des événements n’est pas contestée. L’appelant appelle le 9-1-1 pour la plaignante vers 15h45 et celle-ci parle à la préposée. L’appelant quitte ensuite la résidence et une policière se présente chez la plaignante vers 16h.

[6]           Puisque l’intimée reconnaît, à bon droit d’ailleurs, que la juge d’instance commet deux erreurs dans l’appréciation de la preuve, il suffit de les présenter succinctement.

[7]           La première est que d’entrée de jeu, la juge conclut que l'appelant est un intrus au sens de l'article 41 C.cr. puisqu’il est présent dans la résidence de la plaignante et qu’il n'a pas quitté les lieux lorsque requis. Dans l’esprit de la juge, cela justifie toute force raisonnable de la part de la plaignante et condamne l'utilisation de toute force par l'appelant lors de l’altercation. Dès cet instant, elle ferme la porte à la légitime défense invoquée par l’appelant. Or, les parties en conviennent, la juge est dans l'erreur en référant à l'article 41 C.cr., ne serait-ce que parce que la plaignante n'a jamais demandé à l'appelant de quitter les lieux avant la fin de l'altercation. Ayant été initialement invité par la plaignante, l’appelant ne peut devenir un intrus avant le moment où il est sommé de partir.

[8]           La seconde erreur survient lorsque la juge conclut erronément à la provocation de la plaignante par l'appelant. À ses yeux, celui-ci ne pouvait donc plus invoquer la légitime défense. Encore une fois, le ministère public concède l’erreur de la juge. Il a raison. La preuve ne supporte pas cette conclusion.

[9]           Selon l’intimée, ces erreurs sont toutefois sans conséquence puisque la légitime défense est rejetée en raison de l'absence d'appréhension raisonnable d'une attaque et de l'utilisation disproportionnée de la force. Ainsi, la disposition dite réparatrice, soit l'alinéa 686(1)b)(iii) C.cr., trouverait application.

[10]        L’argument n’est pas convaincant. L’appel doit être accueilli. Il est bien établi que la disposition réparatrice ne peut s’appliquer que lorsqu’il n’existe aucune « possibilité raisonnable que le verdict [ou la déclaration de culpabilité] eût été différent en l’absence de l’erreur »[1]. Il est faux de prétendre que les erreurs sont sans conséquence puisqu'elles touchent le cœur du litige[2]. Notamment, les erreurs de la juge se rapportent directement à l’évaluation des conditions d’ouverture de la légitime défense. La juge a donc erronément écarté cette défense pour deux raisons qui ne trouvent pas appui dans la preuve. Lorsque l’erreur prive l’accusé d’un moyen de défense, on peut plus difficilement invoquer la disposition réparatrice[3].

[11]        Contrairement à ce que plaide l'intimée, les erreurs ne sont pas sans conséquence. Elles sapent l'analyse que devait faire la juge d'instance afin de déterminer si le ministère public avait écarté hors de tout doute raisonnable la légitime défense. En concluant que l’appelant est un intrus et qu’il a provoqué l’altercation, la juge d’instance aborde l’évaluation de la crédibilité de l’appelant avec une prémisse erronée et préjudiciable. Il s’agit d’une erreur qui contamine son raisonnement. On retrouve d’ailleurs une référence à la qualité d’intrus de l’appelant lorsque, dans son analyse, la juge d’instance s’intéresse à la version de la plaignante. La juge conclut spécifiquement que cette dernière n’a pas attaqué l’appelant ou alternativement, qu’elle était justifiée de le faire pour l’expulser de sa résidence. L’influence de l’erreur est ici bien évidente. Elle est au cœur du raisonnement de la juge et elle n’est pas réservée à la version de l’appelant.

[12]        L’appelant soulève un autre moyen et reproche au juge d’instance de ne pas avoir reconnu que le témoignage de la plaignante souffre d’un manque de fiabilité. Il mentionne ses difficultés à se remémorer l’heure de l’incident et les paroles échangées à ce moment. Si la plaignante se trompe de façon évidente sur l’heure lors du procès tenu un peu plus de deux ans après les faits, les paroles rapportées ne sont peut-être pas si différentes pour cette même raison. À la policière, elle rapporte que l’appelant lui a dit « je m’assois sur ton corps » alors qu’au procès, elle répète que l’appelant lui dit « tu veux que je pèse » faisant référence au poids qu’il applique sur la chaise placée sur son torse. Ces différences ne sont pas déterminantes.

[13]        L’appelant ajoute que la juge s’appuie sur une preuve discutable pour réhabiliter sa version, soit les photographies des blessures et le témoignage de la policière dépêchée sur les lieux le jour des événements.

[14]        Il est vrai que cette preuve ne confirme pas nécessairement le témoignage de la plaignante. On peut sans doute soutenir que les photographies peuvent également soutenir la version de l’appelant. Quant au témoignage de la policière, il livre quelques informations générales sur l’état de la plaignante, mais surtout, il confirme une déclaration de la plaignante voulant qu’elle « ait lancé des choses » lors de l’incident, ce que la plaignante a formellement nié lors de son témoignage. Il s’agit évidemment d’une contradiction importante dont on ne retrouve aucune trace dans la décision de la juge d’instance.

[15]        En somme, et le ministère public ne le nie pas, la décision présente certaines difficultés dans l’appréciation du témoignage de la plaignante. Considérant l’ensemble de la preuve cependant, on ne peut exclure qu’un juge puisse en arriver à prononcer un jugement de culpabilité.

[16]        Dans les circonstances, l’appel doit réussir et un nouveau procès doit être ordonné.

[17]        POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[18]        ACCUEILLE l’appel;

[19]        ANNULE le jugement de culpabilité;

[20]        ORDONNE un nouveau procès.

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE,     J.C.A.

 

 

 

MANON SAVARD,     J.C.A.

 

 

 

maRTIN VAUCLAIR,     J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 



[1] R. c. Sekhon, [2014] 1 R.C.S. 272, paragr. 53.

[2] R. c. Van, [2009] 1 R.C.S. 716, paragr. 35.

[3] Korponay c. Canada (Procureur général), [1982] 1 R.C.S. 41, 57.

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