Décision

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Décision

Habitations communautaires de la Shapem c. Leduc

2021 QCTAL 18642

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

543164 31 20201030 G

No demande :

3102383

 

 

Date :

26 juillet 2021

Devant la juge administrative :

Manon Talbot

 

Habitations communautaires de la SHAPEM

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Céline Leduc

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

CONTEXTE PROCÉDURAL

[1]      Le locateur demande la résiliation du bail et l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et la condamnation au paiement des frais judiciaires.

[2]      Au soutien de sa demande, le locateur reproche à la locataire de ne pas user du logement en personne prudente et diligente. Il allègue notamment la présence d'une infestation de punaises de lit dans le logement, laquelle ne peut être contrôlée, faute de traitement pouvant être effectué de manière efficace, en raison de l'état d'encombrement et d'insalubrité du logement et du manque de collaboration de la locataire.

[3]      Les audiences prévues les 27 novembre 2020 et 18 janvier 2021 ont été reportées en raison de l’hospitalisation de la locataire.

[4]      Lors de l’audience le 9 février 2021, la locataire demande une autre remise, car elle est toujours hospitalisée et son avocat a reçu le mandat de la représenter à peine quelques jours plus tôt.

[5]      Vu l’opposition de la représentante du locateur à cette troisième demande de remise et l’urgence alléguée de la situation, le Tribunal accordait la remise sur la demande du locateur, mais autorisait la présentation d’une partie de la preuve dans le but de déterminer si des ordonnances de sauvegarde devaient être prononcées.

[6]      Dans les circonstances, le Tribunal permettait à la locataire d’assister à l’audience à distance, soit par téléphone.


[7]      À la lumière de la preuve offerte non contredite par la locataire sur l’état de malpropreté du logement et de la présence de punaises de lit, le Tribunal prononçait les ordonnances de sauvegarde suivantes à titre de mesure temporaire et conservatrice jusqu’à décision finale :

ORDONNE à la locataire :

De permettre aux représentants du locateur et à toute personne mandatée par lui de vider le logement de tous ses biens pour les entreposer dans un endroit permettant l'extermination des punaises de lit;

De permettre aux représentants du locateur et à toute personne mandatée par lui de nettoyer le logement;

De permettre aux représentants du locateur et au personnel en gestion parasitaire de procéder à l'extermination des punaises de lit au logement concerné selon les règles de l'art;

De ne pas entraver, nuire ou obstruer le travail du locateur ou de ses représentants, et du personnel désigné pour le déménagement de ses biens, du nettoyage de son logement, de sa préparation et du technicien en gestion parasitaire désignés par le locateur.

[8]      Le 19 avril 2021, les parties étaient convoquées à nouveau devant la soussignée pour audition afin de disposer de la demande du locateur en résiliation du bail.

LES FAITS

[9]      Le Tribunal juge utile de référer à la décision interlocutoire du 12 février 2021 quant à la preuve retenue :

[12] Les parties sont liées par un bail reconduit jusqu'au 30 juin 2021, au loyer mensuel subventionné de 611 $, dont la part payable par la locataire est de 446 $ par mois.

[13] Le logement constitué de 3 ½ pièces se situe dans un immeuble de 16 logements répartis sur quatre étages.

[14] Le témoignage de Zoé Naum, appuyé par celui de Mélanie Shaw, intervenante psychosociale en logement communautaire et coordonnatrice de la gestion parasitaire, révèle que le logement est infesté de punaises de lit, laquelle infestation se propage dans les autres logements de l'immeuble. Les lieux sont également encombrés, insalubres et ne permettent pas les traitements efficaces contre la vermine.

[15] Il est également soutenu que la locataire n'offre pas la collaboration requise à l'extermination des punaises en négligeant notamment de préparer son logement adéquatement lors des visites de l'exterminateur et en refusant l'aide proposée par un organisme spécialisé pour l'accompagner.

[16] Le témoignage de madame Shaw convainc le Tribunal que l'infestation du logement est telle, que tous les biens de la locataire doivent être retirés du logement pour être entreposés dans un endroit non chauffé, ce qui permettra l'extermination des punaises de lit vivantes et en dormance par l'effet du froid.

[17] Il s'avère également important qu'un grand nettoyage soit effectué pour remettre le logement en bon état de salubrité afin que les traitements d'extermination puissent être efficaces

[18] La locataire admet à l'audience que son logement est infesté de punaises de lit et qu'il est malpropre. Elle soulève toutefois qu'elle n'est pas responsable de la situation. Elle refuse donc la responsabilité les frais engendrés par les travaux qui y seront effectués.

[19] Il est aussi admis que son état de santé ne lui permettrait pas, à court terme du moins, de remédier à la situation si elle obtenait congé de l'hôpital dans les prochains jours, comme souhaité.

[20] La locataire exprime sa compréhension à l'égard du fait que ses biens seront entreposés pendant sûrement quelques semaines, l'empêchant de réintégrer son logement entretemps, si elle obtient son congé.

[21] Madame Catherine Letarte, travailleuse sociale de l'hôpital en présence de la locataire, mentionne que celle-ci sera prise en charge dans une ressource d'hébergement adéquate, le cas échéant.


[10]   De l’ensemble de la preuve administrée et des témoignages entendus, le Tribunal retient ce qui suit :

[11]   Zoé Naum et Mélanie Shaw soutiennent que le manque de collaboration de la locataire concernant l’état de propreté de son logement et l’éradication des punaises de lit perdure depuis plusieurs années.

[12]   Cependant, madame Naum témoigne seulement des événements survenus depuis l’arrivée en fonction de madame Shaw en août 2020.

[13]   Ainsi, selon la preuve admise, il y a bel et bien eu présence de punaises de lit dans le logement de la locataire et dans d’autres logements de l’immeuble, mais l’intensité de l’infestation et l’origine de cette présence de punaises n’ont pas été démontrées. Les allégations des deux témoins ne sont pas soutenues par une preuve documentaire ni par le témoignage de techniciens en gestion parasitaire.

[14]   Quant au manque de collaboration de la locataire, la preuve révèle que les lieux ont été traités à plus d’une reprise. Cependant, en raison de l’état de saleté démontrée du logement et la préparation inadéquate des lieux, il est possible que les traitements n’aient pas donné les résultats escomptés. Madame Shaw explique les difficultés rencontrées avec la locataire pour que celle-ci coopère avec les services en place.

[15]   Néanmoins, le Tribunal ne peut ignorer le fait que la mise en demeure à la locataire le 2 octobre 2020 et la procédure introduite quelques jours plus tard, mais toutes deux notifiées alors que la locataire était hospitalisée, ne font pas mention de la problématique de punaises de lit.

[16]   De son côté, la locataire nie les allégations du locateur en maintenant avoir offert sa pleine collaboration en tout temps. Bien qu’elle reconnaisse que son logement n’ait pas été maintenu dans un état de propreté exemplaire, elle raconte ses préoccupations et son temps déployé en bénévolat en période de pandémie liée à la COVID 19 et ses soucis de santé ayant causé son hospitalisation durant plusieurs mois à compter d’octobre 2020.

[17]   La locataire estime aussi que ses relations ont toujours été bonnes avec les personnes offrant du soutien pour l’entretien ménager et la préparation du logis pour les traitements d’extermination. Elle ne comprend pas que le locateur lui fasse porter le blâme de l’infestation de punaises de lit dans l’immeuble.

[18]   Durant son hospitalisation, la locataire a permis l’accès à son logement, mais refusait le retrait de ses biens, car le locateur voulait lui faire supporter les coûts en découlant, ce à quoi elle s’opposait vivement. Elle craignait aussi la façon avec laquelle on disposerait de ses biens.

[19]   Or, elle souligne avoir consenti aux ordonnances de sauvegarde afin de pouvoir réintégrer son logement après son hospitalisation.

[20]   En ce qui a trait aux événements survenus après le prononcé des ordonnances, la preuve du locateur révèle que le plan d’intervention envisagé n’a pu être réalisé comme prévu. Même si les biens de la locataire ont pu être placés dans des boites par des déménageurs, il n’a pas été possible de les entreposer à l’extérieur pour éradiquer la vermine puisque la température a été trop clémente depuis ce temps.

[21]   Cependant, le logement a été traité et fumigé. Madame Shaw demeure inquiète quant à la présence de punaises dans les biens de la locataire placés dans les boites. Elle s’inquiète également de la collaboration de celle-ci même si elle bénéficie des services d’une travailleuse sociale.

[22]   À cet égard, l’avocate de la locataire fait entendre Anne-Marie Gaillard, travailleuse sociale au CLSC Montréal-Nord.

[23]   Elle témoigne d’une demande reçue du centre de réadaptation Marie-Clarac où séjournait la locataire jusqu’à tout récemment à la suite d’une longue hospitalisation. Son mandat consiste à évaluer les besoins de la locataire et les services à domicile disponibles adaptés à sa condition.


[24]   Elle explique que le CLSC peut pourvoir à un service d’entretien ménager et même de rectifier le problème de malpropreté des lieux. Il peut aussi être offert un service de préparation du logement pour d’éventuels traitements d’extermination. Dans la mesure où la locataire accepte de recevoir les services, ce qui est le cas actuellement, des mesures adéquates peuvent être mises en place pour assurer le respect des ordonnances du Tribunal, le cas échéant, déclare-t-elle.

[25]   Madame Gaillard ajoute que la locataire démontre une volonté de maintenir son logement en bon état et des mesures ont déjà été prises en ce sens.

[26]   La locataire confirme son consentement à recevoir les services recommandés non seulement pour conserver son logement, mais aussi parce que son état de santé le requiert.

[27]   Des photographies des lieux ont été produites après l’audience sur autorisation du Tribunal. Celles-ci démontrent un logement nettoyé et désencombré.

QUESTION EN LITIGE 

[28]   Y a-t-il lieu de résilier le bail? 

ANALYSE ET DÉCISION

[29]   Le recours du locateur est fondé sur l'article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel permet d'obtenir la résiliation du bail lorsque la preuve démontre un manquement aux obligations contractuelles et légales et le préjudice sérieux en découlant.

[30]   Or, il est pertinent de rappeler que tout locataire a droit à la jouissance paisible des lieux loués, passant notamment par leur bon état d'habitabilité, de réparations ou de sécurité, que doit procurer le locateur au sein de son immeuble.

[31]   En corollaire, et pour mettre à exécution les obligations de ce dernier, le locataire aura celle générale d'user du bien loué avec prudence et diligence (article 1855 C.c.Q). 

[32]   Plus spécifiquement, le locataire sera tenu de maintenir son logis en bon état de propreté, de ne pas contrevenir aux obligations légales prescrites eu égard à sa sécurité ou sa salubrité (articles 1912 C.c.Q et 25 du Règlement de la Ville de Montréal) et d'aviser le locateur, dans un délai raisonnable, lorsqu'il aura connaissance d'une défectuosité ou d'une détérioration substantielle des lieux loués (article 1866 C.c.Q).

[33]   Ainsi avisé, le locateur devra réagir avec célérité et diligence pour enrayer le problème.

[34]   Nous pouvons également affirmer que l'obligation générale du locataire comporte celle de collaborer et de ne pas nuire au locateur dans l'accomplissement de ses propres devoirs.

[35]   Il va sans dire que la présence d'insectes nuisibles dans un immeuble à logements ne doit pas être prise à la légère. Le défaut de collaboration d'un locataire lorsqu'il y a présence de vermine dans son logement empêche le locateur d'intervenir avec promptitude et efficience, avec incidence d'un préjudice certain.

[36]   De l'avis du Tribunal, même en retenant les prétentions de la locataire voulant que le problème d'infestation provienne d'un autre logement de l'immeuble, il est probable que l'état de malpropreté de son logement ait contribué à la prolifération des punaises et à une possible migration dans d’autres logements.

[37]   Le Tribunal juge crédible la preuve du locateur sur les difficultés rencontrées avec la locataire pour remédier aux problèmes dénoncés et les appréhensions sur sa collaboration dans le futur.

[38]   Le locateur a ainsi démontré de façon prépondérante les manquements de la locataire, lesquels l'ont empêché de s'acquitter de ses propres obligations tenant à la conservation de l'immeuble et à son bon état d'habitabilité.


[39]   Cependant, le Tribunal prend note des circonstances particulières énoncées par la locataire et des efforts pour remettre le logement en bon état de propreté et de désencombrement. La preuve d'une prise en charge récente par une travailleuse sociale du CLSC permet de croire que la locataire pourra respecter ses obligations envers le locateur.

[40]   Pour ces motifs, le Tribunal estime qu'il y a lieu de donner une dernière chance à la locataire de remplir ses obligations. Dans ce contexte, le Tribunal sursoit à la résiliation du bail et y substitue une ordonnance selon l'article 1973 C.c.Q.

[41]   Par cette ordonnance rendue en vertu de l'article 1973 C.c.Q., la locataire sera enjointe de garder le logement en bon état de propreté en tout temps, de même qu'il doit lui être ordonné de permettre l'accès au locateur sur avis de 24 heures pour visiter les lieux.

[42]   Le Tribunal croit bon de souligner à la locataire que le locateur pourra demander la résiliation du bail si elle ne se conforme pas aux ordonnances émises.

[43]   Le préjudice subi ne justifie pas l'exécution provisoire de la présente décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[44]   ACCUEILLE en partie la demande du locateur;

[45]   ORDONNE à la locataire de :

[46]   MAINTENIR son logement dans un état acceptable et sans encombrement;

[47]   USER de son logement avec prudence et diligence, tel que le prévoit la loi;

[48]   DONNER accès à son logement au locateur ou à ses représentants, et ce, avec un préavis de 24 heures;

[49]   L'ensemble de ces ordonnances seront valides pour toute la durée du bail en cours et sa prochaine reconduction, le cas échéant;

[50]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 87 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

la mandataire du locateur

la locataire

Me Jessica De Stefano, avocate de la locataire

Date de l’audience :  

19 avril 2021

 

 

 


 

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